25 septembre 2008

La 3ème voie: quels principes en actions ? (Niort)

Par Hugues Bazin

LA RECHERCHE D’UNE TROISIÈME VOIE POUR LE TROISIÈME CERCLE
FICHE MÉMOIRE DU SECOND SÉMINAIRE

Jeudi 25 septembre, Moulin du Roc, Niort

Enregistrements des interventions sur http://arsvdla.wordpress.com/seminaires/les-principes-en-action/

Genèse d’un projet en partage et en mouvement

CHRISTOPHE BLANDIN-ESTOURNET

S’appuyant sur son expérience de directeur artistique du Parc de la Villette, CBE évoque une anecdote déterminante dans sa décision de travailler autrement et de quitter cette fonction. Malgré le travail de médiation, malgré l’appropriation populaire du parc, celle-ci évoquait de manière flagrante, de la limite des relations établies autour d’une programmation avec la population de proximité.

Contacté par la région centre qui montait une agence culturelle régionale, il s’est déterminé à partir de leur envie de créer un festival à l’échelle de la région avec l’idée de travailler un territoire à l’année, dans ce qu’il est, avec les populations de la région, et donner un temps de visibilité.

C’est ainsi qu’est né le projet EX’CENTRIQUE, festival de la région centre.

Région Centre : six départements, la taille de la Belgique, 2,2 millions d’habitants, pas d’identité unique, mais une myriade de territoire très divers. Les premières rencontres avec les personnes aboutissent à une description de la région de deux manières, soit par les préfectures, en oubliant Chartres, soit de façon dominante par l’axe de la Loire, alors que deux départements ne sont pas concernés par le fleuve.

Première chose : la notion d’excentrique, ce n’est pas la revendication du qualificatif de l’originalité, mais l’image de la pièce mécanique. Dans un jeu d’engrenages, l’excentrique est une roue crantée qui parfois entraîne, parfois est entraînée, mais de toute façon participe d’une énergie partagée. Une autre définition d’ailleurs, propre au cyclisme, concerne la pièce qui sur un tandem permet de pédaler ensemble.

Ce projet implique de prendre en compte le contexte professionnel et culturel existant, d’agir successivement ou simultanément sur les six départements, et ce par des propositions atypiques, inhabituelles dans ce que l’on donne à voir (que ce soit du théâtre, du cinéma, de la littérature, des arts de la table…), ou dans le résultat artistique (ex. : transport exceptionnel de D. Boivin, un pas de deux entre un danseur et une pelleteuse….), ou dans la façon de produire (ex. des Kino-cabarets). Dans ce dernier exemple ce n’est pas tant le résultat, un court-métrage, qui est atypique, mais la façon dont il a été produit dans la collaboration entre des réalisateurs qui viennent du monde entier et les forces propres aux endroits et lieux de tournage, équipe de praticiens amateurs ou professionnels du cinéma, tout comme les habitants.

Le festival fait huit à dix étapes, commence vers la mi-mai, se termine vers fin juin, début juillet. Les contextes sont très différents, on programme aussi bien dans le centre de Tours agglomération de 400000 habitants qu’à Bouges le Château dans un village de 250 habitants. Et à chaque fois, il faut tenir compte au maximum du contexte. Il y a un protocole. On est invité par des niveaux très différents : villes ? monuments historiques, associations, centres sociaux… peu importe le champ artistique, il n’y a pas d’a priori.

Christophe sait qu’il va rencontrer des gens qui vivent ce territoire depuis des années et qu’ils vont avoir un point de vue. Le travail de programmation ne vient qu’ensuite, dans un temps où l’on va confronter ces deux regards, c’est cela qu’il appelle la prise en compte du contexte. Cela peut être le paysage, cela peut être la prise en compte des films amateurs dans un processus confié ensuite à un ethnologue et à un réalisateur.

Cela peut passer par la prise en compte d’un monument historique, mais cela passe surtout par la prise en compte des habitants, à EX’CENTRIQUE on ne parle jamais de publics, mais de populations.

Dans une histoire commune il y a une dimension que l’on ne peut pas ignorer, on ne peut pas poser un geste de programmation sans tenir compte du contexte humain dans lequel on le propose, il ne s’agit ni de s’y soumettre ni de s’y résoudre, mais de le prendre en compte.

