No 41 – L’inscription des pratiques sociales

L’écriture professionnelle comme expression autochtone et instrument de formation dans champ du travail social

L’ECRITURE EST TOUT D’ABORD UN TRAVAIL SUR SOI…

L’écriture traduit un projet. En écrivant on s’inscrit quelque part, on se projette. Les lignes directrices du texte s’enracinent dans un projet de vie. (1) Écrire est un effort pour coïncider avec soi-même, devenir soi, faire émerger des possibles ; R. Barthes traduit ce fait en disant que l’écriture « (…) n’exprime pas mais simplement fait exister (2)

Les travailleurs sociaux doivent effectuer un tel travail et non s’enfermer dans une action dont le sens risque finalement de leur échapper, une action que d’autres se chargeront d’évaluer de l’extérieur (politiques, psychologues, sociologues, et autres ethnologues du social). Produire du sens en s’exprimant à l’écrit sur sa pratique, au lieu de recevoir ce sens par l’intermédiaire d’un texte qui s’impose parce qu’il « fait autorité », c’est se servir de l’écriture comme d’un miroir devant lequel on peut reprendre confiance. (3)

…MAIS SURTOUT UNE PRATIQUE SOCIALE…

Le travail sur soi de l’écriture prépare aussi le travail en direction de l’autre, c’est donc une démarche qui implique immédiatement le TS dans un dialogue. En attestant durablement de la réalité de sa pratique, en l’inscrivant à travers une production permettant l’échange avec d’autres praticiens et les usagers, le travailleur social valide par là-même un travail personnel, le transmet et peut contribuer à une communication ascendante dont ses supérieurs hiérarchiques ont tant besoin.

…ET UNE STRATEGIE POSSIBLE POUR ETRE RECONNU ET CONSTRUIRE SON IDENTITE PROFESSIONNELLE

L’écriture, une condition pour affirmer une identité professionnelle (exercer un métier et en objectiver apparaît donc comme une démarche qualifiante possible pour la reconnaissance d’une pratique professionnelle ; en saisissant, capitalisant et formalisant l’expérience, il en exprime le sens pratique.

La représentation qui désigne celui qui écrit comme « autorisé » à le faire et comme devant être distingué de ceux qui méconnaissent les codes de la langue officielle (ceux qui ne maîtrisent qu’un parler populaire), est très forte et prégnante. L’enjeu, ici, ce n’est pas le discours savant pour lui-même, mais le sens des pratiques et codes sociaux qu’il commande et, du même coup, le fait de savoir ou non se situer, s’insérer dans un contexte social.

MODEECRITORAL
CATEGORIE SOCIO-PROFpsychologues,
sociologues, politiques
économistes dominants
Travailleurs sociaux
(dominés)
FONCTIONassistance idéologique (discours, modélisation)assistance sociale
(accompagnement)
CAPITAL CULTURELculture dominante (imposition idéologique)culture dominée
(reproduction de
modèles)
POUVOIR
SYMBOLIQUE
pouvoir de produire du
sens
aliénation et dépendance (sens reçu)
PRATIQUEScience
(Théorisation)
Techniques
(intervention sociale)
INVESTISSEMENTDistanceimplication
POSITIONspéculation sur
l’exclusion
TS avec les exclus
On voit, à l’aide de ce tableau que la position par rapport au pouvoir change selon que l’on se situe à l’écrit ou à l’oral

FAIRE ECRIRE LES USAGERS

Quant au travailleur social il a, de fait, un rôle d’écrivain public, il aide souvent les usagers à rédiger des formulaires administratifs, pourquoi n’irait-il pas plus loin en passant de l’animation des lieux de paroles à la création d’ateliers d’écriture ? (6)

L’accès à l’écriture est une démarche d’autoformation pour les TS (toutes catégories confondues et dans la perspective d’actions en transversalité) autant que pour les usagers. L’objectif : sortir de l’espace d’exclusion dans lequel ils se trouvent confinés les uns comme les autres. En s’autorisant à écrire, travailleurs sociaux et usagers s’engageraient dans la voie de la créativité et de l’innovation, seule valable dans le champ du social aujourd’hui, pour faire aboutir leurs revendications (7). S’ils restent à l’oral, leurs tentatives pour faire changer la profession resteront lettre morte.

Écrire et faire écrire : une pratique dont l’idée peut être exploitée dans un dispositif de formation aux professions du travail social. Il semble justement que la rédaction d’un mémoire soit pour nombre d’étudiants des ITS un véritable supplice (8) en ce qu’elle est perçue comme un devoir scolaire (avec sa connotation négative) et non comme un acte qui fait déjà partie d’une pratique professionnelle.

