Graines de rue

Présentation

Cette partie présentation est la synthèse d’un entretien réalisé entre l’équipe associative et le laboratoire de recherche (LISRA) le second semestre 2018.

L’association Graines de Rue a été crée en 1998, association de loi 1901. Nos activités s’articule autour de deux axes majeurs:

La citoyenneté : en formant des jeunes tout au long de l’année à la pratique artistique et la connaissance du spectacle vivant. 
-La démocratisation culturelle : en dynamisant le territoire par la diffusion de spectacles professionnels et amateurs.

Graines de Rue s’est aussi un festival, qui aujourd’hui présente sa 21ème édition, festival pluridisciplinaire de spectacles vivants mêlant sur les mêmes scènes des compagnies artistiques professionnelles de la France entière et des groupes de jeunes amateurs en formation théâtre, cirque ou autres disciplines (ateliers théâtre de Graines de Rue et Association Acte Un ou bien de l’extérieur, d’autres départements).

Nous sommes basés à Bessines sur Gartempe, commune du Nord Haute-Vienne, situé en zone de revitalisation rurale.
Nous avons la chance d’avoir un lieu pour accueillir nos activités. Cet espace est une ancienne école maternelle, les travaux ont été faits en 2012 pour l’adapter au spectacle vivant. Nous pouvons accueillir jusqu’à 150 personnes.

Ce lieu nous permet de recevoir des artistes mais également des jeunes en formation. Nous partageons les locaux avec 3 autres associations de Bessines.

Nous proposions, jusqu’à il y a 4 ans, une saison culturelle, avec un spectacle par mois. Depuis 2016 nous accueillons des compagnies en résidence, 5 à 6 dans l’année. Nous continuons à développer ce pan de notre activité en participant à la création d’un réseau régional, Les Fabriques RéUnies, étendant notre territoire d’action à la Nouvelle-Aquitaine en devenant acteur du soutien à la création dans notre région.

L’éducation artistique a un place particulière dans notre activité. Association d’éducation populaire, nous formons 300 élèves dans et hors nos murs. Nous leur offrons la possibilité d’une pratique théâtrale aboutissant sur une représentation lors du Festival.
En effet, lors du festival nous organisons deux journées scolaires auxquelles presque 3000 élèves viennent au spectacle et à la rencontre des artistes.
La venue au spectacle, la confrontation à l’œuvre artistique fait partie intégrale de la formation proposée à ses jeunes.
Sur le Festival, les publics se croisent, les jeunes amateurs et les artistes professionnels se croisent sur leur spectacle. Les professionnels viennent voir le travail mené avec ces groupes. Gageant de la qualité des actions menées et de la convivialité du festival.

En 20 ans, plein de jeunes sont passés ici, nous les appelons « les graines d’hier ». À chaque festival ils sont bénévoles, spectateurs, ils reviennent tous les ans. Parmi ces jeunes, certains ont créé leur association (La Quincaill’), ce qui a permis la mise en place du jardin partagé autour du centre culturel.

Le festival compte quelques 80 bénévoles, dont 10 membres du Conseil d’Administration, qui sont impliqués dans le travail à l’année de l’association.

Sur ce territoire, nous nous inscrivons dans la redynamisation d’un milieu rural délaissé. Notre envie depuis 20 ans et d’aller dans l’espace public pour lever les barrières inspirés par les salles de spectacles. Nous voulons amener la culture directement dans les lieux de vies.
Par exemple, nous proposons des spectacles in situ, comme ce spectacle d’improvisation dans un collège à Saint-Sulpice les feuilles.
Ce petit établissement a peu de budget, le spectacle s’est joué sur place, gratuitement, et tous les élèves sont venus,ainsi que leurs enseignants mais surtout, le personnel administratif, le personnel de cuisine, d’entretien ont été conviés… Les retours des élèves et de l’équipe pédagogique nous donnent envie de continuer à travailler sur cet axe-là.

Amener la culture dans des territoires isolés est précieux.

Nous nous sommes rencontrés avec d’autres acteurs du territoire avec qui nous partageons les mêmes problématiques. Étant donné que la Communauté de Communes ne nous aide pas, ni en argent ni en matériel, nous continuons à nous réunir afin de trouver des solutions, sans être convoqués par elle. Nous avons mis en place une communication pour l’été, qui réunit tous les événements du territoire. Nous avons aussi rejoint la Fédération Nationale des Arts de la Rue ainsi que la Fédération Grand’Rue. Nous participons activement dans ces réseaux professionnels où naissent des envies communes, des réflexions, des solutions pour développer des aides à la création des compagnies.

Nous avons anticipé que la fusion des territoires éloignés économiquement ferait de la Région Limousin la grande perdante de la Région Nouvelle Aquitaine. Les financeurs nous disent de continuer (car on est sur un territoire fragile, et que notre implication dans l’éducation artistique est importante dans un territoire où il y a un manque d’offre), mais ils ne nous aident pas davantage. Nous avons dû faire appel aux dons, répondre à des appels d’offres privés. Il faudrait maintenant que la communauté de communes entre en jeu.

Nous avons de bonnes relations avec les autres associations de la commune et des alentours. On essaye de se prêter du matériel entre structures. Nous avons des partenariats avec la ville de la Souterraine, le Théâtre du Cloître de Bellac, La ferme de Villefavard

Nous continuons à chercher et à renforcer nos partenariats.

