Article rédigé par Christine Balaï, dans le cadre de l’étude réalisée par le Laboratoire LISE du CNAM pour la ville de Paris, « Pratiques culturelles à l’horizon 2030 », 2012
Au croisement du territoire réel et du virtuel, de nouveaux lieux émergent ou d’anciens lieux sont réinvestis. Ces lieux tiers en facilitant la rencontre, le partage, la collaboration, la fertilisation croisée entre différents publics, sont des vecteurs potentiels de créativité, d’émergence de nouveaux possibles et d’innovation. Ils supposent la mise en place de nouvelles médiations adaptées.
La notion de tiers-lieux
C’est le sociologue Americain Ray Oldenburg qui a introduit en 1989 la notion de tiers-lieux. Oldenburg s’intéressait à la naissance de nouveaux lieux, intermédiaires entre le domicile et le travail et adaptés à un style de vie urbain, individualisé et mobile. « Les « tiers-lieux » se développent dans le monde entier. Ni privés, ni publics, ils composent une solution hybride entre espace personnel et espace ouvert, domicile et travail, convivialité et concentration. Les tiers-lieux réunissent un certain nombre de conditions permettant les rencontres informelles et favorisant la créativité des interactions sociales, notamment à travers l’ouverture, la flexibilité, la viabilité, la convivialité et l’accessibilité. Les amis occasionnels, les habitants d’un quartier, les professionnels d’un secteur, peuvent s’y retrouver et en faire le noyau de leur communauté. Parmi les utilisateurs réguliers, la conversation est le centre des activités et l’humeur est détendue. Les rencontres informelles et familières dans ces lieux n’ont pas à être planifiées entre les individus qui s’y croisent et s’y retrouvent. Ce sont des lieux dits « de passage » qui attribuent un sens nouveau à l’espace et à la culture à travers les communautés qui se forment et se rassemblent, des réseaux qui se tissent et grandissent autour des usages que l’on en fait.
Dans ce cadre, le « café du coin », le bar connecté, le squat d’artiste ou le centre culturel en tant qu’espaces publics servant de point informel de rencontre, peuvent devenir des tiers-lieux selon l’usage qu’en font les individus qui les animent, occupent et visitent. Plus qu’une simple caractéristique spatiale, les tiers-lieux sont donc en grande partie le produit des relations humaines, des interactions créatives et des modes d’organisation sociale et professionnelle dominant les sociétés contemporaines.
Chaque «tiers-lieu» a sa spécificité, son fonctionnement, son mode de financement, mais tous favorisent la créativité, l’initiative et le partage » (Design des politiques publiques, La 27e Région, p77). On assiste actuellement à l’émergence d’un nombre croissant de ces tiers-lieux. Leur fonction se formalise, se professionnalise et parfois se spécialise.
Ainsi les espaces de coworking destinés aux travailleurs nomades et aux entrepreneurs en quête d’un bureau occasionnel ou d’un lieu de rencontre répondent-ils à cette logique.
« Les co-working space » sont des tiers lieux spécifiques. S’inscrivant dans la «mythologie» californienne, ils permettent, selon des modalités diverses, aux acteurs du numérique, mais pas uniquement, d’évoluer professionnellement dans un cadre stabilisé au carrefour des compétences, des savoir-faire et des communautés de pratique. C’est à travers quatre dimensions principales que la notion de « co-working space » peut se définir :
- Economique, une capacité à générer du revenu,
- Socioprofessionnelle, un lieu de référence où les professionnels d’un même domaine peuvent se rencontrer, échanger et travailler,
- Culturelle, un lieu où certains principes et certaines valeurs d’ouverture, de partage sont mis en avant. Un lieu qui produit un mouvement, ayant une aura dépassant ses propres frontières de pouvoir d’action,
- Territoriale et spatiale, un lieu inscrit sur un territoire, connecté à son tissu qui encadre, encourage et accélère les processus dit de «sérendipité» en favorisant les rencontres hasardeuses et non-linéaires.
Le brassage de compétences, de sensibilités et de point de vue différents que permettent ces espaces constitue un terreau propice à la naissance d’idées nouvelles. La classe créative est attirée par ces lieux de vie favorables au phénomène d’émergence dont elle renforce le dynamisme et l’attractivité créant ainsi un cercle vertueux favorable à l’innovation, aux partenariats et aux synergies. De la même manière les membres des réseaux sociaux retrouvent dans ces lieux physiques un pendant naturel à leur espace virtuel.
