Expérimentations sociales

Nous essayons de faire en sorte que les acteurs trouvent les moyens et la liberté d’ouvrir là où ils sont dans leur cadre professionnel ou militant l’espace d’une réflexivité. La singularité de notre approche derrière la notion de « labo social » est de mettre ces acteurs en position de commanditaires de la recherche, renversant ainsi la proposition leur permettant de n’être pas objets, mais bien sujets de la recherche.

Les opportunités de mise en place d’un laboratoire social sont variées. Il n’émerge pas d’une commande qui vient du haut vers le bas, mais d’une mise en situation collective autour d’une pratique, d’un enjeu, d’une lutte. Ce sont des espaces « instituants » puisqu’ils créent leurs propres normes pour définir leur cadre d’expérience.

Cette manière de procéder en laboratoire social facilite le croisement et la rencontre de profils sociaux et professionnels très différents : diplômés et sans diplôme, ruraux ou urbains, salariés ou indépendants précaires de milieux professionnels variés (artistes, travailleurs sociaux, architectes, animateurs de l’éducation populaire, militants en collectif et autres acteurs non affiliés). Les espaces qui accueillent une telle diversité ne sont pas si fréquents, et cette dimension trans-sectorielle et trans-disciplinaire facilite une approche en termes d’écosystème et de complexité au plus proche de la réalité de la vie sociale contemporaine.

Nous préfigurions dès le début des années 2000 dans une société en mutation la nécessité de reconnaître des « espaces intermédiaires de l’existence » qui questionnent notre rapport au travail et repositionne notre implication socioprofessionnelle[1]. Nous disions également que c’est dans la pratique d’espaces « interstitiels » ou de « tiers espaces » que se dégage une force « instituante » amenant à penser la réalité autrement et par conséquent agir sur elle : structurer et reconfigurer nos manières de faire collectif, de faire territoire, partager et gérer des ressources du commun, développer une analyse critique des rapports sociaux et de concevoir autrement un développement, etc.

Nous poursuivons toujours aujourd’hui l’exploration de ces espaces qui pour certains ont pris le label « tiers lieux », tandis que d’autres préfèrent garder leur indépendance vis-à-vis de ces formes de catégorisation en s’affirmant dans une logique de tiers espace comme la « Chimère citoyenne » à Grenoble, ou le lieu de « L’Utopie » dans les quartiers nord de Nice, ou encore se croisent avec des mouvements comme celui de la pédagogie sociale portée par l’association Intermèdes en milieu ouvert aux pieds des immeubles ou dans les bidonvilles Roms dans la région parisienne.  Une initiatives appelés « Parcours-Bruts »trace les trajectoires et les expériences de vie, par-delà les représentations. Cette démarche vise à la fois à répondre à l’interrogation « de quoi notre société est-elle faite ? » et à la fois à faciliter l’émergence de pensées et de paroles qui d’ordinaire se taisent. L’organisation d’un forum à la MSH Paris Nord en octobre 2017 sur « les espaces d’émancipation collective et de transformation sociale » regroupant une quinzaine d’expériences autour du réseau recherche-action alimentera un nouveau numéro des Cahiers de l’action de l’Injep bouclant ainsi ce cycle d’une quinzaine d’années.

La question du rapport au travail et des alternatives économiques dans ces espaces de créativité populaire confrontée à la précarité est devenue une préoccupation centrale dans nos démarches en recherche-action. Cette question porte à la fois sur le domaine d’un développement endogène des territoires et sur les modèles économiques de structuration des acteurs.

C’est ainsi que nous développons depuis quatre ans une recherche-action autour des récupérateurs vendeurs de rue que nous élargissons à travers un collectif appelé « Rues Marchandes » à d’autres pratiques d’une économie qui ne se limite pas à la survie, mais pose la question de la mobilisation des acteurs puisant dans les ressources d’un territoire pour répondre par des services aux besoins du territoire. Nous appelons ce développement endogène « économie populaire », une notion très peu développée dans les pays du Nord, mais beaucoup plus avancée en termes de réflexion et d’expérimentation dans les pays du Sud, notamment en Amérique latine. Nous aimerions ainsi expérimenter le principe de « clusters populaires » qui questionnent selon une autre cohérence partant du « bas », d’une maîtrise d’usage vers une maîtrise d’ouvrage, le domaine de l’économie sociale, de l’entreprenariat social ou de l’innovation sociale.

Dans le Limousin s’est mis en place un dispositif original de rencontres sur la question du travail qui se conçoit comme un espace d’autoformation où l’on met en résonance, en débat, les vécus du travail et des recherches : « un espace hors du temps de travail pour mieux le transformer, provoquer une rencontre entre des milieux qui ont un rapport au travail différent (travailleurs, chômeurs, retraités…) et de les faire interagir, dans un autre lieu que celui de l’entreprise ».


[1] Journée d’étude « De la formation du sujet aux démarches interdisciplinaires », http://www.artfactories.net/IMG/pdf/Actes-Rencontre-12_dec-20_1.pdf