Les sept semaines de festival présentent quarante et cinquante propositions qui constituent environ 300 rendez-vous artistiques, sachant qu’un rendez-vous peut durer dix minutes, sur un entre/sort, et qu’un autre peut durer trois semaines non-stop (ex. de KMK installé en campement en bord de Loire, avec une vingtaine d’artistes).

Sur ces cinquante propositions, il y en a un tiers qui sont des projets d’implication. Soit un travail qui se fait à partir d’une matière proposée par les habitants (ex. de l’audioguide de Bouges le Château), soit par leur participation directe (ex. de délire harmonique). Et la participation peut se décliner sous de multiples formes (clubs sportifs pour les « cavaletti » d’un funambule, fabrication des nappes par un centre d’insertion pour la restauration des festivaliers…). Bien entendu cela demande un fort engagement de l’équipe, et cela déclenche aussi d’autres processus, dans le domaine social par exemple.

Et cela donne aussi petit à petit le sentiment d’une appartenance à une communauté à travers des choses qui sont à la fois de l’ordre du festif et du décalage.

L’an dernier par exemple à Chaumont-sur-Loire, le festival s’est achevé sur la thématique de « jardins en partage ». Avec le concours d’un plasticien il y a eu l’invention d’un jardin mobile qui a fait des milliers de kilomètres et qui a été déployé dans des espaces aussi différents qu’un club de retraités de la SNCF qu’une école primaire, qu’auprès de jardiniers familiaux. Chaque étape était l’occasion d’une reconstruction.

La région a depuis pensé nécessaire de fusionner l’agence culturelle et le festival Ex’centrique et Christophe a accepté d’en prendre la direction générale à deux conditions : Écrire un projet et que ce soit un projet et non deux éléments. L’intitulé c’est dorénavant : culture O centre / atelier de développement culturel et l’idée, c’est d’être sur l’intégralité de la chaîne : observer, analyser, discuter, dialoguer, échanger, produire, et se maintenir sur cette globalité.

L’atelier résidence, outil de développement artistique et culturel

HUGUES BAZIN

Je vais proposer des outils de réflexion, mais j’ai aussi envie de rebondir sur les éléments proposés par CBE qui renvoient en fin de compte à ce que j’avais envie de dire.

L’angle précis que je propose c’est celui des ateliers résidences artistiques, mais je le conçois comme un outil pour aborder de façon transversale d’autres questions du séminaire et de façon plus générale ce que l’on entend par action et développement culturel.

On peut se servir ou non d’un outil, je me suis intéressé historiquement dans mon travail de sociologue aux ateliers résidences parce que l’on envoyait beaucoup d’artistes dans les quartiers populaires et j’ai trouvé hélas que parfois cela ne servait pas forcément à grand chose. Cela permettait une rencontre, mais posait beaucoup problème en termes de cohérence. Un outil n’est pas en soi une fin, ni une explication, mais cela peut être un vecteur de transformation, et aussi parfois une arme de guerre, une arme pour perforer les conformismes, mettre en mouvement.

L’atelier résidence donc comporte une dimension de travail avec les acteurs, la population et une dimension de rencontre d’une région ou d’un environnement.

Je voudrais donc dans cette intervention le prendre comme modèle d’action culturelle, comme « idéal type », comme on dit en sociologie, le décortiquer en proposant des éléments de réflexion en opposition, car il y a deux dimensions : celui d’atelier autour de la logique de projet, la relation projet/processus, deux dimensions qui s’articulent mais qui sont parfois en opposition et la notion de résidence qui suppose bien entendu le territoire mais que je place en opposition perspective avec la notion d’espace.

Et j’aimerais aussi considérer la notion même d’atelier-résidence comme outil d’analyse pour comprendre ce qui se passe au niveau même des enjeux de la culture.

Sur la relation processus/projet :

Le projet comporte plusieurs dimensions comportant parfois des malentendus entre l’intention artistique, l’intention du lieu, et une intention dont on tient rarement compte, celle de la population, c’est-à-dire des espaces où se place ces intentions. Cela pose la question du « deal» qui est fait de la résidence contre des interventions supposant des financements du style politique de la ville, quels sont les niveaux où se négocient les projets ? Telle est alors la question posée.

Le processus lui n’est pas lié à une intention, mais à un jeu d’interactions, en fin de compte dans l’espace, des gens vont interagir chacun de son point de vue, il y a la dimension artistique, l’éducation populaire, le socioculturel, les habitants… On est à la fois dans une relation intersubjective, mais aussi dans une relation de compréhension globale de ce qui se passe.

