La problématique

Pour de nouvelles centralités populaires

Le tiers-secteur ne peut pas se penser comme une alternative s’il ne se conçoit pas déjà comme levier de transformation sociale interrogeant l’ensemble des secteurs de la société, pas simplement le milieu associatif. Quel que soit l’intérêt d’expérimentations locales s’inscrivant dans des logiques d’autoproduction, de circuits courts, de démocratie locale, de tiers-lieux vivants, toutes ces initiatives ne resteront que des îlots séparés du reste de la société tant que ne sera pas introduite cette possibilité d’articuler des tiers-espaces de la pensée et de l’action, aussi bien dans le milieu associatif que dans les autres milieux socio-économiques. C’est ce que nous entendons sous la dénomination de « centralité populaire », c’est-à-dire la possibilité pour les acteurs populaires au sens large du terme (ceux qui se définissent dans un rapport de production et cherche à orienter le sens à travers une stratégie et un savoir sur les pratiques), de concevoir et de développer des configurations écosystémiques reprenant toutes les dimensions de la vie (rapport au travail, à l’habitat, à la santé, à l’éducation, à la culture, etc.) dans un équilibre cohérent d’échanges qui peuvent s’inscrire dans une logique marchande, non-marchande ou non monétaire.

Notre préconisation principale serait de déplacer les centralités. Que serait une centralité populaire sur les territoires ? Un autre rapport au travail, différent des centralités ouvrières des années 70 avec les mairies PC, où il y avait une harmonie entre le rapport au travail, à la ville ? Cette cohérence ouvrière passée n’existe plus, mais qu’est-ce qui la remplace aujourd’hui? C’est l’objet du laboratoire social, expérimenter une nouvelle centralité. C’est le lieu où l’on penserait le rapport au territoire, au travail, au développement local.

Notre démarche est au service des associations qui souhaitent redevenir motrices, et retrouver leur rôle initial d’éducation populaire, de transformation sociale et de production de savoir.

Pour un positionnement relatif à des scénarios prospectifs

Nous avons fait le constat, à travers cette approche globale, de la difficulté de sortir des pensées d’opposition binaire entre les logiques économiques privées et publiques et les logiques de gouvernance verticale et horizontale. Si l’association a une difficulté à se penser comme une alternative et donne plutôt l’impression de se vivre comme une « forme subie » et façonnée par les conditions extérieures, cela renvoie sans doute à la double contrainte historique entre la formation des réseaux associatifs et la professionnalisation du militantisme, double contrainte enfermant les stratégies professionnelles et associatives dans des logiques sectorielles.
C’est pour cela que nous pensons que les solutions alternatives ne peuvent pas provenir uniquement des ressources internes des secteurs associatifs concernés. Il ne s’agit pas évidemment de renier toute la culture historique et le patrimoine commun notamment incarnés par l’histoire de l’éducation populaire mais de pouvoir réintroduire une pensée de l’extériorité de cette forme sectorielle pour trouver des alternatives. Autrement dit, l’association ne peut pas se penser comme alternative à partir de son champ d’appartenance.
La reconfiguration d’une pensée et d’une action associative passe par la compréhension des problèmes qui la traversent comme des supports d’une analyse critique interrogeant les autres champs socioprofessionnels et d’engagement citoyen. C’est dans la possibilité d’intervenir sur ces autres champs que l’association pourrait elle-même sortir de l’ornière dans laquelle elle semble embourbée lorsqu’elle constate ses difficultés à la fois économiques et de mobilisation de ressources humaines.
Ainsi il nous a semblé intéressant, au lieu de partir de stratégies associatives selon des cadres de pensée et d’action déjà formatés par les logiques économiques préexistantes, d’essayer d’échafauder différents types de scénarios qui peuvent croiser l’ensemble des acteurs d’un territoire. Ce sont les scénarios de développement de la transition, de la métamorphose et de l’effondrement sachant qu’ils peuvent bien évidemment se combiner dans des situations multiples entre aménagement du modèle capitaliste libéral dans une logique de développement durable, transformation de notre manière de faire société selon le modèle des « communs » et déprise du système socio-économique actuel pour recomposer des formes autonomes d’organisation.
La proposition de la recherche-action serait ici de croiser les thématiques du champ associatif et de la connaissance (gouvernance, activité/travail, territoire, espace de réflexivité) que nous avons présentées plus haut avec les problématiques transversales de ces scénarios pour pouvoir dégager des expérimentations sur le territoire régional.

