Le samedi 18/04/2015 se déroulait à la La Noue à Bagnolet un marché organisé par l’association AMELIOR et le Centre Social local.
Je m’y suis pour ma part rendu au titre de membre du collectif Rues Marchandes qui est initiateur, depuis quelques mois, d’un processus de recherche-action autour des récupérateurs-vendeurs, biffins ou autres, autrement dit autour de la problématique des rues marchandes (voir charte des Rues Marchandes ici).
La journée était ensoleillée -presque trop pour ma peau pourrie (en deux mots)-, et apparaissait en ce sens comme une journée idéale pour ce type d’évènements. L’ambiance était bonne, plutôt apaisée (aucune tension particulièrement importante ne s’est faite sentir lors de ma présence sur les lieux), même si l’on nous a rapporté qu’une bagarre avait éclaté alors que nous étions en réunion du collectif Rues Marchandes au Centre Social, à proximité, à cause, semble-t-il, d’une histoire de drague.
Je suis arrivé sur les lieux vers 13h30, alors qu’Hugues attendait un sandwich aux merguez (l’alternative végan n’était hélas apparemment pas encore à l’ordre du jour, heureusement j’avais emmené des bananes et des oléagineux qui me sauvèrent la mise!) qui a tardé à lui parvenir (plus d’une heure a du s’écouler entre le moment de sa commande et le moment où il en a mordu le premier morceau, du coup mes oléagineux lui ont fait un petit complément utile), que Claire était attablée attendant Hugues, et envoyait régulièrement au bar Julie en messagère pour rappeler à Hugues que le temps s’écoulait, secouant tête et mains de toutes parts lorsque celui-ci se retournait alors vers elle. Bref, Hugues et moi avons rejoint Claire et Julie avec la moitié des victuailles -et donc sans le sandwich d’Hugues- au moment où les jeunes du Centre Social du quartier, qui géraient la sandwicherie et le bar, nous ont dit qu’ils étaient pour le moment à cours. Ils étaient fort sympathiques au demeurant. A table, il y avait Claire et Julie de l’Agence des Hypothèses, deux gars de Via Paysages, dont je me souviens plus les noms (j’ai une mauvaise mémoire des visages et des prénoms), Christian (géographe), puis Pauline, une stagiaire de l’association Intermèdes Robinson qui nous a rejoints, et donc Hugues Bazin et moi-même. Nous nous sommes présentés les uns les autres, et le temps de comprendre ce que chacun faisait, c’était l’heure d’aller installer le stand du collectif Rues Marchandes (et oui, le temps passe vite! Ou alors on fait des trucs compliqués?!!…voire les deux!), à savoir 14h. 5 minutes plus tôt, Jeanne (AMELIOR) est arrivée avec une amie à elle, et elles se sont installées sur un banc à quelques mètres de la table où nous nous trouvions. Nous les avons donc invitées à nous rejoindre, mais le chaleur qui sévissait alors n’aidant pas à la mobilité, elles sont restées sur leur banc, et nous à notre table. Dont nous sommes donc partis quelques minutes après pour aller installer le stand sur des tables de ping-pong bien placées au centre du marché. Sauf qu’en fait entre-temps des enfants avaient eu la curieuse idée de les utiliser pour…je nous le donne en mil: faire un ping-pong! Les cons! C’en était fini de notre stand -qui n’était hélas pas commencé d’ailleurs!-. Du coup, on s’est rabattus sur la table de pic-nic où nous avions mangé et discuté précédemment. Reste qu’il fallait aller avertir les gens qui vendaient sur leur marché de notre présence, de sa raison, et du lieu où ils pouvaient nous trouver s’ils souhaitaient s’entretenir davantage avec nous.
Nous sommes donc partis, avec sur le dos des gilets jaunes charmants que Claire nous avait dégottés (et qui avaient pour avantage de nous rendre à la fois visibles, et à la fois dignes d’un minimum de confiance de la part des marchands) par petites équipes: Hugues et moi d’un côté, Christian de l’autre, tandis que Claire et Julie préparaient, je crois, le matériel pour filmer les entretiens de ceux qui le voudraient bien. Hugues et moi sommes allés voir pas mal de stands tenus par biffins et autres vendeurs (il y avait aussi des gens du quartier qui vendaient des objets neufs), Christian s’est chargé de toute l’autre partie du marché qu’Hugues et moi n’avions pas couvert. A nous trois, il me semble que nous avons fait la quasi-totalité des stands du marché.