Ces deux éléments s’opposent un peu tout en étant complémentaires.

Dans le projet, il y a aussi la notion d’objectifs et de finalités et forcément une limité temporelle, et les choses ne sont pas toujours exposées clairement à l’origine, ce qui rend difficile l’évaluation du résultat. On opposition, le processus apparaît comme un « work in progress » qui ne suppose pas une finalité dans le sens de fin, mais plutôt des étapes, ce que l’on mesure ce n’est pas une fin d’objectif, mais ce qui se transforme d’étape en étape. Ce qui ne veut pas dire que l’on ne peut pas évaluer un processus. Tout peut s’objectiver, mais il faut des outils d’évaluation différents et appliquer les outils de l’un à l’autre crée des tensions, comme l’instrumentalisation des artistes par exemple. Le « work in progress » suppose que chaque étape soit une forme de reconstruction, un peu comme l’on chemine avec des tournants, à chaque virage s’ouvre un nouveau paysage…

Le projet est nécessaire comme outil et le processus empêche de s’enfermer dans une forme instrumentale liée aux logiques financières qui en réduit trop souvent la portée.

Sur la relation territoire/espace :

Comme l’évoquait CBE, comment définir la région Centre par exemple ? Le territoire, on le définit souvent par ses frontières ou par ses lieux, et entre ces lieux qu’y a-t-il ? Où sont les habitants, les acteurs ? Le problème du territoire, c’est qu’il est souvent défini par ses contours et non pas par le processus et la vie qui s’y déroulent.

Par opposition, l’espace va souvent s’aborder en termes de plein. Effectivement il y a des lieux, mais il y a aussi plein d’interstices vides entre guillemets, mais c’est là que les gens vivent. Souvent on veut remplir, alors qu’il conviendrait de déplier, de déployer l’espace plutôt que de le remplir. Alors l’atelier-résidence est à l’articulation entre les deux, il se situe à la fois sur un territoire et crée de l’espace,

Tout territoire a une histoire, un rapport vertical, des racines, des formes communautaires, mais on peut aussi le décrire comme un espace nomade, avec des rhizomes, où l’on puise des éléments un peu partout, on ne va pas seulement puiser dans le patrimoine, mais on va construire aussi une culture mêlée, émergente en sortant de la confrontation.

Créer de l’espace, c’est aussi créer de la mobilité comme l’évoquait CBE. Pas seulement géographique, mais aussi mentale, sociale et spatiale à la fois. Ce qui constitue une manière de sortir de l’enfermement que l’on entend souvent à propos des quartiers populaires et de la manière dont on en traite les cultures. Et réfléchir en termes d’espaces interstitiels c’est aussi définir que le centre est là où il se passe quelque chose en définitive. On change ainsi le rapport classique entre centre et périphérie, et j’en profite au passage pour « casser » un peu la notion de « cercles », en disant qu’il n’y a pas de lieu central de la culture et de lieu périphérique. Le lieu central est là où se déroule le processus, c’est lui qui crée de la centralité. Il faut réfléchir en termes de rapport entre centres multiples. Ce qui reprend l’image du réseau et autorise à se projeter aussi dans la relation entre le local et le global puisque nous sommes aussi désormais dans une culture numérique et mondialisée.

Il faut aussi réfléchir à l’articulation lieu/situation : le territoire est souvent vu à travers ses lieux, ici nous nous trouvons dans un lieu culturel, estampillé, consacré. Et le problème des lieux c’est qu’ils impriment ce qui se passe à l’intérieur, et l’intérêt de réfléchir en termes de situation, c’est de définir le lieu à partir de la situation qui se crée. Une « chêvrerie » peut ainsi devenir un lieu culturel… une place de village au Mali… et cela conduit à réfléchir au dispositif même de la relation (frontal, circulaire, englobant…) L’atelier/résidence est aussi un analyseur. Il pousse à une dimension interdisciplinaire et à rompre avec les enfermements sectoriels. D’autant plus qu’aujourd’hui les acteurs sont aussi multiréférentiels, un artiste par exemple n’est pas simplement un artiste, il travaille dans plusieurs champs, l’économie, le socioculturel, l’éducation populaire… et j’ajouterai aussi le scientifique, non pas seulement parce que je suis chercheur, mais parce que la production de connaissance est aussi centrale, elle n’est pas la seule propriété des universitaires…

Réinscrire le citoyen dans la construction des politiques publiques de la culture

FREDERIC VILCOCQ

Mon expérience d’élu procède d’une délégation que je ne cernais pas a priori pour la Région Aquitaine : les cultures émergentes.

