No 41 – Sommaire / Edito – Les figures de l’insertion

Les figures de l’insertion

Sommaire

DOSSIER LES FIGURES DE L’INSERTION

  • Les apports successif de l’immigration par Raymond CURIE
  • Les figures de l’étranger par Jorge de la BARRE
  • De l’ « étranger » à l’immigré » par Faïza MAHJOUB
  • Développement de foyers et foyers de développement par D. CUBERLO et J. L. DUMONT
  • Les immigrés, le travail social, et les législatives de 93…. par Mehdi FARZAD
  • Le foyer d’Alfortville communique par Comission de la Vie Associative
  • L’insertion périphérique, l’effet Al Capone par Gérard LEBLANC
  • Travail social, travail scolaire, quels rapports ? par Pierre MONTECCHIO
  • Intégration et retour par T. CAPECCHI,B.CHAILLOUX, J. L. DUMONT
  • Les immigrés vieillissent en foyer. Qui le sait, qui s’en soucie, qui s’en occupe ? par Xavier VANDROME

L’écriture professionnelle

  • Ce qu’écrire peut vouloir dire… par Eric AUGER
  • La formation des travailleurs sociaux : écrire pour mémoire ? par Laurence MILLET
  • L’inscription des pratiques sociales par J. L. DUMONT

Travail social à l’étranger

  • L’Allemagne : Politique et travail social par Kamila BENAYADA et Rémi HESS
  • Rencontre du Hip Hop et du travail social, une expérience italienne par Georges LAPASSADE
  • Travail social et prévention à Rimini (Italie) par collectif de prévention

Relation éducative

  • Un éducateur pour la FAC ? par Mustapha AIT LARBI

Art et culture

  • Sipke met le X par Damien MABIALA
  • L’extrémisme culturel par Jorge de la BARRE
  • Actualité des livres

Edito

QUESTIONS SUR LES MOTS
A trop parler d’intégration, sait-on encore de quoi l’on parle ? Y a t-il en effet un terme plus galvaudé que celui-ci ? Et si l’on abordait simplement l’intégration comme un modèle idéal, indiquant les différentes modalités de participation des individus à la vie sociale ?
A ce titre, nous pourrions parler de l’entreprise ou de l’école comme facteurs d’intégration ; cette dernière restant alors un processus en évolution constante, et jamais acquis définitivement.
Mais alors, qu’en est-il de l’insertion ? Se montre t-elle plus limpide ?
L’insertion semble désigner un ensemble de prises en charges, ponctuelles et localisées, organisée autour de dispositifs divers repérables dans le temps et dans l’espace, dans des domaines particuliers (le « scolaire », le « professionnel », le « social », …).
Dans ce sens, l’insertion ne se cantonne t-elle pas aujourd’hui à un traitement ponctuel, dont l’efficacité est discutable ?
En retour cependant, le glissement vers des logiques d’assistance favorise chez les usagers stratégies et conduites adaptatives. Mais ses effets invalident et aliènent la démarche d’insertion. En perdant son but, celle-ci ne perd-elle pas aussi son sens ?
Face à cette confusion généralisée, et contre les politiques marketing d’insertion, nous préférons renvoyer à ce processus inachevé qu’est l’intégration. A l’heure des remaniements politiques et des coupes budgétaires à venir, elle seule peut nous permettre de poser les vraies questions sur les paroles et les pratiques de l’insertion. Car loin de lui être opposée, elle en est le prolongement.
Et si l’on reparlait d’intégration ?

Eric Auger, Jorge de la Barre, Jean-Luc Dumont, Faiza Mahjoub Guelamine

Nota : Cette réflexion ne propose pas de modèles mais souhaite questionner les mots que nous employons quotidiennement.

No 41 – L’extrémisme culturel

A l’heure où MALCOLMX sort sur les écrans, nous découvrons une nouvelle forme d’extrémisme : l’extrémisme culturel. Sorte de parent noir du « Radical chic », l’extrémisme culturel reçoit ses lettres de noblesse avec les casquettes ‘X » que l’on voit désormais sur les têtes dures. Car Malcolm X est déjà un mythe. Et une mode. Un tee-shirt noir flanqué d’un grand ‘X » tout fier, ça flashe !

Pourtant, au-delà du vernis (noir, évidemment), subsiste un malaise profond. Si les noirs américains sont à tel point assimilés culturellement que la question ne se pose même pas, les discriminations qu’ils subissent, notamment sur le plan économique, ont empiré sous Reagan, et n’ont pas cessé depuis.

Les communautés noires radicalisent leur position quand elles élaborent, dans les états où elles sont dotées d’un certain pouvoir, des programmes éducatifs « pro-black », à la limite du révisionnisme historique (la période de l’esclavage est gommée, c’est la guerre d’indépendance qui fonde la civilisation américaine).

L’image positive que veut se donner la communauté noire à elle-même ne risque t-elle pas de l’éloigner de sa situation réelle dans la société ?

Aussi, gardons-nous de ne voir dans : l’extrémisme culturel qu’une position « soft », les émeutes de l’an dernier à Los Angeles nous font craindre le pire. Mais si Malcolm X est à ce point récupéré, n’est-ce pas aussi parce que ses errances politico-publiques ont donné libre cours à toutes les interprétations sur la, nature de son message ?

La majorité des rappers noirs américains, de Public Enemy à Ice T, se reconnaissent dans le jeune Malcolm X, tendance dure, période pré-pélerinage à la Mecque. C’est son visage le plus superficiel (drogues, chaines en or et belles nanas), mais aussi le plus radical (ultra-violence, « by any means necessary »). Aussi, pour Leroi Jones, le message de X a été stérilisé dans le film de Spike Lee, qui n’est qu’un « petit bourgeois ».

Alors Spike Lee, faiseur de mythes, re-révisionniste ou extrémiste chic ?

Jorge de la BARRE

No 41 – Spike met le x

Sixième film du caustique réalisateur Spike Lee, « Malcolm X » représente une entreprise lourde à gérer, tant du point de vue du symbole que de la complexité du personnage mis en scène. C’est la première fois que Lee travaille sur un film dont le scénario ne soit pas une fiction tirée de son imagination.    

C’est à partir de l’autobiographie de Malcolm X écrite en 1964 par Alex Haley (auteur de « Racines, la saga d’une famille afro-américaine »), adaptée par l’écrivain James Baldwin et revue dans son dernier tiers par le scénariste-dramaturge Arnold Perl, que s’articule lé film.

Plusieurs réalisateurs blancs pressentis par Hollywood ont déjà dû renoncer à ce projet malgré le recours à cinq scénaristes différents : Calder Willigham (collaborateur de Kubrick), Joseph Walker Mamet (pour Sidney Lumet), David Bradley et Charles Fuller pour Norman Jewison. Ce dernier abandonnera le projet face à un Spike Lee talentueux et entreprenant. Cette détermination trouvera son écho dans les potins des journaux américains avides de rapporter les 1 000 détails croustillants de cette aventure.

La Warner n’accorde que 20 millions de dollars. Largo International chargée de la distribution à l’étranger met, elle, 8 millions sur la table, alors que l’équipe de production Lee/Worth estime le coût du film à 40 millions. Finalement, Spike Lee renoncera au deux tiers de son salaire de départ ($5 millions) et fera appel à la générosité de célébrités noires pour boucler le dépassement du budget : Bill Cosby, Oprah Winfrey, Janet Jackson, Prince, Tracy Chapman, Earvin « Magic » Johson.

Le film est émaillé de tensions et de pressions. Certaines venant parfois de là où on l’attendait guère. Ainsi l’écrivain-poète Africain-Américain Amiri Baraka de son nom d’emprunt Américain Leroi Jones dit : « Spike Lee est un petit bourgeois ». Conséquence il ne peut faire passer les messages de Malcolm X. Même son de cloche chez Kwame Touré alias Stockely Carmichael ex-Président de la S.N.C.C. (Comité de coordination des Étudiants Non Violents) dont en 1961 le mot d’ordre était : « Pouvoir pour le peuple noir » puis en 1966: « Black power »(1). Cet ancien Premier Ministre du « Black Panther Party of Self-défense » déclare par exemple dans le magazine « Jeune Afrique » « Spike Lee est incapable de faire un film sur Malcolm X. Il peut, en revanche, faire un bon film sur Malcolm Little, sur la vie sexuelle de celui-ci, sur ses crimes, en somme surtout ce qui est vulgaire, mais jamais -je le répète- il ne peut faire un film sur Malcolm X ». Pour lui, « seul un révolutionnaire Africain peut filmer Malcolm X » (2). Il vit depuis 1969 en Guinée.

On comprendra cette controverse dans la mesure où la complexité de la vie de Malcolm X encourage chacun à s’approprier la période qui l’intéresse. D’où la difficulté pour n’importe quel réalisateur de proposer un film qui satisfasse les innombrables exigences.

