Présentation
Cette partie présentation est la synthèse d’un entretien réalisé entre l’équipe associative et le laboratoire de recherche (LISRA) le second semestre 2018.
Nous nous définissons comme un tiers lieu social et éducatif. Nous essayons de créer et animer un projet collectif de territoire, à long terme, en mobilisant les familles, les élus et les associations. On fait du Développement Social Local, dans une démarche de partage, de co-construction, de faire ensemble et de transmission de savoirs, avec la possibilité d’avoir des professionnels qui accompagnent ou qui facilitent la production ou la création des projets. Nous pratiquons l’accueil social inconditionnel, c’est le lien de toutes nos actions. Nous souhaitons, grâce à une approche globale de l’humain, recréer un lien social en train de disparaitre assez vite. Le propre du projet n’est pas que les gens s’investissent dans l’association, mais plutôt qu’ils y trouvent un espace de création de leurs projets que nous accompagnons.
Dans le but de devenir coordinateurs de parcours sur le territoire, nous allons transformer l’espace de co-working en espace pour l’accompagnement des professionnels, depuis la formulation de leur idée jusque dans la sécurisation de leur parcours (territorial, économique, social, jusque dans les loisirs ou l’emploi du conjoint).
Pour penser le projet associatif et le projet de territoire, nous voulons récolter la parole des habitants afin d’identifier leurs besoins. Nous observons beaucoup, nous organisons des soirées et des comités thématiques, nous avons monté un groupe pilote de « parents qui décident », nous faisons des questionnaires… Nous pensons des démarches participatives pour mobiliser les gens, les partenaires, les personnes-ressources du territoire.
Au sein de l’équipe, il y a un espace de discussion avec les salariés. Travailler un modèle participatif avec les salariés demande beaucoup de cadres, surtout si on veut éviter le conflit. Les salariés font appel au bureau quand ils en ont besoin.
L’association est en train de se demander si elle ne va pas changer son fonctionnement et ses statuts pour passer en « coopérative ». Cette perspective pourrait changer le rapport de force, car elle permettrait de développer le mécénat (des entreprises ont besoin de ce que nous faisons, vu que nous accueillons les gens sur le territoire). Nous sommes sur un territoire sinistré économiquement, donc les collectivités travaillent à l’accueil de nouveaux habitants, mais elles n’ont pas de solution, car elles pensent en économistes, elles parlent de « zones d’activités ». Et si les salariés étaient actionnaires avec voix au chapitre, cela permettrait d’éviter l’instrumentalisation politique de l’association, de valoriser notre savoir-faire et d’avoir un rôle à la fois dans la gouvernance de la structure et dans le développement du territoire.
Le réseau TELA nous sert aussi à penser des pistes de modèles économiques. C’est un réseau de tiers lieux qui pratiquent l’accueil inconditionnel, qui proposent un service pour l’accompagnement de porteurs de projet économiques et qui font du lien entre tout et tout le monde et qui ont envie de partager avec les autres. Le TELA c’est un tiers lieu hors lieu, sans lieu, mais départemental. C’est aussi pour éviter la concurrence entre les tiers-lieux que ce réseau existe et pour mutualiser des actions (formations, subventions…).
Problématisation
Cette partie propose de faire émerger des problématiques transversales à partie de l’analyse de l’entretien par l’équipe de recherche en dialogue avec la démarche réflexive engagée par les acteurs associatifs.
L’association semble être en transition entre une phase instrumentale dans laquelle elle répondait à la demande des élus des collectivités, et une phase d’autonomisation où elle se saisit elle-même des problématiques de son territoire.
