Contribution pour une définition de la recherche tournée vers l’action et le Travail Social

Publié par intermedes le

Laurent Ott,

Docteur en Philosophie

Chercheur en travail social

Nicolas Murcier, sociologue,

 

Nous souhaitons présenter ici un texte court et synthétique qui appellerait de toute évidence de nombreux développements. Il s’agit également d’un texte qui ouvre à de multiples discussions.

Nous souhaitons cependant proposer ce texte en tant que document dans le cadre du débat lié à la conférence de consensus des 14 et 15 novembre 2012.

Ce texte a pour but de présenter des idées et des concepts qui permettraient de caractériser au mieux une démarche de recherche en travail social.

 

Dans ce cadre, nous prenons appui, d’une part sur l’action de recherche « Ouvrir le travail social aux professionnels sourds »[1] menée entre 2008 et 2010 (coordonnée par Laurent Ott), et d’autre part sur l’action de recherche « le travail avec les enfants des rues en France »[2], menée entre 2009 et  2011 (coordonnée par Laurent Ott pour le compte du CERA), dont la publication est en cours.

 

Dans les deux cas, les objets de recherche étaient directement issus de pratiques en travail social. Dans le premier cas, il s’agissait d’étudier les effets d’une innovation dans le cadre de la formation en travail social, et dans le second, il s’agissait de s’appuyer sur l’étude des innovations observables en matière de pratiques éducatives, sociales et culturelles pour interroger la perception de l’évolution des besoins d’une certaine catégorie d’enfants (les enfants pauvres), qui en découlait.

 

Dans les deux cas, ce sont des travailleurs sociaux qui ont été à la fois à l’origine du  projet de recherche, mais également de la conception de son cadre conceptuel et méthodologique. Pour ces deux actions également la proximité des acteurs de la recherche avec l’objet de leur étude était évidente. Pour la recherche « Ouvrir le travail social aux professionnels sourds », les deux principaux chercheurs étaient employés et impliqués dans l’institution qui était à l’origine de l’objet de la recherche. Plus encore, en tant que formateurs, ils avaient été confrontés directement, avec certains des  étudiants sourds qui constituaient le public étudié.

 

Dans la recherche concernant les enfants en situation de rue, le coordonnateur de la recherche était lui-même impliqué comme promoteur d’une action innovante s’adressant  à une telle catégorie d’enfants.

 

Cette proximité évidente des acteurs de la recherche avec leur objet, vient illustrer concrètement ce que peut être une recherche EN travail social, dans le sens d’une action de recherche menée par des chercheurs impliqués, experts de leur secteur et désireux de théoriser leurs pratiques.

 

Bien entendu, il y a ici un point de divergence fondamental avec les modèles de recherche plus classiques qui supposent a priori une étrangeté, un éloignement ou désintéressement souhaitable des chercheurs.

 

Ici nous retrouvons la question de la dynamique du couple a priori antagoniste, proximité/distance, qui par ailleurs recouvre un champ d’interrogation au sein même des pratiques éducatives. Ainsi les éducateurs, les travailleurs sociaux, s’interrogent-ils constamment sur leur distance ou leur proximité vis-à-vis de leur public.

 

Cette première remarque amène l’hypothèse d’un éventuel caractère « isomorphique » de la recherche en travail social. Celle-ci en tant qu’action, en tant que pratique, serait caractérisée par un certain nombre de caractères communs en ce qui concerne les valeurs, les pratiques, les postulats avec le secteur, objet de recherche.

 

Observons que ce critère d’isomorphisme a déjà été relevé et théorisé (OTT, 2009[3]) comme caractérisant la question de la recherche action dans le domaine de la pédagogie, et plus particulièrement dans le champ de la pédagogie de type « Freinet »[4].

 

Une seconde remarque porte sur la finalité de ces recherches ; celles-ci se démarquent des recherches classiques en ce qu’elles admettent une finalité autre que celle de la recherche d’une éventuelle « vérité scientifique ». Dans les deux cas, il s’agit, au cœur du projet même de recherche, de contribuer à influencer les pratiques éducatives et sociales, en lien avec l’objet de recherche.

 

Une telle finalité est-elle contradictoire avec les nécessités de la recherche ?  On pourrait le concevoir dans le cadre de recherche disciplinaire, mais on peut aussi admettre que le domaine du travail social échappe à ce type de considération.

En effet, la finalité qui est ici mise en lumière est d’une nature particulière : elle ne vise pas à promouvoir telle ou telle pratique, mais à rendre compte et à organiser les perceptions, les observations, les conceptions des acteurs eux-mêmes. Il s’agit d’une « finalité sans fin »[5] au sens même que Kant donnait à cette expression pour caractériser le phénomène du « vivant ». On pourrait dire de façon plus claire qu’il s’agirait dans cette démarche de recherche impliquée dans la pratique, d’exprimer une finalité « non utilitariste », au sens que le mouvement du MAUSS[6] a pu donner à ce terme.

