1 juillet 2009

L’offre culturelle dans l’agglomération centrale (Paris)

Par Hugues Bazin

Inscription territoriale des lieux culturels – Etat des lieux et propositions pour une politique culturelle partenariale renforcée

L’Atelier parisien d’urbanisme est heureux de vous inviter à participer à sa première table-ronde débat portant sur le thème « Projets culturels et ancrage territorial »
Mercredi 1er juillet à 9h
Salle du Jury du Pavillon de l’Arsenal
21, boulevard Morland 75004 Paris


NOTE DE CADRAGE

Contexte

Les table-rondes s’inscrivent dans le cadre d’une nouvelle série de réflexions conduites par l’Atelier à l’échelle métropolitaine pour un partage des expériences et des pratiques en matière de politiques culturelles entre les quatre départements de l’agglomération parisienne. Elles correspondent au troisième volet d’une étude, inscrite au programme de travail de l’Atelier pour l’année 2009.

Objectifs de l’étude en cours

  • Volet 1 quantitatif : Il s’agit de montrer l’état actuel de l’inscription territoriale des lieux et équipements culturels (production, diffusion et formation) dans l’ensemble des champs culturels (théâtre, arts vivants, arts plastiques, cinéma, lecture publique, musique, cirque, arts de la rue, patrimoine) à Paris et dans les trois départements limitrophes (92, 93 et 94) ;
  • Volet 2 qualitatif : Il s’agit de faire apparaître les relations et les modes d’interactions entre culture et territoires, notamment, à travers l’analyse des réseaux de lieux ou d’acteurs culturels, les entretiens avec des professionnels ou experts du secteur. Ce volet sera particulièrement traité par la conduite d’enquêtes sur des « « zones test » (actuellement Montreuil, Bagnolet et Paris 20ème sont en cours d’expérimentation) ;
  • Volet 3 propositionnel : Il s’agit d’aboutir à des orientations pour une nouvelle approche de l’art et de la culture en ville. En particulier, les propositions envisagées viseront à intégrer et à donner une place effective aux nouvelles formes d’expression culturelles, en particulier dans la programmation de l’aménagement de la ville (polyvalence et usages des équipements, fonctions des espaces interstitiels, usages des espaces publics, temporalité des projets d’aménagements, impact des politiques culturelles d’équipements, connaissance des nouvelles formes de production et de diffusion culturelles dans l’agglomération).

Méthodologie

Le volet 1, destiné à recenser et à localiser géographiquement les principaux équipements culturels de l’agglomération, s’appuie sur la base de données des équipements de l’Atelier, à laquelle s’ajoutent les résultats d’enquêtes de terrain complémentaires. La production cartographique distingue, pour chaque champ culturel, les lieux de diffusion, de production et de formation.
Le volet 2, destiné à faire apparaître des occurrences et interactions territoriales dans la production et la diffusion culturelle à l’échelle métropolitaine, prend la forme d’interviews et d’enquêtes auprès des professionnels, collectifs d’artistes, organisateurs d’évènements, gestionnaires de sites, représentants de réseaux, et dont les productions et/ou modalités de fonctionnement font apparaître un lien fort entre culture et territoire.  Il s’agit également, dans cette perspective, de mieux connaître les publics, les fréquentations et les pratiques culturelles à l’échelle de l’agglomération.
Le volet 3, prospectif et propositionnel, correspond à l’organisation de table-rondes, réunissant chacune une vingtaine de personnes,  praticiens, porteurs de projets culturels, chercheurs, universitaires, élus, aménageurs, architectes, urbanistes, en vue de dégager des orientations d’actions pour un développement urbain favorable au développement culturel à l’échelle métropolitaine.

