FAQ
Questions fréquentes sur la recherche-action : tout ce que vous avez voulu savoir sur recherche-action en 4 chapitres et 15 questions
1-Pertinence
Le terme recherche-action est souvent renvoyé aux années 70, une époque où les corps professionnels, particulièrement ceux de l’éducation, de la santé, du travail social, cherchaient des réponses alternatives aux pratiques institutionnelles.
Rappelons premièrement que la recherche-action est plus ancienne. Elle est issue de la Seconde Guerre mondiale (années 40/50). Des chercheurs progressistes aspiraient à une autre vision du monde où les sciences humaines et sociales pouvaient jouer un rôle. Il existe donc plusieurs générations de chercheurs en recherche-action. S’il y a des fondateurs, il n’y a pas de « maître à penser » mais des mouvements scientifiques de consciences qui s’approprient cet héritage collectif pour répondre aux questions de leur époque comme nous le faisons aujourd’hui.
Le principe de recherche-action se conjugue toujours au pluriel, réactualisé par différents acteurs contemporains. La recherche-action n’est pas une simple méthodologie (comme un outil qui se transmet de génération en génération) mais un processus qui forge ses propres outils en fonction des contextes, il n’y a donc pas obsolescence d’une démarche mais une reconstruction permanente.
L’approche en recherche-action repose principalement sur l’idée que pour connaître une réalité sociale, il faut participer à sa transformation. Elle est donc toujours pertinente dans les moments de profondes transformations lorsque les repères habituels sont bouleversés. C’est le cas dans nos sociétés contemporaines.
Parce qu’elle expérimente dans la vie réelle, elle ne craint ni d’étudier la complexité, ni de se plonger au cœur des problèmes sociaux : quand le monde n’est plus pensable, la recherche-action apparaît alors comme mode intelligible et évident de le penser autrement.
La recherche-action est performante dès qu’il s’agit de travailler sur des situations inextricables, des dynamiques multidimensionnelles, interdisciplinaires, des systèmes d’interactions : relations économie/développement
Historiquement la recherche-action a été portée par les approches de la dynamique de groupe au sein des entreprises et des institutions (psychosociologie, analyse institutionnelle), les modalités d’apprentissage dans le système scolaire (sociologie de l’éducation).
Travailler avec des groupes restreints en milieu fermé facilite la maîtrise des paramètres d’une expérimentation et son évaluation : profil commun des acteurs, repérage des difficultés et constitution d’une problématique commune, intégration de la recherche-action dans l’environnement de travail, visibilité directe des effets de l’expérimentation, etc.
Néanmoins, il est tout à fait possible de construire une recherche-action en « milieu ouvert ». Cela demande évidemment d’autant plus de rigueur et de précision.
Il n’y a pas a priori de domaines et de problématiques qui échappent à la recherche-action. La faisabilité n’est pas une question de contenu mais de processus. Elle ne peut émaner que d’acteurs en mouvement, dans la conscience d’un état de recherche. Toute la force de la recherche-action réside dans son potentiel de développement et de transformation.
C’est pour cette raison que les problématiques touchant au développement humain et social sont particulièrement concernées (éducation, santé, éducation populaire, culture, travail social, économie solidaire, coopération Nord-Sud, etc.).
Il est donc aussi logique que les acteurs qui animent la recherche-action partagent également les mêmes valeurs : l’esprit de coopération et de responsabilité sociale, de démocratie participative, de reconnaissance des droits individuels et culturels…
La recherche-action est une science de la complexité parce que les situations humaines sont complexes, ce qui ne veut pas dire que son abord est compliqué. Les acteurs sur le terrain posent naturellement une cohérence dans leur manière d’appréhender leurs situations de vie. Ils les abordent globalement (holisme) et adoptent logiquement cette approche des systèmes dynamiques (systémique). La complexité qualifie donc la manière dont nous considérons les situations humaines
Penser que la résolution des problèmes passe par leur simplification conduit bien souvent à une impasse. Dans ce sens, la recherche-action s’oppose à la parcellisation des actions et des savoirs, à l’ordre hiérarchique des compétences, à la verticalité des programmes et à la linéarité des projets.