De plus, l’accès à l’écriture est accès au pouvoir(9), c’est donc une démarche essentielle, action sociale par excellence pour n’être pas dominé et exclus. C’est la stratégie d’un certain nombre de travailleurs sociaux consistant en une course aux diplômes -étages d’une fusée dont on ne voit plus la tête- pour échapper, en réalité, à la pratique, parce que, souvent, on ne la supporte plus.

Écrire pour ne plus pratiquer, est-ce possible ? Si cela « marche » c’est que l’on dissocie une même réalité en deux aspects qui la déforment : d’une part la pratique auprès des usagers, le travail « en relation », c’est là que les TS sont représentés « à l’oral » et d’autre part la conception, l’organisation générale, l’administration du travail social qui n’existe, de fait, que par la pratique, qui est une pratique, mais qui ne se donne, pudiquement, à voir qu’à l’écrit. Pratiques d’écriture et pratiques sociales devraient être reliées pour que disparaisse une inadmissible fracture.

CE OUI SE TRAME

Écrire, produire un texte, c’est aussi produire une texture sociale, un réseau à travers lequel une communication est facilitée. C’est, pour les travailleurs sociaux, une démarche d’autonomisation et de changement dans la mesure où précisément l’écriture est immédiatement possibilité d’action critique institutionnelle au sein même de la profession, ce que redoute parfois la hiérarchie qui adopte sur ce point une position plus qu’ambigüe : « On nous encourage vivement à écrire, nous confie une assistante sociale polyvalente de secteur, mais lorsqu’on s’exécute, que l’on donne un texte, il est mis au rancart ».

Cette démarche pour faire du travail social autrement ne peut que s’inscrire dans une trame qui est celle du projet professionnel (10) des praticiens. Encore faut-il qu’il puisse être reconnu, mais quand il le sera, la question de l’écriture se posera différemment car le rapport à l’écriture (dont nous proposons une illustration dans le tableau ci-dessous), sera également autre.

J.L. DUMONT

  1. C’est pourquoi lorsqu’on écrit, l’on s’y met ou, en d’autres termes, le désir d’écrire rend nécessaire la saisie du sens de son projet de vie sauf à voir les mots se dérober et ne plus avoir le sens qu’on veut leur donner, car les mots s’inscrivent dans la ligne directrice de notre projet, cf la notion de « mot significatif’ in : J.L. Dumont et M.C. Saint PE, Méthode du profil expérientiel, Lausanne, Far ed, 1990.
  2. R. Barthes, L’empire des signes, Flammarion, coll. Champs, 1970, p.106.
  3. cf l’entretien avec Laurence où elle exprime bien d’une part que les duifficulté d’écriture mettent en question la formtation professionnelle, les raisons d’un engagement professionnel possible
  4. cf JL Dumont, PEPS, n° 38, p. 6
  5. cf E.Auger qui établit cette distinction (PEPS, n°38, p.27)
  6. cf atelier d’écriture au foyer d’Alfortville, in : Le foyer communique, dans ce numéro, pp
  7. C’est en ce sens que M. Farzad, dans son édito, PEPS, n°38 sur les actions (grèves) menées par les TS, se posait la question : « Pourquoi les TS n’écrivent-ils pas ? »
  8. cf interview de Laurence Millet dans ce numéro et le petit poème de B. Marinoni, intitulé « Le mémoire ».
  9. Voir le tableau ci-dessous
  10. lequel n’est pas toujours très clair pour les usagers, comme pour praticiens eux-mêmes

No 41 – La formation des travailleurs sociaux écrire pour mémoire ?

(suivi par « le mémoire » de Béatrice MARINONI)

L’écriture professionnelle en travail social débute dès la formation. Quelle expérience en retirent les étudiant(e)s sortant des Instituts de travail social, quelles représentations en ont-ils et finalement quel est leur rapport à l’écriture ? C’est ce qu’il semblait nécessaire de demander aux intéressés, mais, en engageant la conversation sur ce sujet, on obtient aussi d’autres informations sur la profession.

« TOUT LE MONDE EST CAPABLE D’ÉCRIRE…

…et pourtant j’ai toujours été enfermée dans le rôle de quelqu’un qui avait du mal à écrire et je crois que ça reste longtemps. Par contre, dans une formation à l’expression écrite qui durait trois jours, une femme nous a démontré qu’on était capable de faire quelque chose et ça, je m’en suis souvenue.

