Recherche-action en laboratoire social
Qu’est-ce que la Recherche-action ?
La recherche-action est une démarche qui peut s’inscrire ou non dans un cadre professionnel, mais est toujours une recherche impliquée qui nécessite un engagement de l’individu dans son entièreté et pas seulement dans sa « surcouche » technicienne. C’est en cela aussi une démarche existentielle.
La recherche-action n’est pas une recherche « déductive » qui va poser une hypothèse à partir d’une problématique pour aller la vérifier sur un « terrain ». C’est une recherche « inductive » qui construit une réponse à partir d’une expérience vécue en situation. Les personnes ne sont pas « objet » mais « sujet » de la recherche. On ne peut pas faire « de » la recherche-action sans être « en » recherche-action.
C’est ici que l’acteur rejoint le chercheur et réciproquement : l’expérience devient une recherche pour l’acteur et la recherche une expérience pour le chercheur. L’acteur comme le chercheur se retrouve sur cette position spécifique de l’acteur-chercheur qui n’est ni un statut ni une profession, mais une démarche où l’on tire une connaissance de son expérience pour ensuite réintroduire ces acquis dans l’expérience.
En mesurant ce qui se produit, on comprend l’intérêt du processus. Cet aller-retour dans un cheminement en spirale entre mode d’implication et mode d’analyse est appelé « réflexivité ». C’est une « science de la pratique ».
Qu’est-ce que n’est pas la recherche-action ?
Ce n’est pas de l’ingénierie de projets ou de la recherche fondamentale. La recherche-action ne peut non plus se résumer à une méthodologie au service de la recherche ou de l’action bien qu’elle se fasse souvent instrumentaliser dans ce sens. C’est une forme autonome et hybride entre l’action et la recherche créant ses propres référentiels d’opérationnalité et de scientificité, d’engagement et de production de connaissance.
C’est en cela que la recherche-action dépasse les champs disciplinaires universitaires et sectoriels professionnels pour être trans-disciplinaire et trans-sectorielle tout en allant puiser les éléments qui l’intéressent là où ils se trouvent aussi bien dans le champ académique que pragmatique.
Cependant demeurent des ambiguïtés. Différentes approches se présentent comme recherche-action, à la faveur des injonctions de « participation » et d’« expérimentation » des politiques publiques sans remplir véritablement les critères posés dans la précédente question. Que veut dire « participation » à un dispositif sans pouvoir d’orientation du processus qui l’anime ou « expérimentation » sans capacité de créer ses propres référentiels ?
Pour notre association Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action, sortir de l’ambiguïté, c’est poser la recherche-action comme « science radicale, intégrale, situationnelle ». Maintenant, c’est à chaque acteur-chercheur de construire son cheminement.
À quoi sert-elle ?
Elle permet de lier un mouvement d’émancipation et de transformation sociale avec une production de connaissance. En introduisant un récit au cœur de ces mouvements individuels ou collectifs, elle contribue à concevoir des outils et des cadres susceptibles de penser la réalité contemporaine et donc agir sur elle. En posant des mots sur leurs conditions et situations, les personnes se réapproprient un sens historique en tant qu’acteurs et auteurs de leur propre vie, voire une conscience en tant que minorité active.
La recherche-action est particulièrement adaptée dans les situations humaines par définition complexes nécessitant de mobiliser une intelligence sociale. Elle contribue ainsi à l’élaboration, la légitimation et la validation d’une contre-expertise ou de labos citoyens : expérimentation et modélisation, expertise territoriale et mobilisations locales, analyse institutionnelle, mis en place de collectifs et laboratoires sociaux, structuration de réseau, plate-forme et écriture collaborative, cycle de formation-action, valorisation des parcours d’expérience, évaluation de projet et analyse prospective, conception de modèles de gouvernance et du partage du commun…
Combien de temps ça dure ?
Une recherche-action peut s’instaurer dans un cadre informel ou institué, s’auto-saisir ou être commandée, sa durée est donc très variable, mais une recherche-action peut difficilement s’inscrire dans une courte durée puisqu’elle s’appuie sur l’expérience humaine par nature incompressible. Il y a donc une tension entre logique de productivité qui impose un résultat à court thème selon le modèle entrepreneurial ambiant et logique expérientielle s’inscrivant dans un temps long car elle ne se résume pas à mobiliser des compétences.
