MRJC / VASI JEUNES

Présentation

Cette partie présentation est la synthèse d’un entretien réalisé entre l’équipe associative et le laboratoire de recherche (LISRA) le second semestre 2018.

Vasi Jeunes (Valorisation, Appui, Soutien aux Initiatives Jeunes) est une association d’accueil, d’animation, et d’éducation populaire, créée en 97 par le MRJC. Depuis une ancienne ferme et ses terres qu’elle gère et anime, l’association s’est engagée dans le projet des Fabriques du Monde Rural lancé par le Mouvement.

L’association accueille des porteurs de projets « en test », des camps, des passants ayant besoin de se poser, et des gens qui viennent presser des pommes. Il y a une animation importante autour du pressoir, pour des camps, mais aussi au niveau des enfants et des familles. Par sa capacité de réflexion, c’est le MRJC qui amène le volet formation (bafa, bafd). La salle principale de la ferme a été faite avec des jeunes et des artisans, c’était déjà une formation en soi qui permet d’en accueillir d’autres. Par exemple, nous organisons des chantiers participatifs, comme les cabanes en bois cordé. L’idée c’est de faire avec les gens et pas à leur place.

Ce lieu était à l’abandon depuis 42 ans et a été donné au MRJC pour le mettre au service des jeunes.

Il y a à la fois dans le mouvement une dimension sociale et une dimension spirituelle. C’est un courant de transformation sociale, et un des buts du MRJC est de contribuer à la conscience sociale, économique et politique.

Le projet se déroule dans un territoire qui repose sur le mouvement associatif (JEP ou culturel). Il repose donc sur peu de gens, car nous sommes sur un milieu très rural. Avec les années qui passent, les associations vivent plus ou moins bien d’un point de vue financier, mais sur des territoires comme Le Nôtre, elles permettent de maintenir des liens et des activités. Ceux qui arrivent ou qui reviennent après y avoir vécu plus jeunes (certains cherchent le rural après avoir connu la ville), trouvent ici des structures, ils peuvent amener les enfants à l’école, leur faire faire des activités, il y a une vie ici. Il est possible d’accueillir des gens, de l’extérieur ou du coin, qui ont besoin d’un lieu en dur, pour faire des séjours, seuls ou en groupes. C’est pourquoi il faudrait pérenniser ce lieu et l’agrandir pour qu’il fonctionne toute l’année (car l’hiver, il faut aimer y vivre, c’est un territoire semi-montagneux un peu rude). Améliorer les conditions d’accueil toute l’année permettrait de faire vivre le territoire et de le faire connaître. Puis de donner envie aux gens d’y faire plus de choses.

Le territoire est excentré, sans aucune influence des métropoles, les retombées des grandes villes sont insignifiantes ici. Donc nous aimerions faire un groupe de réflexion sur les questions de ruralité, tout en étant en appui sur cette localité. Nous nous demandons comment faire sens en société et pensons qu’aujourd’hui il y a un moment favorable pour rebondir et se penser sur le territoire. Ici il y a un potentiel, la beauté de notre pays et sa qualité. Ce sont des leviers de transformation sociale.

Le MRJC est là pour développer des dynamiques de jeunes sur les territoires. Comment faire pour qu’il y ait une dynamique de bénévoles dans notre territoire où il est si compliqué de trouver des bénévoles ? Les jeunes sont plus enclins à quitter la localité qu’à y rester.

Il faudrait que nous adoptions une manière d’être qui rendre le participatif possible. Vasi pourrait être un outil participatif, opérationnel et partageable. Cela nous demanderait aujourd’hui d’inclure des habitants, de s’ouvrir, d’être dans une logique différente, et en même temps que cela soit rentable économiquement, sans pour autant que cela dénature le projet social.

Problématisation

Cette partie propose de faire émerger des problématiques transversales à partie de l’analyse de l’entretien par l’équipe de recherche en dialogue avec la démarche réflexive engagée par les acteurs associatifs.