A Paris, la Cantine a fait office de pionnière en proposant au début 2008 un espace de travail collaboratif en réseau. Elle a pour vocation de créer un environnement propice au fourmillement d’idées dans une atmosphère de liberté et de créativité. Ouvert début 2008 dans le 2° arrondissement à Paris par l’association Silicon Sentier, associée à la Fing, cet espace d’innovation, de travail et de rencontres ne désemplit pas depuis. 15582 visites, 600 personnes uniques par semaine, plus de 500 événements, 318 coworkers, au moins 30 000 cafés, 35 personnes uniques par m2/an… Entrepreneurs, développeurs, freelance, seniors et jeunes de startup, chercheurs, politiques, artistes, tous habitants temporaires, ont investi cet espace. . On cherche ici à favoriser le développement de projets, de logiciels, de blogs et de toute innovation liée aux technologies du numérique en faisant se croiser des mondes différents travaillant dans des lieux éclatés. La Cantine est à la fois un lieu de réseautage, d’apprentissage, de débats et de “frottement” permettant de créer des dynamiques collectives, de structurer des communautés, en agrégeant divers acteurs sur des projets communs et collaboratifs, de créer de la valeur. Comme l’indique Stéphane Vincent, responsable du programme de la 27° Région hébergé à la Cantine, “ce qui marche dans la fabrique de l’innovation, c’est tout ce qui relève de la créativité, de l’irrationnel, du désir et de l’interdisciplinarité. La Cantine est un espace à faire de l’imprévu, qui ne touche pas seulement la filière numérique, mais est aussi un lieu d’innovation sociale”. Et pour Denis Pansu, animateur du Carrefour des Possibles, “la culture d’innovation doit être partagée. Au moment où les modèles économiques s’effondrent, le développement économique doit se faire avec les citoyens, les consommateurs”. Ces nouvelles manières d’envisager l’innovation et la créativité constituent une tendance de fond venue des États-Unis et qui se propage en Europe.
Les tiers-lieux ne sont pas cependant limités aux créatifs imprégnés de nouvelles technologies. Ils se développent aussi dans d’autres milieux : professionnels, sociaux, culturels…
La Ruche est une initiative parisienne comparable à la Cantine mais dont l’activité est centrée sur le développement durable et l’entrepreneuriat social. Cet espace de coworking met en avant la collaboration et l’échange d’idées, de problèmes et de solutions autour de l’innovation sociale et environnementale. La Ruche est ouverte à toute personne proposant une réponse innovante à un défi social ou écologique, sa vision étant de concilier économie et développement humain.
Toujours à Paris, le secteur culturel a aussi ses tiers lieux. Patrick Genoux cite le 104 dans son article sur les tiers lieux. « Ouvert à tous les arts, cet espace (de création et de production artistique dans le 19°arrdt) compose un ensemble architectural inédit où l’art vient à la rencontre de ses différents publics. Cette orientation forte impulse des modes de fabrication, de production et de visibilité résolument nouveaux. Le 104 accueille également une pépinière de jeunes entreprises qui situent leur action au carrefour de l’innovation technologique et de la création », www.incubateur104.org. Plus résolument innovant que le 104 qui a notamment du mal à s’inscrire dans le quartier, le 100, dans le 12° arrondissement, est un lieu ouvert dédié aux arts plastiques (mais pas uniquement) et ouvert à tous, professionnels et amateurs, pour un coût très modeste. L’ambition de ses directeurs est d’essaimer, chaque arrondissement devant, selon eux, disposer d’un lieu de ce type au même titre que d’une piscine ou d’une bibliothèque municipale.
Dans le domaine social, le programme « Plus longue la vie », engagé par la Fondation Internet Nouvelle génération (Fing) sur le vieillissement de la population et les relations intergénérationnelles à l’heure du numérique, a été appelé à retenir la notion de Tiers lieu : lieu de discussion, de socialisation, de découverte où les gens peuvent se rencontrer, ou se développent des animations locales en fonction des besoins des personnes, qui favorise les rencontres intergénérationnelles et valorise les personnes âgées, en mettant en avant la créativité des seniors. La Maison ouverte, ouverte en 2003 et 2009 dans le 14e puis dans le 12e arrondissement parisien en est une illustration type. La Maison ouverte se veut un nouveau lieu de vivre ensemble, qui lutte contre la stigmatisation des personnes âgées. Mise en application du design dans le domaine social, elle développe autour des personnes âgées et leurs proches une dynamique collective et sociale entre les générations tous en développant la dimension culturelle et en favorisant l’épanouissement et la créativité individuelle des personnes. Lieu ouvert sans fonctionnement préétabli, il choisit d’ancrer son action à l’échelle du quartier, par l’intermédiaire d’espaces d’accueil et d’activités ouverts à tous les publics et non seulement aux personnes âgées. Fermé provisoirement en l’absence de modèle économique, l’espace à venir intègrera la dimension des nouvelles technologies.
