Suite au troisième Atelier Biffin de la Porte Montmartre consacré au livre de Sumithra Dharmassena sur le Carré des Biffins intitulé « The Bridge », Mélanie Duclos nous propose une sélection des riches discussions.
Vendredi 5 mai 2017, entre 16H et 17H, Centre social La maison bleue, Paris 18ème arrondissement.
Nous sommes tous assis, une petite dizaine, sur des chaises autour de deux tables, dans la petite salle du centre sociale. Dans salle à côté, des enfants du quartier jouent, dansent et crient parfois. Madama Dharmassena, comme elle se présente, biffine depuis près de sept ans, a fui le Sri Lanka voilà bientôt vingt ans où elle était journaliste. Pour ce 3ème atelier, nous discutons son livre intitulé Le pont.
Chantal : Comment ça t’es venu, l’idée d’écrire ce livre ?
Sumithra Dharmassena : Au Sri Lanka que j’ai quitté en 1989, j’étais journaliste. Quand je suis arrivée en France et après avoir obtenu le statut de réfugié, j’ai travaillé dans le commerce pendant 17 années, dans des petits magasins. J’avais toujours en tête mon métier de journaliste. Et parfois, quand je le pouvais, je continuais d’écrire des articles que j’envoyais à des journaux sri lankais. Quand je suis arrivée ici, en 2010, au marché, j’ai eu envie de comprendre le monde du marché, des personnes en particulier que j’y rencontrais. Mon sujet, c’est le pont : le pont comme lieu de passage, lieu d’échange entre des gens d’horizons différents. J’étais frappée par la différence entre la vente au marché et la vente dans les boutiques dans lesquelles j’avais travaillé. Ici, au marché des biffins, la vente permettait d’exprimer des talents, des manières de faire propre à soi, pour chacun, des manières différentes de commercer. J’ai voulu comprendre le fonctionnement du marché, ses règles. J’ai aussi voulu comprendre les personnes et leurs origines : les différents pays, les culturels, les histoires des personnes et des différents groupes : Roms, Chinois, Algériens, Marocains, Africains, Centrafricains, Maliens, Sénégalais, Sri Lankais comme moi… Comment elles sont ces personnes, qui elles sont. Il y a les différences rassemblées par le pont et puis il y a le pont comme lieu d’un passage entre ces différences, lieu d’un rassemblement par-delà les différences…
Chantal : Et pour quoi tu as écrit ce livre ?
Sumithra Dharmassena : D’abord j’ai toujours eu le goût de l’écriture. Et puis je suis tombée sous le charme de ce marché. J’ai voulu que les gens connaissent ce marché : comment il permettait à des gens non seulement de gagner de l’argent mais aussi de se reconstruire. Ce qu’il y avait de positif et pas seulement de négatif. Le lien social surtout entre les personnes au marché, absent du lien impersonnel de la vente en supermarché. Le fait aussi que les prix sont bas, à la différence du grand commerce, et que donc ça peut profiter à des personnes qui ont peu de moyen. C’est encore ça l’idée du pont.
Martine : Sur quoi vous écriviez quand vous étiez au Sri Lanka ?
Sumithra Dharmassena : Sur différentes choses. J’ai couvert environ 45 villes différentes. Mon sujet de prédilection, c’était les services sociaux mais j’écrivais aussi sur l’art et l’événementiel. J’ai participé aussi à un comité d’édition pendant plusieurs années.
Hugues : En tant que journaliste, quel est votre point de vue sur le traitement médiatique de la question des biffins ?
Sumithra Dharmassena : Je trouve qu’en général, on a pas le point de vue des premiers intéressés : les biffins eux-mêmes et puis que les journalistes ont tendance à s’exprimer d’une manière qui n’est pas ou peu accessibles par eux. Je trouve aussi qu’on a tendance à ne voir que le négatif. Ce que j’ai voulu dans mon livre, c’est de montrer aussi les côtés positifs.
Martine : Qu’est-ce que vous pensez des vendeurs à la sauvette ?
Sumithra Dharmassena : C’est une question délicate. J’en parle dans mon livre. Je parle d’une ou deux personnes qui vendent à la sauvette et que j’ai rencontré. Mais je ne sais pas bien qui sont les sauvettes et ce qu’ils font. Je n’ai rien contre eux et je sais qu’ils ont besoin d’argent. Mais comme leur marchandise n’est pas contrôlée, par comme dans les espaces officiels, on ne peut pas savoir ce qu’ils vendent, si c’est volé ou pas. Certains disent qu’ils volent…
Chantal : C’est les mêmes, les officiels et les sauvettes, c’est la même chose, même marchandise.
Martine : Puis dans les espaces officiels aussi y’a des produits volés.
Sumithra Dharmassena acquiesce de la tête.
Martine : Ce qu’il faut, c’est plus d’espaces légaux. Y’a pas assez de marché pour beaucoup trop de biffins. Et si on fait plus de marché pour ceux qu’ont pas accès aux marchés officiels, ce sera mieux pour tout le monde : parce que y’aura plus tout l’bordel et toute la concurrence entre sauvettes et officiels.
Hugues : Pourquoi les Roms sont stigmatisés selon vous ?
Sumithra Dharmassena : C’est une stigmatisation très ancienne, notamment de leur mode de vie, le nomadisme qui leur a été en partie imposé et qui est très souvent pointé du doigt. Les gens ont peur de se faire prendre leur place, leur travail et c’est pour cela qu’ils sont accuser de voler notamment.
Hugues : Et comment voyez-vous la situation entre d’un côté le reproche qui leur ait fait d’être communautaristes, et le fait que la culture et les solidarités internes sont aussi une force pour eux ?
Sumithra Dharmassena : Je pense que la culture peut être en effet une force mais pas quand elle est trop refermée sur elle-même. C’est une question compliquée…