L’indépendance de la rue Dénoyez

Juste après la maison dans l’ordre des grandeurs, il y a la rue : la rue, la place, la portion de boulevard, ailleurs la vallée, la forêt… La rue est un pont entre la maison et les zones plus étendues. Dans notre époque, alors que certains éprouvent l’impression de devoir repartir quasi de zéro, alors que beaucoup peinent à se rendre compte d’une telle urgence, la rue possède les proportions adéquates. C’est un espace ramassé qui ne ment pas sur son horizon, un espace pauvre en vastitudes mais qui les autorise, à condition de toujours revenir au point de départ. Un espace suffisamment réduit pour que ne soient pas rompus le lien social, la cohérence et la proximité entre les éléments et les êtres qui le composent.

La rue, considérée comme territoire politique, n’appartiendrait pas seulement à ses habitants mais à tous ceux qui l’empruntent : frontières jamais closes, appartenances passagères. Et cette rue inédite ne prendrait sens et réalité qu’en lien avec d’autres rues, places, vallées, en vue de les fédérer. Telle une redéfinition de la Commune à une moindre échelle.
La rue, qui réduite à un simple décor a été le support de la gentrification des villes occidentales depuis les années 1960, est donc à réinventer. Elle serait l’étalon, le point d’ancrage d’une reconquête citoyenne. Le passage obligé des passages entre les mondes.

Le projet Instin prend la rue. Et comme première étape, ballon d’essai, il propose de déclarer l’indépendance de la rue Dénoyez à Belleville, où il a déjà effectué depuis 2013 quelques opérations sauvages.

Cette rue autonome est alors placée sous l’autorité du Général, qui n’en est pas une. Figure de chef sans tête, de puissance divisée en particules, dont la puissance réside précisément dans la fragmentation. Par un jeu renouvelé entre individualités et généralité, le pouvoir s’exerce par ceux-là mêmes qui l’adoptent et il réclame, pour rester entier, l’action de chacun de ses membres.

Quelles sont les formes de la gouvernance instinienne à l’échelle d’une rue ?

Premier élément : le chantier permanent. Rien n’est définitif et surtout pas les murs, qui ont la même fragilité que les femmes et les hommes. L’état de ruine vivante, en dialogue avec la nature qui tente de la reconquérir et l’architecture qui lui donne une forme provisoire, dessine une friche perpétuelle. Sonder les sols comme se sonder soi-même, fouiller les caves et les greniers, mettre au jour, autant de métaphores à faire rouler dans l’eau vive des caniveaux.
Voilà pourquoi le Général Instin ne s’opposera pas à l’arrivée prévue des bulldozers qui doivent effacer un quart de la rue Dénoyez : au contraire, il les invitera à s’attarder pour intervenir sur quelques pans de temps à autre, alors que de nouveaux murs, arches, statues, et pourquoi pas tours (celles qui sont grattées par le ciel) s’élèveront dans l’intervalle.

Deuxième élément : le son, le temps, tout ce qui traverse.
Le fantôme Général ne se contente pas d’encourager les murs à tomber : il les traverse. Tout comme il voyage dans le temps pour soutirer des bribes brûlantes à la mémoire des lieux. Tout comme il rend contemporaines les potentialités futures.
Le son déployé dans la rue Dénoyez marquera, en forme de propagande, cette simultanéité et le décalage avec l’ancien monde dont il s’agit de faire le deuil. Partir d’une confusion première – une poétique de la confusion – en quête d’évidences encore à découvrir.

Dans la rue Instin, la vie aura changé. Le mode d’existence des citoyennes et citoyens sera la hantise, manière à la fois infiniment légère et intense d’être là. Une hantise ouvrant sur les multiplicités du réel comme du virtuel, élargissant le spectre de la perception.
Il faut lâcher notre addiction à l’Instant présent, dit le Général. Ainsi le passé resurgira par fulgurances, pour ciseler l’ambiance et les souffles.
À ce titre, les morts de la rue Dénoyez auront toute leur place dans la Cité-Rue souveraine. Ils seront citoyens d’honneur, arrière-garde de l’armée en marche.

Le Général sait bien – il n’est pas si bête – la démesure d’une telle ambition. Mais il n’est nullement pressé : l’humanité a le temps pour reconnaître la portée visionnaire de son plan.
– Vous êtes tous mes soldats, dit-il affalé sur le trottoir alors que les façades sont éventrées, les tranchées béantes, sans qu’on sache s’il s’adresse aux murs ou aux passants – peut-être les deux.


rue Dénoyez, juin 2014

PROGRAMME PAR TYPES D’INTERVENTIONS

CONVERSATIONS
Jeudi 4 juin  : Paul Ardenne et Stany Cambot : sur l’art contextuel et l’architecture
Vendredi 5 juin : Véronique Mesnager
et des street-artistes : sur le street-art
Samedi 6 juin : Eric Hazan
et Maxime Braquet : sur le Paris et le Belleville insurrectionnel
Dimanche 7 juin : Patrick Boucheron
et Camille de Toledo : sur les fresques politiques, le projet Sécession…

PERFORMANCES, LECTURES
Jeudi 4 juin : Anne Kawala ; Marc Perrin
Vendredi 5 juin : Maja Jantar & Vincent Tholomé,
« ciboulette et petit bruit » ; Maël Guesdon & Marie de Quatrebarbes, pourquoi hanter les maisons, y vivre ensuite ; Christophe Caillé+Séverine Batier+Dominique Cassagne+Sylvain Granon+Alice Letumier, performance de rue pour 4 comédiens
Samedi 6 juin : Philippe Aigrain,
les souterrains de la rue Dénoyez  ; a rawlings & Maja Jantar, lecture tarot – passé présent futur – de la rue ; François NotDead, « Tout autour de la Rue Instin » : Street Poésie Graffiti pendant 12 heures sur les trottoirs des rues/blvd de Belleville, Tourtille et Ramponeau ;
Dimanche 7 juin : Emmanuèle Jawad, fragments textuels sur les murs aujourd’hui de la rue Dénoyez  ; Cécile Portier, inventaire pour héritage et déshérence d’objets insolites ayant appartenu au Général

INSTALLATIONS, ATELIER, TRACTS (programmation en cours)
Jeudi 4 juin : Poésie is not dead (Rimbaudmobile insurrectionnelle, voiture AMI 8 customisée)
Vendredi 5 juin : Poésie is not dead
Samedi 6 juin : Curtis Putralk
(atelier de fabrication du livre de la rue et papiers pour sans-papiers)
Dimanche 7 juin : Curtis Putralk
Sur les quatre jours :
création quotidienne de tracts et affiches
Expositions : rue ; Barbouquin
(1 rue Dénoyez) et Galerie Friches et nous la paix (16 rue Dénoyez) :Emmanuel Maroé, SP 38, Mathilde Roux, Marie Decraene

MUSIQUE (programmation en cours)
4-5 et 7 juin : Sadhus

STREET-ART (programmation en cours)
SP 38, Spray Yarps, Pedrô !, Popay, ALIV & de nombreux invités

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