En France les tiers-lieux se développent également en province comme les Cafés de Pays de l’Yonne, Les Salles dans la Loire ou la Bo[a]te à Marseille. La profusion de ces tiers-lieux a été si importante ces dernières années que l’association Bureauwiki a décidé de créer un guide mondial des espaces de coworking (en cours d’élaboration de façon coopérative).
Les problématiques soulevées
Lieux ouverts, marqués par une culture d’échange, de partage et la convivialité, les tiers lieux favorisent la créativité, la culture de l’innovation et le vivre ensemble selon leur spécificité (co-working place, lieux culturels, « Maisons »). Ils ont une dimension culturelle forte à la fois numérique, sociale et d’innovation. Cette culture reste toutefois aujourd’hui inégalement partagée. Dès lors, l’enjeu est de créer les conditions de développement et de maillage de ces lieux sur l’ensemble du territoire, et leur accès par l’ensemble de la population.
L’esprit de partage, d’échange, de convivialité et de vie communautaire » caractérise le mouvement des coworking space. « Le co-working est considéré (…) comme un mouvement socioculturel dans lequel la collaboration est le lien structurant de la communauté. Une notion d’intelligence collective apparait dans ces espaces, la communauté des coworkers formant des petites équipes d’indépendants se réunissant autour d’un projet collaboratif. Ainsi la collaboration n’est pas uniquement une fin en soi mais un mode d’organisation intrinsèquement lié à ces types de lieu. L’aspect culturel se manifeste dans les espaces de co-working aussi par l’influence des communautés de l’open source et par l’assimilation de la « culture du libre » par les nouvelles générations ». Nouveau type de lieu cristallisant et rendant visible les valeurs de la « culture digitale », La Cantine est empreinte d’une dimension culturelle technologique forte sans pour autant réserver son accès aux seuls «technophiles». Comme l’indique Stéphane Vincent, responsable du programme de la 27° Région hébergé à la Cantine, “ce qui marche dans la fabrique de l’innovation, c’est tout ce qui relève de la créativité, de l’irrationnel, du désir et de l’interdisciplinarité. La Cantine est un espace à faire de l’imprévu, qui ne touche pas seulement la filière numérique, mais est aussi un lieu d’innovation sociale”.
L’animation sous-jacente au lieu est fondamentale. Elle s’appuie sur une équipe d’animation dédiée et une diversité de formats d’animation (conférence, ateliers de travail, Barcamp, petit-déjeuner débat, etc.). Ces modes d’animation doivent favoriser la transversalité des acteurs, le brassage des réseaux et des communautés d’acteurs, de filières professionnelles, l’identification des innovations et tendances technologiques, la rencontre avec les « end– users », etc.), un accompagnement personnalisé des porteurs de projet, une programmation de contenus de qualité.
Des lieux comme la Cantine, s’ils sont ouverts à toute population, concernent avant tout les couches créatives mais seulement marginalement les autres couches de la population. La culture numérique mise au service de l’innovation sociale et du vivre ensemble reste peu développée.
Comme l’indique Hubert Guillaud, d’Internet Actu, « La fracture numérique se réduit au niveau des populations les plus réfractaires. On parle beaucoup des « Digital Native », mais les jeunes utilisent l’internet sans vraiment le maîtriser. La question de l’alphabétisation par rapport au numérique reste entière. Il n’y a plus de fracture numérique avec le mobile. Avec les smartphones demain, les gens auront une connexion permanente au web, mais les outils ne feront pas tout, la différenciation se fera sur le contenu. Les fractures sociales sous-jacentes perdureront s’il n’y a pas d’action. Cela pose la question de la politique culturelle : Où est la politique culturelle, la politique publique numérique ? En France, on privilégie l’économie numérique, mais on ne voit pas la ligne de fond. Le dernier plan numérique d’éducation concerne l’informatisation des collèges ».