L’association se questionne sur sa manière d’établir des jonctions avec son environnement, son voisinage et sa localité. Elle constate une tension entre le désir d’expérimenter le « vivre ensemble » et le fait d’être partie prenante dans une société et une localité où l’accueil de populations extérieures au territoire, notamment les « jeunes venus des cités », ne va pas de soi. La volonté d’établir un lien avec le territoire et que « ça bouge » est contredite par certains freins posés par les habitants locaux. L’association a la sensation que rien ne se ferait si tout le monde devait se mettre d’accord localement. La participation des habitants peut effectivement relever parfois d’une injonction venue d’ailleurs (idée de la « démocratie participative ») et ne pas trouver d’écho dans la vie d’une localité, déterminée par d’autres problématiques. Dans ce cas, quelles stratégies ou tactiques adopter ? L’inertie qui pèse sur un territoire est-elle totale ou laisse-t-elle en friche des espaces interstitiels de liberté que l’association pourrait occuper, animer, faire vivre ? Comment se décaler par rapport aux attentes et aux grands principes de la participation des « citoyens » et agir sur d’autres terrains délaissés (la forêt par exemple) ? Comment provoquer des rencontres qui permettent aux habitants de se positionner autrement ? Comment bousculer les habitudes tout en respectant une histoire et une culture locale ? Justement, réfléchir avec les habitants sur l’histoire, la culture, les pratiques et la sociabilité d’un territoire ne serait-elle pas une manière de faire émerger une intelligence commune de situations partagées ? Cela demande moins de penser le territoire en tant que lieu à développer ou aménager (comme le font les politiques publiques ou privées d’aménagement), que de l’envisager en tant qu’espace de croisement et de controverse, où chacun est en capacité d’exprimer les situations qu’il y vit. Ce serait une manière de faciliter l’émergence du commun.

Le fonctionnement du MRJC est basé sur un engagement relativement court des jeunes (projets de 2 ou 3 ans) et aujourd’hui le Mouvement souhaite se projeter sur de plus longues périodes, pour penser ses modèles économiques et son implication sur les territoires. Comment passer d’une logique de projet à court terme avec un turn-over important de bénévoles, et entrer dans un processus s’élaborant dans la durée, permettant la transmission, la continuité et de construire des dynamiques de transformations économiques et sociales qui s’inscrivent dans le temps et les territoires ? Comment changer les manières de se projeter et de penser son rapport au temps ? Il y a ici une tension entre le temps économique qui demande de la réactivité, de l’adaptabilité, un sens de l’opportunité, et le projet social du Mouvement qui se fonde sur l’idée de la transformation. L’urgence de trouver des solutions économiques entre en conflit avec le temps long, lent, moins dense et agité, nécessaire au processus qui façonne les pratiques communes et partagées. Similaire à cette tension temporelle, une contradiction territoriale se fait sentir, entre des impulsions pensées par le Mouvement national (comme les Fabriques du Monde Rurale) et leurs déclinaisons opérationnelles qui ne peuvent se faire que par l’implication pratique de militants en prise avec des problématiques locales. Ouvrir l’espace intermédiaire où pourraient se dire et s’écrire ces tensions contradictoires serait peut-être un moyen de les mettre en mouvement et d’accompagner la conscience de chacun dans la compréhension des enjeux qui touchent son activité et son association. Autrement dit, c’est l’espace de réflexivité qui permet à chacun de se positionner en tant qu’acteur et auteur, plutôt qu’agent.

Enfin, l’association Vasi Jeunes a développé des savoirs et des pratiques autour de ses métiers historiques (chantiers, animations, pressage de pommes) et de son lieu. Aujourd’hui elle ressent le besoin de faire évoluer ses propres pratiques et les espaces dans lesquelles elles se déroulent. Elle souhaite être consciente de son histoire, sans pour autant la reproduire indéfiniment. Mais ce n’est pas sans friction avec sa culture et ses métiers. Comment mettre ces « professionnalités » (entendues comme culture autour des pratiques, au-delà des catégories de professionnel, bénévole, salarié…) en discussion dans l’association ? Comment articuler les aspirations individuelles avec le commun imposé par la ferme et sa localité, par l’association et son histoire ? Se dessine ici un espace de discussion interne et dédié aux questions des métiers en jeu dans l’association, qui pourrait s’inscrire dans la durée et la régularité, et qui permettrait de mettre en dialogue les différentes approches qui cohabitent dans un même lieu. Ce serait un moyen d’avoir prise sur la transformation de l’activité, plutôt que de se la laisser imposer de l’extérieur par le contexte économique par exemple.

