Malaise dans le travail social
Sommaire
- Éditorial : Péril en la demeure par Eric Auger
- Europe et travail social : Notes critiques sur le travail social en Grèce P. 4 par Pierre Bechler
- Communication Social : Le langage vérité de la vidéo social P. 6 par Jean-Claude Bardout
Dossier: Malaise dans le travail social :
Paroles de terrain
- Les oubliés du travail social, Les conseillères du quotidien
- Nous ne sommes pas la cinquième roue du carrosse par Eric Auger
- Travailleur social et travailleuse familiale par Michel Taleghani
- Des difficultés aux perspectives par Nelly Gaugain et Francesco Scuedo
Une mobilisation difficile
- Une mobilisation difficile chez les travailleurs sociaux
témoignage d’une fédération syndicale : le C.R.0
témoignage d’une coordination : le C.R.E.M
témoignage d’un syndicat corporatiste le S.A.A.S.S.H
témoignage d’une section syndicale : la CFDT Rhône-Alpes
- Interview de Lionel Lafarguette
Regards posés sur le travail social
- Travail social et décentralisation par Michel Joubert
- L’épuisement professionnel par Michel Taleghani
- Miroir dis moi si je suis toujours la plus belle par Eric Auger
Critique Culturelle
- Les enfants du désordre P. par Guy Jouannet
- Valse et travail social par Rémi Hess
Edito
Péril en la demeure
J’ apprends avec stupeur que les travailleurs sociaux peuvent compter parmi eux de nouveaux collègues, une nouvelle élite de professionnelle. A en croire le Quotidien de Paris du 5 Novembre 1989, le directeur de la police nationale souhaite redorer le blason et l’image de ses troupes ; désormais, vous pourrez choisir entre la circonscription d’action sociale où de charmantes assistantes sociales vous attendent, et le commissariat « un service social de proximité ». Désormais, assistants sociaux ou éducateurs n’auront plus à se retrancher derrière une pseudoéthique ni à arborer un prétendu code de déontologie, «dès lors, que les policiers seront perçus comme des travailleurs sociaux » (sic !).
Faut-il que la répression et la justice n’osent plus se donner pour ce qu’elles sont et chercher à se dissimuler derrière les dehors engageant des sciences humaines ou sociales!
Déjà les surveillants de prison avaient voulu changer d’uniforme en se donnant les apparences d’agents sociaux.
S’il est vrai que nul n’est propriétaire du label de travailleur social, n’est ce pas parce que ce terme est un concept flou, mal défini, et indéterminé ? En quoi un travail peut-il être qualifié de social est une autre façon de poser la question de l’objet du travail social. Cette interrogation avait fait l’objet d’un célèbre numéro de la revue «Esprit» en Mai 1972. Du technicien de la relation d’aide, au spécialiste du lien social en passant par le « défenseur» des exclus et des associaux, les définitions pour tenter de qualifier la fonction du travail social sont longues et variées. Intervenant à tous les niveaux du champ social (insertion, exclusion …) la fonction du travail social ne serait-elle pas tant de rendre de « l’autonomie » aux gens, mais de restaurer les réseaux de solidarité, fissurés et arasés par l’industrialisation de la société, productrice d’un certain dysfonctionnement du lien social.
L’objet du travail social ne peut se confondre avec la répression, même si parfois une certaine sociologie critique a voulu le réduire exclusivement à une normalisation et une forme moderne de contrôle social. L’objet et la finalité du travail social portent en lui intrinsèquement, un projet politique (conscient ou pas, avoué ou tacite), un projet de société qu’il ne s’agit pas d’occulter sous prétexte d’une pseudo neutralité. C’est en repérant les interactions et les limites de notre travail traversé par des contradictions multiples (où s’entremêlent des logiques opposées) que nous pouvons sortir d’une certai¬ne impasse idéologique, en se débarrassant de représentations mythiques et leurrantes.
Recréer et redonner des liens, retisser les mailles d’un tissu social, à un niveau individuel et collectif, informer les usagers de leur droit, aider et orienter … pour définir l’objet du travail social, la liste est longue car elle englobe les spécificités des professions sociales.
Le travail social n’est pas un qualificatif «élastique» que chacun peut à sa façon se prévaloir ou s’attribuer. Il intervient auprès des personnes dans des situations telle qu’il y a rupture ou défaillance de leurs réseaux de solidarité primaire ou secondaire.
Pour reprendre l’exemple du policier ou du surveillant, et du travailleur social, il faut distinguer la profession qui a pour but la contrainte et la répression de celle qui a pour but la réhabilitation du détenu. « Si les techniques de la relation humaine et de contrôle social donnent à la répression des armes subtiles » les surveillants resteront des matons et les policiers des agents de la sécurité, quelque soit leur « humanité » et les qualités.
Il ne faut être dupe de l’hypocrisie du discours policier actuel qui ferait croire que les ilotiers font le même travail que les éducateurs de prévention. Il ne suffit pas de changer d’image ou de look pour que le policier se confonde avec le travailleur social. La force des représentations a heureusement ses limites.
Le travail social n’a pas de visée orthopédique et médicale, agissant en quelque sorte sur un corps social malade, mais plutôt privilégie une approche « homéopathique », œuvrant dans le sens d’une conscientisation des individus ou des groupes. S’il est soumis et traversé par les logiques du Politique et de l’Économique, il n’est pas pour autant prédéterminé, réduit à un replâtrage. Nos pratiques ne se situent pas tant au carrefour des autres pratiques que dans une spécificité qui a sa place et son utilité à côté de celles des autres.
Les travailleurs sociaux doivent sortir de leur réserve et de leur querelle de chapelle. Évaluation, critiques et analyse à l’appui, faire remonter les vraies questions et besoins posés par les exclus et que les Politiques ne parviennent pas à prendre en compte. Les professions sociales (même si elles sont marquées par un faible taux de chômage) ne sont pas des formations au « rabais » comme voudrait le suggérer, pour l’une d’entre elles, le récent décret de loi de juillet 89. Elles doivent sortir de leur allégeance au science humaine pour théoriser de façon neuve sur leur pratique.
Eric AUGER