« La question de la médiation est essentielle, cela est loin d’être facile » rappelle Hubert Guillaud. « C’est une question d’Education populaire. Le numérique est un levier supplémentaire pour l’éducation populaire, un outil prétexte, une façon de dépasser les choses ancrées ».
Cela redonne toute sa place pour réinvestir d’anciens lieux dans une dynamique de tiers lieux (ou en créer de nouveaux) : espaces publics numériques (EPN), bibliothèques, centres culturels, espaces sociaux, maisons de quartiers, cybercafés sociaux, etc. constituent des lieux de rencontres, d’éducation populaire, de projets pour inventer de nouvelles pratiques, permettre la fertilisation croisée au service de l’innovation et/ou du vivre ensemble, en s’appuyant sur le numérique comme vecteur de connaissance et de collaboration.
La Maison Populaire de Montreuil s’inscrit dans une telle dynamique. Pour Jocelyne Quélaud responsable multimédia « La Maison pop de Montreuil, c’est une association d’éducation populaire, au sens originel du terme. C’est un lieu où on va retrouver la pluridisciplinarité, avec plus d’une centaine d’ateliers annuels ». Il y a également de la diffusion culturelle : des arts visuels, cela fonctionne comme un laboratoire avec un commissaire différent chaque année qui fait trois propositions. Cela permet parfois aux artistes de créer des œuvres spécifiques » ou encore de la musique avec des concerts, des rencontres. « Vendredi il y a eu une soirée superbe qui mêlait des professionnels et des amateurs avec un croisement des disciplines. C’était intergénérationnel, ça s’est clôturé par un concert avec des jeunes de 11-13 ans. Avant il y avait des ateliers d’ukulélé, de chants du monde. On travaille vraiment sur cette notion d’intergénérationnel et de croisement de cultures. C’est de la trans-culture ». Le multimédia a toujours fait partie de l’association. Ce principe a toujours été présent. Il y a eu des débats autour de quelles sont les images de demain ? En 1998, Annie Agopian a monté un dossier pour ouvrir l’espace multimédia dans cet esprit : arriver à croiser des choses pour susciter des désirs. Le dossier a été accepté et c’est là que je suis arrivée. La Maison Pop à la base, c’est de la transdisciplinarité. Beaucoup d’enseignants se plaignent de ne pas avoir de lieu pluridisciplinaire, ne serait-ce qu’au niveau des universités qui sont spécialisées. Comment générer des croisements ? » « Le potentiel est donc bien non seulement dans le numérique mais dans la rencontre et l’action. Dans ce contexte, l’enjeu est d’une part de garantir un lieu d’échange dédié au lien social entre habitants et acteurs de la société civile, et d’autre part de marier la dimension numérique avec la capacité de se rencontrer vraiment pour produire du « vivre ensemble ». affirme ainsi Hugues Aubin, chargé de mission TIC à la Ville de Rennes.
Pour François Seyden de l’association Parlez Cité, « Il y a un concept que j’ai envie de développer : le cybercafé citoyen. L’idée, c’est qu’on est dans un lieu de rencontre mais on peut aussi produire du contenu parce qu’on a tous les outils. C’est le principe d’une équipe de rédaction dans un lieu citoyen. Dans les café philos, les gens viennent écouter. Moi, je propose un lieu où on vient débattre et diffuser quelque chose à partir du débat ».
Pour Maurice Benhayoun, responsable de la Délégation aux usages de l’internet, « Le prochain défi est de traiter correctement le rapport avec la banlieue. Si on veut montrer qu’on est à la pointe de la question, c’est le grand pari du Paris à venir. On peut le traiter en repensant la fertilité des banlieues ». Et de préconiser un certain nombre de pistes : « notamment reconstruire le réseau de MJC, lieu toujours ouvert où on peut toujours entrer. Aujourd’hui, les problèmes se cristallisent sur les cages d’escalier, parce que les jeunes n’ont pas de lieu où aller, pas de salle de jeu, pas de lieu de rencontre légitime. Les salles de sport sont efficaces, elles sont d’abord un lieu de rencontre. A Champigny, le commissariat est au centre de la Cité ».
Au-delà de la multiplication des lieux favorisant la rencontre et la créativité c’est bien la création d’un nouveau « vivre ensemble » dont il s’agit. Les « tiers lieux » apparaissent alors comme des dispositifs clé en complémentarité avec les réseaux sociaux de proximité afin de favoriser la solidarité de proximité.
