Cheminement d’un acteur chercheur

Publié par Hugues Bazin le

Chantiers de recherche-action d’Hugues Bazin (à préciser, partager, développer, etc.)

« Où est ce lieu des solutions ? Il est nulle part et partout, il est individuel et collectif, il est territorial et non territorial, il est dans une refondation totale de nos systèmes de représentations, et dans le sens que nous accordons aux choses fondamentales. Cette mutation est déjà en cours un peu partout, mais elle est invisible pour nos vieux systèmes de représentations, nous ne voyons que les ruines et les décombres se préciser autour de nous, mais l’horizon, l’en dehors, l’inconnu, l’inconcevable, nous brûle encore l’esprit.. Le lieu est dans cette brûlure. La radicalité est nécessaire et cela doit se faire avec des outils conceptuels nouveaux, des ruades prodigieuses de l’esprit, et donc par une poétique. » (Patrick Chamoiseau).

Intro

Je livre ici quelques chantiers de recherche-action que je mène parallèlement, sachant qu’aucun d’entre eux ne s’insère pour l’instant dans un dispositif professionnel ou partenarial stable et qu’ils sont donc soumis à l’aléatoire et aux contingences des situations humaines liées à la précarité d’un travail indépendant. Cela n’enlève rien à l’enracinement et la cohérence de ces démarches qui dialoguent entre elles, provoquant une synergie qui comble l’absence de soutien et de moyen quant à tout ce qui touche à l’innovation et l’intelligence sociale. On peut dire que le croisement de ces démarches synthétise mon propre parcours de chercheur et travailleur indépendant. On y retrouve ainsi à la fois une dimension sociale et créative par l’implication en situation autogestionnaire où s’exprime et se théorise la problématique d’un processus instituant en dehors des catégories institutionnelles. Cela s’incarne par l’ouverture de tiers espaces ou de contre espaces ou encore d’espaces intermédiaires, ce « lieu » dont parle Chamoiseau, dans tous les cas des espaces qui jouent le rôle d’interface entre formes émergentes et formes instituées permettant ainsi à chacun de se donner la liberté d’entrer dans une réflexivité sur sa pratique, de redéfinir sa posture dans la relation entre agents acteur et auteur.

Remarquons qu’il n’y a pas d’ordre particulier dans les différentes démarches présentées ci-dessous. C’est un désordre assumé propre à une complexité qu’il n’est pas souhaitable de réduire. Elles s’inscrivent dans la culture d’un cheminement et d’implications réciproques pouvant déboucher ou non sur des ateliers de recherche-action. Il existe par ailleurs d’autres pistes que je ne développerai pas ici mais qui feront peut-être l’objet d’écrits futurs comme les échanges avec le réseau des espaces numériques et des fabs labs. Précisons seulement que je participe aussi comme rédacteur à une nouvelle formule de la revue Arpentages domiciliée dans la région de Grenoble, accueillant des contributions internationales en relation avec le festival de l’Arpenteur qui se tient chaque été dans un petit village à flanc de montagne.

Remarquons également la quasi-absence de chercheurs « classiques » dans ces espaces, qui renvoie à la difficulté pour le milieu universitaire d’accueillir en son sein ses propres espaces de recherche-action, ce qui correspondait, il y a 30 ans, aux courants de l’analyse institutionnelle. Pourtant paradoxalement, lorsqu’une structure veut valider la scientificité d’une approche en recherche-action, elle se sent obligée de s’adosser systématique à un pôle universitaire avec toute sa lourdeur (c’est le cas par exemple des Collèges Coopératifs). Le LISRA est né de ce constat, mais nous n’avons pas réussi aujourd’hui à insuffler le débat dans l’espace public, nous sommes écoutés, mais pas entendus à l’exemple de la tentative relativement infructueuse d’animer à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord un séminaire pendant deux ans dont l’enjeu était de produire de la connaissance à partir de l’expérimentation sociale au-delà des champs disciplinaires.

Cela ne veut pas dire que des liens ne sont pas possibles comme le séminaire MSH PN de Pascal Nicolas Lestrat et Martine Boudineau « Les fabriques de sociologie » qui lui part du cheminement inverse d’une « recherche-intervention », par le questionnement de chercheurs universitaires interrogeant les conditions d’une production scientifique dans une implication en situation.

Traduire sur le plan théorique la démarche du LISRA serait un chantier en lui-même important qui dépasse les conditions scientifiques de la production de connaissance pour rejoindre la place politique d’une démarche de recherche-action en société.