Sur un plan existentiel, la recherche-action n’est donc pas un projet limité dans la durée. Elle peut se comprendre comme une formation-action tout le long de la vie avec des séquences temporelles plus ou moins engagées. C’est ce rapport à l’espace et au temps qui crée des situations particulières d’implication de l’acteur-chercheur que nous appelons « tiers espace » ou « espace intermédiaire de l’existence ».
Sur un plan professionnel et institutionnel, elle dépend essentiellement de la manière dont est négociée la commande initiale. S’agit-il des acteurs qui se mobilisent pour répondre à un besoin ou d’une institution qui cherche à répondre à une question ? Dans les logiques interpartenariales se confrontent aussi le temps électoral et le temps du projet.
Avec quels moyens ?
Les moyens renvoient à la question de l’autonomie de la recherche-action. Il est effectivement difficile sans autonomie de favoriser une intelligence collective, contribuer à une créativité populaire, établir de nouveaux référentiels, provoquer des contres espaces d’expertise.
Cela dépend évidemment du type de recherche-action et son rapport au temps décrit dans la précédente question. Soit les acteurs comme les chercheurs puisent leurs propres ressources et celle de l’environnement pour répondre à ces conditions d’autonomie, soit ils dépendent de dispositifs extérieurs de type « appel à projets » qui sont rarement conçus pour accueillir une démarche en recherche-action.
La réalité se situe comme toujours en tension entre ces deux pôles autonomie et instrumentalisation, subversion et subventions. Le meilleur équilibre est trouvé quand la recherche-action s’articule avec une recherche collaborative impliquant des partenaires institutionnels soucieux de préserver cette autonomie et intégrant la démarche dans leur propre structure.
Des exemples ?
Écriture collaborative et formation action
La plate-forme ressources « www.recherche-action.fr » est devenue depuis 2002 un élément de référence en ce domaine et participe à la valorisation d’espaces d’innovation validés par la connaissance issue de l’expérimentation sociale (voir actes du LISRA).
La rencontre avec une génération de jeunes acteurs sociaux et culturels contribua à l’ouvrage « Espaces populaires de création culturelle : enjeux d’une recherche-action situationnelle » (INJEP, 2006). Cette mise en visibilité d’un réseau d’acteurs-chercheurs interrogeant le rôle des sciences sociales provoqua en 2009 la création du « Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action ».
Un nouveau numéro des « Cahiers de l’action » de l’INJEP est en cours de préparation sur les « processus d’émancipation et de transformation » et donnera lieu à un forum le 16 octobre 2017 à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord.
Constitution de labos sociaux in situ et de pôles d’intelligence collective
Un exemple récent, le collectif « Rues Marchandes » est né fin 2014 de la nécessité de provoquer une intelligence collective autour de la question des récupérateurs-vendeurs appelés aussi « biffins » convoquant autour d’eux militants, citoyens, chercheurs, créateurs, formateurs, travailleurs sociaux, entrepreneurs et innovateurs de l’économie sociale, etc.
À travers ces ateliers Les Rues Marchandes se conçoivent comme un dispositif méthodologique et opérationnel inventant de nouvelles formes de collaboration avec tous les partenaires concernés en les invitant à partir d’un processus du bas vers le haut, de la maîtrise d’usage à la maîtrise d’ouvrage.
Cette démarche de recherche-action reflète en creux l’absence de connaissances et de reconnaissance pour cette activité et la nécessité de concevoir une autre économie au « rez-de-chaussée » des villes.
L’autre chantier de ce collectif est donc de créer un pôle de ressources dont les sites http://recherche-action.fr/ruesmarchandes et http://recherche-action.fr/ateliersbiffins. Ces ressources partagées permettent de mettre à disposition des outils pour susciter des réflexions et des rencontres autour des problématiques soulevées par les biffins en matière de culture, d’espace public, d’économie populaire, de statut du travail, etc.
Les Rues Marchandes décrivent ainsi la possibilité de provoquer, négocier et accompagner des expérimentations dans l’espace public susceptibles de prendre en compte l’ensemble du travail des récupérateurs vendeurs et du cycle économique de l’objet : récupération, tri, stockage, valorisation, vente…
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