Au-delà de l’approche purement esthétique, j’ai eu la chance de travailler avec Jean-Michel LUCAS, ancien DRAC qui aime bien bousculer les conventions. Mon rôle n’est pas seulement de travailler avec les acteurs, mais aussi de redéfinir le rapport avec le citoyen avec lequel s’est établie une relation par le bulletin de vote. Le citoyen, c’est-à-dire l’individu. Et pour redéfinir les actions de la Région avec ces cultures émergentes au profit et dans la relation avec cet individu, il nous est apparu avec J.M. Lucas qu’il fallait redéfinir un référentiel. Celui des politiques culturelles françaises ne convient pas, je l’avais éprouvé en tant qu’acteur d’un festival qui rencontrait des difficultés de reconnaissance de nos musiques, de ces musiques actuelles par l’institution-ministère et aussi par les collègues élus à la culture.

Il fallait que l’on réussisse à sortir de cela en s’appuyant sur la convention pour la diversité culturelle de l’Unesco qui venait d’être adoptée en 2005 apportant un certain nombre de réponses. Elles ne font pas consensus, et je suis ultra-minoritaire en tant qu’élu, mais je me rassure en me disant que

j’ai encore du temps pour mon action ! L’intérêt de la convention sur la diversité culturelle dépasse l’exception culturelle française, mais je crois que bon nombre de mes collègues y compris au niveau de l’État français qui l’a ratifiée, ne l’ont pas bien lu ! C’est un outil juridique sur lequel on peut et on devrait s’appuyer. Ce qui est important, c’est qu’elle vient rajouter un acteur, jusqu’alors absent, aux politiques culturelles : le citoyen, l’individu en tant que tel. Le texte dit que toute personne doit pouvoir participer à la vie culturelle de son choix et exercer ses propres pratiques culturelles. La protection de la diversité culturelle implique la reconnaissance de l’égale dignité et du respect de toutes les cultures. Aujourd’hui cela a valeur de traité international et si l’on en reprend les termes, ils rentrent en confrontation totale avec toute notre histoire.

Le public, la population, même l’habitant, par ce texte, mutent en un citoyen culturel auquel on garantit un droit, celui de choisir sa culture, ses pratiques et de lui-même donner sens et valeur à sa pratique alors que toute notre doctrine de politique culturelle fait que ce sont des spécialistes qui donnent la valeur. Spécialistes du ministère et certains artistes qui revendiquent de pouvoir imposer la norme culturelle, le beau, le bien, face à un individu, parfois sociologiquement considéré comme le « non-public », par ce qu’il ne vient pas là où on lui dit de venir. D’où le fameux débat récurent sur l’échec de la démocratisation culturelle, que l’on pourrait encore tenir pendant cinquante ans si l’on ne change pas de modèle ! Fini donc le non-public, le public à sensibiliser, à éduquer et place au citoyen, ce qui veut dire que les grandes oeuvres de l’humanité ne peuvent plus être validées par les seuls experts, et en donnant le droit au citoyen, on donne le droit à d’autres d’exercer ce mandat de la validation et de l’exigence.

Cela ne peut plus se faire avec les seuls « sachants » sans que soient organisés des lieux de débat en toute transparence… J’ai d’ailleurs, en tant qu’élu, quitté ses fameuses commissions d’experts où on labellise, on conventionne et le jour où à cause de la durée on retire un soutien, on ne comprend pas très bien pourquoi, si le travail a été bien accompli…

Mais si l’on garantit un droit au citoyen, alors on doit en retour lui imposer un certain nombre de choses, devoir va avec droit. Le citoyen doit accepter cette responsabilité qu’on lui donne, doit accepter aussi de participer à la définition, dans des espaces de confrontation, du sens et des valeurs de ce qui fait culture au sein de l’espace public. Cela veut dire qu’il faut créer des espaces d’élaboration de ce sens et de ces valeurs culturelles, cela veut dire faire entrer un acteur nouveau, le citoyen, sans en chasser les autres, l’artiste, l’opérateur culturel, le décideur public…

On passerait alors d’un public à conquérir pour reprendre des termes connus, à un individu qui au sein de l’action culturelle par le biais d’un outil comme l’atelier-résidence par exemple vient négocier un parcours d’expérience, un parcours d’émancipation culturelle. Pour reprendre des terminologies utilisées hors champ culturel, dans la formation par exemple, on évoque le besoin de se former tout au long de la vie, en matière culturelle on a besoin de construire la même chose, des citoyens qui ont cette obligation de venir signer physiquement, moralement un engagement sur un parcours d’émancipation qui lui permet de continuer à construire son identité culturelle tout au long de la vie. Le citoyen sort alors de sa condition de public, de sa condition même d’habitant sur un territoire dans un espace clos, où il serait censé avoir les mêmes attentes que son voisin de palier, ou les mêmes mots.