Hypothèses d’analyse

Hypothèse 1 : le rapport à l’offre culturelle, place et fonction de la culture dans la ville

Cette hypothèse porte sur le rapport que les territoires entretiennent avec leur offre culturelle, selon que celle-ci propose des lieux de production et/ou de diffusion, de la culture. En effet, selon la terminologie empruntée à Fabrice Raffin, distinguant « démocratisation » et « démocratie » culturelles , on observe un fonctionnement différent des lieux ou des équipements selon qu’ils présentent une production artistique achevée (ou considérée comme telle) au regard du public,  ou bien qu’ils proposent d’inviter le public au processus de création, considérant la culture comme le résultat d’échanges et d’interactions entre artistes, espaces et société.
Cette approche, consistant à distinguer les lieux selon leur pratique de la création artistique (donnée ou processuelle, en (co)-production ou en diffusion seule) permet d’établir une typologie différenciée des territoires. L’hypothèse avancée est celle d’une approche davantage processuelle dans les territoires sous–équipés en matière d’institutions culturelles, ou en quête de nouvelles identités urbaines (issues de récentes mutations socio-économiques par exemple), et d’une approche plus patrimoniale et muséale dans les territoires disposant d’une offre culturelle très dense, historiquement plus lisibles et visibles pour les publics (les quartiers centraux de Paris notamment).

Hypothèse 2 : le critère d’accessibilité

Les premiers entretiens et les résultats de la recherche documentaire ont fait apparaître un élément de comparaison récurrent entre les différents lieux ou équipements culturels : celui de leur accessibilité.

Cette accessibilité des lieux ou des évènements culturels peut  se décliner de trois manières :

  • l’accessibilité physique, qui se mesure par la desserte en transport en commun et le temps passé pour se rendre à l’équipement ou sur le lieu de la manifestation ;
  • l’accessibilité tarifaire, qui se mesure par rapport aux tarifs d’entrée pratiqués par l’institution ou l’association organisatrice de l’évènement (dans le cas des festivals) ;
  • l’accessibilité «cognitive », qui se mesure, entre autres, par le profil des publics fréquentant le lieu ou l’évènement (initiés, grand public, adultes, jeunes, étrangers…).

Ces travaux devraient notamment conduire à s’interroger sur les raisons des différences ainsi observées entre les territoires : sont-elles le fruit d’une stratégie (des élus, des acteurs culturels locaux, des associations) ou bien relèvent-elles de facteurs historiques ou socioculturels plus lointains (historique de l’urbanisation et du peuplement, héritage des politiques culturelles nationales et municipales, effets d’opportunités immobilières) ?

Eléments de prospective et propositions pour une politique culturelle partenariale renforcée

La culture et les politiques culturelles sont un levier fort de l’action politique locale. Outil d’aide à la cohésion sociale, moteur d’attractivité touristique et économique, instrument de promotion et de valorisation des territoires, la culture représente aujourd’hui, et les élus l’ont bien compris, un véritable enjeu de développement qui pourrait être fortement fédérateur dans le contexte de métropolisation de l’agglomération parisienne.
La question aujourd’hui est de savoir comment les territoires utilisent l’offre culturelle pour construire et promouvoir leur développement et leur identité ? En d’autres termes, il s’agit de repérer la dimension expressive, symbolique, de toute production ou diffusion culturelles, là où le projet urbain et le projet culturel pénètrent les représentations individuelles et collectives comme véritable repère de développement territorial.

Compte rendu de la Table Ronde du 1 Juillet 2009

PROJETS CULTURELS ET ANCRAGE TERRITORIAL

S’inscrivant dans le troisième volet prospectif de l’étude intitulée « L’Offre culturelle  dans l’agglomération centrale », cette première Table Ronde a réuni architectes, représentants d’élus ou membres de Cabinets, chercheurs et acteurs culturels, autour de questions relatives à l’enracinement territorial des initiatives culturelles.
Introduit et orchestré par Christiane Blancot, directrice d’études à l’Apur, et Barbara Chabbal, chargée d’études, le débat s’est ouvert à la suite de deux interventions : Olivier Meier, directeur du Festival de l’Oh! au Conseil général du Val de Marne, et Bénédicte Lafargues, directrice de la compagnie de théâtre de rue Méliadès, implantée dans une ancienne friche industrielle à Aubervilliers, la « Villa Mais d’Ici ».
Quatre grandes problématiques ont ensuite orienté la discussion.