 L’art du bricolage

C’est un cheminement de longue date, disons à partir des années 90, initialement autour de la dimension d’atelier et de résidence artistique, qui contribua à la mise en place du réseau « espaces populaires de création culturelle », ancêtre du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action. Ce réseau s’est constitué dans la croisée de nombreuses rencontres d’expériences individuelles et collectives sur différents territoires, qui malgré l’éclatement inhérent à l’absence de référentiel , témoignent d’une problématique commune propre à une génération d’acteurs (voir mon article « Les espaces intermédiaires de l’existence »). En particulier sur l’idée que la confrontation et les contraintes inhérentes d’un travail sur les matériaux peuvent être source de liberté par la création de nouvelles formes sociales et culturelles en opposition à la logique de l’ingénierie culturelle, et la pensée verticale des dispositifs institués. Effectivement ce bricolage échappe aux règles de l’académisme et du lissage esthétique commercial. Le profil des personnes qui l’adoptent peut être varié, mais se rejoint dans cet esprit entrepreneurial échappant aux schémas institutionnels ou industriels. Le dernier article synthétise ce cheminement réflexif : « Art du bricolage, bricoleurs artistes ». Ce texte a provoqué la (ré)ouverture d’un atelier informel dans la région Pays de la Loire regroupant des personnes sur l’idée de contribuer par ce processus du bricolage à une production commune qui ne serait pas le résultat d’une intention prédéterminée.

L’écosystème de la biffe et l’économie du recyclage

La base est l’étude 2011-2012 commandée par la région Île-de-France. J’y ai répondu en tant que chercheur indépendant, rejoignant l’équipe de chercheurs et du travers sociaux dont le portage a été assuré par l’association Aurore. Il s’agit de dégager sur la base des préconisations du rapport un dispositif qui pourrait comprendre trois volets :

  1. Une BASE DE CONNAISSANCE sous la forme d’une plate-forme internet collaborative co-animée avec les acteurs concernés sur l’actualité de ces questions, permettant de répertorier les informations, les connaissances, les initiatives sur les questions de la biffe et du recyclage.
  2. Un ATELIER RECHERCHE-ACTION sur l’éco-développement réunissant avec les principaux intéressés et des personnes ressource autour des problématiques du recyclage, de la biffe, du développement territorial. La production de cet atelier peut établir des documents de référence et nourrir des propositions en direction des pouvoirs publics.
  3. Un LABORATOIRE VIVANT créant sur le terrain des conditions d’expérimentation où les acteurs développent un travail de recherche sur leur propre expérience. Cette connaissance directement issue de l’expérimentation sociale est réinjectée en termes de formation et d’outillage méthodologique auprès des acteurs et intervenants.

 

L’intérêt réside dans l’interrelation de ces trois éléments conçue comme un dispositif global. Nous retrouvons avec Christian Weiss pour ne pas laisser dormir cette étude dans un placard bien rangé. Cela dit, nous ne nous faisons aucune illusion sur les difficultés politiques, institutionnelles et économiques quand il s’agit de traduire une proposition en termes de recherche-action. Une prochaine restitution en juin à l’université de Paris VIII sera l’occasion de faire le point.

Par (K)ours dans l’espace public

La lettre K indique que nous parlons ici d’une pratique particulière dans l’espace public caractérisée par « l’art du déplacement » en jonglant avec le mobilier urbain et en jouant avec les différentes contraintes d’une mobilité à la fois physique et existentielle. L’idée est de coproduire un écrit en relation avec ce déplacement social, géographique et mental. Au-delà de la définition et de la présentation de ses pratiques qui ne se résument pas au folklore des cultures urbaines il s’agit bien évidemment aussi de poser la problématique fondamentale du rôle d’un espace public dans notre société contemporaine et de la place accordée à cette mobilité lente qui redéfinit notre rapport à l’urbanité. C’est ma rencontre avec l’un de ces « traceurs », Naïm Bornaz qui a fait émerger le projet. J’ai eu avec lui (et un chorégraphe, Mehdi Slimani) un précédent puisque nous avons coécrit un article autour des cultures et des arts populaires publié dans une revue scientifique internationale québécoise dont le dossier était consacré au hip-hop. Je rejoins ici un très ancien cheminement entamé dans les années 80, en abordant sous un nouvel angle la question des émergences culturelles et les enjeux qu’elles posent comme mode d’expression populaire dans l’espace public.

Le travailleur social chercheur

C’est aussi une ancienne démarche que je désire réactiver dans la perspective d’une publication autour de la problématique « recherche-action et travail social ». C’est un peu un retour aux origines puisque mon premier champ professionnel dans les années 80 a été celui du travail social. J’avais quitté le travail social justement parce que je n’avais pas réussi à l’inclure dans une pratique de recherche et réciproquement. Aujourd’hui les conditions sont différentes non pas pour regarder vers le passé mais placer cette origine devant comme manière d’échafauder une alternative. Nous y retrouverons peut-être la posture radicale que nous cherchions dans les années 80 à travers la revue « Paroles et Pratiques sociales ». Des pôles régionaux de formation (PREFASS) devraient contribuer à valider la recherche en travail social. Des problématiques pourraient être réinterrogées comme le travail social collectif, l’innovation sociale à travers la possibilité pour l’intervenant de s’affirmer chercheur. Il s’agit déjà dans un premier temps de rencontrer des personnes ou collectifs dans plusieurs régions qui pourront témoigner de ce questionnement. C’est un cadre qu’il reste à affiner.