Pour notre part, Hugues et moi procédions comme suit: nous donnions un tract à chaque personne se trouvant derrière un stand quel qu’il soit, et lui expliquions dans le même temps qui nous étions, ce que nous faisions, et ce que nous attendions d’eux. J’ai laissé Hugues parler le premier, ensuite je copiais (c’est toujours plus commode, comme je n’avais aucune idée de comment aborder tout ça!) et disais mot pour mot la même chose que lui.
En gros, ça donnait: « Bonjour, on vient vous voir parce qu’on fait partie d’un collectif, qui s’appelle « Rues Marchandes », et qui est à la fois un collectif de soutien pour les récupérateurs-vendeurs avec l’idée, notamment, de faciliter l’organisation de marchés dans toute l’Ile-de-France, et aussi un espace où ils peuvent venir raconter ce qu’ils font, ce qu’ils vivent, ce qui les motive, les difficultés qu’ils rencontrent, les changements qu’ils espèrent, etc. On est là de 14h à 16h, sur la table près du bar, là-bas, donc si vous voulez venir discuter avec nous un moment, n’hésitez pas. ». Comme ils demandaient parfois s’ils allaient (encore) être filmés (il faut en effet préciser qu’une télé réalisait un 52 minutes sur le marché ce jour-là, y étant donc omniprésente et interrogeant en grande pompe beaucoup de biffins, ce qui ne nous facilitait donc nullement la tâche), on ajoutait qu’ils ne le seraient que s’ils le souhaitaient, et que ça ne leur serait en aucun cas imposé.
Certains, comme le tout premier biffin avec qu’on est allés voir, semblaient ravis à l’idée d’avoir un interlocuteur potentiel à qui parler, et ont eu l’air vraiment intéressés par la démarche (il me semble que encore c’est celui à qui nous l’avons expliquée de la manière la plus complexe et donc la plus complète, avant d’abaisser le seuil de complexité proportionnellement au niveau de maîtrise de la langue française par nos interlocuteurs). Nous avons dans ces cas-là échangé nos contacts, et il se pourrait bien qu’on ait d’autres occasions de s’entretenir ensemble plus longuement. Pour le reste, échanger verbalement fut difficile, d’une part parce qu’une bonne partie de nos interlocuteurs, biffins bulgares venus sans s’être inscrit au préalable mais en ayant simplement eu vent de l’organisation de ce marché, ne parlaient pas du tout français -ou très très peu-, d’autre part parce qu’ils avaient déjà été sollicités par l’équipe de télévision qui filmait le reportage sur le marché, et qu’ils commençaient à en avoir marre, d’autant que -troisièmement- si les biffins avaient eux répondu présents à l’appel, les acheteurs étaient, de leur avis, très peu nombreux, et que le fait qu’ils n’arrivaient pas ou très peu à vendre commençait à sérieusement à les agacer, ce qui semble compréhensible lorsqu’on sait les enjeux de survie dépendant plus ou moins directement de leur capacité à vendre. Nous avons toutefois trouvé des relais, une femme notamment, parmi cette population de biffins bulgares, qui parlaient suffisamment français pour comprendre « comité de soutien » et « parler des problèmes » et se sont chargés de diffuser l’information auprès de tous les autres, en leur distribuant eux-mêmes les tracts et en leur expliquer verbalement en bulgare. Le temps de faire ce tour des stands sur le marché pour avertir les vendeurs de notre présence sur place, les 2 heures étaient quasiment écoulées, et on approchait 16h. Entre-temps, comme aucun vendeur ne s’était rendu sur le stand, Cclaire et Julie étaient parties elles aussi en expédition parmi les stands pour s’entretenir avec les vendeurs et recueillir quelques matériaux filmiques. Les choses se sont donc passées différemment et de manière moins organisée que prévu, mais elles se sont passées tout de même, ce qui me semble être l’essentiel.
Du peu d’entretiens que nous avons pu avoir avec les biffins lors de nos passages sur les stands, il est ressorti, comme on s’en doutait, une grande précarité, des revendications quant au logement, à la possibilité de vendre (et de vivre) dans de meilleures conditions, le manque d’argent, etc. Bref, un sentiment d’urgence lié à la survie.