Au delà de l’intérêt historique médiatique à la fois suscité et orchestré par Spike Lee, le résultat commercial est positif : 14,5 millions sont engrangés/gagnés durant la première semaine d’exploitation. Le public américain fait montre de son intérêt pour une de ses figures nationales après « Dracula » et « Maman j’ai raté l’avion n° 2 ».

Exploitation encore de la part des grands médias français sur le dos du réalisateur noir et d’une vague « black » (mystification /idolatration / intérêt démesuré pour tout ce qui

fait référence aux noirs d’Amérique et à leur société), dont les Etats-Unis et une partie de l’Europe semblent curieusement se délecter depuis l’avènement/la portée aux nues médiatique de la culture hip-hop. Bizarre, vous avec dit bizarre ? Quand « l’élite journalistique contrôle la diffusion des messages sur l’espace public on l’appelle « médiacratie » (3).

Nous savons que Spike Lee est proche des rappers. Notamment ceux du groupe Public Enemy dont il a employé la musique pour le générique de son film « Do The Right Thing » et tourné le clip « Fight The Power ». Lors de leur premier grand concert au Zénith en 198**, ce groupe a été présenté par la presse française comme un groupe extrémiste, anti-black et antisémite. A propos de ce film, Spike Lee « bénéficiera » du même traitement de la part de ces mêmes médias français et américains, « travaillant » à le discréditer aux yeux du public en diffusant des « infos » visant à modeler son état d’esprit. Plusieurs magazines français mobiliseront des équipes de journalistes pour traiter le film de M Lee…(4).

Malcolm X disait de la presse : Si vous n’y prenez pas garde, les journaux vous feront haïr les opprimés et aimer les oppresseurs » (5). A l’allure où vont les choses, un débat sur la déontologie dans la presse s’avère peut être nécessaire. Comme l’a dit Y. Roucaute : La « logique » journalistique du reportage ne ramène donc pas nécessairement du savoir. Mais tandis que le bavardage du commentateur vise surtout à dissimuler son incompétence, le reportage positiviste tend, par son pseudo-rapport au fait, à « simuler le vraisemblable » (6).

Signalons tout de même l’intérêt que ce film suscite auprès de la communauté noire, qui, à en jugé par les travaux effectués par de nombreux chercheurs, serait en train de se réapproprier et réhabiliter son histoire. Med Hondo (cinéaste mauritanien) a vu son film « Saraouina » retraçant l’épopée coloniale en Afrique, censuré, lors de sa sortie en 1986 pour enfin se voir accorder un visa favorable en 1992. Sur ce film la grande presse est restée silencieuse… (cette fresque magnifique n’est projetée que dans une salle parisienne « Image d’ailleurs »).

La sous représentativité des Africains-Français ou Africains dans les médias où leur quasi inexistence en tant que groupe homogène pouvant donner son point de vue constitue dramatiquement un réel handicap. Or, le fait de penser qu’il n’y a pas de problème noir dans ce pays n’en élude ni l’existen¬ce ni le débat. On traite à profusion des problèmes de l »‘Afro-Américain » mais qu’en est-il ici ? Certains rappers Africain-Français se sont vu proposer de « métisser » leur groupe pour mieux passer dans le milieu du show-biz. Avant de prétendre donner des leçons au grand frère Charly qui doit encore faire du chemin ?

Damien MABIALA

  • James Forman : « La libération viendra d’une chose Noire », Ed. François Maspéro, 1986, p. 142.
  • Jeune Afrique du 7 au 13 janvier 1993.
  • Yves Roucaute, « Splendeur et misères des journalistes », Ed. Calmann-Levy, 1991, p. 15.
  • Libération du 18 novembre 1992 – Actuel janvier 1993 – Revue du cinéma janvier 1993.
  • Malcolm X « le pouvoir noir », Ed. F. Maspéro 1966, p. 132.
  • Yves Roucaute, op, cité p. 314.

No 41 – Un éducateur pour la fact

Voici le résultat partiel d’une enquête de terrain effectuée en janvier 1993 à l’Université de Paris 8-Saint Denis. Cette enquête avait pour objet de mettre à jour les raisons de la présence des jeunes dans la fac et d’y chercher des solutions. Un tel travail devrait conduire à envisager une nouvelle définition de l’éducateur et à introduire de manière plus systématique et plus pratique l’initiation à l’ethnographie et à la recherche action dans leur formation. Il devrait aussi faciliter l’attribution de postes d’éducateurs aux universités installées à proximité des « quartiers d’exil ».

Jeunes « galériens » et « territoires de groupes »

Étudiant en formation dans une Eco-le de formation d’éducateurs j’avais choisi, dans le cadre de cette formation, d’effectuer, à l’Université Paris 8, une enquête sur la présence controversée de jeunes dans la fac. J’en ai contacté plus de cinquante probablement, garçons et filles, presque tous issus de l’immigration maghrébine. Parmi ces jeunes, on trouve, mis à part certains élèves du LP voisin de l’université et d’autres lycées, des jeunes plus âgés et qui viennent d’un peu partout; certains ont jusqu’à 25 ans, ils sont souvent « en galère », sans emploi et sans logement ; ils vivent dans la rue et la fac reste pour eux le dernier endroit chaud ouvert.

Ils ont dans la fac des espaces distincts de rencontres (quelque peu semblables aux fameux « groups territories » des bandes adolescentes américaines) qui sont leurs lieux de rendez-vous habituels.

L’enquêteur enquêté

J’étais introduit auprès d’eux par un jeune qui habite une cité voisine de la fac; il est actuellement sans emploi et lors de notre rencontre il « zonait » dans la fac. Il la connaît bien pour y avoir participé l’an dernier à une expérience rap et de café musique. Puis il avait été engagé pendant quelques mois par l’université, jusqu’à juin dernier, pour des travaux de peinture sous contrat temporaire. Je me suis présenté aux jeunes que je rencontrais dans les couloirs en précisant que je n’étais pas « de la fac »: je n’étais ni un étudiant inscrit ni un membre du personnel. Le fait de porter un nom maghrébin (je suis né en France de parents immigrés) était pour eux un objet de curiosité. Je ne sais pas si c’était un atout.

Ils se sont d’abord intéressés à moi, à mon identité, à mon titre d’éducateur, à mon rôle à la fac et à ma trajectoire professionnelle et familiale. Ils m’ont interrogé moi, « Mous » (c’est ainsi qu’ils m’appellent, comme tout le monde), renversant ainsi les rôles dans l’enquête et je m’y suis prêté:

  • « c’est bizarre un arabe éduc ! parce qu’il faut faire des études pour être éduc?!
  • A quoi je répondais qu’il est possible d’être éduc sans bac, que c’est mon cas et là, j’ai fait des émules ! (je leur fournirai plus tard la filière).

D’autres questions-réponses ont suivi :

  • où habites-tu?
  • à la campagne, à la limite du champagne, j’ai même un pavillon, un terrain, comme un français moyen.
  • quoi, t’es arabe et t’habites pas dans une cité?
  • non, on peut tous sortir de la cité un jour, si on veut.

Les jeunes filles, toutes maghrébines, me disaient:

  • c’est bizarre, tu as l’âge de nos pères mais tu leur ressemble pas du tout! Toi, tu comprends qu’on fume une cigarette, qu’on porte une mini-jupe, qu’on drague…

Double objectif de cette enquête

Je leur disais que cette enquête avait un double objectif :

a) évaluer les motifs de leur présence à la fac à certaines heures

b) suite à cette évaluation, rechercher s’il existe des possibilités de faire quelque chose pour eux s’ils en font la demande.

J’avais décidé de leur poser quatre questions qui constituaient un guide d’entretien plutôt qu’un questionnaire :

  • pourquoi venez-vous à la fac?
  • qu’est-ce qui vous attire à la fac?
  • qu’est-ce que vous aimeriez trouver à la fac?
  • comment est vécue d’après vous votre présence à la fac par les gens de la fac?

a) A la première question, ils ont répondu dans l’ensemble :

  • -« nous venons à la fac parce qu’il n’y a rien ailleurs ».
  • « à la fac nous pouvons nous rencontrer, il y a des distributeurs de boissons, c’est un endroit chauffé et c’est ouvert ».

Cette première était pour moi une entrée en matière s’inscrivant dans une logique d’accès au terrain.

b) A la deuxième question, réponse des jeunes :

  • la possibilité de lier des contacts avec des gens différents: adultes, étudiants, de façon à « pouvoir évoluer » (ils l’ont dit nettement) « et donc sortir de notre monde clos ».
  • la possibilité de faire des rencontres plus riches (« sortir avec un keum ou une meuf qu’aurait une voiture, un appart, avec qui on pourrait aller au cinéma, bouffer au resto.. »)
  • la fac est « un lieu de rêve », « on aimerait être des universitaires et faire des études intéressantes » (beaucoup parmi eux voudraient être avocats).