S’il convient de constater que nous sommes dans une période de mutation, des mots différents viennent pour la qualifier et orienter en conséquence les stratégies. Nous proposons de dessiner trois scénarios : la transition, la métamorphose et l’effondrement.
Notons que ces scénarios sont des outils d’analyse critique des rapports socio-économiques, mais ne prétendent pas à une vision totalitaire de la société (il n’y a pas à choisir l’un ou l’autre). Ils peuvent se combiner ou se juxtaposer sur un territoire par exemple entre des pôles d’attractivité (transition) et des zones de déprises (effondrement).

Proposer aux associations de travailler autour de ces scénarios est une manière de les aider à se positionner par rapport à leur environnement, leur extériorité.

La transition

Dans la transition nous serions plutôt dans un aménagement du modèle capitaliste libéral existant qui vise un mieux-être social et à minimiser les impacts nocifs en matière écologique. Nous y retrouvons l’orientation d’un développement durable, d’une économie contributive et d’un business social.
Nous l’entendons donc comme une transition néolibérale, une forme d’entrepreneuriat social dans la droite ligne de la logique de marché, une rencontre entre l’offre et la demande de biens et de services sur une base contractuelle régie par le calcul d’intérêt des deux parties prenantes. Il s’agit également de l’avènement des partenariats publics/ privés, et un paradigme basé sur l’engagement individuel.

La métamorphose

L’idée de métamorphose indiquerait que nous sommes dans un changement de nature dans notre manière de faire société et qu’il faut réinventer les modèles sociaux, économiques et de gouvernance. Ici se place toute une partie des débats des expérimentations autour des « communs » et du « communalisme ». Le mouvement des « tiers lieux » est assez symptomatique de cette tentative de repositionner le commun comme une forme économique dépassant l’opposition entre l’économie privée et l’économie publique.
Nous entendons donc la métamorphose comme un mode de redistribution selon une gouvernance collective, la production étant répartie par une autorité collégiale (pouvant parfois se substituer à l’autorité centrale) afin d’instaurer une procédure pour les prélèvements et leur affectation. Ceci peut donc représenter une alternative radicale ou, au contraire, s’articuler entre le social et l’économie libérale dans une posture de production de biens et de services. La métamorphose est liée avec le principe de réciprocité : la relation entre des groupes ou des personnes est basée sur la volonté de manifester un lien social fortement régi par la complexité des rapports humains mus par des enjeux de pouvoir et de reconnaissance.

L’effondrement

L’idée d’effondrement pose en premier lieu la question de l’autonomie et de l’autogestion par rapport aux formes économiques mondialisées conduisant à un seuil de non-retour dans l’accroissement des inégalités, l’épuisement des ressources planétaires, la réduction de la biodiversité et la ségrégation territoriale des populations. Le système provoque alors des zones d’effondrement où des formes d’organisations solidaires apparaissent comme manière de dépasser une logique de survie. Dans ces territoires sans emprise et auprès de ces populations délaissées, se croisent des fonctionnements d’autosuffisance dictés effectivement par la survie, mais également des explorations dans la recherche d’une autonomie. Cette zone appelée « économie grise » ou « économie informelle » est rarement prise en compte dans la reformulation d’un modèle économique ou alors uniquement de manière négative et misérabiliste.
Nous entendons l’effondrement comme porteur d’une économie populaire autonome, où l’ensemble des activités économiques et des pratiques sociales développées par les groupes populaires en vue de garantir, par l’utilisation de leur propre force de travail et des ressources disponibles, la satisfaction des besoins de base, matériels autant qu’immatériels.