I    DES POLITIQUES CULTURELLES QUI CORRESPONDENT ASSEZ MAL AUX PRATIQUES ACTUELLES ET APPARAISSENT SOUVENT TROP RIGIDES

A    La question des publics, ou comment évaluer les projets culturels ?

Pascale Thomas, directrice de Cabinet de Monsieur Pierre MANSAT, adjoint au Maire de Paris chargé des relations avec les collectivités territoriales limitrophes et de  Paris Métropole, ouvre le débat en posant la question de l’évaluation des projets culturels. Comment mesurer l’impact économique et social d’un équipement sur son territoire ? Pour les élus, la réponse se donne au moyen de chiffres : volume de fréquentation, profil des publics permettent de comprendre les logiques d’attractivité d’un lieu. De telles informations améliorent la lisibilité du territoire, et permettent de guider les politiques d’aides et de subventions en matière d’équipements. Niels Pedersen, conseiller auprès de l’adjoint au Maire de Paris chargé de la Culture, poursuit en affirmant que le manque d’informations en matière de profils de publics, de création d’emplois ou de taux de fréquentation, rend délicate la mise en œuvre de politiques culturelles ciblées.
Serge Haziza, délégué au service culturel de la ville de Montreuil, approuve cette nécessité d’obtenir des chiffres en évoquant toutefois d’autres arguments : tout équipement ne satisfait pas n’importe quel public. Adapter l’offre à la demande est un impératif : connaître cette demande, connaître ceux dont elle émane est tout autant nécessaire. Pour illustrer son discours, il évoque sa propre commune : en changeant de majorité, Montreuil a choisi de développer une offre culturelle axée sur l’équilibre entre les territoires, notamment dans le Haut Montreuil où les équipements sont nettement moins nombreux que dans le Sud Ouest de la commune. Ces initiatives manquent néanmoins d’information en matière de public et de demande. Serge Haziza souligne également les difficultés de communication rencontrées par acteurs culturels : la visibilité des équipements reste à améliorer, de même que leur coopération.

B    Le caractère figé et segmenté des politiques culturelles

Christophe Pasquet, fondateur de l’association « Usines Ephémères » soutient cette idée en dénonçant le caractère extrêmement figé des lieux, des liens qu’ils entretiennent avec les municipalités, voire même, de leurs rapports entre eux. Selon lui, l’ambiance hermétique dans laquelle se construit la ville entrave le développement des activités culturelles de proximité : coller une étiquette sur un bâtiment lui semble néfaste dans la mesure où l’établissement peut toujours se reconvertir. Logements, commerces, bureaux, équipements, ateliers et usines sont voués à évoluer, à changer de statut dans le temps, dans un souci de constante adaptation. Cette souplesse est indispensable en matière de lieu culturel dans la mesure où leur évolution les rend de plus en plus interdisciplinaires. Les travaux de Christophe Pasquet illustrent ce propos puisqu’il s’agit de reconvertir des friches industrielles en lieu de production et/ou de diffusion culturelle pour des périodes plus ou moins longues sur un territoire donné.