En d’autres termes plus savants, la démarche holistique s’oppose à la démarche analytique classique qui sépare les éléments d’une situation, nous estimons que la connaissance des situations implique une compréhension globale qui s’affine progressivement par approximations (série d’évaluations approchées) et expérimentations.
Les modes habituels de conception (séparation action/recherche), d’organisation (séparation en disciplines), de financement (séparation en champs d’activité) provoquent des cassures, des « chaînons manquants » dans les processus* de production de connaissance et de transformation sociale. Car bien souvent toutes les ressources sont monopolisées pour résoudre les problèmes générés par la sectorisation institutionnelle plutôt que de s’attacher aux réels problèmes que nous renvoient les situations socioprofessionnelles.
La recherche-action peut se comprendre ici comme une « science radicale », non dans un aspect militant ou comme opposition bornée aux appareils institutionnels ; c’est une radicalité scientifique dans le sens où la prise en compte de la complexité exige dans notre manière de penser et d’agir une rupture autant sur le plan de la production de connaissance (épistémologie*) que de l’existence.
Cette « intelligence des situations* » n’hésite pas à s’appuyer sur des dynamiques habituellement considérées comme « non-construites » parce que non ordonnées : organisation non formelle, système du chaos, zones de conflits, etc. Ce sont des principes fondamentaux de la vie, du mouvement et de la démocratie. Non seulement cela n’est pas négatif, mais cela peut être considéré comme un exercice à la citoyenneté, à la régulation des rapports sociaux et à une refondation des modes de participation à la société.
2-Engagement
Bien souvent nous sommes en recherche-action sans le savoir, car nous n’avons pas au début mis un nom sur cette démarche. C’est ensuite par la rencontre et les échanges avec d’autres personnes partageant les mêmes préoccupations et le même mode d’implication que l’on prend conscience de ce qui nous anime.
Lorsque nous sommes confrontés à un problème apparemment insoluble, des conditions de vie difficiles, des cadres socioprofessionnels figés, nous commençons par opérer un travail réflexif comme l’autobiographie raisonnée où l’on prend sa propre expérience comme matériaux de recherche. Difficile de faire de la recherche-action sans être clair avec soi-même, ce travail réflexif est incontournable.
Puis, nous imaginons in vivo de nouvelles méthodes (ethnométhodes) pour répondre au contexte, par exemple par la pratique empirique de l’expérimentation. Ainsi s’acquiert progressivement par l’autoformation un outillage méthodologique et théorique.
La recherche-action n’est donc pas une doctrine qui s’enseigne en tant que telle dans les livres ou les écoles, même s’il existe des livres et des formations s’appuyant sur la recherche-action. C’est tout d’abord une prise de conscience et un mode d’implication.
Si vous rencontrez quelqu’un qui se présente comme un « professionnel » de la recherche-action, alors c’est qu’il n’est pas en recherche-action ! On ne peut revendiquer un statut en recherche-action puisqu’elle est la conséquence d’une transformation de la réalité en commençant par soi-même, la reconnaissance ne peut venir que d’un work-in-progress, non d’une posture corporatiste.
La recherche-action n’est donc pas une profession avec un outillage d’« expert » ou de « consultant », puisque la connaissance n’est pas le produit d’une étude sur la réalité. C’est une démarche traversant nos différents investissements : on est chercheur-acteur à travers d’autres choses (travailleur social et/ou artiste et/ou bénévole et/ou formateur et/ou rmiste, etc.)
La confusion vient du fait que des professionnels chercheurs ou experts utilisent le mot « recherche-action » pour qualifier une modalité d’intervention, une méthode d’investigation. Ils devraient plus justement qualifier leurs postures « intervention sociologique », « intervention psychosociale », etc., suivant les disciplines et les courants scientifiques auxquels ils appartiennent.
Cette facilité ou abus de langage aboutit à un contre-sens lorsque la « recherche-action » nomme une intervention où un professionnel arrive sur un « terrain » pour faire une étude impliquant quelques acteurs. Participer à une action et y réfléchir n’est pas suffisant pour prétendre être en recherche-action. En recherche-action il n’y a pas de « terrain » mais des situations. L’exigence de produire une connaissance doit être nécessairement portée par les acteurs qui sont en quelque sorte « commanditaires ».