Cette exigence de citoyenneté culturelle implique que le projet soit mis en débat au sein de l’équipe artistique également, l’équipe ne peut plus imposer une valeur, sans se soucier des citoyens qu’elle a en face.

Venir réclamer des subventions parce que l’État n’en donne plus et que les collectivités doivent se substituer sans se soucier de ce que ladite collectivité a envie de faire avec le citoyen n’est plus possible et cela conduit à parler du médiateur.

Le médiateur peut être celui qui permet le dialogue avec le citoyen, pour aider à construire ce parcours d’émancipation. Dès lors le citoyen accepte de participer par exemple à des résidences ateliers, alors il a une deuxième tâche, celle de témoigner, il doit participer au dialogue des passions, il doit accepter la confrontation, dire ce qu’il a ressenti et je pense qu’il y a besoin et intérêt pour l’artiste d’un retour. Le médiateur est donc celui qui informe et qui va mobiliser de la ressource nécessaire à la construction de ce parcours, et ce rôle de décodeur, car les choses ne se verbalisent pas facilement Et il va prendre un risque supplémentaire, parce qu’il va aussi défendre des formes en émergence, des lieux d’expérimentation artistique.

La méthode donc que l’on a choisi en Aquitaine pour le secteur que l’on continue à appeler « musiques actuelles » est celle d’une co-construction de politiques publiques. On s’est dit que cela ne servait à rien de continuer à réclamer du ministère ou des collectivités que le secteur soit mieux reconnu. Au lieu de réclamer de la légitimité, on propose une autre façon de créer de la politique publique. En mettant tout le monde autour de la table, l’État qui ne peut plus être le seul prescripteur, les collectivités, les acteurs, pas seulement les labellisés et puis ce citoyen que l’on fait rentrer sur des modes complexes à mettre en place, mais que l’on doit amener autour de cette table pour écrire les dispositifs culturels qui peuvent permettre d’échapper aux impasses actuelles.

Théâtre en action

Renata SCANT

Elle témoigne de son action au sein du CREARC dans l’agglomération de Grenoble pendant plus de vingt années d’existence du (http://www.crearc.fr/spip.php?article199). Elle insiste sur les sources et origines de son action et rend hommage à la génération « historique » qui l’a précédée et formée et qui l’a d’abord conduite à s’engager sous de multiples formes. Elle précise notamment que le terme de non-public inventé par Francis Jeanson avec lequel elle a collaboré visait justement à ne pas considérer les personnes comme
des publics potentiels ou non mais à s’adresser à eux en tant que citoyens et habitants.