Laboratoire social en quartier populaire

Dans un article intitulé « Pour une apiculture politique » suite à un travail à Amiens en 2012 avec l’association La Forge, j’évoquais la nécessité d’une démarche écosystémique pour prendre en compte la complexité d’un travail en quartier populaire en s’appuyant sur les compétences et les modes d’investissement des personnes, habitants-acteurs ou intervenants extérieurs. Il existe une convergence et une résonance entre cette approche interactionnelle et celle de la recherche-action. Effectivement la recherche-action indique la conjugaison ou l’articulation entre une démarche réflexive personnelle et une situation sociale. Le principe est toujours de créer une intelligence sociale, c’est-à-dire une intelligence collective au service d’une transformation susceptible de répondre par l’innovation aux questions et problématiques de personnes impliquées en situation.

Le « laboratoire social » conjugue méthodologie et politique en articulant un dispositif avec un mode de gouvernance. Il s’agit de dégager des conditions pour que des citoyens valident une auto expertise, pour qu’ils apparaissent légitimes dans la capacité à prendre la parole, à s’auto missionner sur des programmes de développement et à produire une connaissance partagée et partageable au-delà de l’expérience locale.

Notre réseau recherche-action a côtoyé depuis quelques années un lieu culturel spécifique au cœur de l’un des quartiers les plus denses de Paris : l’Echomusée Goutte d’Or. Je travaille actuellement avec l’équipe porteuse de ce lieu au renouvellement du projet. C’est peut-être la première fois que nous avons l’opportunité de faire raisonner entre elles dans le même espace-temps les dimensions sociales, culturelles, artistiques et scientifiques en dépassant les logiques disciplinaires et sectorielles. Autant dire que cette proposition au cœur d’un quartier populaire peut devenir un référentiel intéressant.

Ainsi, le projet tel qu’il est en train de se formuler est :

  • D’offrir un espace d’accueil et de partage avec une diversité de publics selon les principes de l’action culturelle, et de l’éducation populaire à travers une écoute-accompagnement et la pratique en ateliers (art plastique, musique, théâtre, lecture, écriture).
  • De constituer un laboratoire d’idées et d’initiatives culturelles et favoriser l’émergence de projets innovateurs émanant des ressources du territoire en accompagnant des expérimentations et en développant des supports d’échanges et de diffusion de la connaissance (conférences, rencontres, débats, publications).
  • De valoriser la mémoire, le patrimoine artistique et culturel du territoire, en offrant un centre d’orientation et de documentation favorisant l’exploration du territoire (tourisme culturel), en promouvant la diffusion d’oeuvres d’artistes amateurs et professionnels (arts plastiques, musique, théâtre, lecture…) en organisant des expositions, et des événements thématiques.

L’Échomusée n’est donc pas simplement un lieu d’activité juxtaposée et de consommation de produit culturel, il s’agit pour les intervenants – participants de :

  • Sortir d’une logique disciplinaire (pratiques artistiques, scientifiques) ou sectorielle (champ social, socioculturel, culturel) et rejoindre une dimension coopérative à partir d’échanges, de compétences et de partage de projet
  • Accepter d’ouvrir un espace réflexif sur sa pratique en rapport avec le projet global de l’Échomusée
  • Entrer dans un processus de fabrication et de co-production

Pour cela nous avons dégagé quatre pôles d’activité :

  1. « Le Syndicat d’initiative culturelle » : Plate-forme accueil, information, documentation, visite du quartier et valorisation des ressources territoriales
  2. « La Fabrik » : espace de fabrication, accompagnement de pratiques socioculturellles, et de co-production avec les publics regroupant les ateliers et les spectacles vivants (cela dépasse donc les simples ateliers et inclut tous les travaux sur les matériaux incluant de différentes façons et les publics)
  3. « Expositions-Captations » : regards de quartiers, expositions, mise en en valeur – visibilité de la culture populaire immatérielle, de son patrimoine et sa mémoire à travers le regard d’artistes, collections d’expositions, etc.
  4. « la Ressourcerie intellectuelle » : mise en rencontre-débat, production et diffusion de connaissance multi supports (article, publications, multimédia, etc.), laboratoire social et accompagnement d’expérimentation innovante

Une prochaine assemblée générale devra valider cette proposition, sachant que là aussi comme ailleurs, nous n’avons aucun moyen…

Catégories : Contributions

Hugues Bazin

Chercheur indépendant en sciences sociales,

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