Ils disent à ce propos que

  • « le LP c’est pourri c’est un parking et ça mène à rien ».

c) A la troisième question ils ont retourné la situation d’enquête en m’interrogeant et me demandant de les aider (voir ci-dessous).

d) A la quatrième question ils s’indignaient:

  • « vous nous accusez de foutre le bordel au self, au resto U, de faire du bruit, de casser, de dealer, mais. c’est pas nous, il y a d’autres jeunes que les jeunes du LP qui viennent à la fac,

Une fille:

  • « bon, c’est vrai parfois on fait du chahut, surtout les garçons, mais c’est tout… »

un garçon:

  • « c’est vrai qu’on fait du chahut, mais c’est pour que les étudiantes nous remarquent ».

Mais dans les conversations que j’avais avec eux, ces jeunes ont largement débordé le cadre de ces questions. C’était en fait un dialogue au cours duquel je commençais à découvrir des perspectives non prévues quand j’ai élaboré mon enquête et mon petit « questionnaire ».

Des demandes d’aide

J’ai fait lire aux lycéens les premiers résultats de l’enquête comme je le leur avais promis. A part un ou deux détails relevé par deux jeunes (draguer et chahut) ceux qui l’ont lu étaient d’accord et ils m’ont demandé de leur apporter des photocopies de mon pré-rapport, ce que j’ai fait.

Au cours de ces conversations, j’ai pu mettre jour ce qu’ils attendaient de moi. Je devenais pour eux un « guichet » unique de renseignements et je pouvais de ce fait répondre à un ensemble de questions concernant:

– le logement :

  • (« ma mère est dans la merde, comment faire pour qu’elle trouve un appart? »)

– la formation::

  • « j’ai arrêté mon stage, est-ce que le GRETA peut me virer? »
  • les passerelles qui pourraient leur permettre d’accéder un jour à la fac:
  • « est-ce qu’à 20 ans on peut s’inscrire à la fac pour faire des études qui débouchent sur un travail, comme le droit? »

Il y a chez beaucoup de jeunes que j’ai rencontrés à la fac un déficit informationnel total et le désir d’être renseignés et rassurés. En essayant de répondre à ces demandes de leur part, j’ai pu maintenir en permanence le contact avec eux.

J’ai pris pour certains d’entre eux des rendez-vous pour apporter des renseignements précis sur les questions qu’ils m’ont posées, par exemple le droit au logement, au travail, les GRETA, les ASSEDIC, les formations professionnelles.

J’ai pu cerner peu à peu la véritable demande de cette population: elle tourne autour des questions de renseignements et d’accompagnement.

Une recherche action

Mais l’important, c’ est que la population jeune fréquentant la fac est, je l’ai indiqué déjà, beaucoup plus hétéroclite qu’on ne le croit habituellement dans la fac.

Cette population de jeunes dans la fac ne se limite même pas à une jeunesse de proximité.

Il y a dans la fac des jeunes de la galère qui ne sont pas – ou ne sont plus – des lycéens et qui trouvent manifestement un intérêt (non encore bien identifié par nous) à y venir.

Et de même qu’il est sans doute illusoire qu’il puisse désormais exister un monde sans drogue, et qu’il faut donc tenter de « négocier » la gestion des risques attachés à la toxicodépendance, de même il est illusoire d’imaginer une fac de Paris 8 qui ne soit pas squattée par des jeunes comme elle, l’est en ce moment (et que sera l’avenir de ce squatt ?) et donc il faudrait ici engager des négociations avec tous ces jeunes qui « squattent » la fac.

Je l’ai dit aux responsables de l’Université que j’ai pu rencontrer, – car cette enquête ethnographique se voulait aussi recherche action et intervention. J’ai suggéré l’idée que la fac aurait sans doute intérêt à se pencher sérieusement sur ce problème…

J’ai rencontré longuement, par exemple, Bernard Charlot, professeur en sciences de l’éducation et membre du bureau de la présidence. Je lui ai remis mon pré-rapport d’enquête et il a pris bonne note de mes commentaires à ce sujet.

Il devait en faire part le soir même à la présidente qui ne pouvait me recevoir. Il lui paraît difficile d’envisager la création d’un poste d’éducateur la fac car « c’est, dit-il, un problème politique qui relève du Conseil d’Administration de l’Université… »

Une solution pourrait être de pourvoir le poste d’éducateur prévu depuis 1992 par la Mairie de Saint Denis (le SMJ) pour la Cité Allende, voisine de la fac. Cet éducateur pourrait alors très légitimement intervenir aussi dans l’Université puisque l’on y rencontre des jeunes de cette Cité, élèves du LP ou autres.

« A quoi sert l’enquête? »

A la fin de cette enquête – dans le cadre d’une régulation assurée par G. Lapassade et G. Leblanc, puis dans une UV qui la prolongeait – nous avons discuté, avec des collègues en stage au SMJ de Saint Denis et des chercheurs, du sens de mon travail.

Certains professionnels semblaient s’interroger sur l’utilité pratique d’une telle recherche. Le débat à conduit à s’interroger sur ce que pourraient être le profil et la démarche de terrain d’un travailleur social – par exemple un éducateur-chercheur – qui intégrerait systématiquement une dimension de recherche action explicite dans son travail.

Mustapha Ait Larbi, éducateur (Centre de Formation d’Éducateurs Afortas-CEMEA)

Bibliographie

  • Alain COULON: L’école de Chicago, PUF, coll. Que Sais-je? 1992
  • François DUBET et Didier LAPEYRONNIE: Les quartiers d’exil, Seuil, 1992
  • Georges LAPASSADE. L’ethnosociologie, Méridiens-Klincksieck 1991

No 41 – Rencontre du hip hop et du travail social

Une expérience italienne

Depuis l’an dernier, à Rimini – une station balnéaire de la côte adriatique italienne – une équipe de psychologues et de travailleurs sociaux travaille, dans le contexte de ses activités de prévention, avec un groupe local du hip hop – « la posse » de Rimini – qui pratique le rap, le graffiti aérosol et la break dance.

A partir de 1983, l’Italie a connu, comme la France et d’autres pays d’Europe, un premier mouvement hip hop dans lequel la break dance occupait le devant de la scène. À ce moment-là, le rap européen, de Rome à Rimini et à Paris, s’exprimait généralement en anglais, tout comme le reggae et le raggamuffin. Si, au niveau des formes culturelles, les deux mouvements, italien et français, présentaient des ressemblances fortes – dans les deux cas, on retrouvait les formes d’expression élaborées aux USA, la base sociale n’était pas la même: en France, le hip hop a pris racine d’abord chez les enfants des immigrés – maghrébins, africains, mais aussi espagnols, italiens et portugais – ainsi que chez les jeunes antillais et il se développe dans les banlieues qu’ils habitent; en Italie, par contre, l’immigration externe était peu importante à ce moment-là, ce sont les jeunes italiens eux-mêmes qui ont adopté et développé les pratiques de ce mouvement.

Et, en Italie comme en France toujours, le hip hop a traversé ensuite, sans disparaître, une phase de reflux suivi d’une renaissance à partir de 1990.

C’est alors que les différences entre le hip hop français et la situation italienne se sont accentuées.

En France, le « retour » du hip hop, ou plutôt de sa visibilité sociale, s’est effectué là où il avait commencé à se développer : dans les banlieues d’abord, et toujours, et surtout chez les jeunes dits « de la deuxième génération » (de l’immigration). En Italie, par contre, une partie, la plus visible, du hip hop, s’est développée dans un contexte plus large de contre-culture dont la base institutionnelle et militante se trouve dans des Centres sociaux occupés et autogérés qui n’ont pas leur équivalent en France. C’est essentiellement dans ces Centres que s’est développé un « rap militant » (j’emprunte cette expression à Fumo LHP, Francesco Adinolfi, et al: « Rap Militante », Decoder, Rivista Internationale Underground, Shake Edizioni Underground, Milano).

LE RAP MILITANT

Le mouvement des Centres sociaux italiens est en grande partie l’héritier d’une tradition politique de luttes sociales : il s’agit d’une ultra-gauche « extra-parlementaire », souvent issue de l’autonomie ouvrière des années 70. Cette tradition n’est pas partout la même, – il y a des différences fortes entre les centres de Rome, de Bologne et de Milan, par exemple -, mais elle présente partout des traits communs. Elle est enfin associée à des degrés divers à une tradition de contre-culture dans laquelle les anarcho-punks italiens ont joué un rôle essentiel.

Onda Rossa posse – du nom d’une radio locale militante où ce groupe avait assuré des émissions – était le nom du groupe de rap qui, à partir de 1990 surtout, a en quelque manière – selon une remarque d’Alberto Piccinini – « donné le ton ». Les membres principaux de l’ex- Onda Rossa sont ou ont été, pour la plupart, étudiants à l’université tout en étant des militants de l’ultra-gauche italienne et des centres sociaux. Ils ont joué un rôle important, au cours de l’hiver 1990, dans le mouvement étudiant dit de la pantera.