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La Forêt Belleville – 23250 Vidaillat

Lez’Arts et Salamandre

Présentation

Cette partie présentation est la synthèse d’un entretien réalisé entre l’équipe associative et le laboratoire de recherche (LISRA) le second semestre 2018.

L’idée de Lez’arts est de proposer une activité culturelle en milieu rural, dans les périodes non estivales sur le territoire intercommunal (Communauté de communes de Ventadour – Égletons – Monédières). On est tous de la même génération, tous résidents dans la campagne d’ici.

Très vite on a voulu engager des partenariats avec des assos locales, on n’est pas là pour faire à leur place ou mieux qu’elles, mais avec elles, et peut-être aussi avec une autre approche. Il nous faut refaire le lien avec les foyers ruraux ou les comités des fêtes. Nous voulons toucher une population qui n’est pas le public habituel des événements culturels, aller dans des communes où nous n’avons encore rien fait.

Notre idée c’est de se faire plaisir. L’envie est de mélanger plusieurs arts et de faire en sorte que les gens se rencontrent. Puis qu’ils puissent développer ce qu’ils ont envie de faire.

Nous organisons ainsi des soirées complètes avec des repas en lien avec le spectacle. Nous pensons que la qualité du repas joue aussi et que cet état d’esprit facilite l’échange de savoirs, notamment entre les générations, avec les « anciens ». C’est la convivialité et le contact humain qui marquent les gens, tout en étant l’occasion de leur faire voir un beau spectacle. Cela provoque de superbes échanges, comme avec les femmes turques venues récemment par le biais du MLAP (Egletons).

Lez’arts, c’est une manière de dire qu’on vit ici, on fait des choses ici, le monde rural n’est pas qu’un décor où des personnes viennent en vacances ou à la retraite. On peut habiter et être actif sur le territoire à l’instar de notre engagement associatif qui offre des marges de manœuvre et des libertés d’agir.

Il n’y a pas de salarié dans l’association. Nous sommes sur des budgets très bas à l’année qui dépendent des manifestations avec des prix d’entrée bas, ce qui ne nous empêche pas de faire des spectacles professionnels de qualité. C’est aussi l’investissement bénévole qui amène les ressources complémentaires au fonctionnement (transport en véhicules personnels, réparations, entretien…).

Problématiques

Cette partie propose de faire émerger des problématiques transversales à partie de l’analyse de l’entretien par l’équipe de recherche en dialogue avec la démarche réflexive engagée par les acteurs associatifs.

Le territoire apparaît comme ressource et un relais de l’action collective. Le développement culturel n’est pas dans ce sens séparable d’un développement local et dépasse une logique gestionnaire par exemple en termes d’équipement culturel ou d’événement culturel.

À ce titre ne pas avoir un « lieu dédié » peut représenter un atout, faciliter la rencontre et « faire avec » les autres plutôt que de faire « à la place de ». Il y a des choses en train de se redessiner entre le monde politique et les associations, comme refondre les statuts pour des fonctionnements plus transversaux ou horizontaux pour sortir des schémas pyramidaux.

Cela renvoie à la question de « comment faire adhérer la population locale ? ». Ils’agit de réfléchir autrement qu’en termes de « public » déjà sensibilisé aux spectacles artistiques, mais plutôt en termes d’habitants locaux.

