La recherche collaborative

Le « partenariat de recherche » est une autre manière de traduire la recherche-action en termes de dispositif. Le partenariat inclut des personnes morales et physiques (organisations, association, communauté). Il peut prendre différents énoncés : recherche partenariale[1], recherche-action participative, recherche collaborative, community-based research. Ces formes de recherche se rejoignent sur l’intérêt d’établir des liens collaboratifs entre des appartenances socioprofessionnelles différentes au service d’un but commun selon des principes forts :

  • Les acteurs sont associés à l’ensemble du programme. Ils doivent pouvoir accéder au sens et maîtriser la production du processus de recherche, ce qui exige un effort de décryptage des énoncés et du contexte, de clarté et de transparence dans la manière dont circule l’information.
  • La forme collaborative tente d’instaurer des situations horizontales non hiérarchiques et équitables.
  • Acteurs comme chercheurs sont impliqués en situation autour de problématiques de travail commune, la recherche devant répondre directement aux attentes et demandes formuler par les acteurs.
  • L’autogestion et l’autoformation incarnent la suite logique de cette configuration idéal-type.
  • Dans une logique de coproduction, l’analyse se fait avec les praticiens, les personnes du terrain étant jugées les meilleurs connaisseurs de la réalité. Les intervenants construisent progressivement, au fil des séances les concepts qui permettent de théoriser leur méthodologie et publient systématiquement le résultat de leurs travaux.

Notons à ce propos la différence entre « coopération » (travailler chacun à son niveau en direction d’un même objectif) et « collaboration » (travailler ensemble sur un objectif commun). La coopération constitue plus une « communauté d’intérêts » selon un apport pluridisciplinaire alors que la collaboration se rapproche plus d’une « communauté de destins » selon une forme transdisciplinaire.

L’exemple des « Réseaux Wresinski »

Un exemple pertinent de travail collaboratif est l’expérimentation par le « Réseau Wresinski » (du nom du fondateur d’ATD Quart-Monde) du croisement entre universitaires, professionnels de l’intervention sociale et personnes en situation de pauvreté selon une démarche de recherche-action-formation, de co-construction des savoirs, de co-formation entre des savoirs théoriques, d’explication, des savoirs transformateurs de l’action et des savoirs pratiques de l’expérience, afin de produire de de nouvelles connaissances, de nouvelles pistes d’action.

Une recherche-action formation intitulée « Participation et Croisement des savoirs » s’est déroulée entre 1996 et 2001. « La démarche de croisement des savoirs ne saurait se confondre avec une simple démarche de participation ou de consultation des populations en situation de pauvreté. L’ambition est autre, il s’agit d’enclencher et de vivre durablement un processus démocratique, processus exigeant de laisser s’exprimer des points de vue différents et de prendre le temps de la compréhension »[2]. Cette expérimentation a donné lieu à la publication d’un livre[3] et une évaluation. Ce Réseau projette actuellement un séminaire en collaboration avec une université ou un laboratoire sur les questions épistémologiques et méthodologiques touchant les recherches participatives et la démarche de croisement des savoirs avec des personnes en situation de pauvreté. D’autres problématiques (écoles, santé, culture, etc.) sont développées par les réseaux Wresinski (neuf réseaux au niveau national) réunissant des professionnels qui, dans leur domaine d’activité, ont le souci d’atteindre et d’associer les personnes très pauvres elles-mêmes.

