Jean-Marc Vengeon est guide de haute montagne, voyageur impénitent et docteur-ingénieur en mécanique des roches (éboulements, mouvements de versants comme à Séchilienne…), la montagne est le fil conducteur de tous ses choix de vie.
À la naissance de notre premier fils Antoine en 1998, ma femme Véronique et moi avons jeté l’ancre à Saint Mury Monteymond, un village des balcons de Belledonne. Nos trois fils ont fréquenté avec bonheur l’école communale, et nous ont aidés à commencer à nous intégrer dans une vie locale dynamique (association de parents d’élèves, MJC St Mury – Ste Agnès, conseil municipal, Au Fil de Belledonne et Espace Belledonne…).
Enfant, je passais mes vacances en Chartreuse, avec beaucoup de randonnées en famille et Belledonne pour nous c’était la haute montagne. C’est raide, c’est un peu austère. La montagne est plus sombre ici à cause de la roche. Il reste des névés l’été… Effectivement, Belledonne c’est la « petite haute montagne » sans les gros glaciers, mais à portée de la ville, c’est un échantillon en modèle réduit des Alpes.
LE LOINTAIN PROCHE
C’est moi qui incite les clients à venir faire des courses d’alpinisme sur Belledonne. En insistant sur sa proximité, qu’il y a peu de monde, que c’est une bonne préparation, etc. C’est un jardin secret que tu fais partager même s’il est à une demi-heure de Grenoble et du TGV. En tant que guide ma pratique n’a pour l’instant pas du tout été axée sur Belledonne, plutôt sur les voyages et les incontournables massifs alpins majeurs. Je commence maintenant à développer cet ancrage local. Les gens viennent avant tout pour des pratiques de ski ou autour des stations, des équipements. Il s’agit de leur faire découvrir autre chose. Il y a déjà quelques sites d’escalade en Belledonne, mais je projette de développer maintenant une offre de sites écoles et d’itinéraires à partir du refuge Jean Collet pour que les gens se fixent un peu. On peut jouer la carte du lointain proche, aménager une sorte de sas, monter en refuge et faire une course.
LA MONTAGNE AU BALCON
Le balcon de Saint-Hilaire n’est pas vraiment plus bourgeois qu’ici, mais ce sont deux ambiances différentes il est beaucoup plus ensoleillé. Il y avait plus d’emplois à l’époque des sanatoriums. Sur Belledonne à partir du XXe siècle les gens sont pluri actif avec une économie paysanne combinée avec des emplois en en vallée dans le commerce et l’industrie (quincaillerie et papeterie). C’est une activité pendulaire en complément de la ferme. Nous ne sommes pas dans des endroits où il y a des immenses alpages débonnaires, on est très vite confronté la montagne.
UNE IDENTITÉ À TROUVER, LA PASSION EN HÉRITAGE
Sans grande identité publique, Belledonne est obligé d’inventer autre chose. Ça peut être considéré comme une contrainte, mais ça peut être une opportunité aussi, on n’est pas attaché à un héritage. Il y a des gens qui sont nostalgiques de Belledonne sauvage sans trop d’équipements. Il y a une nouvelle génération d’alpinistes, grimpeurs et randonneurs qui veulent partager leurs pratiques, qui font des topos qui partagent sur Internet. Petit à petit c’est en train de devenir un massif de pratiques normales, mais pas à travers les institutions, à travers les pratiquants.
LIBRE OU AMÉNAGÉ, NATUREL OU ARTIFICIEL, SAUVAGE OU DOMESTIQUE, ROOTS OU MAINSTREAM
Il y a un débat sur jusqu’où il faut équiper les voies d’ascension. Soit ce sont les grandes voies soutenues assez difficiles et donc équipées ou alors tu fais un itinéraire et tu équipes là où ce n’est pas possible de se protéger facilement. On est donc dans un entre-deux. Si tu fais une ascension et que tu ne l’équipes pas, tu dis simplement ce que tu as utilisé et les gens font leurs choix. Si tu commences à laisser du matériel en place, tu veux faciliter le parcours de ta voie. C’est à la fois garder un plaisir pour soi et rendre accessibles une pratique. On peut faire des choses un peu austères et élitistes. Il y a de la place cela n’empêche pas de flécher en parallèle des parcours plus faciles.