LE RAP ZULU

Revenons maintenant à Rimini où l’un des travailleurs sociaux de la prévention rencontre, en mars 1992, à partir d’un premier contact avec un graffiti artiste, la « posse » locale de hip hop qui réunit des groupes de quartiers : au total, quarante jeunes environ, parmi lesquels des rappeurs, des danseurs, des « graffiteurs » et leurs amis qui vont être invités à participer aux activités d’ un centre socio-éducatif – le Centre Via – géré par l’ équipe de prévention. On y met à leur disposition à temps partiel des salles pour les répétitions de rap et de break dance et pour la réalisation de fresques à la bombe aérosol.

Le mode de fonctionnement et de gestion du Centro Via n’est pas celui des Centres sociaux autogérés mais il semble convenir à ce moment-là aux jeunes du hip hop local qui, s’ils ont quelques rapports assez lointains avec un Centre social de Bologne aujourd’hui fermé, sont d’une toute autre orientation.

On sait que le hip hop américain a pris naissance dans une lutte contre la toxicomanie et le deal des bandes comme le raconte notamment la saga de la Zulu Nation. D’ailleurs, l’idéologie des B. Boys de Rimini telle qu’on peut la saisir dans les entretiens et les récits de vie que nous avons pu recueillir reste très proche de celle qui a marqué en Europe les débuts du hip hop il y a maintenant dix ans: c’est une idéologie « zulu » de « B. Boys scouts », pourrait-on dire (sans vouloir y mettre de nuance péjorative): une morale de la santé sportive, du peace and love qui veut, comme disait Bambaataa, transformer l’énergie négative des bandes en énergie positive.

Cette idéologie a très certainement facilité, du moins dans un premier temps, la collaboration entre la posse de Rimini et le Centre Via : Outre la participation aux activités du Centre, elle a abouti à des actions de rue faites en commun et à la publication, en commun également, d’une fanzine intitulé Colori . (On imagine mal, par contre, des rappeurs militants s’engageant dans une entreprise similaire).

Le rap et la culture hip-hop d’Italie ont donc été marqués par un processus de dualisation qui a conduit, on vient de le voir, à deux pratiques du rap : une pratique militante, d’une part, et une pratique zulu, c’est à dire plus conforme aux orientations du vieux hip hop, d’autre part.

Un tel processus, que nous n’avons pas retrouvé ailleurs, n’est pas un cas unique en Italie où une dualisation analogue s’était déjà produite, il y a maintenant une décennie, dans le mouvement punk.

LES CENTRES ET LA « DUALISATION » ITALIENNE DU MOUVEMENT PUNK

Dans Posse italiane, Alba Solaro montre comment les anarcho-punks du groupe VIRUS (de Milan) ont joué un rôle décisif dans la formation et l’orientation actuelle des Centres. Ces anarcho-punks italiens avaient déjà fait l’objet d’une présentation dans un autre ouvrage collectif intitulé Bande. Cet ouvrage était l’aboutissement d’une enquête ethnosociologique menée par les sociologues du Centre d’Etudes et de Recherches sur la marginalité et la déviance auprès des « groupes spectaculaires » – Rockabilies, Mods et Punks – de Milan.

Mais si les anarcho-punks de Virus étaient très actifs sur le devant de la scène contre-culturelle et politique de l’époque, cela ne signifiait pas que le courant punk italien se limitait à sa version anarcho-punk.

Il y avait aussi, dans le même temps et la même ville – et/ailleurs, bien sûr – un mouvement juvénile punk. Or, si la notion de contre-culture telle qu’elle est utilisée par Alba Solaro dans sa présentation des Centres sociaux peut servir à l’étiquetage des mouvements culturels qui s’y développent, il faut peut-être trouver une autre étiquette pour désigner ce punk ado dans sa différence avec celui des Centres. La notion de sub-culture pourrait alors servir à désigner cette culture punk qui s’était d’abord développée en Grande-Bretagne où, comme plus tard à Milan, les punks étaient souvent d’origine ouvrière, étant eux-mêmes des jeunes ouvriers et employés.

ENQUÊTES ITALIENNES

L’étude ethnosociologique du groupe de Rimini a été le point de départ de recherches consacrées au rap zulu d’Italie.

En juin 92, à l’occasion d’un séminaire à l’université de Rome, Sandra de Juli présentait un document vidéo concernant le hip hop de Rimini. Des jeunes rappeurs et graffeurs participaient à ce séminaire de l’université, où ils ont pris la parole pour décrire leurs activités.

Ils n’appartenaient pas au « hip hop » des Centres, s’en démarquaient explicitement, n’étaient pas étudiants mais dans l’ensemble lycéens ou collégiens et plus jeunes par conséquent que les rappeurs militants.

On pouvait mesurer là le chemin parcouru : alors qu’en février 90, dans cette université romaine de la Sapientia, le seul thème mis à l’étude pour le séminaire du hip hop était celui des Centres, cette fois, deux ans plus tard, on s’occupe aussi de « l’autre hip hop ».

Le rap zulu version italienne a commencé alors à faire l’objet d’enquêtes : à Rimini, Leonardo Montecchi a continué ses recherches sur la posse locale; à Bologne, Sandra de Juli et Roberto ont engagé avec d’autres une recherche sur un groupe important de jeunes graffiti artistes; à Rome et Ostia, Roberto de Angelis a lui aussi enquêté parmi les groupes et les bandes de l’autre hip hop. Nous avons eu enfin l’occasion de rencontrer la posse d’Ancona, une ville balnéaire proche de Rimini où le hip hop présente les mêmes caractères toujours.

Au vu des premiers résultats, on peut déjà esquisser quelques traits essentiels de ce courant en les distinguant des pratiques du rap et du hip hop des Centres :

  • c’est un rap et un hip hop d’adolescents alors que chez les rappeurs militants la moyenne d’âge est plus élevée ;
  • il se situe en général dans la tradition du premier hip hop alors que le lien avec cette tradition est beaucoup moins marqué dans les Centres ;
  • les jeunes du « rap zulu » sont souvent issus de milieux populaires (mais il y a d’assez nombreuses exceptions) alors que les rappeurs militants sont plutôt issus des classes moyennes ;
  • les rappeurs zulu fréquentent souvent des écoles professionnelles (assez semblables à nos LP) alors que la contre-culture des Centres est davantage associée aux universités ;
  • ceux du hip hop « anonyme » adoptent les signes distinctifs et déjà traditionnels de la culture hip hop (les vêtements, par exemple) ce que ne font pas ceux des Centres ;
  • « l’immigration » interne » (parents venus du Sud de l’Italie à la recherche d’emplois, est pour une part importante, la « base sociale » de ce courant alors que ce trait est moins visible dans les Centres ;
  • les thèmes politiques développés dans le hip hop zulu : la lutte contre le racisme en général, les droits de l’homme, le refus de la guerre, s’ils sont engagés et si l’on peut même les considérer comme expression d’un certains militantisme (tout en constituant en même temps des thèmes obligés) ne sont pas pour autant l’expression du « radicalisme » politique qui caractérise souvent, par contre, rap militant.

Georges Lapassade

Bibliographie

  • S. Cristante, A. Di Cerbo e G. Spinucci (a cura di).La rivolta dello stile, Franco Angeli Editore, Milano, 1983.
  • L. Caioli, A.R. Calabro, M. Fabroni, C. Leccardi, S. Tabboni, R. Venturi: Bande: un modo di dire. Rockabilies, Mods, Punks, Milan, Eidizione Unicopli, 1986.
  • Alba Solaro, Franco Pacoda, Carlo Branzaglia: Posse, Editions Tosca, 1992.
  • Piero Fumarola/Georges Lapassade: « Rap Copy », Studi e Ricerche, Istituto di psicologia e sociologia, Universita degli studi di Lecce, n°13, 1992.
  • Franco Bollardi (sous la direction de): Hip hop, Bologna, 1992.
  • CyberpunkAntologia., Shake Edizioni Underground, Milano, 1992.
  • Fumo LHP, Francesco Adinolfi, et al: « Rap Militante », Decoder, Rivista Internationale Underground, Shake Edizioni Underground, Milano.

No 41 – L’Allemagne, politique et travailleur social

Kamila Benayada et Rémi Hess sont anthropologues. Ils ont passés beaucoup de temps ces dernières années en « terre germanique ». En septembre dernier, notamment, ils ont été choisis par le CNRS pour bénéficier d’une bourse de la Fondation Robert Bosch qui leur a permis de rencontrer durant un mois des équipes de chercheurs en Sciences Humaines d’universités ou de laboratoires allemands. Ils nous proposent ici une réflexion sur le nouveau contexte social qu’entraine la réunification allemande.

