Réf Biblio
Bazin Hugues, « Laboratoires sociaux par la recherche-action » in « Actes de la journée Recherche en Action et Posture(s) », Éditions et Presses Universitaires de Reims (EPURE), à paraître fin 2019.
Le décentrement et l’autonomisation de tiers espaces de la recherche et de l’action impliquent de créer ses propres référentiels d’analyse et d’organisation résistant à l’imposition de formes normatives et amènent les structures à créer une extériorité vis-à-vis de leur propre fonctionnement.
Sommaire
Un positionnement éthique, épistémologique et méthodologique
Le principe de notre laboratoire social n’est pas de partir de la posture du chercheur, mais celui de l’acteur en recherche. Ce qui amène chacun, acteur comme chercheur à opérer un décalage vis-à-vis de son champ d’appartenance social et professionnel et la manière de produire un savoir.
Effectivement, cette position d’acteur-chercheur indique d’une part une disposition à ouvrir un espace réflexif sur sa propre expérience et d’autre part que la production de savoir issue de cet espace réflexif peut être mise au service directement d’un processus de transformation sociale amenant une modification des pratiques, mais aussi du fonctionnement des structures et des rapports sociaux.
« Acteur-chercheur » n’est donc ni un statut ni une profession, mais un aller-retour entre un mode d’implication et un mode de réflexion, un chemin de crête nécessitant un équilibre permanent entre ces différents modes d’existence. S’il n’existe pas de méthodologie type, le travail d’écriture, l’entretien autobiographique, l’enquête conscientisante, l’atelier de recherche-action, la formation-action peuvent être saisis pour nourrir ce cheminement.
Si nous partons du principe que toute personne est en mesure de produire un savoir sur sa pratique, se pose alors la question comment ce savoir peut paraître légitime au même titre qu’il existe un savoir universitaire institutionnel ou un savoir technicien professionnel.
Cela n’est possible qui si nous ouvrons un « tiers espace » de la recherche. C’est ainsi que fut créé par un regroupement d’acteurs-chercheurs le « Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action ».
Exemple d’un laboratoire social
Le collectif « Rues Marchandes » est né de la nécessité de répondre à la situation des récupérateurs-vendeurs de rue de Paris et de la proche banlieue soumis à la discrimination et à la répression.
Il regroupe des chercheurs, des associations qui ont pour rôle d’organiser des marchés, des récupérateurs-vendeurs eux-mêmes, des professionnels souhaitant s’impliquer dans la reconnaissance de ce métier ou encore d’autres collectifs se focalisant sur les questions d’appropriation de l’espace, sur la gestion des déchets, etc. Il essaie de croiser ces savoirs dans une formation-action ou autoformation réciproque et continuelle en mettant en commun les compétences professionnelles, les parcours d’expérience, les cultures des uns et des autres. C’est ainsi que nous avons été amenés à développer des ateliers avec les récupérateurs-vendeurs.
Cette praxis permet de construire au sein du groupe des relations qui sont basées avant tout sur une posture réflexive et non sur un statut social permettant de développer une analyse critique des rapports sociaux en essayant de valider une contre-expertise sur les questions d’économie populaire touchant à la fois la question du rapport au travail, au territoire, à l’espace public et aux minorités actives. Le collectif Rues marchandes joue alors le rôle d’interface entre des espaces de travail instituant (expérimentation sociale) et des institutions susceptibles de prendre en compte ce processus pour le traduire en termes d’aménagement et d’orientation politique, mais également de valider et de diffuser des productions de connaissance.
Enjeux et défis d’une démarche de recherche-action
De nombreux dispositifs incitent des acteurs à rejoindre une démarche dite « participative » sur des problématiques de société. Ce qui impliquerait un croisement des savoirs permettant aux acteurs concernés d’avoir une réelle prise sur le processus de production et de transformation. C’est rarement le cas. Le discours de la participation convoqué dans les politiques publiques pour des recherches « citoyennes » s’articule finalement assez mal avec ce qui devrait être un processus effectif de pouvoir d’agir, d’« encapacitation » (ou « empowerment »). Il y a contradictoire entre l’intention initiale de permettre à la société civile de s’emparer des problématiques la concernant et le pouvoir effectif d’y répondre.
Une manière de dépasser cette injonction paradoxale est de créer des tiers-espaces de la recherche jouant le rôle d’interface entre un pôle opérationnel et un pôle scientifique, ce qui n’est possible sans un double processus de décentrement et d’autonomisation.
Le décentrement amène les structures institutionnelles à créer une extériorité vis-à-vis de leur propre fonctionnement soit en acceptant un tiers-espace dans leur lieu, soit en investissant d’autres centralités. Cela veut dire par exemple que l’université accepte se décentrer par rapport à la logique institutionnelle de production de savoir et réciproquement les acteurs acceptent de se déplacer par rapport à logique opérationnelle et technicienne de leur structure.
L’autonomisation implique de pouvoir créer ses propres référentiels d’analyse et norme d’organisation résistant à l’imposition de formes normatives extérieures que l’on peut retrouver par exemple dans les appels à projets et les évaluations basées sur l’efficacité et la productivité. Cela doit permettre aux chercheurs de se laisser convoquer par les situations sociales (la lutte des récupérateurs vendeurs pour reprendre l’exemple de recherche-action cité plus haut) et pour les acteurs la possibilité de s’automissionner pour une recherche-action et se saisir les outils méthodologiques correspondant.
Bibliographie
Bazin Hugues (Ss la Dir.), Recherche-action et écriture réflexive : la pratique innovante des espaces comme levier de transformation sociale, INJEP, coll. « Cahiers de l’action », no 51-52, 2018, 282 p.
Bazin Hugues, « La centralité populaire des tiers-espaces », in L’observatoire No 52, Observatoire des Politiques culturelles, 2018, pp 91-93