La recherche-action répond à des critères scientifiques mais cela ne veut pas dire qu’elle est destinée à la seule corporation scientifique où le chercheur « officiel » est le seul capable de décoder la réalité dont le commun des mortels ne peut percevoir la structure.
Néanmoins, un chercheur professionnel peut bien entendu aussi être « chercheur-acteur ». Il peut alors jouer un rôle d’impulseur, de facilitateur, d’évaluateur pour une mise en espace public d’un problème, mais ce sont tous les acteurs en situation et en temps réel qui sont porteurs du processus : ils posent le cadre et la problématique de travail, les outils d’expérimentation et d’évaluation.
Dans ce travail en situation, les problématiques et leurs résolutions émergent dans une mise en relation collective horizontale et interdisciplinaire. Nous parlons alors de chercheur collectif : acteurs, chercheurs et autres protagonistes croisent leurs regards et leurs compétences en fonction des besoins de chacun, des problèmes à traiter et produisent un changement pour tous selon des connaissances généralisables et accessibles à tous.
Il ne faut pas de compétences ou de formations initiales spécifiques si nous considérons que les solutions ne sont pas plus du domaine de « l’expert » et que la connaissance n’est pas la chasse gardée du « savant ». Pour ces mêmes raisons, il n’y a pas de techniciens en recherche-action qui procurent un savoir techniciste.
Le savoir-faire et le savoir être de la recherche-action est avant tout une manière de concevoir son rapport aux autres et au monde. Cela débute toujours par une prise de conscience de sa propre situation socioprofessionnelle.
Il n’existe pas de formation « en » recherche-action mais des formations « par » la recherche-action. Effectivement, la recherche-action n’est pas une discipline académique qui s’enseigne mais un processus qui est toujours lié à une transformation individuelle et sociale. C’est une métaformation en ce qu’elle apprend à apprendre. Il n’y a donc pas de spécialiste en recherche-action ni de profils d’acteurs types susceptibles d’y participer.
La recherche-action demande avant tout une certaine sensibilité et intelligence des situations, une envie de connaissance. L’intelligence n’est pas uniquement « intellectuelle », elle est aussi pragmatique dans cette manière aiguë de percevoir la réalité et dans la conscience de son positionnement dans la société. Elle pose un rapport entre le sensible et l’intelligible, le populaire et le scientifique, la réflexion et la pratique.
Ainsi, c’est surtout par l’autoformation et un réseau de compagnonnage que se constitue la base structurante. La recherche-action peut être comparée à ce titre à une architecture fluide par rapport aux formes académiques et instituées de l’apprentissage. Modifier la réalité sociale afin de la connaître est sans doute le principe fondamental qui procure à la recherche-action la force de cette mise en mouvement originale.
Les personnes qui développent un travail par la recherche-action ont souvent une grande expérience de terrain, une compétence approfondie dans différents domaines professionnels, sans obligatoirement avoir la reconnaissance institutionnelle ou universitaire correspondante.
Sur le plan de son parcours d’expérience, la recherche-action facilite une validation des acquis. Il existe des passerelles comme le Diplôme des Hautes Études en Pratiques Sociales (DHEPS, équivalent BAC + 4). À côté de ces validations de type universitaire, d’autres formes intermédiaires de reconnaissance diplômantes ou non peuvent se concevoir, par exemple des modules spécifiques en atelier de recherche-action basés sur des parcours d’autoformation.
Sur le plan d’un travail sur un territoire, la création d’espaces ressources en recherche-action comme les laboratoires sociaux est une autre manière de valider par les pairs engagés dans le même processus, les cursus « in vivo », dans le contexte même où s’exercent les expérimentations. Il s’agit d’intégrer recherche-action, formation et développement dans un même espace de travail où les mobilités socioprofessionnelles sont respectées dans une cohérence globale.
Sur le plan d’un développement social et économique, l’enjeu est de prouver en dégageant de nouveaux critères d’évaluation combien miser sur l’humain en le plaçant au centre des préoccupations génère une plus value importante comparée à l’investissement initial. L’innovation sociale à l’articulation de la recherche et de l’action pratique est un exemple de l’ingéniosité coopérative mise au service de la résolution des problèmes sociaux.
