La Roulotte

Présentation

Cette partie présentation est la synthèse d’un entretien réalisé entre l’équipe associative et le laboratoire de recherche (LISRA) le second semestre 2018.

La Roulotte a été créée en 2005. Le but de l’association est d’amener le jeu vers les gens, notamment dans les zones rurales du Limousin. Nous voudrions répondre à ce besoin sur le territoire. Nous sommes cinq au bureau. C’est un bureau-CA. Nous travaillons sur tout le Limousin.

Nous organisons des animations régulières dans les écoles, des ludothèques éphémères, des ludothèques séniors en EHPAD, des soirées jeux. Nous travaillons donc auprès de différents publics, les personnes handicapées, la petite enfance. Nous réalisation d’autres animations ponctuelles tout public lors de fêtes, sur les marchés, chez les particuliers.

Intervenir pour les privés n’est pas vraiment la vocation de l’association, mais sans ces actions ponctuelles qui représentent beaucoup d’entrées d’argent, nous serions en difficulté. Il nous faudrait plus de subventions, pour suivre notre but premier d’éducation populaire. Nous avons de la chance que le bouche-à-oreille continue, ca nous permet de trouver des prestations et de toujours fonctionner à deux. Car il n’y a qu’un salaire aidé sur les deux contrats, c’est un emploi associatif Régional, qui s’arrêtera en 2020. La fin des emplois aidés nous met en difficulté. Tout le reste est autofinancé par de la vente de prestations auprès d’entreprises privées. Aujourd’hui notre fibre de bénévole en prend un coup quand on parle de rentabilité. Il est dommage que ce genre d’association soit soumis à cette exigence.

Le jeu accessible à tous et gratuitement fait partie de nos valeurs. Nous refusons les animations quand l’entrée est payante pour les participants (mais nos prestations peuvent être payantes pour les organisations).

A St Junien la CAF finance un contrat Enfance-Jeunesse dont nous faisons partie, ainsi nos animations sont gratuites sur la commune car nous sommes financés. Nous avons une relation partenariale avec la commune, nous sommes acteurs de la vie associative ici. Nous intervenons dans les quartiers, nous participons également à un programme de Soutien à la Fonction Parentale (sans subvention).

Ces interventions avec une vocation sociale sont basées sur le jeu pour tous, par tous et en tout lieu. Tout le monde a droit au jeu et c’est notre outil de base. Nous souhaitons proposer des jeux intéressants, coopératifs, avec des éditeurs indépendants. Nous le faisons avec le jeu de société en montrant des choses différentes, et nous avons une réflexion pour faire de même avec le jeu vidéo. L’animation et le côté éducatif autour du jeu son très importants. Par exemple, nous ne mettons pas les règles du jeu sur la table. Pour nous, « laisser libre », c’est fondamental. C’est pour ça que nous faisons la distinction entre atelier et jeu libre. En atelier, nous intervenons sur des problématiques, nous recherchons des choses précises, nous sommes liés à des objectifs éducatifs. Mais n’importe quel jeu est éducatif, il y a une dimension sociale dans tous les jeux. On peut apprendre à compter, à lire, à construire des stratégies, etc.

Quand les enfants jouent, les parents discutent. La ludothèque devient un espace de liberté, de parole et de discussion. C’est un lieu d’échange et un lieu neutre où peuvent se rencontrer et interagir différentes professions et statuts sociaux.

Il s’agit de faire sortir les enfants et les parents de chez eux et de leurs écrans, et de leur proposer quelque chose à partir de leurs savoir-faire et compétences. Cela permet de sortir du quartier, de se mélanger, et de gommer les catégories sociales. Ces gens se retrouvent ensemble à jouer, alors qu’ils ne seraient pas adressés la parole dans la rue. La fête du village crée la même chose au milieu de la place. Nos usagers savent qu’on leur apporte quelque chose avec le jeu donc ils sont contents de faire un échange de bons procédés. Par exemple, nous voulions monter un jeu en tissu avec l’équipe, mais nous ne savions pas coudre, donc nous sommes allés voir les habitants qui avaient les compétences, et nous avons fabriqué le jeu ensemble. Ca a bien marché. Mais ca s’est fait en grande partie sur du temps bénévole. Ne pas avoir de subvention nous bloque pour sortir du coté vente de service, c’est pourtant la dimension d’éducation populaire qui nous intéresse, « faire avec les gens ». Or nous avons cette volonté d’entrer en relation avec les habitants, de créer un espace où l’on se sent libre de discuter et de faire une place au bénévolat.