Je crois qu’elle a réussi à mettre en valeur notre créativité, en fait, chacun à son niveau, elle nous avait fait faire des exercices, écrire une phrase sans « etc. » Elle nous avait intéressés avec R. Queneau. Elle m’a passionnée pendant trois jours et, à la fin, et je les ai gardé ces écrits-là, je les ai relus il n’y a pas longtemps et je me suis dit c’est génial I Elle était arrivée à faire que je sois contente de ce que j’avais écrit, pour la première fois…

En ce qui concerne mon mémoire, je ne suis pas trop mécontente de ce que j’ai écrit, je ne sais pas ce que ça donnera, mais je pense que c’est un bon point : on est plus capable de soutenir quelque chose quand on est content. J’ai eu du mal pour le premier mémoire, je ne l’aimais pas ce mémoire, ça ne m’a pas plu, j’ai travaillé contre le sujet, je l’ai détesté ce mémoire !

ON EST RECONNU PAR L’ÉCRIT

Je me sens plus à l’aise à l’oral. Justement une AS me disait qu’une grande majorité des travailleurs sociaux ont énormément de problèmes d’expression écrite et s’accomplissent énormément à l’oral ; ils parlent beaucoup et écrivent peu. Je pense qu’ils ont des bonnes idées, enfin « ils ont », ce matin je me suis dit : on pense « les assistants sociaux », en fait on est tous différents, c’est une façon de parler et de classer. Il y a des idées, mais elles restent en l’air et sont récupérées. J’ai ce sentiment-là, c’est justement le blocage de l’écriture. Il y a aussi l’angoissante question « comment faire ? » et puis, dans le social, on est peut-être plus dans la réflexion que vraiment dans l’agir. Je crois que ça se sent bien dans les relations humaines, les revendications. C’est vrai que lorsqu’on se revendique on est reconnu par l’écrit. Je pense qu’aujourd’hui le travailleur social n’est pas reconnu parce que ce ne sont que des paroles et pas des écrits

Quand je regarde la formation, les amies qui étaient dans ma promotion, il n’y en a pas beaucoup pour qui ça a été simple d’écrire, on l’a tous plus ou moins décrit comme une horreur, comme une chose très difficile.

J’ai discuté avec des troisièmes années que je ne connaissais pas tellement l’an passé. Ils sont venus me voir en me disant : « ça y est c’est recommencé, tu l’as refait ! » Je me suis rendu compte qu’ils avaient exactement le même effet panique que moi. Qu’est-ce qu’un mémoire, C’est quoi cette bête-là qui doit faire à peu près cinquante pages ? On nous dit qu’il faut démontrer quelque chose, mais en définitive on ne peut pas non plus mettre « je », quelque chose qui reste quand même assez flou.

PRENDRE PLAISIR

Pour réussir un mémoire avant tout il faut l’aimer et il faut prendre plaisir à le faire. Dans le cas contraire je pense que ça ne donne pas de résultat, en tout cas, le résultat dont on a envie. La preuve en est que mon premier mémoire, je l’avais commencé en décembre, je l’ai fini en mai…avec quatre kilos en moins ; ça a été très mal, ça a été la crise d’identité professionnelle et personnelle. Et là, je n’ai pas repris une seule ligne de l’ancien mémoire et c’est vrai que j’ai commencé le premier écrit le 2 septembre et donc je l’ai rendu en un mois et dix jours, j’ai écrit cinquante pages, alors que pour l’autre j’ai mis quatre-cinq mois à en écrire trente-cinq et encore j’avais tiré…Ce qui me fait dire que, quand on aime quelque chose, ça marche ! Quand on sait surtout pourquoi on le fait et quand on sait à quoi ça ressemble aussi.

J’ai eu le sentiment de manquer de soutien pour le premier mémoire. A l’institut, on a quinze heures et un formateur. Et moi je leur avais dit que l’idéal c’était d’avoir sept heures avec un formateur pour une formation théorique et sept autres heures où, en fait, on pourrait discuter de la façon dont on voit son mémoire

PROJET D’ECRITURE PROJET PROFESSIONNEL, CE A QUOI SERT LE MÉMOIRE

Est-ce que, effectivement, on a un véritable projet avant d’écrire un mémoire ?Je pense que j’en n’avais pas. C’est clair, avant d’écrire le premier mémoire je n’avais pas de sujet, il n’y avait rien qui me passionnait vraiment, ça a déclenché, d’ailleurs, certaines questions. Je n’avais pas de projet d’écriture pour le mémoire et surtout, je ne savais pas ce que je voulais, ce que je voulais faire à travers cette profession-là.