3-Déroulement
Travail Réflexif
Sur le plan existentiel, la recherche-action commence toujours par une insatisfaction profonde, un questionnement qui ne trouve pas de réponses dans les savoirs classiques, l’intuition que des processus fondamentaux se jouent même si nous ne pouvons pas encore les définir ni même les percevoir, une attente, un désir d’aller plus loin…
Il faut déjà qu’il y ait cette mise en œuvre initiale d’une démarche de recherche au sens large, qui comme toute œuvre humaine se dessine en creux d’une énigme existentielle. Car la recherche-action ne peut s’appuyer que sur une démarche libre et volontaire. Les niveaux d’implications entre réflexivité et opérationalité ne s’opposent pas mais s’inscrivent dans un rapport au temps différent.
Constitution d’un atelier de recherche-action
L’atelier de recherche-action est un espace d’échanges entre d’acteurs en recherche-action concernés par un même champ problématique. Il est difficile de faire seul le point surtout lorsque l’on est happé par les impératifs du quotidien, l’entrée en recherche-action passe inévitablement par une dimension collective. Cet espace de travail doit veiller à s’extirper du caractère instrumental utilitariste de l’investissement professionnel si nous voulons ensuite réinvestir son champ professionnel autrement.
Pour que des personnes se regroupent un moment donné dans un espace donné, sachant qu’il n’y a pas obligatoirement au début de liens affinitaires, sinon d’être en « état de recherche », il faut que l’intérêt de ce regroupement dépasse la somme des intérêts individuels (non parce qu’il est « supérieur » mais parce qu’il est autre).
Cet intérêt « autre » peut être social, culturel, artistique, politique, économique… souvent à la croisée de ces différents domaines. La difficulté réside au début dans une multitude d’attentes émanant d’acteurs à l’histoire culturelle et aux habitudes professionnelles divergentes. Cette diversité socioprofessionnelle et l’éclectisme des sujets abordés ne doivent pas effrayer. Elles sont gage d’ouverture et de richesse même si de prime abord, il est difficile de percevoir un ensemble cohérent.
Mise en place d’un cycle de travail
À partir des parcours d’expérience (voir autobiographie) et du contexte régional de l’atelier, dégager des problématiques de travail (voir question suivante) en relation avec des expérimentations concrètes.
Toutes les techniques en sciences sociales peuvent être utilisées à condition que ces outils soient appropriés par les acteurs concernés : enquête sociale, entretien non directif, dynamique de groupe, observation participante, autobiographie, journal de recherche, monographie, etc. Mais la méthodologie n’est pas une question de technique. Celle-ci est au service d’une démarche, d’une posture, d’un mode d’implication, d’une mise en situation collective dans la durée. Il est important que tous les acteurs en présence participent à l’ensemble des phases de travail et s’approprient au fur et à mesure les éléments de connaissance produits. Les outils doivent pouvoir être employés de manière consciente, appropriée et systématisée afin d’être le plus proche des résultats et des effets désirés.
Les expérimentations sont ensuite restituées et rediscutées collectivement dans un work-in-progress. Cette culture du processus est fondamentale dans un mouvement en spiral où chaque étape est l’occasion de redessiner un nouveau paysage de travail. Elle se décale de la culture du projet qui se focalise sur le résultat final et réduit l’action à cela sans tirer expérience du cheminement.
En établissant un même cadre de travail où les acteurs s’accordent sur des critères communs, il est possible de comparer les différents espaces de recherche-action, d’évaluer les processus en cours et d’engager une généralisation à partir de situations locales.
Dans le cadre d’échanges en collectif comme l’atelier de recherche-action, par décantations successives, il est possible de laisser se déposer le subsidiaire pour qu’apparaisse l’essentiel. Nous appelons ce travail « problématisation ». Il doit pouvoir énoncer les préoccupations de chacun sous la forme d’un problème public, visible et compréhensible par tous, renvoyant à des réponses intéressant la collectivité.
Il arrive que la problématique à l’origine des premières réunions ne soit pas finalement retenue. Nous distinguons pour cela les problématiques de travail des problématiques finales. L’apport de personnes ressources et la recherche de ressources existantes concernant les thématiques peuvent être utiles car elles fournissent des éléments de problématique déjà expérimentés qui peuvent, comme un jeu de Lego, s’emboîter avec les matériaux de chacun et prendre le sens d’une globalité dans la manière d’aborder les questions.