SYNTHÈSE DES ÉCHANGES DE L’APRÈS-MIDI

ATELIER N°1

Un tour de table permet rapidement de vérifier la compréhension et l’utilité des notions abordées le matin. Ici ressort la diversité des bénéficiaires et de leur situation structurelle qui induit des différences d’appropriation et nourrit le débat.
Par exemple, Lydia LABRUE de Créton’art fait immédiatement ressortir que la notion de « résidence-atelier » renvoie à une autre réalité dans la mesure où c’est à sa compagnie de construire elle-même des conditions de résidence sur son propre territoire d’action. En effet, elle ne dispose pas de fabrique et la mise en oeuvre d’un processus de création démarre par le démarchage auprès des habitants des lieux possibles de fabrication.
Le processus de « diffusion » les a conduits à réfléchir sur le « citoyen », et c’est le terme qu’ils ont adopté dans la relation à leur population. Enfin l’intervention de Frédéric Vilcoq la renvoie fortement à la dimension des devoirs associés aux droits.
Jean-Michel PEREZ de l’Astrolabe accorde une importance particulière à la démarche scientifique de Hugues Bazin car il lui semble que dans l’action mixte qui est la sienne qui articule l’artistique et la construction citoyenne, l’observation et l’analyse permettraient d’objectiver le processus et ses résultats.
Il souligne qu’il se passe quelque chose de spécifiquement artistique entre le lieu et la population qui mérite d’être décortiqué, comme l’y invite Hugues dans sa description d’un « processus intégré ».
Gabriel LUCAS du Nombril a le sentiment que cette matinée de séminaire renvoie à des éléments plus internes au milieu culturel que le premier qui élargissait à l’ensemble du champ de l’utilité sociale et de l’intérêt général, par l’articulation de notions qu’il pratique déjà comme public/population, action/processus…
Il partage la définition théorique de Frédéric Vilcoq de « ce qui fait citoyen », mais en discerne difficilement les applications. Plus globalement le triangle vertueux pratiques/résidences/médiation développé par chaque intervenant lui paraît nécessaire, mais il cible sa préoccupation principale sur l’objectif qu’il demeure la « propriété de la population ». Son souci reste de ménager le « mouvement d’aller-retour » qui permette de se nourrir et de se laisser nourrir par le territoire. Il évoque à ce propos l’initiative prise par le conseil municipal de Pougne-Hérisson, en collaboration avec le CAUE dirigé par Roland Counil d’inscrire dans ses délibérations, quelles qu’elle soient la dimension culturelle et artistique.
Thierry BOUTIN de Gonzo Collectif insiste sur les multiples positions qui sont les siennes, car il occupe tour à tour l’espace de la compagnie, celui du collectif et celui du diffuseur, et les choses s’entremêlent lui mettant le « nez dans le guidon ». Il souligne la qualité des interventions et le fait qu’il se trouve dans une attitude plus réceptive qu’immédiatement réflexive. Il s’interroge sur la notion d’atelier-résidence dans le champ des résidences de musiciens, par exemple dans le souci d’y intégrer des habitants, il lui semble que de fait, on ne peut que permettre la découverte, le jeu et c’est tout ! Gabriel LUCAS lui fait remarquer que l’image que Gonzo génère sur le territoire de La Gâtine va à l’inverse, ce qui permet à Thierry de préciser que la question sur le territoire de proximité est tout autre, dans la mesure où elle s’inscrit dans la durée et dans une histoire où la volonté politique était forte. Ce qui illustre d’une certaine façon que les points de vue de l’animateur d’un collectif et celui d’un producteur/diffuseur ne coïncident pas forcément…
Mathieu MILLET de BOC’Hall s’interroge lui aussi sur la notion « d’atelier-résidence » qui lui semble renvoyer à des pratiques théâtrales qu’il connaît peu, et aussi parce qu’il n ‘accueille aucun groupe. La notion de médiation l’interroge sur ce qu’il qualifie d’une relation « limitée » avec les lycéens auxquels il s’adresse. Il indique lui aussi qu’il se situe dans une forte position d’écoute dans le cadre de ce séminaire, que la notion de durée fait « tilt » et qu’elle va de pair avec la définition de l’orientation sur les projets et objectifs ; elle bute de son point de vue sur l’absence de travail effectif avec les élus de son territoire. La dimension de « table ouverte aux citoyens » évoquée par Frédéric Vilcocq lui parle parce qu’elle renvoie a ses propres tentatives.
Samuel VINCENT précise que sa position de « gestionnaire » de locaux qui mélangent dans leur accueil des pratiques amateurs et professionnelles témoigne sans doute d’une différence des « musiques actuelles » par rapport à d’autres disciplines. Il lui semble en effet que la notion de « responsabilité sociale » y est inscrite d’emblée. Il se montre plus septique sur la nécessité d’articuler l’artistique et le social par exemple et plaide pour des relations avec des artistes auxquels on ne demande rien de plus que d’exercer leur liberté quel que soit l’environnement sociologique. Toutefois, il convient que le fait d’avoir recours au financement public crée nécessairement des devoirs. A cet égard, il a d’ailleurs l’impression que les attributions d’aides fonctionnent plutôt sur des vieux schémas, des habitudes et que l’on évite le plus souvent les réexamens ou les remises en cause nécessaires. Il insiste aussi sur la richesse des apports des intervenants de la matinée et la mise en mouvement de la réflexion qu’elle provoque.
Le débat qui suit permet de clarifier quelques positions et objectifs propres à chacun. Trois questions principales semblent se dégager : – concernant la volonté d’établi une relation entre un lieu et une population par une démarche artistique, qu’est ce que cela vise à transformer ?
– concernant la relation entre la puissance publique et l’action culturelle et artistique via les financements publics, à quoi cela oblige ?
– enfin concernant l’engagement de plusieurs niveaux d’acteurs dans un même projet, citoyens ou habitants, élus, professionnels, artistes, à qui cela appartient ? Quoique court et frustrant le débat est riche et permet :
– à Jean-Michel Perez d’affirmer qu’il souhaite valoriser la demande participation,
– à Thierry Boutin de revendiquer une expression forte de ses partenaires politiques,
– à Gabriel Lucas de ne pas souhaiter se perdre dans la mise en oeuvre de recettes qui esquiveraient la mise en oeuvre du partage,
– à Samuel Vincent de souhaiter mettre « un coup de pied » dans la fourmilière d’un système ancestral par bien des aspects….