Finalement je n’ai pas eu ce premier mémoire et j’ai été déçue parce que c’est vrai que, quelque part je comptais sur la chance et puis j’avais tout de même fourni un certain travail je veux dire sur 35 pages tout n’était pas bien mais tout n’était pas mauvais non plus. Je me suis donné une échéance pour prendre une décision : soit j’arrêtais ma formation, soit je la continuais, je crois que de toutes façons ça devait passer par là. Et j’ai décidé de continuer, mais j’ai surtout décidé de laisser derrière moi l’ancien mémoire, pas en annulant complètement ce qui s’était passé parce qu’au contraire je m’en suis servi pour l’autre, mais je me suis dit : je sais pourquoi je vais continuer, je sais à quoi va servir mon mémoire et je ne me suis plus posée de questions à ce moment là

CE OUI FAIT QU’ON ÉCRIT : LA CONFIANCE EN SOI

Je crois que j’ai repris confiance. Ce qui m’a aidée, c’est que j’ai lu d’autres mémoires et je me suis rendue compte que les gens écrivaient d’une façon relativement simple avec un point, on retourne à la ligne, on dit une autre idée et j’ai essayé, en fait, de clarifier ce que je pensais et forcément de clarifier ce que j’écrivais.

J’ai clarifié ce que j’écrivais à partir du moment où je clarifiais ce que je pensais et surtout, j’avais quelque chose à dire parce que je pensais quelque chose. L’écriture arrivait comme le prolongement de la pensée, alors que jusqu’à présent j’avais des pensées, mais elles s’arrêtaient à un moment où je ne devais pas avoir envie de le dire, je ne communiquais pas, ce n’est pas facile à exprimer…

CE QUE REPRÉSENTE LE MÉMOIRE : UN POINT DE DÉPART DANS LA VIE PROFESSIONNELLE

Le premier ressemblait à un outil qui me permettait d’avoir un diplôme, le deuxième ressemble à un écrit qui reste et qui peut servir d’autres, qui peut servir de point départ. Un écrit où il y a des idées qui sont les miennes, qui sont écrites à ma façon avec une orientation qui est la mienne, mais qui peut servir de point de départ pour quelqu’un qui n’en a pas. Un écrit qui reste une trace, alors que le premier, pas du tout. Le premier, c’était un mémoire que l’on me demandait de faire et qui devait rassembler quelques pages pour avoir un diplôme

Je pense qu’il faut écrire quelque chose qui, d’un point de vue professionnel, peut avoir de l’intérêt et à côté, faire une formation qui soit plus en rapport avec l’institut.

ÊTRE PUBLIÉE

J’ai le souvenir, dans un colloque, d’une fille qui avait écrit un mémoire en rapport avec un projet sur le lieu de son stage et son mémoire avait été primé. Je pense qu’il est bien de savoir que son mémoire ne va pas être mis sous une pile et puis, en définitive, jamais consulté, parce que dans un mémoire, on y met des choses du temps, on y met du cœur, on y met de la haine, on y met, en tout cas, de soi.

Faire un article, ça me plairait bien. On avait un peu fait cette démarche avec le projet Tchécoslovaquie. On avait eu de l’argent par les ASH et, en contrepartie, on devait leur renvoyer un article, ce qu’on a pas fait. Je le regrette parce que c’était quand même le projet de départ et on ne l’a pas réalisé, c’est pas sympa. Il faut voir aussi que, généralement, on démarre un projet à 6 comme on l’a fait, que le voyage c’est la carotte et que lorsqu’on a mangé la carotte, généralement on ne se retrouve plus qu’à deux. Donc écrire le projet et en plus, écrire un article d’ASH, ça faisait beaucoup, surtout au moment où on démarrait le mémoire ! C’est aussi un concours de circonstances mais, par rapport à ce que j’ai vu en Tchécoslovaquie, j’avais beaucoup de choses à dire Moi je trouverais ça génial d’être publiée pour donner des orientations aux autres. J’ai le souci de communiquer ce que je vois, ce que je fais pour avancer et en même temps aider certains à un moment donné

EN COULISSE DU MÉMOIRE…

J’ai été énormément choquée, quand je suis allée à la DRASS passer ma « situation sociale ». Il y avait une femme qui s’est mise à discuter avec un collègue, devant moi, comme ça, je ne la gênais pas a priori, elle lui a dit : « Je suis embêtée, je n’arrive pas à fourguer un mémoire ; je l’ai proposé à une psy, elle ne voulait pas, je l’ai proposé à une AS, il a fallu le lui envoyer mais comme c’était la fin du week-end, elle n’en voulait plus il a fallu aller le rechercher ». Je me suis dit : il est où, le respect du travail, il est où, dans ces conditions-là ? J’ai été outrée de voir qu’on n’en tient pas plus compte que ça.

