Fédération HIERO

Présentation

Cette partie présentation est la synthèse d’un entretien réalisé entre l’équipe associative et le laboratoire de recherche (LISRA) le second semestre 2018.

Les concerts, la découverte de talents et l’aide à la professionnalisation sont le cœur de métier de l’association. Aussi, en tant que lieu ressource, nous accompagnons les groupes de musique amateurs locaux. Nous mettons également en place des actions culturelles destinées à la jeunesse, composées d’éducation au sonore et d’histoire des musiques actuelles. Nous leur expliquons comment fonctionne un son, et comment il interagit avec notre oreille et notre corps. Nous travaillons avec des classes primaires, des ados, et nous proposons des spectacles pédagogiques.

Nous avons des sources de financements variées qui ne sont pas liées à l’économie de la musique. Les actions de prévention sur l’audition sont en partie financées par le biais de la santé par exemple. Nous avons d’autres actions culturelles comme l’aide au montage de projets autour de la musique (nous sommes Centre de Ressources et d’Informations pour les Bénévoles, 85% des projets que nous accueillons sont associatifs). Nous donnons des conseils aux associations, même si parfois elles entrent en concurrence avec nous (affichage, programmation musicale), car c’est notre version du service public. Nous avons appris des choses et nous partageons ce savoir avec d’autres. L’action culturelle prend vraiment de la place dans la structure avec l’ambition d’embaucher une personne à temps partiel sur cette activité.

Nous avons des salariés qui sont devenus bénévoles et inversement, c’est poreux. Des associations avec lesquelles nous sommes en phase font partie de notre CA, et nous faisons partie du CA d’autres associations. C’est important que les membres du CA comprennent tous les enjeux, pour qu’ils puissent répondre aux salariés et avoir un contre-avis. Nous avons donc beaucoup de débats et d’espaces d’échanges dans l’association. Les choix sont tranchés à plusieurs. Nous ne voudrions pas que les salariés ou la présidente tranchent seuls. Au CA les salariés sont systématiquement invités. Et il y a un vote uniquement quand le consensus n’est pas atteint. Souvent les discussions suffisent. Il y a une vraie consultation des adhérents.

Nous sommes une des rares associations de ce type et de cette taille en France à ne pas avoir de lieu en gestion directe. L’absence de lieu a été vécue comme un problème pendant 10 ans, et aujourd’hui cette situation s’est transformée en force. Nous bénéficions d’une petite autonomie technique pour de la programmation dans plusieurs endroits. Cela nous permet d’être libres de programmer des groupes quasiment inconnus du grand public par exemple. C’est aussi un moyen d’avoir d’autres types de financement, sans les contraintes du label SMAC.

Nous commençons à réfléchir des outils pour mutualiser des moyens, nous pensons des fonds de trésoreries communs, à se rapprocher de la NEF par exemple… Aussi nous nous demandons quel est le sens de nos actions et comment trouver des indicateurs d’utilité sociale pour que l’on arrête de nous poser la question de la jauge et du remplissage des salles en terme quantitatif.

Problématisation

Cette partie propose de faire émerger des problématiques transversales à partie de l’analyse de l’entretien par l’équipe de recherche en dialogue avec la démarche réflexive engagée par les acteurs associatifs.

La Fédération Hiero Limoges questionne son approche de la musique vis-à-vis de nouvelles manières de l’écouter et de la pratiquer. Elle constate une forme de désenchantement quant à l’instrument et l’artiste sur scène qui ne font plus « rêver » dans la mesure où la pratique, l’enregistrement et la diffusion sur internet sont aujourd’hui facilement accessibles. Elle se questionne de la même manière sur les modalités de participation aux concerts qui ont évolué, sur l’écart générationnel avec une partie du public qui ne fréquente pas les lieux de diffusion et les conseils d’administration.

La sociabilité autour des concerts a évolué, il n’y a plus de discussions comme avant. Avant, les salles étaient des lieux de fête et les gens n’écoutaient pas toujours la musique. Maintenant ils l’écoutent, mais l’interaction autour de la musique est différente, les gens sortent de la salle une fois le concert terminé.

Comment repenser son activité et créer l’espace de discussion (en interne et en externe) pour ce faire ? L’enquête sociale, qui bien plus qu’une étude de marché permet l’implication des habitants et la prise en compte de dimensions sociales et politiques, de pratiques et d’interactions sur un territoire, pourrait être un outil mobilisé par l’association pour mieux comprendre les phénomènes sociaux qui l’affectent et créer une interface avec un public qu’il reste à rencontrer.

Les réseaux FEDELIMA et RIM remplissent une partie des fonctions réflexives propres au secteur des musiques actuelles. Comment la Fédération Hiero Limoges et plus largement un collectif des Fédérations Hiero pourraient s’auto-missionner pour ouvrir une étude sur les pratiques musicales et créer l’espace d’échange en conséquence ? Comment se positionner en tant que producteurs de connaissances et développer ses propres capacités de recherche ? Ce serait un moyen de répondre à la fois aux questions liées à la connaissance des nouvelles pratiques, aux problématiques générationnelles, mais aussi d’établir d’autres formes de liens sur le territoire que la sociabilité des réseaux associatifs du milieu culturel.