L’association joue alors un rôle de tiers, d’interface. C’est aussi une manière de construire une nouvelle histoire de la localité. L’association devient un acteur politique central, avec des possibilités, des marges de manœuvre. C’est une manière de combler l’écart entre l’activité associative et les habitants d’un territoire, quand d’autres logiques sont plutôt dans une ingénierie de projet sur le territoire.

Les envies d’hybridations des cultures, de « transdisciplinarités » des arts sont une manière de faire lien, rencontre.Il s’agit finalement d’une forme de définition de la culture populaire, qui part de l’activité des gens là où ils sont. Comment mettre au centre cette approche culturelle là, alors que nous vivons dans une société qui pense sa culture par le haut, tout autant que son aménagement du territoire ?

Cependant, la mobilité reste une grosse problématique pour les territoires ruraux à travers les questions de relations sociales et d’écologique qu’elle soulève.

Quand on est dans une association sans salarié avec des limites en termes de temps ne serait-ce pour se voir et gérer le minimum, faut-il franchir le cap du salariat ? L’association a décidé de rester bénévole, car avoir un salarié « demande du monde derrière » pour assurer les dossiers. Le salariat c’est aussi prendre le risque de perdre l’éthique du bénévolat et l’habitude de faire par soi-même. C’est donc risquer de se reposer sur un salarié qui décide finalement de tout.

Cela renvoie aux critères de « professionnalité ». La professionnalisation semble être gage de sérieux, de technicité, de savoir-faire, de fiabilité en opposition à « l’amateurisme ». Comment valoriser et légitimer une autre forme d’activité que l’activité dite professionnelle ? N’existe-t-il pas une sorte de professionnalité ou de métier de bénévole avec sa technicité, sa culture, son éthique, son organisation ? Comment se sentir légitime dans sa propre capacité à s’expertiser, à produire un savoir qui part des pratiques populaires dites « amateures »? Par exemple, la débrouille ne veut pas forcément dire médiocrité. C’est aussi une façon d’inventer d’autres professionnalités, d’autres rapports au travail, à l’économie, à l’argent…

Pensons également à « l’économie du commun » qui tient à la capacité de nommer et de valoriser des ressources intermédiaires partagées et « gratuites » pour le groupe, comme la réparation, l’entretien ou les déplacements personnels.

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19550 Laval-sur-Luzège

La Palette

Présentation

Cette partie présentation est la synthèse d’un entretien réalisé entre l’équipe associative et le laboratoire de recherche (LISRA) le second semestre 2018.

Nous nous définissons comme un tiers lieu social et éducatif. Nous essayons de créer et animer un projet collectif de territoire, à long terme, en mobilisant les familles, les élus et les associations. On fait du Développement Social Local, dans une démarche de partage, de co-construction, de faire ensemble et de transmission de savoirs, avec la possibilité d’avoir des professionnels qui accompagnent ou qui facilitent la production ou la création des projets. Nous pratiquons l’accueil social inconditionnel, c’est le lien de toutes nos actions. Nous souhaitons, grâce à une approche globale de l’humain, recréer un lien social en train de disparaitre assez vite. Le propre du projet n’est pas que les gens s’investissent dans l’association, mais plutôt qu’ils y trouvent un espace de création de leurs projets que nous accompagnons.

Dans le but de devenir coordinateurs de parcours sur le territoire, nous allons transformer l’espace de co-working en espace pour l’accompagnement des professionnels, depuis la formulation de leur idée jusque dans la sécurisation de leur parcours (territorial, économique, social, jusque dans les loisirs ou l’emploi du conjoint).

Pour penser le projet associatif et le projet de territoire, nous voulons récolter la parole des habitants afin d’identifier leurs besoins. Nous observons beaucoup, nous organisons des soirées et des comités thématiques, nous avons monté un groupe pilote de « parents qui décident », nous faisons des questionnaires… Nous pensons des démarches participatives pour mobiliser les gens, les partenaires, les personnes-ressources du territoire.

Au sein de l’équipe, il y a un espace de discussion avec les salariés. Travailler un modèle participatif avec les salariés demande beaucoup de cadres, surtout si on veut éviter le conflit. Les salariés font appel au bureau quand ils en ont besoin.