J’ai discuté avec une amie et je me suis rendue compte que les 3ème années on a tous des sujets qui se ressemblent et une entraide est possible : tiens, tu devrais voir intel qui a fait son sujet là-dessus, regarde sa bibliographie, regarde son orientation ! ou : tiens, tu parles de sa conclusion, va voir ce qu’il en pense ! En définitive, ce qui se passe, quand tout le monde a eu son diplôme : on fuit l’Institut. Il y en a même qui sont venus rechercher leur mémoire, c’est peu dire….

Je crois qu’on a tous besoin, à un moment donné, que celui qui a fait un mémoire avant nous et qui a une orientation et une bibliographie en rapport avec ce qu’on fait, et nous en informer, mais je crois qu’il y a un côté très protectionniste part rapport à ce mémoire.

ÉCRITURE COLLECTIVE ?  QUELLE SOLIDARITÉ ENTRE ETUDIANTS ?

Je sais qu’une amie avait fait son mémoire de psychologie, sa licence : elle l’avait fait avec une copine , je pense que c’est rassurant, je pense que c’est même bien ! parce qu’il n’y a pas simplement son enjeu , mais il y a l’enjeu de l’autre, je pense que c’est bien.

Par contre, à l’Institut, je n’ai pas travaillé une ligne avec des gens. Je suis incapable de dire de quoi traite le sujet d’une fille de ma promo qui a été recalée comme moi sur le même thème. Pourtant j’ai eu l’occasion de parler un peu avec elle : sur quoi travailles-tu ? Et je n’ai jamais eu de réponse. Je sentais bien que c’était « son travail », « me pique pas mes idées ! » J’avais l’impression de me retrouver à l’école primaire, des fois que ses propres idées fassent progresser les autres, vous vous rendez-compte ! J’ai senti la formation comme un véritable individualisme, surtout pour le mémoire, à un moment où on pourrait penser qu’on a vraiment tous besoin des autres.

MAL ÊTRE DANS LA PROFESSION

En écrivant mon mémoire, je me suis positionnée, par rapport à la profession, seulement je ne savais pas si j’allais continuer ou arrêter parce que j’ai été souvent agacée par tous ces travailleurs sociaux qui râlent, qui râlent, qui râlent à propos d’une profession et qui, en définitive, l’exercent quand même.

Et cette profession elle n’est pas à crier dessus parce qu’en fait, elle les fait vivre c’est une source alimentaire (pour les travailleurs sociaux comme pour les usagers) et j’ai fait le pari d’être cohérente avec moi-même. Je vais avoir mon diplôme, je vais exercer cette profession-là, mais je l’exercerai avec le sourire et je crois que dès que je commencerai à être revancharde et désagréable, j’essaierai d’arrêter et de faire autre chose parce que je pense que les usagers sont des gens qui, la plupart du temps, viennent chercher une aide, quelle qu’elle soit et trouvent en face d’eux des gens complètement dépressifs dans leur façon d’être et de faire. Donc par rapport à ça c’est par respect et puis, deuxièmement, c’est une profession qui ne peut ne plus correspondre à une personne à un moment donné. Je crois que les assistants sociaux ronchonnent pas mal de leurs conditions et sont dans le paradoxe justement de ne rien faire pour ; c’est vraiment la solution de facilité. Il y a une dignité qui fait qu’on part parce que ça ne correspond plus, on arrête.

Comment peut-on être dépressif dans une profession où, en plus on démoralise les stagiaires ? On risque de communiquer un désarroi total aux autres. A un stagiaire, c’est pas trop grave, mais à une famille je trouve ça honteux. Je me sens concernée par les problèmes de société, mais de plus en plus aussi par les problèmes de statut, de reconnaissance.

CRISE, RUPTURE, QUELLES SOLUTIONS ?

Je crois que plus on se dit qu’il y a une crise, plus en fait, on trouve la solution facile de dire : « oui mais on est en crise » mais en définitive on est toujours au résultat et aux causes et je pense que pour une situation, par exemple ou une famille en difficulté, les résultats c’est effectivement un point de départ mais le but, c’est quand même de régler la cause, je pense que par rapport à la problématique de la reconnaissance des travailleurs sociaux et leur façon de travailler, je pense qu’une fois de plus, il faut arrêter de crier sur les résultats et voir la cause. Et c’est pour ça, cette fameuse crise d’identité, je pense qu’elle est plus complexe que ça, c’est sûr, mais je pense que c’est aussi facile de se dire qu’on est en crise et de se cacher derrière ça et de ne rien faire non plus !