Problématiques

Cette partie propose de faire émerger des problématiques transversales à partie de l’analyse de l’entretien par l’équipe de recherche en dialogue avec la démarche réflexive engagée par les acteurs associatifs.

La pratique de recherche de subventions et de prestations d’animation vient heurter le métier et les valeurs de l’association, notamment quand elle ne pense plus l’action en termes de public, mais d’argent. La nécessité de subsister en tant qu’association entre en contradiction avec ses valeurs d’accessibilité et de gratuité du jeu, d’échange et de bénévolat, de fournitures locales, d’ouverture et d’accueil dans les espaces qu’elle propose au public.

La tension entre la dynamique associative d’éducation populaire et la logique entrepreneuriale grandit à mesure que les fonds publics diminuent. De manière corrélative, les pratiques d’animation s’inscrivant dans une temporalité longue sont contraintes par les conditions à courts termes imposées par les commandes publiques ou privées et les appels à projets.

La normalisation de l’appel à projet amène les associations à être considérées comme de vulgaires prestataires de services subventionnés au « coup par coup ». Comment mettre en place une stratégie qui permettrait de répondre aux appels tout en « faisant à sa sauce, en créant quelque chose de particulier » ?

Ne faut-il pas repenser la notion même de projet si l’on veut repenser le modèle économique ? Autrement dit, penser un projet qui ne soit pas uniquement orienté dans une logique d’activité sectorielle, mais qui puisse en même temps penser le cadre et les rapports sociaux dans lequel il s’insère. Cela demande donc de passer d’une ingénierie de projet type « appels à projets normatifs » à une logique de projet consenti. Ce serait une manière de générer soi-même (et à plusieurs) ses propres appels à projets, avec leur temporalité propre.

L’association souhaite faire évoluer son modèle, pour cela, la formation autour du jeu est une perspective qui permettrait de conjuguer ses spécificités et valeurs, avec les ressources financières. Mais à cet endroit l’association est confrontée à une dichotomie privé / public : soit elle dispense des formations dans le privé et fait payer, soit, elle forme les agents du service public et doit à ce moment là travailler gratuitement ou pour des sommes symboliques, sans pour autant avoir davantage de subventions par ailleurs. Cette situation est symptomatique de l’impasse dans laquelle les associations sont poussées, prises en tenaille entre un marché concurrentiel où l’éducation populaire n’a pas sa place, et un service public qui n’est plus en mesure de financer le travail associatif.

Peut-être faut-il porter ces réflexions et ces idées d’évolution au sein d’un collectif d’associations, d’un réseau (mutualisation de compétences et de moyens). Comment mettre en chantier collectif ces interrogations, à la fois pour mieux comprendre les phénomènes qui touchent les associations et à la fois pour trouver des solutions « tierces » (au-delà du public et du privé soumis aux mêmes contraintes gestionnaires) à plusieurs et ainsi faire du commun ?

En quoi le territoire peut apporter une dimension tierce et sous quelle forme ? Quels seraient les partenaires et les acteurs susceptibles de se mobiliser dans ce tiers espace économique ? Comment penser une relation en réseau avec d’autres associations (du territoire proche ou plus lointain, du secteur de l’animation ou d’un autre) ? À quelle échelle ouvrir cette réflexion dans l’association et sur son environnement humain (salariés, bureau, CA, bénévole…) ? Comment trouver les moyens, en interne, pour penser l’environnement, plutôt que de se faire penser, manager, écrire, déterminer par lui ?

Il y a en cela une relation entre le modèle économique et la dimension « sociale » du jeu. Le jeu peut aussi se comprendre comme un tiers espace « neutre », de « liberté de parole », de « discussion », de « rencontre » entre métiers différents, de mixité sociale puisqu’il permet de croiser une diversité au-delà des catégories d’appartenance socioculturelles.

Le jeu pourrait appuyer une formation-action et une autoformation réciproque. Le jeu peut accompagner une logique réflexive d’ouverture d’espace où l’on peut faire un pas de côté, interroger sa posture socioprofessionnelle et son mode d’application militant.

Contact

2 Place Auguste Roche – 87200 Saint-Junien