Nous continuons à défendre la démocratisation culturelle, la citoyenneté, la volonté d’avoir un festival qui soit un lieu de rencontre , de partage, de vie.

Problématisation

Cette partie propose de faire émerger des problématiques transversales à la partie de l’analyse de l’entretien par l’équipe de recherche en dialogue avec la démarche réflexive engagée par les acteurs associatifs.

La médiation culturelle est souvent utilisée comme un moyen « d’amener la culture légitime à ceux qui en sont le plus éloignés ». Or, il semble ici qu’une autre pratique moins descendante soit à l’œuvre : il y a un espace où les statuts et rôles sociaux sont questionnés et subvertis, un élève devient tour à tour acteur, spectateur et interlocuteur d’artistes professionnels. De même pour les compagnies professionnelles qui doivent penser autrement leur activité et se retrouver parfois sur le banc des spectateurs. Il y a donc une pratique du décalage, de désaxement des rôles sociaux, tendant vers des formes d’échanges horizontales et moins descendantes. Le spectacle peut renvoyer alternativement à un objet de consommation (distraction), à une œuvre culturelle inaccessible (non pas par le prix, mais par les codes culturels qu’elle demande pour être « comprise » ou « sentie »), ou à l’inverse à l’exposition d’une forme populaire gênante (les représentations autour du saltimbanque). Comment travailler sur ce système de représentations qui sont liées aux classes sociales et à leurs dispositions ? Quel espace réflexif lié au spectacle existe-t-il dans l’association pour penser ce dépassement des représentations sociales ?

En passant d’une logique de programmation culturelle à une activité centrée sur la résidence, la rencontre et l’interaction, l’association marque le besoin de penser autrement le rapport avec les habitants, dans un souci d’ancrage territorial et de sens politique fort (activité qui fait sens, accessibilité, gratuité, participation…). L’existence d’un lieu ouvert et peu sectorisé, qui se laisse intervenir hors les murs, semble permettre d’autres rapports à la culture, aux institutions et influence les parcours de vie. Quelles sont les traces (écrites, filmées…) laissées par ces expériences ? Comment les mettre en patrimoine et les transmettre pour que d’autres puissent se les approprier ?

L’association semble s’organiser dans une logique d’autonomisation (par le réseau ou le collectif) et de mise en commun de matériel, de moyen, de temps de travail, mais aussi de réflexions. Comment élargir cette expérience à d’autres associations d’autres secteurs, qui ont tendance à se plier aux injonctions des financements publics, à l’urgence des appels à projets et qui ont du mal à penser le commun et l’autonomie à leur échelle ?

Les financements publics demandent de plus en plus de développer une expertise comptable, gestionnaire et managériale pour les obtenir, ce qui évince les pratiques amateurs, alternatives ou innovantes qui tentent d’éviter la direction technocratique des experts. Ce phénomène pèse sur l’organisation du travail de l’équipe. Les contraintes économiques et temporelles empêchent souvent d’imaginer un salariat qui ne soit pas nécessairement « productif » ou en « charge d’une mission ». Dans l’association il semble aisé de désaxer les rapports traditionnels publics/artistes, mais il est plus compliqué de redéfinir le rapport production/emploi. Comment penser d’autres formes de salariat, de rapport au travail et à la mission qui ne soient pas uniquement dans le productif, évaluable, quantifiable ? Et si cela ne peut pas se faire à l’intérieur de l’association contrainte par l’économie, comment entrer en réflexion à plusieurs sur cette question-là ?

Les collectivités de proximité financent plus facilement les lieux et l’événementiel, dans une logique d’« attractivité des territoires », la Région quant à elle éloigne ses instances de décision et se recentre autour de sa métropole. L’association met en place des stratégies pour rester en interface avec ces instances, tout en gardant les pieds sur son territoire d’activité. Est-ce un grand écart ? Qu’est-ce que ces changements institutionnels viennent bouleverser ? (Métiers, rapport au territoire, aux distances, à l’habiter…)

Les politiques publiques culturelles sont souvent dans une logique d’« excellence artistique ». L’association se retrouve donc au cœur d’une tension entre « démocratisation culturelle » (accès aux œuvres) et « démocratie culturelle » (que chacun soit légitime pour produire des œuvres, en dehors des critères académiques). Ici la logique sectorielle séparant éducation populaire et culture est dépassée au profit d’une logique trans-sectorielle, fondée sur un rôle politique assumé de transformation. Cela pose la question du service public de la culture, finalement pris en charge par des associations, qui par ailleurs n’ont pas ou peu de financements publics. Est-ce que le fait d’avoir une activité à la périphérie des métropoles, pour ne pas dire à la marge, ne permet pas de faire émerger de nouvelles centralités ? C’est-à-dire de nouvelles modalités d’agir et de penser, et de faire service public, qui finalement deviennent innovantes et d’où partent de nouvelles possibilités d’éducation populaire politique, en rupture avec les logiques de prestation de service qui se sont développées au fur et à mesure que l’éducation populaire a perdu son rôle émancipateur ?

Contact

1 rue Gérard Philippe – 87250 BESSINES SUR GARTEMPE

Publié par

Hugues Bazin

Chercheur indépendant en sciences sociales,

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