ATELIER N°2

Dans ce groupe, nous n’avons pas vraiment fait écho à ce qui s’est dit le matin. Nous avons réinterrogé les principes en actions définis pour ce séminaire sous le vocable de « triangle vertueux » : les pratiques, les médiations, les résidences artistiques. À une question posée par une participante sur la fonction d’un médiateur, comment en trouver, ou accomplir autrement ce rôle de médiation, plusieurs déclinaisons du mot médiateur ont été évoquées :
– La médiation au coeur du triangle : la médiation n’est pas située à l’une des extrémités du triangle mais en son centre : c’est elle qui tient l’ensemble.
– Le métier de médiateur est relativement nouveau (une dizaine d’année). Ce mot a remplacé celui d’animateur, encore plébiscité par beaucoup des participants présents.
– Le référent : outre les médiateurs professionnels (relations publiques, médiateurs de Pays, de lycées…) on peut s’adresser pour favoriser le lien (dans un lycée, un enseignant, CPI, pratiquant amateur) à une personne passionnée qui pourra être une vraie initiatrice auprès des élèves, et inventer une relation riche avec les artistes et la structure culturelle porteuse.
– Les relations publiques : il n’est pas honteux de travailler à faire venir du public dans les salles. Tout dépend de la qualité de la relation mise en oeuvre, du rapport à l’humanité qu’on partage. Il faut cultiver le désir, être attentif à ce que sont les gens à qui l’on s’adresse, dans toute leur diversité. C’est autre chose que de faire de la communication.
– Le médiateur comme acteur de co-construction : le médiateur de Pays par exemple, travaille à une mise en relation qui vise à partager et à définir un espace de co-construction approprié au projet des artistes, dans un environnement précis : recherche d’un espace aménagé, d’un référent pour animer la relation entre l’équipe, les acteurs locaux et les habitants.
– Il y a plusieurs natures de résidences : celles qui ne concernent que la mise à disposition de moyens techniques et d’autres, séquencées dans le temps, qui vont permettre d’organiser un partage entre le temps de création et les acteurs de terrain, en fonction du projet artistique, une sorte de donnant-donnant.
– Les équipes résidentes sont choisies pour leurs capacités de contact.
– Transmission plutôt que médiation demandée aux artistes : passeurs de savoir, de métiers.
– Le chargé de diffusion comme médiateur pour une compagnie : c’est une fonction nécessaire pour assurer la communication et la vente de ses spectacles. Le besoin s’en fait sentir tout particulièrement pour aider les organisateurs occasionnels, les guider dans leurs démarches. Dominique Josso : Si on réfléchit à l’utilité sociale et aux effets de l’action culturelle et de la médiation sur le terrain, il faut répondre au pourquoi on fait ça ? Je dirais, dans un souci d’ouverture et de découverte, voir comment et à quel niveau la population s’implique : sont-ils acteurs ou spectateurs ? actifs dans l’organisation ou dans le bouche à oreille ? Comment tient-on compte de la diversité des cultures ?
Organiser le dialogue entre fêtes populaires et traditionnelles et cultures contemporaines. La rencontre artistique doit provoquer quelque chose : des émotions et/ou des interrogations. Il faut surtout changer les façons d’agir pour rendre les citoyens acteurs (l’action n’existe que parce que les acteurs ont envie de les porter) et aller plus loin au niveau de la prise en compte par les collectivités. Depuis 10 ans, je milite pour la co-contractualisation de l’action culturelle, de la même manière qu’elle existe sur la politique sociale, celle de l’enfance… pour pérenniser sur le long terme les projets d’action culturelle. Ainsi, on ne sera plus sur du projet mais sur du processus (cf Hugues Bazin). Et on rejoint la discussion du matin, un des binôme proposé par Hugues Bazin.