L’association semble rendre possible une porosité entre le statut de bénévole et de salarié, et articuler pratiques amateures et professionnelles. Le jeu libre autour de ces frontières peut s’avérer périlleux dans les relations avec les partenaires qui font reposer leurs financements sur une catégorisation des pratiques selon leur économie et leurs statuts. Pourtant, ce jeu rend possible de nouvelles professionnalités et de nouveaux métiers qui dépassent les catégories socio-professionnelles. Il permet aux individus de trouver une cohérence dans leurs parcours et leurs pratiques s’affranchissant ainsi des critères économiques ou organisationnels (organigrammes, fiches de postes…) usuels pour se réaliser.

L’association observe des modalités de prise de décision horizontales, proches de celles d’un groupe « organique ». C’est une façon de réduire le pouvoir du professionnel qui maîtrise les dossiers et de faire place au dialogue avec les bénévoles de l’association. C’est aussi un moyen de penser autrement le salariat associatif que dans le cadre de tâches d’exécution de la politique décidée par un bureau. Comment partager cette expérience qui pourrait être utile et formatrice pour d’autres associations, d’autres secteurs ? La dimension organique du groupe pose cependant la question de son ouverture et de son accessibilité. Comment faire en sorte que d’autres acteurs puissent s’approprier cet espace social déjà fonctionnel ? Et faut-il intégrer de nouveaux acteurs alors que « ça fonctionne déjà » ? Se poser ainsi ces questions est une manière d’envisager l’activité de l’association non pas uniquement comme celle d’un opérateur culturel du secteur des musiques actuelles, mais comme une interface avec les habitants d’une localité, en prise avec les réalités sociales, économiques et politiques d’un territoire. Autrement dit, il s’agit de penser l’action culturelle autrement qu’en termes de diffusion, d’éducation ou de médiation, mais en termes de transformation sociale.

L’indépendance par rapport à la gestion d’un lieu permet de redéployer les activités sans tomber dans une logique gestionnaire. Cependant si un lieu dédié et labélisé apparaît sur le territoire, il devra, selon un certain cahier des charges, remplir les fonctions pour lesquelles les partenaires financiers de l’association l’aident déjà aujourd’hui. Quelle place doit prendre Hiero dans ce projet en cours ? Gestionnaire de l’équipement ? Partenaire du gestionnaire ? Comment, si un lieu doit émerger, penser ce lieu comme un espace de passage, de rencontre, c’est-à-dire qui ne soit pas seulement un lieu de diffusion mais un lieu de production (artistique, mais aussi de savoirs, d’interactions, d’innovations….) appropriable par les gens ? Quelles marges de manœuvres politiques et administratives existe-t-il pour qu’une Salle de Musiques Actuelles se conçoive en tant qu’espace de croisement de pratiques émergentes (culturelles, artistiques, sociales…) d’une localité ?

La musique aujourd’hui se passe en partie sur YouTube pour toute une génération. On ne leur a pas appris à écouter de la musique, mais on leur a appris à faire eux-mêmes, de la peinture, du son, etc. C’est devenu un objet technique. C’est le cas des rappeurs sur YouTube, et même ceux de Limoges, qui ne veulent pas jouer sur scène, sauf si cela se met à bien marcher pour eux, mais à ce moment-là, ils préfèrent jouer dans des zéniths. Le café-concert, la scène ouverte, cela ne les intéresse pas. Comment notre association pourrait-elle se repositionner ? Comment se réajuster ?

Avoir son lieu permet-il plus de créer une vie, une identité, une alternative que d’utiliser des lieux « neutres » mis à disposition des collectivités ? Comment imaginer des lieux d’expérimentations qui ne sont pas uniquement liés à une esthétique ou un genre musical ou artistique ? Il s’agit finalement de restaurer un processus de bricolage qui laisse place à ce qui remonte du terrain, alors que tout pousse par ailleurs à la confiscation et à la catégorisation aussi bien au niveau économique qu’institutionnel.

Enfin l’association pense des formes de mutualisation et d’économie du commun, notamment pour faire face à l’économie concurrentielle. Elle réinvente une forme de service public et souhaite penser l’utilité sociale de son activité au-delà de la fréquentation quantitative. En cela, elle est en quête d’une autonomie et d’une capacité de résilience face à des phénomènes extérieurs (économiques, politiques publiques). Ces contraintes venues du dehors imposent des pratiques dissociatives (éclatement du commun par la mise en concurrence) et viennent définir l’activité associative à la place des associations, notamment par leurs modalités de financement ou leur logique de marché. Hiero montre que l’autonomisation n’est pas incompatible avec l’interdépendance avec d’autres organisations. Le commun émerge donc dans une pluralité. Là où la logique sectorielle vient dissocier les associations de leur voisinage, de leur territoire, de leurs consœurs et des habitants.

Contact

50 boulevard Gambetta – BP 861 – 87000 LIMOGES
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