Présentation
Cette partie présentation est la synthèse d’un entretien réalisé entre l’équipe associative et le laboratoire de recherche (LISRA) le second semestre 2018.
Nous essayons de nous inscrire dans une logique d’expérimentation plutôt que dans la répétition de projets. Nous avons un fond de réserve qui permet de lancer des initiatives quand il n’y a pas de financement. Il y a un collectif, qui fait office de bureau. 10, 12 personnes, dont les salariés, c’est de ce collectif que les idées viennent, que nous les mettons en place et que nous les validons. Nous nous sommes dotés d’un système où chacun est tiré au sort pour être représentant légal. Cela tourne tous les deux ans.
Nous travaillons en réseau avec des associations différentes, nous agissons souvent en lien avec d’autres organisations. Par exemple, des actions ont été mises en place avec les réfugiés depuis un an et demi, de manière assez ponctuelle, mais régulière dans le temps. Cela vient de l’ensemble du collectif de PEC, nous voulons accueillir sur la ville les nouveaux arrivants et nous souhaitons nous coordonner avec d’autres pour ne pas faire doublon. Nous nous demandons ce que nous pouvons apporter de plus par rapport à ce qui se fait déjà dans d’autres associations classiques (l’alphabétisation, le caritatif…) et comment ne pas faire un énième cours de français. Nous avons donc monté un fond commun, par prélèvement automatique, notamment pour que les réfugiés puissent payer leurs timbres fiscaux. Nous avons fait des cagnottes, des buvettes… Ça se résout à la petite semaine, mais nous voudrions instaurer quelque chose d’un peu durable.
Nous voulons faire de l’interaction pour que les cultures se partagent et se comprennent. On réactive ainsi la « méthode tandem » : une méthode mise au point par l’Office franco-allemand pour la Jeunesse, basée sur le principe de l’apprentissage linguistique mutuel et réciproque.
Nous mettons notre démarche en correspondance avec le domaine artistique. L’idée est d’inviter directement les artistes à venir sur le territoire. Par exemple, Marc Pataut, photographe, est venu sur trois ans et il y a eu beaucoup de contacts autour de son travail de photographie. L’artiste lui-même, en fonction de ses désirs, prenait ses propres contacts. Cela amenait des gens dans l’association que nous ne connaissions pas. Ce qui nous intéresse dans ces collaborations avec des artistes, c’est de ne pas savoir ce qui va se faire d’avance.
Nous invitons prochainement Fabienne Yvert, artiste écrivaine qui va rencontrer un groupe de réfugiés à Uzerche. Elle va aussi voir une femme qui avait une boutique de laine sur Tulle, elle prévoit de travailler avec quelqu’un des restos du cœur. Son idée est de faire des ateliers avec les gens eux-mêmes, avec de la sérigraphie, des cartons, pour faire des petites manifs en ville avec des sacs en craft et se regrouper avec des mots qui sont « portés » par ceux dont on entend habituellement pas les voix.
Nous co-animons également le « cycle travail », qui fut l’occasion de faire des liens entre le passé le présent de nos activités associatives. Dans les années 90s, nous avions mis en place des groupes d’autoformation autour des ouvrages de Gorz, de Meda, de la revue Transversales. Il y avait un travail fait avec 25 personnes avec des lectures de textes, des fiches de lecture, des questions et des échéances de production. Cela a résonné avec la proposition en 2016 de l’association Medication Time de travailler sur le travail selon une forme et un public différents, notamment avec des réseaux qui ne s’appuient pas uniquement sur des « experts ». Cette initiative était liée aussi au contexte « Nuit Debout » et la mobilisation contre la « loi travail ». Cela a suscité de l’intérêt, auprès des jeunes.
Il y a ainsi un terrain propice propre à cette région de liberté d’initiative individuelle et collective, puis des moyens pour le faire dans une certaine autonomie par rapport à la sphère politique.
Problématisation
Cette partie propose de faire émerger des problématiques transversales à partie de l’analyse de l’entretien par l’équipe de recherche en dialogue avec la démarche réflexive engagée par les acteurs associatifs.
L’association semble continuellement en tension entre un processus instituant selon une démarche pragmatique (initiative, invention, autonomie) et le cadre institué dans lequel il se déroule et doit être validé (salariat, évaluation, bilan…), même si Peuple et Culture a davantage d’autonomie financière par rapport à d’autres associations qui n’ont pas de réserves et qui ne se mettent en action que quand ils ont les financements.