SYNTHÈSE DE LA JOURNÉE

Pratiques…

Plus que de pratiques, tous les intervenants ont parlé de la relation à l’environnement et aux gens qui y vivent. Relation au contexte, dans une subjectivité assumée. Relation aux populations, ou plutôt, aux citoyens : car agir dans le domaine culturel, c’est croire en la capacité de chacun à être acteur dans la « cité ». Et sans doute l’action culturelle est-elle l’un des leviers qui peut aider chaque citoyen à devenir acteur. Relation aux populations qui peut se construire de plusieurs manières :

– Partir de … : des gens, de leur regard, de leur parole, en faire le matériau du projet.

– Faire avec … : les pratiques amateurs, les associations de tous ordres, les groupes, organisés ou non… – Impliquer, permettre aux gens de s’investir, d’une manière ou d’une autre, dans les projets proposés. Ces relations permettent de prendre en compte l’identité culturelle de chacun, mais aussi de donner des outils pour construire une identité en mouvement, qui ne reste pas recroquevillée sur elle-même. Construire des espaces au sein des territoires : ne pas remplir les vides, mais permettre la construction du plein par le déploiement des ressources du dedans, en interaction avec celles du dehors…

Tous ces éléments concourent à la construction du « vivre ensemble ». Et un tel projet est à remettre en permanence sur le métier : c’est avant tout un processus et non un résultat. Médiations.

Peu ont parlé de médiateurs, mais la médiation reste centrale, tant elle est en filigrane dans tous les propos. Car tous ont mis en avant le « faire ensemble », la valeur de l’échange, les trans-versalités, les inter-actions, les inter-générations, les processus partagés : à l’image des excentriques dans l’engrenage, chacun a partie liée… Pas de développement sans croisement.

Faire que les racines deviennent rhizomes !

Ne pas s’enfermer dans son territoire (géographique ou culturel) mais développer la mobilité, le dé-centrage, le dé-cloisonnement…

Désacraliser les processus d’accès : et ces processus ont à voir avec la relation à l’identité. Construire des médiations, c’est nécessairement prendre en compte les identités culturelles des personnes que l’on veut toucher, redonner ainsi à chacun sa dignité pour le mettre en situation de dialogue avec l’autre. Développer les parcours, rester en chemin permanent, entre amateurs et professionnels, entre social et culturel, sociétal et artistique… Parcours d’expériences qui deviendront parcours d’émancipation, de transformation.

Permanence artistique.

Certes les résidences sont les vecteurs privilégiés de la rencontre artistique : outils d’expérimentation, de réinvention, de confrontation, ils permettent l’inscription d’une certaine permanence artistique dans les territoires. Mais l’artiste doit-il obligatoirement tenir compte de la volonté politique locale ? S’il ne peut s’abstraire du terrain sur lequel il se situe, il doit résister à l’instrumentalisation : le processus artistique et culturel s’inscrit dans un projet politique, mais n’est pas là pour servir le projet politique. Le problème majeur reste celui de la relation au temps, de la durée. Un festival n’a de sens que s’il s’appuie sur un travail tout au long de l’année. Un « coup » n’a de sens que s’il trouve des éléments de résonance sur le long terme. Toute résidence doit un jour déboucher sur une permanence.

C’est l’inscription dans la cité qui fonde la réflexion et l’action.

Réinventer le rapport à la culture.

Au bout du compte, tous les intervenants nous ont invités à repenser l’action culturelle. Le maître mot de cette réinvention pourrait-il être la diversité culturelle ? Reconnaître la diversité, au sens où le développe la récente Convention UNESCO, c’est en effet donner une égale reconnaissance à toutes les cultures, et permettre ainsi à ces cultures de dialoguer, de se croiser, de métisser, de se « créoliser ».

Mais n’en restons pas au constat d’une culture éclatée, parcellisée. La sacralisation de la diversité ne doit pas nous faire oublier que l’objectif final, c’est de créer des espaces partagés, du sens collectif, du sens commun.

Si chaque culture s’exprime dans une singularité, ce n’est pas la somme des singularités qui crée l’universel, mais bien leur capacité à dialoguer. Car ainsi que Michel Adam nous l’a illustré lors du premier séminaire, chacun est une partie du tout : chaque culture porte sa part d’universel.