L’association est en train de se demander si elle ne va pas changer son fonctionnement et ses statuts pour passer en « coopérative ». Cette perspective pourrait changer le rapport de force, car elle permettrait de développer le mécénat (des entreprises ont besoin de ce que nous faisons, vu que nous accueillons les gens sur le territoire). Nous sommes sur un territoire sinistré économiquement, donc les collectivités travaillent à l’accueil de nouveaux habitants, mais elles n’ont pas de solution, car elles pensent en économistes, elles parlent de « zones d’activités ». Et si les salariés étaient actionnaires avec voix au chapitre, cela permettrait d’éviter l’instrumentalisation politique de l’association, de valoriser notre savoir-faire et d’avoir un rôle à la fois dans la gouvernance de la structure et dans le développement du territoire.

Le réseau TELA nous sert aussi à penser des pistes de modèles économiques. C’est un réseau de tiers lieux qui pratiquent l’accueil inconditionnel, qui proposent un service pour l’accompagnement de porteurs de projet économiques et qui font du lien entre tout et tout le monde et qui ont envie de partager avec les autres. Le TELA c’est un tiers lieu hors lieu, sans lieu, mais départemental. C’est aussi pour éviter la concurrence entre les tiers-lieux que ce réseau existe et pour mutualiser des actions (formations, subventions…).

Problématisation

Cette partie propose de faire émerger des problématiques transversales à partie de l’analyse de l’entretien par l’équipe de recherche en dialogue avec la démarche réflexive engagée par les acteurs associatifs.

L’association semble être en transition entre une phase instrumentale dans laquelle elle répondait à la demande des élus des collectivités, et une phase d’autonomisation où elle se saisit elle-même des problématiques de son territoire.

Le mouvement de déprise vis-à-vis des institutions existantes semble passer par une forme d’économie (SCOP, SCIC) moins dépendante des financements publics. Cependant, la logique entrepreneuriale est potentiellement en contradiction avec l’approche sociale et territoriale de l’association qui tente d’ouvrir un espace d’échange ouvert et gratuit (accueil inconditionnel) sur le terrain. La logique de prestation de service peut-elle être compatible avec la transformation sociale et la participation des habitants ? Le mécénat est présenté comme un moyen d’articuler ces logiques sans faire peser le poids du financement de la structure aux habitants. C’est une des voies qui semble les moins contraignantes, pourtant, fonctionner sur la base des appels à projets et des fondations impose une visée à court terme, un rythme de gestion serré et une trésorerie sous pression. Est-il possible d’envisager une forme d’autonomie économique qui ne soit pas déliée de la dimension sociale et territoriale ? Autrement dit, comment penser l’articulation entre l’action associative, les habitants du territoire et la maitrise des contraintes économiques d’une localité ?

Le territoire dit « sinistré économiquement » n’est-il pas une opportunité de penser du lien social non centré sur l’économie, et d’en faire émerger de nouvelles formes de vie, de liens et d’interdépendances dont découleraient des échanges économiques non concurrentiels et maitrisables à l’échelle locale ?

L’association a su se saisir des problématiques locales et travailler avec les habitants, dans une logique de participation directe, sans recourir à des formes instituées de dialogues qui accentuent la séparation entre les techniciens et la population. Ceci est possible dans la mesure où elle conçoit son lieu comme un espace ouvert et pluridisciplinaire (et non un lieu fermé sur une pratique, une filière, un métier, une culture, un type de public…). L’association est cependant au cœur de plusieurs tensions. Elle semble osciller entre une démarche d’expertise qui se retrouve parfois dans la pratique de l’accompagnement des parcours professionnels (liée à la logique de prestation), et une démarche de l’immanence, qui laisse émerger les projets depuis leur terrain (logique de l’autonomie territoriale). Le risque est d’intercaler les compétences expertes du travail social et du développement économique entre les pratiques d’autonomisation de la population. Comment aider l’auto-organisation et instrumentaliser l’association, non pas au service d’élus ou d’experts locaux, mais au service d’une prise des habitants sur ses conditions matérielles et sociales d’existence ? Comment sortir de l’injonction à la participation des habitants (démocratie participative) tenue par les techniciens, pour aménager un environnement propice à la liberté de parole, d’échange, d’organisation, à des pratiques économiques, sociales et politiques gérées directement par les habitants d’une localité ?