Une problématique n’émerge pas simplement dans la confrontation des prises de position individuelles mais aussi dans l’observation directe des réalités de terrain. La question n’est pas de voir ce que nous avons sous les yeux mais de comprendre la manière dont nous le voyons. Nous distinguons en cela la notion d’éclairage de celle d’éclairement.
- L’éclairage met en valeur d’où part la lumière (points de vue dominants de celui qui étudie) : l’étude valorise la position du chercheur, pas celle des personnes étudiées.
- L’éclairement souligne la manière dont est reçue la lumière (comment certains processus sociaux nous éclairent sur notre questionnement). Nous pouvons alors rendre visible une autre réalité d’un contexte ou d’un territoire donné, une « autre géographie des relations humaines ».
Les problématiques en recherche-action appartiennent à la deuxième logique, elles offrent une plate-forme de rencontre, un référentiel pour ensuite agir sur la réalité, poser des hypothèses et expérimenter des situations qui produiront de nouvelles connaissances, apporteront des réponses et renverront à des enjeux généraux.
Cette problématisation peut prendre un certain temps pour émerger, un travail de prise de conscience est souvent le préalable. Il peut être facilité par une série d’entretiens individuels ou collectifs appelés « feed-back » parce qu’ils retournent en temps réel la connaissance et permettent aux intéressés de travailler sur leur propre production.
C’est quand le groupe de travail prend en charge totalement le processus de conscientisation/problématisation et s’approprie — en particulier à travers l’écriture — les moyens de production de la connaissance.
En attendant que la base soit suffisamment sûre et le processus solidement ancré, cette « micropolitique » du groupe est un équilibre instable entre le « café philosophique » et l’activisme militant. La figure du chercheur collectif comme Idéal-type aide à maintenir le cap d’une mise en mouvement collective sur la fine crête entre recherche et action.
Le groupe peut se disloquer sous les pressions extérieures (économiques, institutionnelles, idéologiques, etc.) dont les logiques sont souvent contraires au principe de la recherche-action (réciprocité, coopération, non-utilitarisme, disponibilité, etc.).
La dispersion d’un groupe n’est ni une fatalité ni un échec et peut se reconstituer ailleurs et autrement dans le cadre d’un travail en réseau. Mais autant éviter dans la mesure du possible certains pièges dans lesquels l’espace de travail peut de bonne foi se laisser enfermer. Par exemple, la dérive vers un dispositif d’expertise labélisant les actions ou un groupement corporatiste s’interposant entre les pouvoirs publics et les populations.
Il est nécessaire de construire un cadre de travail en rédigeant une charte (valeurs) et un protocole (procédure) pour garantir la stabilité du groupe et le suivi de sa progression. Sans tomber dans le dogmatisme ou le formalisme, la charte et le protocole de l’atelier de recherche-action peuvent y aider :
- Parole en acte (réflexivité) : Être en prise directe avec un processus de transformation où l’on commence par prendre sa propre expérience comme matériaux de recherche
- Chantier (work-in-progress) : miser sur l’humain plus que sur sa performance, mettre en avant un processus en spirale plus que son résultat final, s’inscrire dans la durée de ce temps humain.
- Autoformation & travail en situation (praxis) : auto-construction des conditions de développement individuel et collectif, expertiser ses propres situations et émancipation par la maîtrise du sens de la production.
- Être auteur (Autonomie) : liberté de se positionner autrement que par une appartenance catégorielle sectorielle en tant que sujet autonome, auteur de sa pratique et de son discours. La personne n’est pas objet mais Sujet de la recherche.
- Travail coopératif interdisciplinaire (chercheur collectif) : espaces coopératifs misant sur la créativité, l’interdisciplinarité, la capacité à travailler sur le projet de l’autre, à provoquer des interfaces de transaction et de négociation de façon à ce que cette diversité participe à une intelligence collective.
- Débats publics (agir communicationnel) : regrouper les questionnements dans des problématiques transversales et construire une parole légitime dans l’espace public.