Inaugurée par Xavier Darcos, Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville, la Maison des Voisins, implantée dans le 17ème arrondissement de Paris, est le premier espace dédié au développement des solidarités de voisinage et à l’amélioration du climat social dans les immeubles ou les lotissements. Lieu de rencontre, la Maison des Voisins doit permettre de créer une dynamique positive entre les habitants, qui deviennent acteurs à part entière de tous les projets du quartier. » Avec la Maison des Voisins, nous voulons stimuler les solidarités de proximité en mettant à la disposition des habitants des outils simples et efficaces pour développer des liens de proximité, se former, partager des idées d’action, des expériences… » déclare Atanase Périfan, Président de l’association « Voisins Solidaires » et créateur de la Fête des Voisins. La première maison-pilote a ouvert ses portes au 1bis, rue Descombes 75017 Paris. L’association Voisins Solidaires prévoit d’ouvrir 10 nouvelles Maisons des Voisins d’ici fin 2010 un peu partout en France en partenariat avec les mairies, les bailleurs sociaux… Elle envisage par ailleurs de croiser les maisons des voisins avec les réseaux sociaux de mise en relation entre habitants. Des contacts sont en cours avec Charles Verdugo, responsable de ma-residence.fr, et avec Nathan Stern, fondateur de Peuplade et de Voisin’Age.
Dans une vision prospective imaginée dans le cadre du programme « Plus longue la vie », le scénario du MAGASIN redonne aux espaces de grande distribution, la chaleur et la convivialité des marchés, en imaginant un espace coopératif entre grande distribution et ressources locales. Le MAGASIN est un espace dédié au ravitaillement sous toutes ses formes : services de portage de repas, associations de cuisiniers amateurs, wiki territorial des producteurs locaux, locaux disponibles pour une serre agricole partagée… Qu’il soit positionné à la périphérie des villes, ou en milieu rural, le dispositif crée un « éco-système », dynamisant la vie sociale, recréant du lien et une éthique solidaire et durable autour des activités de consommation. Le dispositif FIL D’ARIANE propose un réseau de ressources matérielles et humaines pour favoriser le maintien à domicile et les opportunités d’entraides entre les habitants. On y retrouve les patients, mais aussi leurs proches (les « personnes relais »), les soignants à domicile, les associations, les groupes bénévoles. Au centre du dispositif Fil d’Ariane (cité pour les réseaux sociaux) une ANNEXE héberge les professionnels de santé et favorise l’échange de paroles et la coordination des acteurs en évitant le piège d’une relation de soin déshumanisée.
Le renouveau des Espaces publics numériques
Nés il y a presque 15 ans pour lutter en faveur de l’e-inclusion, les lieux d’accès public à Internet sont aujourd’hui plusieurs milliers sur toute la France.
En Ile-de-France, Sur les huit départements qui constituent le territoire régional, deux d’entre eux ont mis en place une politique volontariste de développement d’espaces publics numériques sur leur territoire : Paris et l’Essonne et de façon moindre les Yvelines. Une dizaine de collectivités locales ont une coordination territoriale et, à ces personnes, viennent s’ajouter les réseaux nationaux ou métiers qui ont également une coordination et animation régionale. Il s’agit aujourd’hui principalement des Cyber-base animé par la Caisse des Dépôts et Consignations, des Point Cyb initiés par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, ou encore de réseaux comme celui de la Fédération des Centres Sociaux Parisiens… 435 espaces publics numériques (EPN) ont été recensés sur le territoire francilien par Artesi Ile-de-France. La plupart des EPN sont désormais intégrés dans une structure existante ayant ses propres activités et publics, comme des bibliothèques ou médiathèques, des centres sociaux ou maisons de quartier… L’objectif pour Artesi-Ile-de France « est de travailler à un maillage territorial cohérent avec une visée d’équité territoriale pour l’accès accompagné à Internet et au multimédia ».
En France, la ville de Brest a poussé le plus loin cette politique en créant un maillage terrritorial dense de PAPI (point d’accès public à internet) intégrés dans des lieux ordinaires de proximité et impliquant les acteurs de la cité dans l’accompagnement des usages.