Une des voies que l’association semble prendre, pour ce faire, est de s’approprier et de redéfinir la notion de service public, en sortant de l’opposition public / privé, pour penser une activité d’accueil de la population, propre à un tiers-secteur, échappant autant aux contraintes publiques qu’à l’économie privée.

Plus en interne, l’association La Palette travaille à ouvrir des espaces réflexifs pour penser l’agencement des différents métiers qui l’habitent : administrateurs, salariés, bénévoles, parents, enfants, professionnels, nouveaux arrivants… Quelles sont les zones de frottement et de recouvrement entre ces différentes manières de vivre un territoire ? Quel territoire constituent ces différents métiers ? Quelles pratiques, liens, et manières d’habiter un territoire fondent une expérience commune et la construction sociale d’une localité ? Impulser ces questionnements en lançant des enquêtes sociales autonomes est un moyen de faire émerger une culture locale commune et une production de connaissances qui partent du terrain. C’est une manière de dire que l’autonomie économique et territoriale recherchée par ailleurs passe aussi par une forme de production de savoir autonome.

Enfin l’association et sa localité semblent se renforcer grâce à la mutualisation de ressources (compétences, savoirs, pratiques) notamment par le réseau TELA. Cette dimension réflexive à l’échelle d’un territoire plus grand (département) est utile pour peser sur les financeurs, être mieux considéré par les partenaires et les autres entreprises employeuses, tout en changeant d’échelle dans la réponse aux appels à projets et dans la demande de subvention, et en réfléchissant à un modèle économique commun, à de nouvelles prestations qui font sens, grâce à la puissance du réseau. Là aussi, cela devient possible par une pratique de l’espace (tiers lieu / hors lieu / sans lieu), qui sort de la logique gestionnaire et sectorielle, pour s’organiser autour d’une démarche réflexive et mutualiste commune.

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9 Place de la Poste – 23900 Dun-le-Palestel

Le battement d’ailes

Présentation

Cette partie présentation est la synthèse d’un entretien réalisé entre l’équipe associative et le laboratoire de recherche (LISRA) le second semestre 2018.

Le Battement d’Ailes, dès 2005, s’est organisé autour de pratiques agro-écologiques. Il s’agit de mêler agronomie et écologie pour penser et mettre en œuvre les fondements d’une agriculture respectueuse de son milieu, permettant de se nourrir dans dégrader l’environnement.

L’association fonctionne en autogestion, ce qui détermine ses relations, ses modalités de travail et de prise de décision. Cela prend forme avec des délégations de pouvoir, des commissions animées par des coordinateurs entourés d’autres personnes pour avoir des marges de manœuvre. La collégiale (composée des amis du territoire) et les bénévoles en immersion sur le lieu, nous permettent d’avoir un regard extérieur sur l’activité de l’équipe permanente (constituée de bénévoles et de salariés).

Le lieu s’étend sur 5 hectares et mêle production agricole (fruitière, légumière, pâturage) habitat et activités d’accueil. Il se conçoit comme un tremplin à différentes initiatives partageant des valeurs communes, une autre façon de vivre l’environnement.

Nous voulions mettre en pratique l’agro-écologie puis la transmettre, plutôt que de rester dans un discours. C’est pour cela que le bâtiment principal a été conçu pour la restauration et l’hébergement, pour faire venir un public large et différent, dans une perspective de sensibilisation et de formation. Nous accueillons beaucoup de stages qui constituent un support pour étendre notre public et essaimer notre expérience. Mais faire uniquement fonctionner le restaurant et l’hébergement ne fait pas sens pour nous. Ce que nous aimons et savons faire, c’est accueillir des gens et faire avec eux. C’est pourquoi nous avons décidé pendant la trêve (temps de réflexion et de pause de l’activité pendant l’automne 2017) de mettre plus en avant l’essaimage. Aujourd’hui, relancer la formation et l’essaimage, qui sont le cœur du projet, demande du temps et de s’y consacrer pleinement.