- Pratiques d’écriture (production de connaissance) : permettre à travers des supports (plate-forme collaborative, travail autobiographique) le croisement entre différentes écritures (recherche, journal, etc.).
On ne peut pas évaluer la recherche-action comme un projet, l’action n’a pas une finalité opérationnelle mais expérimentale de produire de nouvelles connaissances. À la différence d’une relation cause/effet, objectifs/résultats, il est donc plus compliqué d’établir un lien mécanique entre la recherche-action et ce qu’elle provoque. C’est plutôt un lien de réciprocité organique entre production de connaissance et transformation des situations.
Il s’agit d’apprendre quelque chose à travers la mise en œuvre d’un processus. Ce processus est bien réel car il modifie en profondeur les manières de raisonner, percevoir, agir, se positionner dans les rapports sociaux, gérer son rapport au monde, etc.
Il y a donc transformation de situations individuelles et sociales, production de connaissance, capacité à analyser un contexte et poser des enjeux. Tout ceci confirme qu’une recherche-action porte ses fruits. Ce sont des phénomènes peut-être pas spectaculaires dans le sens de la « société du spectacle » mais qui changent la société en profondeur.
Les chercheurs-acteurs communiquent assez difficilement sur ce qu’ils font et revendiquent assez rarement la portée de leur travail malgré la plus value générée par la recherche-action, car ce n’est pas une corporation, une idéologie, une organisation ou un dispositif. C’est un handicap quand les observateurs ne s’attachent qu’au résultat final et à ce qui est visible ou valorise leur position.
Mais finalement, la question est moins celle d’une reconnaissance officielle que de faciliter une appropriation collective par les acteurs qui en ont besoin en offrant des points de repères et de rencontres. Ici, les espaces de travail qui se construisent autour des laboratoires sociaux prennent toute leur importance dans leurs capacités à rendre visible des processus en temps réel et mutualiser des outils sous la forme de plate-forme collaborative.
Le Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action est un exemple en la matière (http://labo.recherche-action.fr). Cette plate-forme autonome et évolutive de travail coopératif ne s’est pas bâtie sur une base sectorielle ou socioprofessionnelle et à ce titre n’a pas d’intérêts spécifiques à défendre autres que ceux de la recherche-action. C’est une forme structurée mais non instituée qui s’est construite progressivement depuis le début des années 2000 dans des espaces de libres échanges (réseau « espaces populaires de création culturelle »). Il a fait le choix pour l’instant de ne pas prendre de forme juridique pour préserver cette architecture fluide, inter-régionale où chacun peut contribuer à titre individuel ou collectif aux échanges tout en préservant son autonomie selon le principe du don (plus on apporte, plus on est soutenu et reconnu), de la coopération (on est plus intelligent à plusieurs que tout seul), et de la culture libre « open-source » :
- Animation et accompagnement méthodologique en recherche-action : suivi d’expérimentations, ateliers de recherche-action,
- Accompagnements à l’autoformation : travail coopératif à distance, auto expertise, construction d’une parole publique, passerelles avec des formes de validation institutionnelles.
- Mise en relation des expériences et valorisation des connaissances à travers des journées d’étude, publications électroniques, etc.
4-Sciences
Il n’y a pas de recherche-action, il y a des chercheurs-acteurs. Autrement dit, il y a autant de recherches-actions que d’acteurs en recherche, la recherche-action n’étant pas un corps disciplinaire constitué.
Cela dit, nous pouvons toujours distinguer des « familles » de recherche-action selon les contextes et les disciplines de rattachement des acteurs concernés. Précisons cependant que ce découpage est assez artificiel et peut être sujet à caution lorsque l’on accole un qualificatif à « recherche-action » et pourrait laisser croire que cette démarche se résumerait à une méthodologie d’intervention.
Par exemple qu’est-ce qu’une recherche-action « participative », « stratégique », « expérimentale », « existentielle », « intégrale », « situationnelle » ? S’expriment plutôt ici des sensibilités, des angles de vue appuyant sur tel ou tel aspect méthodologique de la démarche :
- Recherche-action psychosociologique : s’appuie principalement sur la formation de groupes à la fois sujets et objets d’expérience. Pertinente pour aider à maîtriser les conditions expérimentales d’une mise en situation de travail autour des dynamiques de groupe restreint, des processus de formation collective (ex : groupe en entreprise, en atelier d’art-thérapie et plus généralement les interventions en milieu fermé).