Le mouvement de déprise vis-à-vis des institutions existantes semble passer par une forme d’économie (SCOP, SCIC) moins dépendante des financements publics. Cependant, la logique entrepreneuriale est potentiellement en contradiction avec l’approche sociale et territoriale de l’association qui tente d’ouvrir un espace d’échange ouvert et gratuit (accueil inconditionnel) sur le terrain. La logique de prestation de service peut-elle être compatible avec la transformation sociale et la participation des habitants ? Le mécénat est présenté comme un moyen d’articuler ces logiques sans faire peser le poids du financement de la structure aux habitants. C’est une des voies qui semble les moins contraignantes, pourtant, fonctionner sur la base des appels à projets et des fondations impose une visée à court terme, un rythme de gestion serré et une trésorerie sous pression. Est-il possible d’envisager une forme d’autonomie économique qui ne soit pas déliée de la dimension sociale et territoriale ? Autrement dit, comment penser l’articulation entre l’action associative, les habitants du territoire et la maitrise des contraintes économiques d’une localité ?
Le territoire dit « sinistré économiquement » n’est-il pas une opportunité de penser du lien social non centré sur l’économie, et d’en faire émerger de nouvelles formes de vie, de liens et d’interdépendances dont découleraient des échanges économiques non concurrentiels et maitrisables à l’échelle locale ?
L’association a su se saisir des problématiques locales et travailler avec les habitants, dans une logique de participation directe, sans recourir à des formes instituées de dialogues qui accentuent la séparation entre les techniciens et la population. Ceci est possible dans la mesure où elle conçoit son lieu comme un espace ouvert et pluridisciplinaire (et non un lieu fermé sur une pratique, une filière, un métier, une culture, un type de public…). L’association est cependant au cœur de plusieurs tensions. Elle semble osciller entre une démarche d’expertise qui se retrouve parfois dans la pratique de l’accompagnement des parcours professionnels (liée à la logique de prestation), et une démarche de l’immanence, qui laisse émerger les projets depuis leur terrain (logique de l’autonomie territoriale). Le risque est d’intercaler les compétences expertes du travail social et du développement économique entre les pratiques d’autonomisation de la population. Comment aider l’auto-organisation et instrumentaliser l’association, non pas au service d’élus ou d’experts locaux, mais au service d’une prise des habitants sur ses conditions matérielles et sociales d’existence ? Comment sortir de l’injonction à la participation des habitants (démocratie participative) tenue par les techniciens, pour aménager un environnement propice à la liberté de parole, d’échange, d’organisation, à des pratiques économiques, sociales et politiques gérées directement par les habitants d’une localité ?
Une des voies que l’association semble prendre, pour ce faire, est de s’approprier et de redéfinir la notion de service public, en sortant de l’opposition public / privé, pour penser une activité d’accueil de la population, propre à un tiers-secteur, échappant autant aux contraintes publiques qu’à l’économie privée.
Plus en interne, l’association La Palette travaille à ouvrir des espaces réflexifs pour penser l’agencement des différents métiers qui l’habitent : administrateurs, salariés, bénévoles, parents, enfants, professionnels, nouveaux arrivants… Quelles sont les zones de frottement et de recouvrement entre ces différentes manières de vivre un territoire ? Quel territoire constituent ces différents métiers ? Quelles pratiques, liens, et manières d’habiter un territoire fondent une expérience commune et la construction sociale d’une localité ? Impulser ces questionnements en lançant des enquêtes sociales autonomes est un moyen de faire émerger une culture locale commune et une production de connaissances qui partent du terrain. C’est une manière de dire que l’autonomie économique et territoriale recherchée par ailleurs passe aussi par une forme de production de savoir autonome.
Enfin l’association et sa localité semblent se renforcer grâce à la mutualisation de ressources (compétences, savoirs, pratiques) notamment par le réseau TELA. Cette dimension réflexive à l’échelle d’un territoire plus grand (département) est utile pour peser sur les financeurs, être mieux considéré par les partenaires et les autres entreprises employeuses, tout en changeant d’échelle dans la réponse aux appels à projets et dans la demande de subvention, et en réfléchissant à un modèle économique commun, à de nouvelles prestations qui font sens, grâce à la puissance du réseau. Là aussi, cela devient possible par une pratique de l’espace (tiers lieu / hors lieu / sans lieu), qui sort de la logique gestionnaire et sectorielle, pour s’organiser autour d’une démarche réflexive et mutualiste commune.
Contact
9 Place de la Poste – 23900 Dun-le-Palestel