Rémi Hess : Depuis juin 1991, j’ai découvert l’Allemagne de l’est. Auparavant, je travaillais exclusivement avec l’Ouest dans le cadre de l’Office franco-allemand pour la jeunesse où j’avais développé des recherches sur de nombreux thèmes. J’avoue que la semaine que j’ai passée en juin1991 dans la région de Berlin avec des responsables de mouvements de jeunesse et des travailleurs sociaux de l’ex-RDA m’a décidé à apprendre l’Allemand et à m’investir sur ce terrain. Pourquoi ? Parce que j’ai eu l’impression que la réunification se faisait de telle manière qu’elle allait entraîner des problèmes inouïs aux niveaux économique, social et humain qui auraient, à long terme, des conséquences pour toute l’Europe.

Kamila Benayada : L’intégration économique n’était pas évidente. Les deux économies n’avaient jamais été conçues comme complémentaires. L’Est travaillait pour l’URSS, le Comecon. Avec des logiques qui étaient propres à cet ensemble. L’Ouest n’avait pratiquement besoin de rien dans l’industrie lourde est-allemande qui était en perte de vitesse et de toute manière totalement décalée au niveau de la productivité industrielle tant au niveau quantitatif que qualitatif. C’est l’opposition entre l’image de la Mercedes et de la Trabant. C’est sur le plan agricole qu’existaient les échanges. C’est sur ce terrain que l’intégration est la plus facile même si les méthodes de production sont vraiment différentes…

Rémi : Cette opposition économique pouvait donner lieu à plusieurs scénarios d’intégration. Celui qui a été choisi a été le plus dur pour l’Est. L’Ouest est parti de l’idée qu’il fallait dissoudre tout le système institutionnel de l’est. C’est la première fois dans l’Histoire de l’humanité qu’un pays vote son auto-dissolution au sens où toutes les institutions antérieures disparaissent et sont remplacées par d’autres venant d’ailleurs. Cela a pu arriver suite à une défaite guerrière, mais une telle auto-négation n’est jamais survenue en temps de paix.

Kamila : C’est tout le système de référence que l’on a dans la tête, la transversalité, qui doit se dissoudre, qui devient obsolète, pour des générations entières…

C’est une expérience humaine incroyable. Mais on peut se demander si ce mouvement n’avait pas déjà été vécu au moment de l’instauration du communisme qui avait rapidement rendu obsolète toutes les valeurs et les visions du monde antérieures.

Rémi : Oui, tu as raison. D’ailleurs les questions concrètes de la propriété foncière analysent bien cette question. Car encore avant en 1933, ils avaient déjà été obligés de changer de vision du monde. Une maison appartenant à une famille juive en 1930 qui en avait été expulsée en 1933, réquisitionnée en 1950 par les communistes, à qui appartient-elle aujourd’hui ? Voilà le type de questions que les gens se posent concrètement à Leipzig par exemple où tout est bloqué parce que l’on ne peut pas faire des travaux dans un endroit dont on ignore qui est propriétaire !

Kamila : Les changements, les passages du nazisme, au communisme, à la démocratie occidentale… représentent une faiblesse au niveau de la structure identitaire. Mais en même temps, on peut se demander si l’identité allemande n’est pas justement dans cette liquidation régulière des systèmes de valeurs et leur remplacement intégral par un autre système.

Rémi : Oui. Mais en même temps, à chaque fois cela passe par la liquidation sociale d’une ou deux générations.

Te souviens-tu que l’on a entendu un professeur allemand affirmer qu’il fallait accepter que tous les allemands de l’Est de plus de vingt-cinq ans étaient foutus, qu’il n’y avait rien à en tirer, qu’il fallait leur concevoir un statut d’assistés, qu’ils sont totalement irrécupérables ?

Kamila : Oui. L’ironie est que ce sont les allemands de l’Est qui ont choisi la dissolution de leur État et qui font les frais de ce choix. Quand il s’agissait de choix individuels avant la chute du mur, l’économie ouest allemande était capable de les intégrer immédiatement dans la division sociale du travail. On ne se posait absolument pas la question de savoir s’ils avaient été déformés par une éducation marxiste.

Rémi : On touche là la liaison entre politique et travail social. Il n’y aura jamais assez de travailleurs sociaux pour intervenir sur ces populations socialement disqualifiées. Personnellement, c’est là que je vois la place de la France et des français. Personnellement, je n’avais pas d’amis est-allemands. Mais depuis la chute du mur, j’en ai. Je les ai découverts comme des gens « normaux ».

Pour moi, mon amitié pour les allemands de l’Ouest n’est pas niée par le fait que je rencontre des gens de l’Est. Sur le plan professionnel, les sociologues de la jeunesse, des bandes, des banlieues m’apparaissent comme ayant fait des études qui sont toujours intéressantes. Les travailleurs sociaux qui s’occupaient des loubards est-allemands sont aussi compétents pour intervenir qu’avant la chute du mur.

Ils sont aussi opérationnels qu’un travailleurs social français. Du coup, je me demande si le déblocage ne pourrait pas venir de France. Par exemple, on manque d’instituteurs pour enseigner l’Allemand en primaire. Pourquoi ne pas recruter tous les instits Est-Allemands licenciés sur critères plus ou moins politiques ? Nous, on se moque qu’un instituteur soit communiste ou non. Le marxisme a pris un tel coup dans l’aile qu’il ne représente pas un danger pour les valeurs de l’Ouest. Mais dans la tradition allemande, celui qui a perdu doit payer. Je trouve tout cela rétro, très dix-neuvième.

Kamila : Il y a des tas de trucs dans ce que tu dis. L’idée que c’est la France, les français qui collectivement pourraient exercer la fonction d’aide, de travailleur social collectif vis-à-vis des l’Allemagne et des Allemands est marrante. C’est une façon de déplacer sur le macrosocial des pratiques interindividuelles qui n’est pas courante. La France a une très bonne image en Allemagne de l’Ouest parce qu’elle a permis à l’Allemagne de retrouver dans la société internationale une place honorable, mais l’intervention dans les affaires allemandes serait très mal vécue.

Rémi : Oui, mais le type d’intervention que je préconise serait plutôt celle du socianalyste qui n’intervient qu’à la demande. Pour résoudre des problèmes concrets, précis qui se posent sur le terrain. Si le Ministère de l’éducation recrute 1500 instits de l’Est, il n’intervient pas dans les affaires allemandes. Il joue seulement sur les nouvelles possibilités de l’ouverture des frontières européennes et de la libre circulation des travailleurs. En plus il supprime 1500 chômeurs dans les statistiques allemandes.

Kamila : Oui, mais le choix est ciblé. Dans ce cas, il y a politisation du choix. En choisissant des Est-Allemands, le gouvernement français montrerait qu’il est contre la politique de marginalisation du gouvernement de Bonn et ce choix ciblé serait dans les faits une intervention dans les affaires allemandes. Cette initiative ne résoudrait pas la question de l’intégration sur place des allemands de l’Est dans la nouvelle Allemagne. C’est la priorité pour eux. Ils ne se préoccupent pas vraiment de l’Europe. Ils veulent d’abord être Allemands.

Rémi : D’accord. Mais en même temps, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Je suis sur que l’on trouverait des gens qui feraient le voyage, même provisoire, histoire de se refaire une virginité politique qui leur permettrait ensuite de revenir en Allemagne en ayant une dimension personnelle internationale qui ne serait pas inintéressante pour la construction européenne.

Kamila: Il faudrait une banalisation de l’Allemagne de l’Est qui pourrait se faire par des échanges entre les lander de l’Est et la France. Mais là il faudrait aussi que se mouvement soit relayer par d’autres pays que la France.

Rémi : Oui. Cela me semble extrêmement important de concevoir le social sur le plan d’une politique européenne. Car je suis persuadé que le type de proposition que je fais serait accepté par Bonn qui doit bien prendre conscience, après deux ans d’expérimentation, des problèmes que pose la marginalisation de 10 ou 12 millions d’habitants. La crise politique qui est latente du fait que la virulence des groupes d’extrême droite à l’Est ennuie autant le droite que la gauche ouest allemande. Il faut donner à Bonn des idées pour sortir de cette impasse, ne serait-ce qu’au niveau des informations télévisées. A la télé, on ne parle plus que des demandeurs d’asile et des mouvements qui leur sont hostiles. Ce n’est pas enthousiasmant pour aller de (.’avant.

Kamila : Oui. Que veux-tu dire par enthousiasmant ? Enthousiasmant pour qui ? Pour les allemands de l’Est, se faire montrer du doigt comme néo-nazis, c’est plus que gênants, mais cela fait partie de la politique ouest allemande qui veut affirmer son appartenance à la démocratie et qui rejette toutes les survivances de nazisme dans les esprits ou les pratiques sociales. La dénazification est dans la Grundgesetz (loi fondamentale, la constitution). Pour les allemands de l’Ouest, c’est important d’en parler, mais cela devient un peu lourd. Cela prend la forme du déni. Les néo-nazis que l’on montre sont toujours de l’Est comme si l’on voulait montrer l’échec du communisme à éliminer ce type de « pathologie sociale ». D’une part montrer l’échec du communisme et d’autre part cela peut servir comme justification de la marginalisation sociale des Allemands de l’Est alors qu’en fait c’est tout ce discours, cette idéologie qui induit les révoltes.