- Recherche-action participative : insiste sur les modalités de participation des acteurs de manière affirmée sur l’ensemble des étapes du processus de recherche en prenant conscience de leurs propres capacités. Ainsi parlera-t-on de recherche « avec » et non pas simplement de recherche « pour » ou « sur ». Souvent invoquée dans les projets de développement, la participation est cependant une notion valise trop imprécise pour être utilisée seule.
- Recherche-action stratégique : insiste sur la capacité à mobiliser des ressources pour résoudre un problème précis, favorise une optimisation de l’action et une « expérience réfléchie », théorie et pratique se rejoignent comme modèle de connaissance (praxis). On pensera à Saul Alinsky et son « Manuel de l’animateur social » qui diffuse des règles concrètes de mobilisation (ex : habitants d’un immeuble face au propriétaire). Le risque est que la stratégie soit réduite à sa visée instrumentale au détriment de la production de connaissance sur le processus.
- Recherche-action intégrale et existentielle : insiste sur l’implication de toutes les dimensions de l’individu en commençant par un travail sur les présentations sociales et nos manières de concevoir la réalité. C’est une approche transversale « qui vise à reconnaître la complexité des situations humaines et à leur prêter du sens » (Barbier). Cet autocentrage sur une cohérence intérieure de la démarche à d’autant plus de pertinence si elle n’oublie pas de s’articuler avec la dimension collective d’une transformation sociale.
- Recherche-action situationnelle : insiste sur les conditions de mise en situation d’une démarche partant du principe que la recherche-action s’instruit avant tout dans un jeu d’interactions entre des individus qui essaient d’en définir le sens. Cette vision systémique s’appuie sur la situation comme unité de base pour comprendre les fonctionnements sociaux. Elle offre l’avantage de se poser à la croisée des autres approches, et est particulièrement pertinente quand il s’agit de mettre en place un laboratoire social.
L’individu en recherche-action adopte une posture particulière :
- Bien que chercheur, il est « impliqué » puisqu’il intervient délibérément sur la réalité et n’en est pas simplement l’observateur détaché et distancié.
- Bien qu’acteur, il produit lui-même ses outils conceptuels et méthodologiques mais ces derniers n’atteignent un seuil de scientificité qu’à partir du moment où ils sont devenus transposables, réappropriables par d’autres chercheurs, autrement dit réfutables.
Ainsi, l’acteur-chercheur se reconnaît par l’espace de travail qu’il crée. C’est une œuvre autant individuelle que collective qui ne correspond à rien d’existant, d’où la tentation de la catégoriser selon des identités socioprofessionnelles « action » ou « recherche ».
Acteur-chercheur ne pouvant être un statut, c’est toujours une posture difficile à tenir entre chercheur et praticien. Les personnes ne sont pas alternativement en recherche ou en action, dans une bulle virtuelle ou dans l’engagement réel, cela ne peut être géré de cette façon. La recherche-action décrit la capacité de synthétiser de son propre parcours d’expérience ces deux dimensions et d’ouvrir des espaces de travail originaux qui éclairent différemment les situations humaines.
Cependant, tout tend à séparer la recherche de l’action. L’esprit bien cartésien de notre culture ne semble pas pouvoir concevoir l’articulation autrement qu’en termes d’opposition irréductible. Les acteurs reprocheront à la recherche-action de n’être pas assez opérationnelle, les chercheurs de n’être pas assez scientifique. Posé de cette manière, l est en effet impossible de résoudre le problème.
Or, ce n’est pas l’action seule qui change le monde, mais le sens accordé à cette action. L’activisme ne peut produire aucun changement s’il n’est pas relié à un processus de connaissance. Et réciproquement, la pensée seule perd de sa force persuasive si elle n’est pas reliée à un processus de transformation.
On peut commencer par la recherche ou l’action, se présenter comme « acteur-chercheur » ou « chercheur-acteur. Ce qui est important, ce n’est ni la recherche en soi, ni l’action en soi mais le tiret qui les unit. Car pour les unir, il nous faut être un peu plus qu’un acteur ou qu’un chercheur, mais aussi créateur, innovateur, impulseur. Ce principe ne peut se vérifier que dans la pratique réflexive et les interactions en situation.
