6 octobre 2024

Mix & Chic, Barbès – Château Rouge

Hugues Bazin, Préface du livre Mix & Chic, Barbès – Château Rouge, Xérographes Éditions, Paris : 2015, pp. 4-5.

Le micro-monde de quelques rues parisiennes de la Goutte d’Or entre
Barbès et Château-Rouge constitue un « Tout-Monde ». L’apparent
désordre du bazar n’est autre que l’expression de la vie même. Derrière
l’esprit de la fête et la devanture bariolée des échoppes, les ateliers
perpétuent l’art d’un marronnage culturel.

Il y a bien des façons de raconter la vie des gens et leur culture. L’équipe des Xérographes choisit l’exploration urbaine, celle des rencontres, de l’atelier collectif, sans doute la meilleure façon d’éprouver et de décrire les rues marchandes d’un quartier populaire.

L’apparent désordre du bazar n’est autre que l’expression de la vie même se régulant selon son propre écosystème. L’ouvrage participe à la reconnaissance de cette culture immatérielle comme biens communs de l’humanité menacés par les promoteurs immobiliers. Car cette combinaison libre de divers éléments, véritable kaléidoscope de formes, de pratiques, de sensations, est justement ce qui permet à la diversité de s’enrichir au sens propre comme au sens figuré. Puisqu’il s’agit bien sûr d’aménager au mieux la rencontre entre le client et le vendeur, mais dans la transaction se joue bien autre chose que des sommes sonnantes et trébuchantes. La constitution d’un soi par l’autre se frotte à la rugosité de l’altérité, la transaction du marché y offre une médiation. C’est une économie du lien, du plus proche au plus lointain, de plus commun au plus improbable, du voisin à l’étranger de passage.

Le micro-monde de quelques rues parisiennes de la Goutte d’Or entre Barbès et Château-Rouge constitue le « Tout-Monde » dont parle Édouard Glissant. Ce n’est pas des morceaux de pays du Sud dans une capitale du Nord tels que les cartographient ceux qui prétendent écrire l’histoire. C’est un récit collectif qui émerge au-delà des parcours individuels dans une grammaire de la multitude. Il nous permet de comprendre ce qui fait société aujourd’hui.

Le quartier n’a pas attendu les concepts de « territoire créatif » ou de « consommation collaborative » pour expérimenter d’autres manières de vivre. Du designer au concepteur de mode, du street-artiste au sérigraphe de sweetwear, des bijoutiers de parures aux coiffeurs, du tailleur couturier au maître brodeur dans cette émulation et excitation permanente, la frontière est d’autant plus poreuse entre artisans travaillant sur les matériaux et créateurs de nouvelles formes esthétiques.

La rue populaire a toujours été prescriptrice de mouvements novateurs et émancipateurs. Ces deux dimensions inséparables, à la fois particulières et universelles offrent un socle local et planétaire à l’instar du mouvement hip hop présent dans l’ouvrage et dont le langage précurseur il y a 40 ans est né aussi dans les quelques kilomètres carrés d’un quartier de New York. Bien souvent récupéré par l’industrie culturelle, ce dynamisme de la rue n’en reste pas moins un véritable chaudron où se mélangent toutes les influences et toutes les disciplines.

La légèreté de la mode est nécessaire à la profondeur de l’engagement et réciproquement. Elle participe de ses « inventions silencieuses » du quotidien comme les nommait Michel de Certeau où se logent des traces de créativité qu’aucun système, politique ou économique, ne parviendrait jamais à anéantir. Derrière l’esprit de la fête et la devanture bariolée des échoppes, les ateliers perpétuent l’art d’un marronnage culturel.

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