Rémi : En tant que Français, habitant Paris ou la province, on peut trouver tout cela bien lointain. En fait, c’est à nos portes. L’Europe se fait. On a beau avoir une petite partie de la France qui se cache les yeux à propos de l’Europe, l’intégration européenne est en cours et les problèmes allemands sont nos problèmes. Ne pas s’y intéresser, c’est passer à côté de la chance de pouvoir être actif dans un processus qui aura des conséquences à long terme pour tout le monde.

Kamila : Oui. Il y a aussi cette question de l’intégration des Allemands de l’Est qui ont un statut de population immigrée. Leur statut nous concerne. Ce qui est intéressant chez les Allemands de l’Est, c’est que bien qu’ils apparaissent à ceux de l’Ouest comme moins intégrables que les Turcs, ils sont, pour nous tout de même allemands.

Rémi : Pour un Français qui s’intéresse à l’Allemagne, on ne voit que le fait qu’ils parlent allemand, qu’ils connaissent Goethe, qu’ils écoutent du Beethoven, qu’ils jouent du piano ou s’intègrent dans n’importe quel chœur sans problème…c’est-à-dire qu’ils sont porteurs, comme groupe, des vieilles valeurs « bourgeoises » allemandes, bien plus que ceux de l’Ouest qui sont passés à l’américanisme du fait de la destruction de leurs villes, par exemple. Rien qu’au niveau architectural, l’Est a gardé des villes et des villages avec des maisons du Moyen-Âge. C’est un patrimoine allemand, européen qui ne peut pas être nié. A la limite, pour un français les gens de l’Est sont plus allemands que ceux de l’Ouest qui sont entrés dans une culture internationaliste (ils parlent anglais à l’Ouest alors qu’à l’Est ils étaient obligés de parler Russe. Cela leur a évité d’être contaminés parla culture de l’Hamburger). Tout cela doit être pensé. C’est la complexité du réel. En tant qu’observateurs extérieurs, nous sommes bien placés pour voir des choses qu’ils ne voient pas eux, trop près qu’ils sont des choses, des conflits, des clivages idéologiques qu’ils jugent comme centraux alors que du point de vue de l’historicité ce n’est pas grand chose…

Kamila : Ce que tu racontes concerne le Français informé, pas le Français moyen. A mon avis, le « Français moyen » voit plutôt l’Allemand de l’Est comme un sportif dopé que comme un artiste romantique. Mais sur le fond je suis d’accord avec toi que les Allemands de l’Est représentent une réserve de sens pour la culture allemande qui n’est pas près de s’épuiser. Leur souffrance ne va d’ailleurs que renforcer cette tendance à retourner aux racines de leur Culture. Faute d’avenir, ils vont réinvestir le passé, la culture. Les néo-nazis le font, mais dans leur quête régressive-progressive, ils ne vont pas suffisamment loin.

Kamila Benayada et Remi Hess

No 41 – L’inscription des pratiques sociales

L’écriture professionnelle comme expression autochtone et instrument de formation dans champ du travail social

L’ECRITURE EST TOUT D’ABORD UN TRAVAIL SUR SOI…

L’écriture traduit un projet. En écrivant on s’inscrit quelque part, on se projette. Les lignes directrices du texte s’enracinent dans un projet de vie. (1) Écrire est un effort pour coïncider avec soi-même, devenir soi, faire émerger des possibles ; R. Barthes traduit ce fait en disant que l’écriture « (…) n’exprime pas mais simplement fait exister (2)

Les travailleurs sociaux doivent effectuer un tel travail et non s’enfermer dans une action dont le sens risque finalement de leur échapper, une action que d’autres se chargeront d’évaluer de l’extérieur (politiques, psychologues, sociologues, et autres ethnologues du social). Produire du sens en s’exprimant à l’écrit sur sa pratique, au lieu de recevoir ce sens par l’intermédiaire d’un texte qui s’impose parce qu’il « fait autorité », c’est se servir de l’écriture comme d’un miroir devant lequel on peut reprendre confiance. (3)

…MAIS SURTOUT UNE PRATIQUE SOCIALE…

Le travail sur soi de l’écriture prépare aussi le travail en direction de l’autre, c’est donc une démarche qui implique immédiatement le TS dans un dialogue. En attestant durablement de la réalité de sa pratique, en l’inscrivant à travers une production permettant l’échange avec d’autres praticiens et les usagers, le travailleur social valide par là-même un travail personnel, le transmet et peut contribuer à une communication ascendante dont ses supérieurs hiérarchiques ont tant besoin.

…ET UNE STRATEGIE POSSIBLE POUR ETRE RECONNU ET CONSTRUIRE SON IDENTITE PROFESSIONNELLE

L’écriture, une condition pour affirmer une identité professionnelle (exercer un métier et en objectiver apparaît donc comme une démarche qualifiante possible pour la reconnaissance d’une pratique professionnelle ; en saisissant, capitalisant et formalisant l’expérience, il en exprime le sens pratique.

La représentation qui désigne celui qui écrit comme « autorisé » à le faire et comme devant être distingué de ceux qui méconnaissent les codes de la langue officielle (ceux qui ne maîtrisent qu’un parler populaire), est très forte et prégnante. L’enjeu, ici, ce n’est pas le discours savant pour lui-même, mais le sens des pratiques et codes sociaux qu’il commande et, du même coup, le fait de savoir ou non se situer, s’insérer dans un contexte social.

MODEECRITORAL
CATEGORIE SOCIO-PROFpsychologues,
sociologues, politiques
économistes dominants
Travailleurs sociaux
(dominés)
FONCTIONassistance idéologique (discours, modélisation)assistance sociale
(accompagnement)
CAPITAL CULTURELculture dominante (imposition idéologique)culture dominée
(reproduction de
modèles)
POUVOIR
SYMBOLIQUE
pouvoir de produire du
sens
aliénation et dépendance (sens reçu)
PRATIQUEScience
(Théorisation)
Techniques
(intervention sociale)
INVESTISSEMENTDistanceimplication
POSITIONspéculation sur
l’exclusion
TS avec les exclus
On voit, à l’aide de ce tableau que la position par rapport au pouvoir change selon que l’on se situe à l’écrit ou à l’oral

FAIRE ECRIRE LES USAGERS

Quant au travailleur social il a, de fait, un rôle d’écrivain public, il aide souvent les usagers à rédiger des formulaires administratifs, pourquoi n’irait-il pas plus loin en passant de l’animation des lieux de paroles à la création d’ateliers d’écriture ? (6)

L’accès à l’écriture est une démarche d’autoformation pour les TS (toutes catégories confondues et dans la perspective d’actions en transversalité) autant que pour les usagers. L’objectif : sortir de l’espace d’exclusion dans lequel ils se trouvent confinés les uns comme les autres. En s’autorisant à écrire, travailleurs sociaux et usagers s’engageraient dans la voie de la créativité et de l’innovation, seule valable dans le champ du social aujourd’hui, pour faire aboutir leurs revendications (7). S’ils restent à l’oral, leurs tentatives pour faire changer la profession resteront lettre morte.

Écrire et faire écrire : une pratique dont l’idée peut être exploitée dans un dispositif de formation aux professions du travail social. Il semble justement que la rédaction d’un mémoire soit pour nombre d’étudiants des ITS un véritable supplice (8) en ce qu’elle est perçue comme un devoir scolaire (avec sa connotation négative) et non comme un acte qui fait déjà partie d’une pratique professionnelle.

De plus, l’accès à l’écriture est accès au pouvoir(9), c’est donc une démarche essentielle, action sociale par excellence pour n’être pas dominé et exclus. C’est la stratégie d’un certain nombre de travailleurs sociaux consistant en une course aux diplômes -étages d’une fusée dont on ne voit plus la tête- pour échapper, en réalité, à la pratique, parce que, souvent, on ne la supporte plus.

Écrire pour ne plus pratiquer, est-ce possible ? Si cela « marche » c’est que l’on dissocie une même réalité en deux aspects qui la déforment : d’une part la pratique auprès des usagers, le travail « en relation », c’est là que les TS sont représentés « à l’oral » et d’autre part la conception, l’organisation générale, l’administration du travail social qui n’existe, de fait, que par la pratique, qui est une pratique, mais qui ne se donne, pudiquement, à voir qu’à l’écrit. Pratiques d’écriture et pratiques sociales devraient être reliées pour que disparaisse une inadmissible fracture.

CE OUI SE TRAME

Écrire, produire un texte, c’est aussi produire une texture sociale, un réseau à travers lequel une communication est facilitée. C’est, pour les travailleurs sociaux, une démarche d’autonomisation et de changement dans la mesure où précisément l’écriture est immédiatement possibilité d’action critique institutionnelle au sein même de la profession, ce que redoute parfois la hiérarchie qui adopte sur ce point une position plus qu’ambigüe : « On nous encourage vivement à écrire, nous confie une assistante sociale polyvalente de secteur, mais lorsqu’on s’exécute, que l’on donne un texte, il est mis au rancart ».