La recherche-action est en premier lieu une disposition avant d’être un dispositif, un état d’esprit avant d’être une méthodologie, un état du mouvement avant d’être un projet. Elle touche en cela toutes les facettes de nos engagements individuels et sociaux. Nous portons cette dimension partout où nous créons ou participons à une nouvelle situation d’échanges, d’expérience.
C’est en cela une approche complète et nous parlons alors de « recherche-action intégrale » car elle essaie d’atteindre la profondeur des causes dans une mise en lien globale de tous les aspects d’un engagement individuel et social : elle implique un changement des conditions de vie et un haut niveau d’enjeux pour les acteurs impliqués.
Cela n’empêche pas que la posture de « chercheur-acteur » ou « acteur-chercheur » mériterait d’être aussi reconnue par le milieu institutionnel, en particulier celui de la recherche, comme une posture certes originale mais complète et entière. Cela semble poser moins problème dans les pays de tradition pragmatique comme les pays anglo-saxons.
Le reproche souvent fait à la recherche-action par les sciences académiques est son supposé manque de rigueur, autrement dit, sa faible scientificité. Elle ne serait donc pas une « vraie » science, au mieux une méthodologie au service d’une science « pure » ou « dure ».
En fait, ce sont deux manières d’appréhender le réel, deux manières de découvrir et de comprendre le monde qui ne sont pas moins scientifiques si l’on considère qu’une démarche en science doit être autonome, objective et ne pas être instrumentalisée. Mais elles sont opposées : l’une en s’extirpant de la réalité, l’autre en plongeant au cœur de la réalité sociale.
Les sciences dites « positives » tirent leur légitimité dans la séparation du « savant » et du « profane ». Elles considèrent les faits sociaux comme des objets extérieurs d’études. La garantie de l’objectivité obéit alors au principe que la connaissance est produite hors du contexte d’étude, le chercheur n’est pas impliqué par son objet.
D’autres approches scientifiques prennent une option opposée par une implication de la recherche dans les situations humaines comme l’analyse institutionnelle ou l’ethnométhodologie (voir ethnométhode). Une connaissance objective peut être produite au cœur même d’un processus social tout en maintenant une expérimentation rigoureuse. La recherche-action a sans doute été le plus loin dans ce principe puisqu’elle rend inséparable connaissance et transformation. Tous les praticiens au sein des situations de travail collectif peuvent accéder à un statut d’ « acteur-chercheur » quand ils s’en donnent les moyens.
La recherche-action s’apparente plus à une culture scientifique pragmatique qu’intellectuelle académique qui se prend parfois pour un genre littéraire. « Des recherches qui ne produisent rien d’autre que des livres ne suffisent pas. Cela n’implique en aucune façon que la recherche nécessaire soit moins scientifique ni moins noble que ce qui serait demandé pour la science pure dans le champ des événements sociaux. Je pense que c’est le contraire qui est vrai » (Lewin).
Si l’écriture est centrale dans toute recherche, la recherche-action réinvente en permanence un vocabulaire, une grammaire en situation qui évolue au rythme des rencontres et des contextes. En travaillant la réalité, le langage innove en permanence d’autres manières de l’appréhender, de la traduire et de la retranscrire. Ainsi, le langage de la recherche-action peut établir un jeu de correspondance entre des situations de vie et une problématique scientifique.
La recherche-action est par nature interdisciplinaire, elle puise dans l’ensemble des approches et doctrines scientifiques déjà constituées pour construire son propre langage (sciences de l’éducation, de l’action, approches cognitives, psychosociologiques, philosophie de la forme, etc.).
Pour certains, c’est la preuve que la recherche-action n’est pas une science autonome, mais dépendante des autres. Il n’y a d’ailleurs pas d’« écoles » de la recherche-action ou de « maître à penser » d’une discipline. Ou au contraire, c’est le signe d’une richesse évolutive et d’une liberté dans la manière de reconstruire les paradigmes scientifiques pour être au plus près d’une compréhension de la réalité contemporaine.
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