Entretiens

L’entretien est la méthode la plus simple et directe à mettre en œuvre pour recueillir des matériaux auprès des acteurs. Il peut être individuel ou collectif, directif, semis directif ou non directif.

Individuel ou collectif ?

Le choix de l’entretien individuel ou collectif dépend du contexte, du type de relations et de matériaux que l’on veut obtenir. Ils ne sont pas exclusifs et peuvent se compléter auprès de mêmes personnes. L’entretien individuel permet à la personne de dérouler son expérience alors que l’entretien collectif facilite le croisement des expériences et donc l’émergence de problématiques collectives, mais en revanche laisse moins de place à l’expression individuelle. Une personne qui ne s’exprime pas dans un groupe ne signifie pas qu’elle n’a rien à dire, mais peut-être qu’elle ne trouve pas dans ce groupe la place ou l’espace pour s’exprimer. L’entretien individuel est privilégié si l’on veut recueillir une expérience en profondeur. La forme collective dépend aussi beaucoup de la manière dont est animé le groupe et par conséquent comment l’animateur gère sa place dans le groupe, puisque de fait il se trouve dans une situation de pouvoir. Cette relation inégalitaire existe aussi pour des entretiens individuels. On accorde toujours un pouvoir à celui qui pose les questions. La manière dont se déroule entretien est donc importante.

Déroulé de l’entretien

Les trois phases d’un entretien ont chacune leur importance : présentation, déroulement, conclusion.

La présentation

La première impression va influencer l’ensemble entretien c’est pour cela qu’il est important de bien poser la présentation. Elle a autant pour but de décrire la démarche que de mettre en confiance. Sachant que nous nous situons dans un processus de recherche-action, la personne rencontrée doit pouvoir se saisir de la proposition, ne pas se sentir extérieure comme simple pourvoyeuse de matériaux, mais partie prenante comme coproductrice d’un savoir.

Plus la personne qui interviewe est claire dans son positionnement, plus la personne interviewée se sentira à l’aise pour se positionner elle-même par rapport à la proposition. « Clair dans son positionnement » veut dire savoir ce que l’on fait, pourquoi on le fait, ou on se situe dans la démarche. Par exemple se présenter comme « acteur-chercheur » concerné par rapport à la problématique de l’entretien, facilite d’autant plus l’engagement de la personne qui répond à l’entretien.

À la fin de la présentation, ne pas oublier de demander la personne si elle a des questions complémentaires, des éclaircissements à poser, si tout est clair pour elle. C’est aussi une manière d’établir une relation de confiance.

Le déroulement

Il n’est pas nécessaire d’avoir une formation en psychologie sociale pour comprendre que l’empathie est une condition pour que l’entretien se déroule dans de bonnes conditions. La manière dont nous posons les questions, dont nous relançons la discussion, mais aussi ce que l’on appelle le « langage non verbal », la manière dont nous nous comportons, sont autant de signaux indiquant que nous nous intéressons à la personne, que nous la comprenons et que nous sommes respectueux de ses propos. Il faut aussi accepter les silences non comme une gêne, mais comme un partage qui fait partie de l’entretien et donc pas chercher à les combler systématiquement. Plus la personne se sent en confiance, plus les matériaux recueillis ont la chance d’être riches.

Quelle durée ?

Il n’y a pas de règle absolue pour la durée d’un entretien. Un entretien qui s’éternise n’est pas très bon signe en termes de maîtrise, mais un entretien trop court non plus, car la personne n’a pas le temps de prendre ses marques. Cela dépend aussi évidemment du type d’entretien. Des entretiens non directifs sont plus longs que les entretiens directifs puisque vous laissez la personne dérouler ses propos. Dans un entretien directif, c’est le nombre de questions qui déterminent la longueur. Dans un entretien non directif, c’est le sentiment pour la personne d’avoir fait le tour de son parcours d’expérience qui clôt l’entretien. Cela ne veut pas dire que l’on a tout abordé, mais que la personne a le sentiment d’avoir pu exprimer une cohérence. Plus l’on fait d’entretien, mieux on perçoit facilement ce moment où l’on peut conclure.

Grille d’interviews ou échange libre ?