 

A la différence de la recherche disciplinaire classique, celle qui s’applique au travail social et qui se revendique comme étant liée à ce secteur, de multiples manières (engagement,  isomorphisme)  vise ainsi à participer même modestement à la transformation de la réalité qu’elle observe. Nous sommes ici à l’exact opposé d’un idéal de neutralité de la recherche, mais nous sommes également très proches du champ des  pratiques sociales  dans lesquelles ce type de recherche s’inscrit.

 

On peut alors se demander comment une recherche qui vise à modifier la réalité qu’elle étudie peut encore être productrice de « vérité » ; comment en quelque sorte, elle pourrait s’y prendre.

 

En s’appuyant sur l’expérience des deux actions de recherche précitées, on peut remarquer que la production théorique qui en découle est favorisée principalement par la mise en relation de nombreux éléments : confrontation de pratiques , de représentations, de concepts (pratiques différentes concernant les mêmes publics, écarts des représentations des acteurs selon les structures, les pratiques ou les institutions, etc.); interrogation et confrontation des apports des connaissances dans les différents champs disciplinaires « voisins » ou impliqués (sociologie, psychologie, ethnologie, etc.)

 

La recherche en travail social pourrait ainsi, et cela reste à démontrer, caractérisée par son étonnante aptitude à synthétiser un grand nombre d’apports et de champs conceptuels différents. En un  mot cette forme de recherche « met en lien » les disciplines entre elles, mais aussi les pratiques. Il s’agit de mettre ici en évidence un caractère relationnel de la démarche de recherche « EN travail  social ».

 

L’isomorphisme entre ce caractère et les observations les plus communes, issues au travail de terrain des travailleurs sociaux, est également ici remarquable. De même que le travailleur social, dans sa pratique, peut être caractérisé par son aptitude à mettre en relation les protagonistes les plus variés, des situations auxquelles il se confronte, mais aussi les différents concepts et champs de savoir qu’il a pu aborder au cours de sa formation professionnelle et personnelle, de même nous postulons que le chercheur en travail social peut caractériser sa démarche par cette propension à mettre en lien des concepts issus de champs disciplinaires disjoints, ainsi que des savoirs pratiques observés, ou même personnels.

 

A défaut de se prononcer sur une éventuelle légitimité scientifique de la recherche EN travail social, il nous apparaît important de contribuer à décrire ce qu’une telle recherche peut être et ce qui peut la caractériser, dans sa réalité.

 

Il s’agit d’une première étape qui nous paraît nécessaire et sur laquelle, curieusement, la plupart des auteurs et contributeurs au débat qui nous rassemble, ne s’attardent guère.

 

En partant de l’expérience, issue des actions de recherches passées ou actuelles, auxquelles nous contribuons, nous proposons à la discussion que la recherche en travail social peut être définie par différents facteurs qui la caractérisent.

 

Ces facteurs, selon nous, caractérisent la démarche propre à ce type de recherche à la fois isolément (en ce qu’ils diffèrent des caractères classiques de la recherche académique), mais aussi comme un ensemble structuré et cohérent (ce qui pourrait soutenir l’idée de l’unité d’une telle démarche).

 

La recherche EN travail social nous paraît en premier lieu, traversée dans son ensemble par un caractère « d’isomorphisme ».

 

De même que le travailleur social peut être caractérisé dans sa pratique par l’alternance de trois actions fondamentales (transmettre, éduquer, transformer)  (OTT, 2011[7]), la recherche EN  Travail Social pourrait être caractérisée par des axes similaires :

 

–        Elle vise à produire de la connaissance et à la transmettre. Comme toute recherche, la recherche en travail social vise également la recherche de la « Vérité » mais ajoute à cette recherche une exigence de « transmission ».

 

–        Elle met en relation de nombreux champs disciplinaires et des savoirs issus des pratiques ; elle contribue à mettre en relation les acteurs, les publics, les pratiques du champ social.

 

–        Elle vise à la transformation et à l’amélioration des réalités sociales qu’elle s’efforce de mieux connaître, dans le cours même de son processus, et pas seulement comme conséquence possible du savoir produit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Action de recherche coordonnée par L Ott et Alain Bonnami pour l’EFPP. Rapport de recherche publié : « Ouvrir le travail social aux professionnels sourds », EFPP, éditions L’Harmattan , Paris , novembre 2011

[2] Recherche menée par L. Ott, S. Rullac, E. Djaoui , M. Fourdrignier, E. Cazotte et collaborateurs, cofinancée par l’ONED dans le cadre de son appel à projets de recherche ; un ouvrage issu de cette recherche est en cours de publication. Le rapport est consultable sur le site de l’ONED.

[3] Laurent Ott, « Rendre l’école aux enfants », Fabert 2009.

[4] Voir aussi sur ce sujet les travaux théoriques du chantier de Pédagogie Sociale, dans le cadre du Mouvement Freinet dont certains éléments (non publiés)  sont consultables  en ligne :

http://www.icem-pedagogie-freinet.org/recherche/adultes/results/taxonomy%3A217

[5] Emmanuel Kant, « analyse du jugement esthétique »,

[6] Revue du MAUSS :

http://www.revuedumauss.com/

[7] Pédagogie sociale, L. Ott, éditions Chronique Sociale, Lyon, 2011.

Catégories : Contributions

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