Nous avons par ailleurs eu le témoignage d’une habitante du quartier qui vendait sur un stand, et qui réclamait un marché séparé pour les biffins bulgares, au prétexte qu’ils prendraient aux autres leur clientèle potentielle du fait des bas prix qu’ils pratiquent, qu’eux seuls auraient vendu ce jour-là, qu’en plus ils laissaient tout sur place en repartant, au lieu de nettoyer, bref que la précarité de leur situation leur imposait de se comporter de la sorte (et qu’elle ne les en blâmait pas, du moins c’est ce qu’elle disait, tout en continuant à s’en plaindre) mais qu’il fallait impérativement qu’ils disposent de leur marché à eux, à part, pour ne pas faire pâtir les autres de cette situation.
Enfin, un acheteur nous a confirmé une partie de ce qu’elle nous avait raconté, mais de manière beaucoup moins passionnée -il n’était pas vendeur sur le marché ce jour-là- et plus empathique, en nous disant que ce que vivaient les biffins bulgares était terrible et les contraignait à un certain nombre de choses: -être là aux aurores sur les marchés pour être certains d’avoir une place, leur survie en dépendant directement
-pratiquer des prix dérisoires, parce que n’ayant pas d’endroit où stocker, ils devraient abandonner tout ce qu’ils n’auraient pas vendu
-abandonner sur place tout ce qu’ils n’auront pas vendu, n’ayant d’une part pas d’endroit où stocker, et étant d’autre part constamment pourchassés par la police
L’acheteur regrettait que les biffins en soient contraints à de telles extrémités, et ne leur en imputait nullement la faute.
A 16h passées d’un bon quart d’heure, nous (les membres du collectif) nous sommes dirigés vers le centre social où a donc eu la réunion du collectif Rues Marchandes prévue de 16h à 18h ce même jour. Y étaient présents: Hugues Bazin, Pauline (la stagiaire d’Intermèdes Robinson), Youko (si je me souviens bien son prénom, en espérant que je ne l’écorche pas trop au passage), Christian (le géographe), Claire et Julie (Agence des Hypothèses), et…peut-être qu’il y avait d’autres gens, mais je ne m’en souviens plus, désolé! Comme personne représentant l’association AMELIOR n’était présent au début de la réunion, Claire a pris l’initiative d’appeler Samuel, qui nous a rejoint pour un moment, précisant qu’il ne pouvait rester très longtemps, étant occupé à la gestion de la fin du marché. Par ailleurs, les membres du Centre Social nous accueillant se sont excusés, et n’ont hélas pu être présents lors de la réunion car ils ont été retenus sur le marché par d’autres impératifs.
Les points majeurs (ou du moins ceux dont je me souviens) soulevés lors de cette réunion furent les suivants:
1- La charte est validée à l’unanimité, y compris par tous les membres de l’association AMELIOR impliqués dans le collectif.
2- Il pourrait bien y avoir un problème avec le marché à venir en mai à Montreuil et organisé par l’association AMELIOR, à cause d’un élu, mais je ne sais plus lequel ni son nom, élu qui pourrait faire obstruction à l’organisation du marché en tentant de le faire interdire.
3- Il s’ensuivit que les avis convergeaient plutôt pour dire que le chantier juridique, évoqué lors de la précédente réunion, était désormais une priorité.
4- Nous ne provoquerons une prochaine réunion qu’une fois que les différents chantiers auront effectivement avancé, et qu’on aura de la matière à travailler.
Au sortir de la réunion, Hugues et moi avons bavardé un peu avec Jeanne (d’AMELIOR) que nous avons croisée, lui faisant quelques retours sur les discussions avec les vendeurs et sur la réunion et recueillant les siens sur la journée, puis avec une animatrice du Centre Social, et enfin avec Anne, une chercheuse qu’Hugues connaissait et qui travaille en partenariat avec le Centre Social, et qui nous avait cherché sans succès plus tôt dans l’après-midi avec l’objectif de se joindre à nous pour la réunion, après quoi nous avons retraversé le parc Je-Ne-Sais-Plus-Comment dans l’autre sens qu’à l’aller -puisque nous étions sur le retour-, lequel parc nous a conduit à l’opposé de l’endroit où il nous avait conduit à l’aller -en l’occurrence la cité de La Noue-, nous conduisant cette fois au métro Gallieni, alors que c’était le même parc, et les mêmes nous, ce qui est un comble.