Je n’ai pas l’impression justement que cette « crise » est appréhendée comme une rupture mais comme un long état qu’on gère et dans lequel on se trouve, tout compte fait, bien parce que ça nous permet de justifier les choses qu’on ne fait pas. C’est un truc complétement bizarre et moi je ne m’y reconnais pas. Alors je pense que je vais être vraisemblablement malheureuse dans les services dans lesquels je vais tomber, mais je me dis tant pis…

PERSPECTIVES PROFESSIONNELLES

Je vais avoir un poste en polyvalence de secteur. Moi qui ne voulait pas en faire, je m’y retrouve. J’avais l’impression que c’était ce qui me déplaisait le plus, en fait, c’est ce qui m’a le moins déplu. La polyvalence de secteur c’est peut-être là que j’arriverais à tenir ma place par rapport à moi-même.et par rapport aux usagers aussi et après, je pense, je me sens beaucoup plus proche de la formation : essayer de faire passer des choses que j’ai ressenties. Et sur le mémoire, par exemple, des crises à certains moments, sur l’écriture, sur les grandes questions, sur la profession, si on a envie de la faire, si on a un projet, faire remonter plein de choses…

Il me semble avoir compris en fout cas pas mal de choses par rapport ma non-réussite et ça, j’ai envie de le communiquer. Ce que je disais aux Sèmes années : reste encore la difficulté qu’on est, chacun, complètement différent, la façon de vivre les choses avec une personne ou toute seule. Comme je suis, avec mes qualités et mes défauts je l’ai vécu comme ça, j’ai ressenti ça, maintenant chacun s’y retrouve ou s’y retrouve pas.

En recommençant le mémoire, j’ai eu l’impression d’avoir retrouvé justement le but Quand on vit quelque chose à fond et on en reste pas à la conséquence et quand on fait un travail sur le pourquoi du comment, un cheminement par rapport à ce qui s’est passé, et bien ! Je pense qu’on a appris plein de choses et qu’à partir de ce moment-là on peut en faire bénéficier les autres. J’essaie d’expliquer avec le plus de précisions, parce que, ça aussi, il m’a semblé que les TS parlent d’une façon très très vague et quand on veut se faire reconnaître, il faut être très très pointu et faire attention à son vocabulaire. Et c’est pour ça qu’en discutant avec les Sème années je crois que j’ai essayé d’être très précise, d’employer un mot plutôt qu’un autre. Quand je voyais qu’ils essayaient d’interpréter à leur façon un mot je leur donnais la représentation du mot que j’employais et c’était génial !

-C’est déjà un travail d’écriture ça !

-Mais complètement ! Je crois que j’ai senti le déclic : chacun ne met pas les mêmes choses derrière un mot, je crois que l’important justement c’est que l’écriture fasse corps avec le réel’.

Laurence Millet *

Propos recueillis par Jean-Luc Dumont

* A.S. en polyvalence de secteur. Vient d’obtenir son diplôme. Pour toutè réaction ou demande d’information, écrire à PEPS qui transmettra.

Le Mémoire

  • 6h00 du matin, le réveil sonne… Mon mémoire !
  • 7h30, je monte dans le train… Mon mémoire !
  • 9h00, MONTROUGE…Salut les copines ! Votre mémoire !?
  • 12h00, Direction la cafétéria… Mon mémoire !
  • 16h30, A demain les copines, Bossez bien…Votre mémoire !

Et c’est ainsi pendant des mois et des mois…

Métro, boulot, dodo ? NON, NON…

Objet, Problématique, Hypothèse !…

Crises d’angoisse : j’y arriverai pas.

Bouffées d’espérances : j’y arriverai !

Qui va le taper ? Je tape…Non je ne pourrai pas !

Oh ! Et puis si…Et puis non, je le ferai taper !

Bon, j’en suis pas encore 1â !

2h00 du mat, cauchemar : recalée au D.E.

Mauvais rêve. J’y suis pas encore !

50 pages…Il faut que j’écrive 50 pages !

On sort ce soir ? Tu rigoles ! Faut que je pense au mémoire !

Oh ! Horreur : avril… faudrait peut-être que je m’y mette ! ! !

Béatrice MARINONI

A.S. 3ème année

No 41 – Ce qu’écrire peut vouloir dire

Si l’écriture professionnelle ou administrative est inscrite dans les habitudes des travailleurs sociaux, écrire sur sa pratique ne fait, en revanche, par partie de leur habitude. Cette difficulté d’écrire, déjà ancienne, peut être comprise à la fois comme un symptôme majeur de notre profession et comme ultime recours de sa survie. En effet, la reconnaissance passe aussi par une connaissance pratiquo-théorique, sur laquelle s’appuient les pratiques professionnelles.