Cette démarche pour faire du travail social autrement ne peut que s’inscrire dans une trame qui est celle du projet professionnel (10) des praticiens. Encore faut-il qu’il puisse être reconnu, mais quand il le sera, la question de l’écriture se posera différemment car le rapport à l’écriture (dont nous proposons une illustration dans le tableau ci-dessous), sera également autre.

J.L. DUMONT

  1. C’est pourquoi lorsqu’on écrit, l’on s’y met ou, en d’autres termes, le désir d’écrire rend nécessaire la saisie du sens de son projet de vie sauf à voir les mots se dérober et ne plus avoir le sens qu’on veut leur donner, car les mots s’inscrivent dans la ligne directrice de notre projet, cf la notion de « mot significatif’ in : J.L. Dumont et M.C. Saint PE, Méthode du profil expérientiel, Lausanne, Far ed, 1990.
  2. R. Barthes, L’empire des signes, Flammarion, coll. Champs, 1970, p.106.
  3. cf l’entretien avec Laurence où elle exprime bien d’une part que les duifficulté d’écriture mettent en question la formtation professionnelle, les raisons d’un engagement professionnel possible
  4. cf JL Dumont, PEPS, n° 38, p. 6
  5. cf E.Auger qui établit cette distinction (PEPS, n°38, p.27)
  6. cf atelier d’écriture au foyer d’Alfortville, in : Le foyer communique, dans ce numéro, pp
  7. C’est en ce sens que M. Farzad, dans son édito, PEPS, n°38 sur les actions (grèves) menées par les TS, se posait la question : « Pourquoi les TS n’écrivent-ils pas ? »
  8. cf interview de Laurence Millet dans ce numéro et le petit poème de B. Marinoni, intitulé « Le mémoire ».
  9. Voir le tableau ci-dessous
  10. lequel n’est pas toujours très clair pour les usagers, comme pour praticiens eux-mêmes

No 41 – La formation des travailleurs sociaux écrire pour mémoire ?

(suivi par « le mémoire » de Béatrice MARINONI)

L’écriture professionnelle en travail social débute dès la formation. Quelle expérience en retirent les étudiant(e)s sortant des Instituts de travail social, quelles représentations en ont-ils et finalement quel est leur rapport à l’écriture ? C’est ce qu’il semblait nécessaire de demander aux intéressés, mais, en engageant la conversation sur ce sujet, on obtient aussi d’autres informations sur la profession.

« TOUT LE MONDE EST CAPABLE D’ÉCRIRE…

…et pourtant j’ai toujours été enfermée dans le rôle de quelqu’un qui avait du mal à écrire et je crois que ça reste longtemps. Par contre, dans une formation à l’expression écrite qui durait trois jours, une femme nous a démontré qu’on était capable de faire quelque chose et ça, je m’en suis souvenue.

Je crois qu’elle a réussi à mettre en valeur notre créativité, en fait, chacun à son niveau, elle nous avait fait faire des exercices, écrire une phrase sans « etc. » Elle nous avait intéressés avec R. Queneau. Elle m’a passionnée pendant trois jours et, à la fin, et je les ai gardé ces écrits-là, je les ai relus il n’y a pas longtemps et je me suis dit c’est génial I Elle était arrivée à faire que je sois contente de ce que j’avais écrit, pour la première fois…

En ce qui concerne mon mémoire, je ne suis pas trop mécontente de ce que j’ai écrit, je ne sais pas ce que ça donnera, mais je pense que c’est un bon point : on est plus capable de soutenir quelque chose quand on est content. J’ai eu du mal pour le premier mémoire, je ne l’aimais pas ce mémoire, ça ne m’a pas plu, j’ai travaillé contre le sujet, je l’ai détesté ce mémoire !

ON EST RECONNU PAR L’ÉCRIT

Je me sens plus à l’aise à l’oral. Justement une AS me disait qu’une grande majorité des travailleurs sociaux ont énormément de problèmes d’expression écrite et s’accomplissent énormément à l’oral ; ils parlent beaucoup et écrivent peu. Je pense qu’ils ont des bonnes idées, enfin « ils ont », ce matin je me suis dit : on pense « les assistants sociaux », en fait on est tous différents, c’est une façon de parler et de classer. Il y a des idées, mais elles restent en l’air et sont récupérées. J’ai ce sentiment-là, c’est justement le blocage de l’écriture. Il y a aussi l’angoissante question « comment faire ? » et puis, dans le social, on est peut-être plus dans la réflexion que vraiment dans l’agir. Je crois que ça se sent bien dans les relations humaines, les revendications. C’est vrai que lorsqu’on se revendique on est reconnu par l’écrit. Je pense qu’aujourd’hui le travailleur social n’est pas reconnu parce que ce ne sont que des paroles et pas des écrits

Quand je regarde la formation, les amies qui étaient dans ma promotion, il n’y en a pas beaucoup pour qui ça a été simple d’écrire, on l’a tous plus ou moins décrit comme une horreur, comme une chose très difficile.

J’ai discuté avec des troisièmes années que je ne connaissais pas tellement l’an passé. Ils sont venus me voir en me disant : « ça y est c’est recommencé, tu l’as refait ! » Je me suis rendu compte qu’ils avaient exactement le même effet panique que moi. Qu’est-ce qu’un mémoire, C’est quoi cette bête-là qui doit faire à peu près cinquante pages ? On nous dit qu’il faut démontrer quelque chose, mais en définitive on ne peut pas non plus mettre « je », quelque chose qui reste quand même assez flou.

PRENDRE PLAISIR

Pour réussir un mémoire avant tout il faut l’aimer et il faut prendre plaisir à le faire. Dans le cas contraire je pense que ça ne donne pas de résultat, en tout cas, le résultat dont on a envie. La preuve en est que mon premier mémoire, je l’avais commencé en décembre, je l’ai fini en mai…avec quatre kilos en moins ; ça a été très mal, ça a été la crise d’identité professionnelle et personnelle. Et là, je n’ai pas repris une seule ligne de l’ancien mémoire et c’est vrai que j’ai commencé le premier écrit le 2 septembre et donc je l’ai rendu en un mois et dix jours, j’ai écrit cinquante pages, alors que pour l’autre j’ai mis quatre-cinq mois à en écrire trente-cinq et encore j’avais tiré…Ce qui me fait dire que, quand on aime quelque chose, ça marche ! Quand on sait surtout pourquoi on le fait et quand on sait à quoi ça ressemble aussi.

J’ai eu le sentiment de manquer de soutien pour le premier mémoire. A l’institut, on a quinze heures et un formateur. Et moi je leur avais dit que l’idéal c’était d’avoir sept heures avec un formateur pour une formation théorique et sept autres heures où, en fait, on pourrait discuter de la façon dont on voit son mémoire

PROJET D’ECRITURE PROJET PROFESSIONNEL, CE A QUOI SERT LE MÉMOIRE

Est-ce que, effectivement, on a un véritable projet avant d’écrire un mémoire ?Je pense que j’en n’avais pas. C’est clair, avant d’écrire le premier mémoire je n’avais pas de sujet, il n’y avait rien qui me passionnait vraiment, ça a déclenché, d’ailleurs, certaines questions. Je n’avais pas de projet d’écriture pour le mémoire et surtout, je ne savais pas ce que je voulais, ce que je voulais faire à travers cette profession-là.

Finalement je n’ai pas eu ce premier mémoire et j’ai été déçue parce que c’est vrai que, quelque part je comptais sur la chance et puis j’avais tout de même fourni un certain travail je veux dire sur 35 pages tout n’était pas bien mais tout n’était pas mauvais non plus. Je me suis donné une échéance pour prendre une décision : soit j’arrêtais ma formation, soit je la continuais, je crois que de toutes façons ça devait passer par là. Et j’ai décidé de continuer, mais j’ai surtout décidé de laisser derrière moi l’ancien mémoire, pas en annulant complètement ce qui s’était passé parce qu’au contraire je m’en suis servi pour l’autre, mais je me suis dit : je sais pourquoi je vais continuer, je sais à quoi va servir mon mémoire et je ne me suis plus posée de questions à ce moment là

CE OUI FAIT QU’ON ÉCRIT : LA CONFIANCE EN SOI

Je crois que j’ai repris confiance. Ce qui m’a aidée, c’est que j’ai lu d’autres mémoires et je me suis rendue compte que les gens écrivaient d’une façon relativement simple avec un point, on retourne à la ligne, on dit une autre idée et j’ai essayé, en fait, de clarifier ce que je pensais et forcément de clarifier ce que j’écrivais.