C    Les blocages liés aux processus de concertation

Clément Praud, coordinateur du réseau MAP (Musiques actuelles à Paris) conteste lui aussi le manque de souplesse qui régit les décisions publiques. En ce qui concerne les musiques actuelles, une concertation permanente des riverains devient un frein au développement d’esthétiques parfois  mal perçues, et donc, mal reçues, par le voisinage immédiat des lieux de diffusion. Les problèmes liés aux nuisances occasionnées par les salles de concert implantées au cœur des quartiers paralysent souvent le dynamisme territorial que ces mêmes lieux pourraient faire naître. En outre, l’application récente de la loi Evin, qui prohibe la consommation de tabac dans les bars, discothèques et cafés accentue le problème des nuisances puisque les fumeurs se retrouvent en dehors du lieu, dans l’espace public, créant attroupements et bruits. Cette réalité pose véritablement problème aux espaces musicaux qui partagent souvent les fonctions de salle de concert, de bar et/ou de restaurant. Les craintes de nuisances sonores apparaissent comme des facteurs de blocage à l’encontre du développement de lieux de diffusion de certaines esthétiques musicales.
Ces interventions mettent en relief les difficultés de mise en œuvre des politiques culturelles. Les objectifs visés par les uns et les autres sont souvent contradictoires, de sorte qu’un manque de compréhension s’instaure entre acteurs culturels et décideurs politiques. Le manque de connaissance des pratiques d’une part, et la grande rigidité administrative à laquelle se confrontent les praticiens de la culture, d’autre part, font toutefois consensus parmi les participants. A cela s’ajoutent des difficultés relatives aux questions d’inscriptions territoriales inégales des lieux culturels à l’échelle de la Métropole.

II    UNE INSCRIPTION TERRITORIALE INÉGALE DES LIEUX, L’OPPOSITION PARIS-BANLIEUE

Très rapidement, le débat s’est orienté vers les questions d’ancrage territorial et d’inégalités des lieux culturels selon qu’ils se trouvent au centre ou en périphérie (« Paris » contre « Banlieues »).

A    Des fonctionnements communaux différents

Christophe Pasquet évoque les problèmes d’inégalités perceptibles dans le fonctionnement même des lieux selon qu’ils sont implantés à Paris ou en Petite Couronne. Il mentionne notamment la question des horaires d’ouverture des débits de boisson, lesquels sont généralement fermés après minuit en banlieue. Cette entrave est conséquente puisqu’il est difficile d’attirer les publics parisiens pour des évènements dont la prolongation conviviale et festive se trouve ainsi altérée. Ce type de différenciation entre Paris et sa banlieue est de nature à freiner l’attractivité de la seconde, la plaçant dans une position inégalitaire.

B    Des rapports aux élus différenciés

Bénédicte Lasfargues met en avant la grande ambigüité, et le caractère complexe, qui anime les relations entre acteurs culturels et Municipalités en Petite Couronne. La décentralisation a en effet permis leur rapprochement, mais il n’est pas gage de neutralité. Accéder aux élus, leur faire part de demandes se fait de façon simplifiée mais rien de garantit leur soutien objectif : paralyser les projets devient alors très facile. Une municipalité qui n’approuve pas les actions des artistes de rue par exemple, gèlera toute demande d’aide, toute initiative devant se dérouler dans l’espace public par exemple, ce qui peut vite devenir problématique pour les compagnies relevant de ce champ implantées dans la commune : chaque changement de majorité demande un important investissement de communication, une démarche commerciale qui obère d’autant plus le temps dévolu à la production artistique proprement dite. En revanche, lorsque les relations sont bonnes, les liens sont efficaces et fructueux. Cette réalité est particulièrement vraie dans les communes périphériques dans la mesure où l’offre demeure moins large que dans la capitale : à Paris, la densité des projets camoufle leur individualité, de sorte que les rapports établis avec la municipalité peuvent paraître « plus anonymes » et par conséquent, plus « neutres ».