DE LA DIFFICULTÉ A ÉCRIRE

Affirmer la difficulté à écrire chez les travailleurs sociaux ne permet pas d’en dévoiler les raisons. Une des premières causes semble être liée à l’économie même du savoir dans le champ social.

Les conditions d’acceptabilité de l’écriture sont effets indissociables de l’acte d’écrire ; « apprendre un langage, c’est apprendre que ce langage sera payant dans telle ou telle situation » (1). Dès lors, l’écrit peut devenir un support de l’action, un amplificateur qui lui donnera une assise et un fondement.

La recherche action dans le travail social est encore, pour la majeure partie, des productions d’acteurs qui ne sont pas des travailleurs sociaux ou qui ne le sont plus (car acquérir une compétence supplémentaire pour le travailleur social passe souvent par une sortie de sa profession) . De plus la coopération acteur chercheur installe insidieusement, tant chez le travailleur social vis à vis de « l’expert » que chez l’usager vis à vis du travailleur social, le sentiment que pour ces premiers, leur propre parole est en quelque sorte volée et qu’ils sont trahit par l’usage qui en est fait (2). Cette rivalité silencieuse sur la légitimité d’intervention renforce peut-être la conviction du caractère vain de la réflexion (3).

Dépasser ces appréhensions et transformer ces représentations « vampirisantes » autour de paroles déformées, nécessite une éthique de l’écriture qui passe d’abord par une restitution aux acteurs concernés de la production écrite. L’écriture n’étant pas une fin en soi, mais un prolongement d’une réflexion ou d’une recherche.

Elle devient alors une écriture instituante, c’est-à-dire un outil ou un support d’échange destiné à faire évoluer la pratique professionnelle.

Cependant, force est de constater qu’il y a conne un effet de censure sur le travailleur social qui intérioriserait l’irrecevabilité de sa production écrite comme n’étant pas celle exigée par les contraintes du « marché ». C’est comme si ce qu’il pouvait dire n’était pas une parole « autorisée » ou « d’autorité » (1) qu’il ne pourrait pas soutenir face à d’autres partenaires. L’écriture dépend, dès lors, du marché dans lequel elle s’inscrit et soulève des multiples enjeux et des logiques parfois opposées (économique, politique ou économique) qui viennent imposer une production écrite « instituée ».

Une des questions que l’on peut se poser, est celle de la reconnaissance de l’écrit par celui qui le lit. Si un des objectifs de l’écriture, c’est de transmettre quelque chose afin d’engager un échange, est ce que l’écrit du travailleur social sur sa pratique ne s’adresse-t-il pas en fin de compte, non pas à d’autres travailleurs sociaux, mais à ceux qui étudient le travail social ? Répondre à cette question supposerait que l’on dispose d’éléments sociologiques sur la culture des travailleurs sociaux et leur rapport à la lecture.

L’ambition de la revue Paroles et Pratiques Sociales est que les productions écrites puissent être un outil de réflexion et d’auto-formation pour ses auteurs et aussi pour les lecteurs.

UNE TRANSGRESSION NECESSAIRE

Choisir d’écrire sur sa pratique professionnelle, c’est s’inscrire dans une rupture par rapport aux traditions professionnelles (Cf tableau de l’article de J. L. Dumont dans ce même numéro) car le travailleur social est bien souvent dans un rapport de soumission ou d’aliénation vis à vis de ceux dont il tire les principes explicatifs de sa pratique.

On pourrait se poser la question de la nécessité d’écrire car en fin de compte si cette transmission orale se pérennise, c’est qu’elle recouvre peut être des enjeux ; l’un d’entre eux est l’empirisme et le pragmatisme de l’expérience dont le travail social, par la construction de réseaux d’information et d’informateurs, constitue un capital qui devient un réel pouvoir(4) pour celui qui le détient et le contrôle.

L’ECRITURE, UN ENJEU PROFESSIONNEL

De la nécessité d’écrire à l’acte d’écrire, il y a un pas qui est souvent difficile à franchir ;si les gains narcissiques n’échappent à personne, les retombées symboliques s’épuisent à court terme.

L’intérêt de l’écriture, c’est qu’elle s’inscrit dans une démarche conscientisante (5) car elle peut permettre une évolution de sa propre pratique, qui éclaire à son tour la place d’où l’on parle ; place qui pose la question d’une action sociale au service de qui : l’institution, l’usager ou le travailleur social ?