Cela se traduit par la difficulté d’accorder différents espaces-temps ou temporalités : le temps long de la pensée se confronte à l’urgence administrative, évaluatrice. Il y a une contradiction entre la réflexivité essentielle pour l’association et l’obligation de produire des bilans, et au final d’être « la tête dans le guidon ». Il est alors difficile d’échafauder une pensée, qui par ailleurs à tendance à s’étioler dans les associations d’éducation populaire, alors que le renouvellement d’une pensée critique du social est nécessaire, notamment en se réappropriant le temps du récit collectif.
Penser est difficile dans un temps court, et l’on risque de ne pas prendre ce temps de la réflexion sous le prétexte de l’urgence. Le pragmatisme et la réactivité empêchent d’élaborer un calendrier hors de celui des institutions ou de l’actualité. Avoir son propre calendrier, ceci pourrait être un objectif central, dans une éducation populaire repolitisée.
Aménager l’espace-temps est donc lié à un effort de transformation sociale.
Comment faire un pas de côté ? Comment le faire avec d’autres ? Plutôt que de faire un projet SUR les autres. Par exemple, comment penser l’accueil des réfugiés ? Cela renvoie à la question de l’hospitalité comme patrimoine commun, comme possibilité d’accueil sur un territoire, comme forme d’organisation sociale et solidaire, en dehors des formes institutionnelles classiques.
Comment faire « commun » ? Sachant que PEC sert d’interface pour faire « réseau » et souhaite inscrire des dispositifs dans le temps, comment penser, expliciter et mettre au travail ce commun qui émerge ?
Ce commun apparait aussi quand l’association aménage l’accueil d’artistes en résidence sur le territoire en cherchant un lien avec les habitants, quand elle propose de prendre le temps de la rencontre alors que les critères culturels institutionnels sont plus basés sur le principe « d’excellence artistique ». Les financeurs demandent souvent à l’association de faire ce qu’elle sait déjà faire car ils sont dans la logique de projet et ont besoin de connaître les objectifs, les finalités, ce qui s’oppose à la logique de processus et à l’inventivité à l’œuvre dans l’association.
Ne s’agit-il pas au contraire de faire reconnaître le droit à l’expérimentation comme modalité opérationnelle amenant à reconsidérer les configurations de développement ? Notamment dans les territoires « délaissés » qui offrent de nouvelles possibilités de liens et d’activité, où cette « déprise » devient le moyen d’un réengagement ?
La résidence semble être une occasion d’expérimenter de la durée, du temps long, avec un rythme moins agité que l’habituelle action associative rythmée par les opportunités économiques ou la réponse aux appels à projets. Les ateliers avec les artistes semblent à la fois ouvrir des espaces de rencontre, d’échanges et d’actions, tout en sortant de la logique programmatique, de la planification, de l’évaluation… Qu’est-ce qui se joue dans ces espaces ? Comment le mettre en valeur ? Comment cela pourrait faire référence et bousculer les institutions dans leur manière d’envisager la production artistique ?
Ainsi, entrer en recherche-action collectivement entre savoirs experts et savoirs populaires, trouver de nouvelles formes d’intervention et de recherche, se réapproprier des formes d’expertise, être en lien avec les mouvements sociaux, tout cela conduit à concevoir d’autres espaces ou « tiers espaces » pouvant s’inscrire dans des logiques d’autoformation. C’est une manière de rompre avec la logique de programme qui consiste à construire des formations et ensuite chercher un public. Ce serait aussi un moyen de dépasser le « problème » de la transmission et de l’implication d’une nouvelle génération d’acteurs dans les associations d’éducation populaire. Comment des alliances peuvent se construire avec les jeunes plutôt que de vouloir les faire rentrer dans les structures ?
Comment alors les associations pourraient s’inspirer d’autres modes de fonctionnement, plus proches d’une « micropolitique des groupes », selon des prises de décisions horizontales et l’aménagement d’un autre espace-temps réflexif ? Il y a une fragilité de la collégialité qui tient fortement aux personnes présentes et à leur culture politique. Il faut donner le temps d’arriver aux personnes, pour que cela puisse marcher avec les « anciens ». Se pose donc la question de la légitimité de « s’autoriser » d’être « force de proposition », notamment dans un cadre sans hiérarchie formelle.
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