C    Une accessibilité réelle ou supposée problématique

Le problème des transports et de l’accessibilité demeure vif. Christophe Pasquet donne pour exemple sa propre expérience : travaillant à la fois à Paris et à Saint-Ouen (le « Point Ephémère » dans le 10ème arrondissement et le collectif « Mains d’œuvres » à Saint-Ouen), il observe des taux de fréquentation pouvant varier de 1 à 10 suivant la localisation de l’évènement. L’image des territoires périphériques, réputés moins accessibles que les quartiers parisiens, impose des politiques différentes en matière de communication, reflet du déficit de visibilité qui marque singulièrement les équipements de Petite Couronne.
Olivier Meier revient sur cette nécessité de changer l’image des territoires : le Festival de l’Oh! participe par exemple à la composition d’une identité départementale en faisant coopérer les communes souhaitant prendre part à l’évènement. La culture est conçue comme un lien capable de rapprocher les territoires, de les mettre en relation. A travers la Marne et la Seine, à travers l’eau en général, le festival bâtit une identité spatiale qui cherche à unir les participants autour d’éléments fédérateurs. Une telle initiative est particulièrement intéressante à l’heure où les frontières du Paris Métropole cherchent à se mettre en place en fondant leur légitimité sur une identité collective, dans une sorte de rapport commun au territoire.
Claude Cohen, chercheuse au CNAM, nuance toutefois ce propos : elle souligne le manque de fluidité qui marque le Festival de l’Oh! : les visiteurs restent souvent dans leur propre commune et les déplacements entre embarcadères et escales semblent se faire plus difficilement. Les territoires demeurent partagés, éloignés : seule leur participation administrative et financière au Festival semble les rapprocher pour le moment.
D’autres acteurs, tels que Selma Toprak, coordinatrice du réseau Tram, soulignent la propre capacité des œuvres à trouver leurs publics : comme l’évoque Barbara Chabbal, il semblerait que l’accessibilité en transports en commun ne soit pas si structurante qu’il y paraît. A partir du moment où un lieu parvient à capter l’attention de son public, ce dernier trouvera les moyens de s’y rendre. A cet égard, Selma Toprak ajoute que l’objectif des Taxitram n’est pas tant de transporter les publics que de leur faire connaître un lieu, et leur donner l’envie d’y revenir par ses propres moyens.

D    La capacité à produire une mémoire collective

Alexandre Ribeyrolles, président de la Fédération des Arts de la Rue en Ile-de-France, souligne le fait suivant : on ne peut aller à l’encontre de la centralité parisienne. Pour lui, le véritable enjeu réside dans le terme « collectivement ». L’appropriation territoriale existe à partir du moment où les publics s’emparent du lieu pour le vivre ensemble, l’habiter « collectivement », en composer une mémoire « collective ». Dés lors, ce n’est plus tant la question de l’accessibilité qui transparaît que celle du partage autour de l’œuvre artistique. Comment créer ce partage ? Comment faire naître ce « collectivement » ?
L’intervention de Bénédicte Lasfargues permet d’entrevoir une réponse à ce questionnement. La compagnie Méliadès se produit énormément dans des quartiers dits « sensibles », et notamment dans des cités, tant à Paris qu’en Petite Couronne. Les comédiens commencent par investir les lieux en s’installant dans un ou plusieurs appartements : le spectacle est progressivement monté avec l’aide des habitants de la cité qui tout à coup, prennent l’ascenseur avec des artistes, leur apportent du café, leur font la conversation, et vivent avec eux. Cette proximité bâtit du lien social que la représentation du spectacle vient matérialiser au bout de quelques mois. L’expérience du « collectivement » prend alors toute son ampleur.
Ces questions soulèvent une troisième thématique que les participants à la Table Ronde cherchent également à mettre en valeur : l’espace public représente un vivier d’expériences et de défis pour les artistes qui s’interrogent sur son rôle dans la ville et plus particulièrement, sur les capacités de cette dernière à faire naître des « moments culturels partagés ».

III    L’ESPACE PUBLIC EN QUESTION, RÔLE ET FONCTION DE LA CULTURE EN VILLE

A    L’importance de la place publique et des espaces interstitiels en zone urbaine dense