MANIFESTATIONS ÉVÉNEMENTIELLES ET NOUVELLE ÉCONOMIE
Le trial de Belledonne (Échappée Belle) est en chemin hors-piste. Ce genre de performance athlétique a des limites physiques. Ces pratiques de masse posent quelques problèmes de partage de territoire avec les bergers. Mais en termes d’image, c’est un dynamisme qui apparaît porteur. La proximité des métropoles facilite aussi l’accès. Ce sont les stations de ski qui font encore l’économie de montagne alors que le tourisme vert diffus est difficile à chiffrer. Dans les stations il y a aussi les emplois secondaires puisqu’il faut nourrir et loger les saisonniers. C’est la partie visible. Mais ce qui se développe aujourd’hui, ce sont des zones touristiques hors stations. C’est difficile de construire une unité territoriale alors que certaines communes ont leur agenda propre et pas forcément très lisible (comme Chamrousse). Quelle place peut prendre le parc régional par rapport à l’importance économique de la vallée ? Il peut avoir un rôle de pivot.
MODÈLE DE GOUVERNANCE
L’espace Belledonne a proposé un siège pour les accompagnateurs et guides en tant que groupe socio-économique professionnel sur le territoire. Cela a permis de créer une sous-section des guides et accompagnateurs de montagne au sein de l’association « Au Fil de Belledonne », qui regroupe les petits acteurs du tourisme et de l’accueil de Belledonne. Ça permet de commencer à structurer ces professions sur Belledonne. Le territoire a besoin d’interlocuteurs dans les professions de montagne.
Il faut accepter le principe qu’il existe des tensions entre communautés sur le territoire et ne pas s’interdire certains sujets pour chercher ensemble un terrain d’entente, surtout si on veut favoriser une dimension d’accueil.
Par exemple, les conflits d’usage avec les chasseurs sont récurrents et parfois dramatiques. Dans le partage du territoire, il y a une façon de dire aux autres qu’on les a pris en compte, dans les règles qu’on se donne et qu’on respecte effectivement. Ce degré de vivre ensemble est à construire. Je ne me sens pas toujours en sécurité dans la forêt quand je croise des chasseurs qui ne prennent pas la peine de casser leur fusil pendant leurs déplacements, même sur des itinéraires de randonnée fréquentés. La chasse fait partie de la tradition des territoires de montagne, mais elle doit s’adapter au territoire d’aujourd’hui avec les diverses pratiques. Une place n’est jamais due, cela se mérite. Il serait de l’intérêt de tous et des chasseurs en premier de chercher des solutions ensemble sur le territoire plutôt que d’attendre qu’elles soient imposées de Paris après un fait divers sanglant de trop. Il peut y avoir des cartographies informatives sur les zones de pratiques comme les zones de chasse ou de balade en fonction des saisons ? Ou des jours sans chasse le week-end ? Il manque une base partagée. Chacun doit apprendre à se respecter et à connaître l’autre et faire de l’application de ces règles une fierté, une sorte d’identité revendiquée comme un label de qualité.
Jean-Marc Vengeon, entretien avec Hugues Bazin, Belledonne, novembre 2015
Les Chronique Obliques sont basées sur des rencontres déambulatoires avec des acteurs/habitants du territoire. Chaque visite s’ouvre sur un paysage intérieur et extérieur. Chaque déambulation donne lieu à un article publié sur le blog. Cette chronique constitue la trame d’un récit collectif qui enrichit une cartographie et un outillage conceptuel et méthodologique entre forme écrite et physique, matérielle et immatérielle pour les Rencontres Obliques de Belledonne.