Une résidence, concernant l’avenir des espaces publics numériques, menée en Région PACA dans le cadre du programme de la 27° Région (laboratoire d’innovation publique des Régions de France), a montré que l’EPN incarne aujourd’hui une approche moderne de la médiation et de l’espace public « nouvelle génération ». Il peut s’y produire des choses qu’on ne voit pas forcément dans les espaces publics traditionnels, à l’accueil des mairies, au sein des organismes de formation. Comme le dit Michel Briand, maire-adjoint à Brest en charge du numérique « nous ne sommes plus seulement dans un équipement destiné à réduire les écarts, mais dans la palette des usages inventés par un ensemble d’habitants et d’acteurs du quartier, dès lors que les animateurs ont su développer une attitude d’attention aux personnes et aux usages potentiels ».
La résidence menée dans le cadre de la 27° Région a permis de révéler, que les EPN ont depuis longtemps franchi le stade de simples lieux d’accès pour devenir des espaces de production et d’invention ; des lieux ouverts où se construisent des pratiques de médiation nouvelles, et où s’inventent des réponses concrètes à la recherche d’emploi et au développement d’activités. Il est sans doute possible d’encourager les EPN non seulement à inventer des services, mais à les co-concevoir avec les utilisateurs, les EPN jouant le rôle de laboratoire de nouveaux services.
Des tiers lieux au service de l’innovation sociale et culturelle
A Nantes, l’association PiNG préfigure ce type de lieu, au service de l’innovation sociale et culturelle pour tous : association-ressource et pépinière de projets innovants, PiNG conseille, accompagne et impulse des initiatives qui permettent d’identifier, d’expérimenter et d’évaluer les usages sociaux et culturels liés au multimédia. A travers ses activités PING valorise la dimension culturelle des pratiques numériques, à la fois comme outils d’accès à la culture et aux savoirs, outils d’expression et de création, outils de mutualisation et de coopération.
Pour Maurice Benhayoun, il faut aller plus loin : « Il faut créer des lieux de réflexion à l’intérieur de la Cité, créer des microsociétés sur des bases politiques qu’on connaît. Créer des lieux où les habitants ont une vraie raison de se situer où on les aide à créer leur futur, développer des activités. Créer des pôles de développement urbain. Rester ouvert. La réponse n’est pas dans l’industrie. Si la question sociale est prioritaire, l’industrie est secondaire. Il faut faire des pôles d’innovation sociale, à l’exemple des pôles de compétitivité. Susceptible de générer un vrai savoir et une vraie richesse. Il faut créer un pôle de compétitivité d’innovation sociale. Il y a des besoins, un potentiel de mise en œuvre, il faut donner aux gens les moyens de construire ce dont ils ont besoin ».
Longtemps considérée de façon marginale et avec des moyens chichement accordés, l’innovation sociale retrouve quelques lettres de noblesse avec le numérique dans un contexte de crise qui appelle à la réinvention sociale. C’est dans cette perspective qu’il faut considérer le projet Liens. Une façon d’impliquer activement la population et les structures associatives et de quartier dans la construction du « vivre ensemble » pourrait être d’encourager le développement d’universités populaires, tout en favorisant le croisement entre culture populaire et culture numérique.
Depuis Janvier 2009 un groupe de recherche composé d’habitants de la ville de Ris-Orangis s’est constitué pour réfléchir au concept d’université populaire. Réunie à la MJC de Ris-Orangis, la démarche est accompagnée depuis le commencement par un philosophe, Miguel Benasayag, qui a une expérience intéressante de création d’université populaire depuis une vingtaine d’années dans différents pays (France, Argentine, Italie, Belgique, Bolivie, etc.). Afin de redonner aux femmes et aux hommes de la puissance d’agir dans un monde envahi par le négatif, l’objectif des « Université populaire-laboratoire social » (UPLS) est de construire des savoirs concrets qui émergent de situations concrètes vécues par les personnes rencontrées (travail, école, transport, hôpital, prisons, luttes de sans papiers, etc.) et de recueillir, en un territoire donné, ce que Foucault a nommé les « savoirs assujettis », savoirs locaux et territorialisés à partir desquels les personnes concernées pourront formuler des hypothèses théoriques et pratiques afin de se réapproprier leur vie. Le dispositif des UPLS permet ainsi de rechercher et de proposer des réponses collectives et pratiques aux dysfonctionnements d’une société trop marquée par l’idéologie néolibérale. Cette université est dite « populaire » parce qu’elle a vocation à être la plus large possible, à développer son champ d’action dans un grand périmètre, celui des habitants d’un quartier, par exemple, comme c’est le cas dans l’expérience qui commence à être menée par la MJC de Ris-Orangis.