La discussion aborde le rôle de la place populaire et publique, à travers l’intervention d’Alexandre Ribeyrolles : place de fêtes, lieu de socialisation, espace ouvert et transformable, la place publique est un lieu privilégié pour les artistes de rue.
Le président de la Fédération des Arts de la Rue dénonce l’absence de « place » (lieu) et de « place » (espace) répondant à ces critères, surtout à Paris. Mobiliers urbains fixes, plots de voirie, circulations de voitures, empêchent les artistes et les habitants de la ville de s’emparer des lieux dans un esprit déambulatoire, convivial et festif. Selon lui, la Petite Couronne offre davantage d’opportunités de ce point de vue.
Christiane Blancot, analyse ce problème en deux points : prenant la parole en tant qu’urbaniste, elle affirme que deux idées l’obsèdent souvent lors de la réalisation d’un projet urbain. La première est l’obligation qui lui est faite de « combler les vides », dictée par une certaine forme de « peur du vide » de la part des décideurs. La seconde est la volonté de créer de « l’animation » coûte que coûte. La question est la suivante : ne faut-il pas renverser ces logiques, le vide devenant un luxe, une brèche dont les artistes s’emparent, qu’ils investissent et transforment en lieux de création et de diffusion ?
L’expérience de Julie Pagnier, coordinatrice aux Laboratoires d’Aubervilliers rejoint parfaitement cette idée. L’exemple du Musée Précaire réalisé par l’artiste suisse Thomas Hirschhorn est un modèle en matière d’investissement de l’espace public par les artistes et les habitants (commune d’Aubervilliers): sous la gouverne de l’artiste, un vingtaine de jeunes volontaires, habitants du quartier, ont fabriqué de toute pièce un musée éphémère, à l’aide de matériaux précaires, tels que de la taule ondulée, des palettes etc., implanté dans l’espace public.  Après avoir suivi une formation avec le Centre National d’Art Moderne Georges Pompidou, ces mêmes jeunes sont allés chercher à Beaubourg les œuvres d’artistes ayant marqué le parcours professionnel de Thomas Hircshhorn : Malevitch, Dali, Le Corbusier, Mondrian, Léger, Duchamp, Beuys et Warhol furent exposés tour à tour, sur une période d’une semaine, pendant trois mois. Chaque semaine, conférences, ateliers, visites guidées animaient l’exposition, qui se clôturait par un grand repas collectif, préparé par les habitants du quartier du Landy, où se situait le musée précaire. Une telle initiative est unique : elle montre comment le dialogue instauré entre l’artiste et le public donne lieu à une expérience collective capable de faire vivre l’espace public, tout en lui rendant ses fonctions originelles.

B    Repenser des lieux et des espaces pour la production artistique

Clément Praud et Selma Toprak partagent cette vision du phénomène artistique : faire confiance aux artistes, les laisser séduire les publics par leur travail et recentrer les politiques sur les propres nécessités de création artistique constituent trois points majeurs permettant d’encourager le développement d’activités culturelles dans les villes.
Laurence Février, directrice de la compagnie de théâtre Chimène, insiste sur ce point, en soulignant qu’il s’agit d’un véritable besoin pour les artistes. Les comédiens manquent de salles aux capacités intermédiaires (jauge de 300 personnes environ), tant pour se produire que pour répéter et créer leurs spectacles : la comédienne affirme qu’il faut « réinventer le territoire de la parole acoustique », repenser les modalités de partage des salles ainsi que leurs programmations, souvent trop nombreuses, pour permettre un travail de qualité. Cette pénurie se retrouve dans chaque discipline, ce qui entrave nécessairement les activités de création de chacun, tous champs culturels confondus.

CONCLUSION : PROPOSITIONS

En conclusion, nous retiendrons quatre grandes idées propositionnelles à l’issue de cette première Table Ronde :

  • Rendre les politiques culturelles plus souples, dépasser la seule approche quantitative en termes d’évaluation des projets culturels.
  • Favoriser les interfaces communales en soutenant les politiques de communication afin de rendre les lieux et les territoires plus ouverts, plus visibles et moins hermétiques entre eux et vis-à-vis du public.
  • Rendre à l’espace public sa fonction originelle, celle d’un lieu de rencontre et de socialisation, en favorisant des « pratiques culturelles partagées » initiées et orchestrées par les artistes.
  • Encourager la mise en place de lieux de création, et non plus seulement de diffusion, en envisageant de nouvelles modalités de fonctionnement centrées sur l’échange et le partage (dans l’espace, mais aussi dans le temps, selon l’échéancier des programmes d’aménagement par exemple).