Nous sommes inscrits dans plusieurs réseaux (réseaux RAE, Paysans Dès Demain, REPAS) qui permettent de prendre du recul, de rencontrer d’autres initiatives et d’accueillir des personnes qui veulent se former et tester leurs projets. En interne de l’association nous avons beaucoup de temps de réflexion autour de nos pratiques et de nos vécus (réunions d’équipe, entretiens individuels, séminaires, trêve…).

En ce moment (septembre 2018), l’équipe est réduite et il y a des changements réguliers depuis 3 ans, donc le but aujourd’hui est d’accueillir de nouvelles personnes afin de porter une équipe solide pour tenir le projet.

Problématique

Cette partie propose de faire émerger des problématiques transversales à partie de l’analyse de l’entretien par l’équipe de recherche en dialogue avec la démarche réflexive engagée par les acteurs associatifs.

Le Battement d’Ailes évoque la culture du jardin comme un espace d’expériences fortes liées à des individualités (ayant chacune leur vision, leur culture, leurs techniques propres) qui se succèdent sur le terrain sans produire nécessairement des objets, références ou savoirs communs et donc transmissibles. S’ajoute à cette complexité humaine une complexité technique puisque chaque espace de jardin a une histoire, une fonction et une destination différentes des autres. Comment se constitue un champ de savoirs communs sans pour autant raboter les aspérités que constituent les styles et cultures individuels ? Souvent dépendant d’une logique disciplinaire ou sectorielle de type universitaire (et que l’on peut retrouver dans le jardinage tout autant que dans la philosophie), un corpus de savoir est toujours lié à un rapport de pouvoir dans la capacité pour un groupe socioprofessionnel d’orienter un champ historique, en l’occurrence, ici, celui de l’agriculture et de l’écologie. La recherche-action peut trouver une place spécifique comme production de savoirs à partir des pratiques, en articulant le commun et le singulier, c’est-à-dire en prenant soin de la dimension organique des groupes.

Les savoirs-faires sont riches, mais font difficilement l’objet de transmissions centralisées dans un tronc commun. Comment mettre en valeur ce patrimoine commun alors que chacun développe sa propre vision, son propre parcours d’expérience ? Comment constituer l’héritage de connaissance des anciens pour ensuite le réinvestir dans des gammes de pratiques, de gestes, de valeurs et de connaissances à (auto) produire dans l’expérience vécue ? Autrement dit, comment maintenir l’entrelacement entre passé et présent, entre « anciens » et « nouveaux » ? Comment penser l’équilibre entre la transmission (qui peut-être lourde et contraignante d’histoire) et la liberté d’inventer (qui peut être nécessaire aux arrivants pour mieux sentir leur place et s’épanouir dans leur activité) ?

Comment ne pas tomber dans le travers de la référence aux anciens comme des « dogmes » de bonnes pratiques ? Comment laisser s’exprimer et reconnaitre les styles de chacun comme une richesse, comment se laisser le temps de l’enquête commune ?

Cela revient à poser la question de ce qui fait récit collectif et procure une vision globale entre les anciens et les nouveaux arrivants. Ce qui renvoie à l’ouverture d’un espace réflexif en définissant un espace tiers où l’on prend du temps et de la distance par rapport aux différentes formes d’engagement très prenantes, voire épuisantes.