Faut-il poser des questions ou laisser dérouler la discussion ? Là aussi ça dépend du type d’entretien. L’entretien directif est basé sur des questions-réponses. À l’opposé un entretien non directif est avant tout basé sur l’échange, les questions ne servant qu’à relancer occasionnellement cet échange. Entre les deux, l’entretien semi-directif se base sur quelques questions tout en laissant la place à la discussion. Parfois, trop chercher à coller à une grille d’entretien, nous fait perdre la fluidité de l’échange, et nous pouvons passer à côté de choses importantes. Plus on fait d’entretiens moins on a besoin d’un support pour cadrer l’entretien. On intègre la grille d’interviews sans nécessairement l’afficher. C’est un peu comme un scénario au cinéma pour faire jouer des acteurs, plus vous le maîtrisez le script, moins la trame apparaît et plus le déroulé paraît naturel.

Directif, semi-directif, non directif ?

Tout dépend du type de matériaux que l’on veut récolter. L’entretien directif est plus efficace si nous voulons tout de suite ordonner les matériaux selon une grille d’analyse. Le problème et qui détermine cette grille ? Le risque est que des problématiques préétablies soient plaquées par l’intervieweur sur le discours interviewé puisqu’en recherche-action l’entretien ne vise pas simplement au recueil de matériaux, mais d’abord à permettre à la personne d’entamer un travail réflexif sur ses propres matériaux de vie. Dans cette perspective, l’entretien non directif correspond plus à la démarche de recherche-action, l’interviewé est incité à construire sa grille d’analyse. Les problématiques se confirment ensuite dans l’analyse des matériaux (voir : grille d’entretien et grille d’analyse). L’entretien non directif s’approche en cela de ce qu’on appelle un « récit de vie » invitant la personne à faire son autobiographie, faire émerger un sens qui, dans une visée émancipatrice, dégage une pensée du futur et une orientation de l’action.

Grille d’entretien et grille d’analyse

Dans l’entretien directif, la grille d’analyse se construit à partir de la grille d’entretien. Dans l’entretien non directif, c’est une fois que les matériaux sont récoltés que s’élaborent des problématiques construisant une grille d’analyse.

Ici se pose, comme dans toute étude, la question de l’interprétation des matériaux. Mêmes quand il s’agit de statistiques, on peut faire parler les chiffres. Le cas typique de manipulation des matériaux est le « micro-trottoir » où l’on peut faire dire ce que l’on veut aux personnes dans la manière dont sont posées les questions et est reconstruit le reportage. Il y a toujours une construction sociale. L’objectivité du chercheur qui analyse froidement des matériaux est un leurre. Nous sommes toujours orientés dans le traitement des matériaux par une approche sous-jacente, un point de vue, un angle d’analyse. L’exemple typique est le bouquin de Bourdieu de 1993 sur la « Misère du monde » en donnant la parole à ceux qui la vivent à travers de longs récits. Le but était de « porter à la conscience des mécanismes qui rendent la vie douloureuse, voire invivable en permettant à ceux qui souffrent de découvrir la possibilité d’imputer leur souffrance à des causes sociales et de se sentir ainsi disculpés ; en faisant connaître largement l’origine sociale, collectivement occultée, du malheur sous toutes ses formes, y compris les plus intimes et les plus secrètes ».

Nous voyons que le traitement des matériaux d’entretien est donc toujours une construction sociale. En prendre conscience permet d’autant mieux de définir et de défendre son orientation d’analyse. C’est cela qui caractérise la démarche de recherche et produit un savoir généralisable et diffusable notamment dans le cadre d’une restitution auprès des personnes concernées.

La conclusion

Savoir conclure un entretien est aussi important que savoir l’introduire. Il faut que la personne ait vraiment le sentiment d’avoir dit ce qu’elle avait à dire et pour cela on lui pose la question : « est-ce que vous pensez que nous avons fait le tour de ce que vous vouliez aborder ? ». Si l’entretien s’est bien déroulé en général la personne n’a rien à ajouter, mais elle peut vouloir insister sur un point qui lui paraît important. Il se peut aussi que l’on ait oublié une question et c’est le moment de l’évoquer. La conclusion est le moment où l’on indique comment seront traités ces matériaux et comment ils seront restitués auprès des personnes concernées. Il est important que la personne en tant que sujet et pas simplement objet d’étude puisse percevoir l’ensemble du processus de la recherche. Il s’agit notamment de préciser le moment et les modalités du retour

A propos Hugues Bazin
chercheur en sciences sociales

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