Les appels à projets basés sur le travail collaboratif en recherche

Des programmes institutionnels s’inspirent du modèle de la recherche collaborative, présentons quelques-uns que nous avons pu croiser (liste non exhaustive[4]) :

  • Les PICRI (Partenariats Institutions-Citoyens pour la Recherche et l’Innovation) soutenus par la région Île-de-France[5]. Citons à titre d’exemple la recherche-action de la fondation France-Liberté sur l’économie sociale et solidaire dans le secteur des déchets en Ile de France[6].
  • Le dispositif ASOSc (Actions pour l’Appropriation SOciale des Sciences) soutenu par la région Bretagne[7]. Des programmes comme la Fabrique du social témoignent de « recherches répondant à une demande sociétale, de favoriser le dialogue et le partage de connaissances entre les acteurs et les chercheurs, de favoriser l’engagement citoyen et l’émergence d’un tiers-secteur scientifique en Bretagne »[8].
  • La région Auvergne à également impulsé depuis 2012 un appel à projet qui « vise à promouvoir des programmes de recherche reposant sur un partenariat étroit entre laboratoires de recherche et acteurs de terrain »[9].

Ces programmes promeuvent une collaboration entre pôles universitaires et organisations de la société civile autour de problématiques innovatrices sollicitant une démarche de recherche-action. Néanmoins, ce dispositif idéal d’une recherche-action participative se heurte à des difficultés ne serait-ce parce que la culture collaborative n’est pas toujours dans le « logiciel » des organisations, cela malgré l’injonction de faire de « l’inter partenariat » et de « l’interdisciplinarité ». La mise en place de tels dispositifs ne peut faire l’impasse d’une analyse des relations de pouvoirs qui sont bien souvent occultées. Cela inclut une compréhension d’une écologie des pratiques collectives[10] et l’analyse des fonctionnements institutionnels.


[1] Linda Silka, « Partneship Ethics », in Donna M. Mertons et Pauline E. Ginsberg, The handbook of social research ethics, Los Angeles, Sage, 2009, p.338.

[2] Claude Ferrand s/dir, Le croisement des pouvoirs : Croiser les savoirs en formation, recherche, action, Éditions de l’Atelier, 2009, p.20

[3] Claude Ferrand, op. cit.

[4] Le programme « La grande ville 24 heures chrono » articulant équipes de chercheurs et d’architectes sur la mobilité métropolitaine appartient à cette famille de programme. Nous l’aborderons en dernière partie de cet article. Une étude en 2012 menée par la Fondation Sciences Citoyennes établit un état des lieux des recherches participatives en France : http://sciencescitoyennes.org/wp-content/uploads/2013/04/FSC_final_recherche-participative_FdF.pdf

[5] http://www.iledefrance.fr/competence/picri

[6] La recherche-action « Déchets & Citoyenneté » est un projet sur 3 ans commencé en janvier 2012. Il est piloté par Enda Europe, France Libertés et la Chaire d’Économie Sociale et Solidaire de l’Université Paris Est Marne-la-Vallée (UPEMVL), http://www.france-libertes.org/RECHERCHE-ACTION-l-economie.html#.UlKbzhAgv3w

[7] « Cette action permet d’accompagner les projets d’appropriation des sciences par tous, qui réunissent acteurs institutionnels de la recherche (universités, grandes écoles, etc.) et acteurs du monde politique et social » : http://www.bretagne.fr/internet/jcms/preprod_55964/asosc-appropriation-sociale-des-sciences

[8] Nadine Souchard, Yves Bonny, Alain Penven, Jorge Munoz, La Fabrique Du Social, Expérimentation et innovation sociale, Programme de recherche ASOSc (2010-2012), Rapport final, Collège Coopératif en Bretagne, Université Rennes 2, Université de Bretagne Occidentale, 2013.

[9] « La recherche-action est menée par une équipe au sein de laquelle les chercheurs et les acteurs sont engagés dans un partenariat de concertation et de collaboration selon une relation égalitaire. Acteurs et chercheurs définissent ensemble les activités de recherche à conduire et se mettent d’accord sur les mécanismes de participation des uns et des autres » in guide des procédures de l’appel à projet 2013, http://www.auvergnesciences.com/aap-recherche,022013-recherche-action.html

[10] David Vercauteren, Micropolitique des groupes. Pour une écologie des pratiques collectives. Éditions HB, 2007, Réédition Edition Les Prairies Ordinaires, Coll Essais, 2011.

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