L’association semble décrire impression de « courir tout le temps », de « ne pas faire les choses vraiment ». Plutôt que de « prendre le temps » ou « d’avoir du temps », comme si le temps n’était qu’une donnée quantitative. Alors, peut-être est-il nécessaire de penser le temps comme un espace dans lequel il ne pourrait pas être capté (par la logique productiviste, par l’urgence, par la gestion du quotidien…). Autrement dit, il s’agit d’ouvrir un espace « tiers », qui serait en dehors de l’activité quotidienne, qui consacrerait une place centrale à la posture d’extériorité par rapport à la structure. Ce serait l’occasion d’hybrider la démarche avec d’autres qui ne sont pas de la structure. Tant que la nature de ce « tiers espace réflexif » ne sera pas définie et repérée, il ne pourra acquérir une autonomie et se confondra surement avec l’espace socioprofessionnel, avec ce qu’il a d’enfermant, de gestionnaire et de technique.

Par exemple, l’association désire travailler sur ce qu’elle appelle sa posture « technico-politique », creuser davantage les significations pour chacun de l’autogestion et de l’agro-écologie, et évoquer les « tabous ». Or ce travail réflexif désiré aura certainement du mal à se réaliser s’il reste pris dans les murs des lieux et des cultures socioprofessionnelles. Comment provoquer un espace dédié à ces questions, avec d’autres sur le territoire, afin de déplacer et de destructurer les réflexions habituelles, pour se transformer au contact de formes étrangères ?

La sensation d’urgence est souvent liée à une projection, et donc une dépossession du présent au nom de l’avenir. L’urgence se fait toujours au détriment de la qualité de la présence. Du coup, il est difficile d’atteindre la démarche réflexive souhaitée, (mais aussi productive, qui « remet les mains dans la terre » et qui « fait sens ») si l’on reste dans la logique de projet en se demandant « à quoi ça sert », quel est le rapport « coût / efficacité », etc. L’urgence est souvent liée à un temps économique dont nous choisissons peu les règles, un temps agité, liée aux opportunités, cerné par la concurrence et la logique de survie. Comment habiter pleinement l’association et son territoire ? Comment opposer une présence à cette absence de nous-mêmes que la contrainte économique impose ? Comment, pour ce faire, trouver des points d’appuis extérieurs à l’association ? Le Battement d’Ailes a pris l’habitude de travailler en réseaux pour provoquer de l’extériorité et d’initier des temps de trêve et de séminaire pour entrer en réflexion sur son activité. Mais pour autant elle semble inquiétée sur son versant économique. Alors, comment déséconomiser son rapport à l’activité ? Est-ce que la mutualisation des ressources, à une échelle locale pour commencer, ne permettrait pas une relâche des tensions économiques tout autant que de nouveaux points d’ancrages, d’essaimage et d’appuis à porté de main ?

Dans cet essaimage par capillarité, comment en même temps former un corps de métier spécifique (l’agro-agriculture, la permaculture, la formation en éducation populaire, etc.) et changer de l’intérieur les corps de métier existant comme l’agriculture, l’aménagement du territoire et l’éducation ?

La relance de l’essaimage va-t-elle permettre un travail collectif pour « faire parler le métier » (entre anciens et nouveaux) afin de dégager ce qui fait commun, mais aussi de rendre visible et de poser les controverses?

Qu’est-ce qui structure (ou « forme » dans tous les ensembles du terme) un collectif ? Est-ce le projet ou le processus ? Les financements enferment les associations dans une logique de projet au point d’en perdre les fondements initiaux. La dissociation ensuite du projet et de la réalité écosystémique ou organique vivante provoque une tension, voire une fracture, dans le modèle de gouvernance, et finalement de l’épuisement par perte de sens. Le problème n’est peut-être pas le temps quantitatif ou le financement, mais la cohérence. Or cette cohérence est le fruit d’une rencontre entre le vécu de la pratique et la production individuelle et collective de savoirs, de connaissances, de valeurs, dans lesquels chacun se retrouve. La question autogestionnaire ne peut prendre corps que si une production de savoirs issue des pratiques interroge et réajuste continuellement le processus. Résister à la logique productiviste revient probablement à établir au sein même de la structure un « contre-espace » d’où la cohérence et le commun peuvent émerger.

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Lauconie 19150 Cornil
Site internet : https://lebattementdailes.org/