Debout Education Populaire : la fabrique sur la place publique d’un tiers espace

Debout Education Populaire : la fabrique sur la place publique d’un tiers espace dédié au partage des savoirs, au développement de l’esprit critique et la culture du commun

Le Jardin des savoirs, devenu au bout de quelques jours la commission Debout Education Populaire, est un des collectifs qui apparaît avec le mouvement de contestation Nuit Debout, né de l’opposition à « la loi travail et son monde » au printemps 2016. Il a pour objet de créer, et ce de façon régulière depuis un an et demi sur la place de la République à Paris, un espace dédié au partage des savoirs et savoirs faire expérientiels, ainsi qu’à la réflexion collective sur les enjeux contemporains (l’éducation, l’environnement, le commerce, la justice, les communs…).

Dans un contexte d’affaiblissement démocratique, que les dispositifs de démocratie participative ne semblent pouvoir contenir, et d’intensification des urgences humaines et environnementales, Debout Education Populaire émerge comme un îlot, où se mêlent résistance et espoir.

C’est via l’approche observante, participante et non institutionnelle d’une recherche action menée dans le cadre d’une formation au Cestes / CNAM que j’ai pu saisir la richesse et la complexité du phénomène Educ Pop Debout. Et comprendre combien pouvait être utile, voire nécessaire, une telle expérimentation pour, non seulement faire émerger une parole citoyenne et une réflexion sociale collective, mais aussi donner à tous, y compris les invisibles, un accès à un espace d’expression, et contribuer ainsi à ce que chacun puisse trouver une place comme sujet politique.

Le présent article se proposera d’analyser comment ce dispositif s’est construit à la fois comme un espace de compréhension mutuelle et de contestation des logiques dominantes, aussi bien dans sa forme, son fonctionnement et son organisation, prônant l’indépendance, l’autonomie et l’autogestion, que dans ce qui est produit au niveau individuel et collectif. Une rupture avec les cadres institutionnels qui s’affirme d’abord spatialement, en investissant le dehors, la place publique, sur laquelle la commission s’installe de façon régulière et éphémère grâce à une installation artisanale, co-construite, en délimitant un espace avec des cordes, offrant à chacun la possibilité (la liberté) d’être là comme il le souhaite, une forme de participation souple, à géométrie variable. Un dispositif dans lequel le hasard et l’imprévu jouent donc un rôle essentiel, prenant ainsi le contrepied des dispositifs de participation institutionnels, et de la logique du contrôle, sans cesse renforcée par l’Etat d’urgence qui contraint de plus en plus l’investissement de l’espace public.

Une rupture également dans la posture face au savoir, que Debout Education Populaire considère aussi bien d’un point de vue théorique que pratique (savoirs faire expérientiels), réconciliant l’esprit et la main, et qu’elle aborde dans une logique coopérative de partage. Autres caractéristiques fondamentales du fonctionnement d’Educ Pop Debout, contribuant à en faire un tiers espace, est l’anonymat (des intervenants, des membres de la commission), l’ouverture à tout type d’intervenants afin de rompre avec le rapport d’inégalité produit par la position d’expert, ainsi que la gratuité et le désintéressement.  Enfin c’est son mode de gouvernance, horizontal, égalitaire, basé sur la coopération, qui contribue à en faire une expérimentation démocratique.

Tout un ensemble de conditions, matérielles, spatiales, humaines, qui contribuent à ce que dispositif puisse, au fil du temps, être un espace où se développe l’esprit critique, où se fabrique, se tisse une culture des communs en marge de la culture dominante, remettant au premier plan l’humain et la planète, et d’où émerge une nouvelle forme de citoyen, le citoyen du monde.

Une expérience qui renoue ainsi avec un des principes fondateurs de l’éducation populaire, associant la compréhension du monde et sa transformation, et réaffirme sa dimension fondamentalement politique et émancipatrice.

 

Contact : Camille Arnodin <camille.arnodin@gmail.com>

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