L’écriture, en laissant une trace, permet d’interroger l’expérience professionnelle et de redonner un sens nouveau à l’action. C’est une réappropriation de sens qui s’opère, caria distanciation qu’elle impose aide à formuler ses propres interrogations et introduit une démarche de conceptualisation dans le dispositif d’intervention.

L’écriture est aussi un espace de création et de sublimation, non pas d’un discours mais d’une parole « incarnée » qui s’appuie sur sa propre pratique.

Cette entreprise, aussi séduisante et passionnante soit-elle comporte cependant des risques ; celle d’accroître parfois des doutes, de rencontrer des blocages ou des empêchements de la pensée, car interroger les fondements, la finalité ou la pertinence de ses outils professionnels demande une vigilance aiguisée. De plus, les multiples dimensions des situations sociales nécessitent l’utilisation de concepts appartenant à des domaines « supposés étanches » mais « nécessitant de fait une investigation transdisciplinaires » (6).

Écrire, c’est construire une mémoire et permettre l’inscription des pratiques sociales ; c’est aussi s’inscrire dans une démarche de théorisation d’un savoir faire (7).

L’écriture devient alors un enjeu professionnel nécessaire car c’est en participant à la construction de ses propres outils, que le travail social pourra sortir de sa position de dépendance et construire ainsi son propre espace de pensée.

LES EFFETS DE L’ECRITURE

Comme nous venons de la voir, écrire est une démarche de sens qui implique une certaine transgression qui s’accompagne de la nécessité pour celui qui écrit, de rendre compte et de témoigner de sa pratique. L’acte d’écrire s’inscrit donc dans une dynamique de l’échange.

Ace titre, on peut tenter de classer les effets de l’écriture dans ce qu’elle produit sur le sujet pensant.

  • L’écriture est d’abord productrice de sens ; en interrogeant sa pratique, elle permet de la féconder et de lui donner un sens « en la rendant visib1 e et lisible par tous. – Elle produit de l’identité, car écrire s’est se dire, c’est se signer par rapporta l’autre qui va me lire. De fait, l’écriture agit sur celui qui écrit en lui redonnant confiance sur sa capacité d’agir sur son environnement.
  • L’écriture agit comme un mode d’évaluation de soi-même et de son travail.

Dans la mesure où elle agit comme un effet de miroir sur sa propre place.

  • L’écriture induit un travail de transformation de soi dans la mesure où je puise dans mes propres ressources et dans mes propres capacités pour écrire.
  • Si l’action ne se suffit pas à elle-même, c’est par ce qu’elle est d’abord produite, puis enrichie par la réflexion écrite. L’écriture est donc un prolongement de l’action et inversement, la pratique apparait comme un prolongement de la réflexion, entendue comme une action qui se réfléchie.
  • Enfin, quand l’écriture dépasse l’évaluation d’un savoir, pour devenir un acte libre que je pose, alors l’écriture peut être productrice de liberté.

Elle est une démarche conscientisante.

La revue PEPS tire une de ses originalités dans le fait que l’approche rédactionnelle permet à tout travailleur social qui le désire d’exprimer son point de vue, éclairé dans sa construction par les questions des membres du comité de rédaction.

L’idée que la parole de chacun est importante et peut être lue n’est pas seulement un projet ou une utopie. C’est déjà une réalité au travers de la revue PEPS et c’est chaque jour, un peu plus vrai quand on prend la peine d’écrire et de tendre la plume à ceux qui la veulent !!! Écrivons, c’est une urgence.

Éric AUGER

  • Bourdieu P., « Ce que parler veut dire » dans QUESTIONS DE SOCIOLOGIE, Ed. Minuit, 1984, p. 95 à 120.
  • Cette hypothèse de la légitimité à parler sur le travail social reste à vérifier.
  • Cf article d’E. Auger, in PEPS N° 39 « l’écriture chez les travailleurs sociaux ».
  • Crozier M., et Friedberg E., L’ACTEUR ET LE SYSTEME, Ed. Points, 1977. Les auteurs parlent de « zone d’incertitude » comme enjeu de pouvoir dans les négociations.
  • Paolo F., La pédagogie des opprimés, Ed. Payot, 19…
  • Déconstruire le social, seminaire I dirigé par Sad Karsz Ed. L’Harmattan, Cahiers de Pratiques sociales, 1992.
  • Deux articles parues dans les ASH le 21/2/92 « Assistantes sociales, une crise symbolique » par Verda et Mondolfo et le 24/1/92 « Le travail social, l’avenir d’une crise » par Chauviere, Chopart et Bachmann, affirment, chacun à leur manière la nécessité de capitaliser les savoirs faire et d’un « ressourcement en légitimité ».