J’ai clarifié ce que j’écrivais à partir du moment où je clarifiais ce que je pensais et surtout, j’avais quelque chose à dire parce que je pensais quelque chose. L’écriture arrivait comme le prolongement de la pensée, alors que jusqu’à présent j’avais des pensées, mais elles s’arrêtaient à un moment où je ne devais pas avoir envie de le dire, je ne communiquais pas, ce n’est pas facile à exprimer…

CE QUE REPRÉSENTE LE MÉMOIRE : UN POINT DE DÉPART DANS LA VIE PROFESSIONNELLE

Le premier ressemblait à un outil qui me permettait d’avoir un diplôme, le deuxième ressemble à un écrit qui reste et qui peut servir d’autres, qui peut servir de point départ. Un écrit où il y a des idées qui sont les miennes, qui sont écrites à ma façon avec une orientation qui est la mienne, mais qui peut servir de point de départ pour quelqu’un qui n’en a pas. Un écrit qui reste une trace, alors que le premier, pas du tout. Le premier, c’était un mémoire que l’on me demandait de faire et qui devait rassembler quelques pages pour avoir un diplôme

Je pense qu’il faut écrire quelque chose qui, d’un point de vue professionnel, peut avoir de l’intérêt et à côté, faire une formation qui soit plus en rapport avec l’institut.

ÊTRE PUBLIÉE

J’ai le souvenir, dans un colloque, d’une fille qui avait écrit un mémoire en rapport avec un projet sur le lieu de son stage et son mémoire avait été primé. Je pense qu’il est bien de savoir que son mémoire ne va pas être mis sous une pile et puis, en définitive, jamais consulté, parce que dans un mémoire, on y met des choses du temps, on y met du cœur, on y met de la haine, on y met, en tout cas, de soi.

Faire un article, ça me plairait bien. On avait un peu fait cette démarche avec le projet Tchécoslovaquie. On avait eu de l’argent par les ASH et, en contrepartie, on devait leur renvoyer un article, ce qu’on a pas fait. Je le regrette parce que c’était quand même le projet de départ et on ne l’a pas réalisé, c’est pas sympa. Il faut voir aussi que, généralement, on démarre un projet à 6 comme on l’a fait, que le voyage c’est la carotte et que lorsqu’on a mangé la carotte, généralement on ne se retrouve plus qu’à deux. Donc écrire le projet et en plus, écrire un article d’ASH, ça faisait beaucoup, surtout au moment où on démarrait le mémoire ! C’est aussi un concours de circonstances mais, par rapport à ce que j’ai vu en Tchécoslovaquie, j’avais beaucoup de choses à dire Moi je trouverais ça génial d’être publiée pour donner des orientations aux autres. J’ai le souci de communiquer ce que je vois, ce que je fais pour avancer et en même temps aider certains à un moment donné

EN COULISSE DU MÉMOIRE…

J’ai été énormément choquée, quand je suis allée à la DRASS passer ma « situation sociale ». Il y avait une femme qui s’est mise à discuter avec un collègue, devant moi, comme ça, je ne la gênais pas a priori, elle lui a dit : « Je suis embêtée, je n’arrive pas à fourguer un mémoire ; je l’ai proposé à une psy, elle ne voulait pas, je l’ai proposé à une AS, il a fallu le lui envoyer mais comme c’était la fin du week-end, elle n’en voulait plus il a fallu aller le rechercher ». Je me suis dit : il est où, le respect du travail, il est où, dans ces conditions-là ? J’ai été outrée de voir qu’on n’en tient pas plus compte que ça.

J’ai discuté avec une amie et je me suis rendue compte que les 3ème années on a tous des sujets qui se ressemblent et une entraide est possible : tiens, tu devrais voir intel qui a fait son sujet là-dessus, regarde sa bibliographie, regarde son orientation ! ou : tiens, tu parles de sa conclusion, va voir ce qu’il en pense ! En définitive, ce qui se passe, quand tout le monde a eu son diplôme : on fuit l’Institut. Il y en a même qui sont venus rechercher leur mémoire, c’est peu dire….

Je crois qu’on a tous besoin, à un moment donné, que celui qui a fait un mémoire avant nous et qui a une orientation et une bibliographie en rapport avec ce qu’on fait, et nous en informer, mais je crois qu’il y a un côté très protectionniste part rapport à ce mémoire.

ÉCRITURE COLLECTIVE ?  QUELLE SOLIDARITÉ ENTRE ETUDIANTS ?

Je sais qu’une amie avait fait son mémoire de psychologie, sa licence : elle l’avait fait avec une copine , je pense que c’est rassurant, je pense que c’est même bien ! parce qu’il n’y a pas simplement son enjeu , mais il y a l’enjeu de l’autre, je pense que c’est bien.

Par contre, à l’Institut, je n’ai pas travaillé une ligne avec des gens. Je suis incapable de dire de quoi traite le sujet d’une fille de ma promo qui a été recalée comme moi sur le même thème. Pourtant j’ai eu l’occasion de parler un peu avec elle : sur quoi travailles-tu ? Et je n’ai jamais eu de réponse. Je sentais bien que c’était « son travail », « me pique pas mes idées ! » J’avais l’impression de me retrouver à l’école primaire, des fois que ses propres idées fassent progresser les autres, vous vous rendez-compte ! J’ai senti la formation comme un véritable individualisme, surtout pour le mémoire, à un moment où on pourrait penser qu’on a vraiment tous besoin des autres.

MAL ÊTRE DANS LA PROFESSION

En écrivant mon mémoire, je me suis positionnée, par rapport à la profession, seulement je ne savais pas si j’allais continuer ou arrêter parce que j’ai été souvent agacée par tous ces travailleurs sociaux qui râlent, qui râlent, qui râlent à propos d’une profession et qui, en définitive, l’exercent quand même.

Et cette profession elle n’est pas à crier dessus parce qu’en fait, elle les fait vivre c’est une source alimentaire (pour les travailleurs sociaux comme pour les usagers) et j’ai fait le pari d’être cohérente avec moi-même. Je vais avoir mon diplôme, je vais exercer cette profession-là, mais je l’exercerai avec le sourire et je crois que dès que je commencerai à être revancharde et désagréable, j’essaierai d’arrêter et de faire autre chose parce que je pense que les usagers sont des gens qui, la plupart du temps, viennent chercher une aide, quelle qu’elle soit et trouvent en face d’eux des gens complètement dépressifs dans leur façon d’être et de faire. Donc par rapport à ça c’est par respect et puis, deuxièmement, c’est une profession qui ne peut ne plus correspondre à une personne à un moment donné. Je crois que les assistants sociaux ronchonnent pas mal de leurs conditions et sont dans le paradoxe justement de ne rien faire pour ; c’est vraiment la solution de facilité. Il y a une dignité qui fait qu’on part parce que ça ne correspond plus, on arrête.

Comment peut-on être dépressif dans une profession où, en plus on démoralise les stagiaires ? On risque de communiquer un désarroi total aux autres. A un stagiaire, c’est pas trop grave, mais à une famille je trouve ça honteux. Je me sens concernée par les problèmes de société, mais de plus en plus aussi par les problèmes de statut, de reconnaissance.

CRISE, RUPTURE, QUELLES SOLUTIONS ?

Je crois que plus on se dit qu’il y a une crise, plus en fait, on trouve la solution facile de dire : « oui mais on est en crise » mais en définitive on est toujours au résultat et aux causes et je pense que pour une situation, par exemple ou une famille en difficulté, les résultats c’est effectivement un point de départ mais le but, c’est quand même de régler la cause, je pense que par rapport à la problématique de la reconnaissance des travailleurs sociaux et leur façon de travailler, je pense qu’une fois de plus, il faut arrêter de crier sur les résultats et voir la cause. Et c’est pour ça, cette fameuse crise d’identité, je pense qu’elle est plus complexe que ça, c’est sûr, mais je pense que c’est aussi facile de se dire qu’on est en crise et de se cacher derrière ça et de ne rien faire non plus !

Je n’ai pas l’impression justement que cette « crise » est appréhendée comme une rupture mais comme un long état qu’on gère et dans lequel on se trouve, tout compte fait, bien parce que ça nous permet de justifier les choses qu’on ne fait pas. C’est un truc complétement bizarre et moi je ne m’y reconnais pas. Alors je pense que je vais être vraisemblablement malheureuse dans les services dans lesquels je vais tomber, mais je me dis tant pis…

PERSPECTIVES PROFESSIONNELLES

Je vais avoir un poste en polyvalence de secteur. Moi qui ne voulait pas en faire, je m’y retrouve. J’avais l’impression que c’était ce qui me déplaisait le plus, en fait, c’est ce qui m’a le moins déplu. La polyvalence de secteur c’est peut-être là que j’arriverais à tenir ma place par rapport à moi-même.et par rapport aux usagers aussi et après, je pense, je me sens beaucoup plus proche de la formation : essayer de faire passer des choses que j’ai ressenties. Et sur le mémoire, par exemple, des crises à certains moments, sur l’écriture, sur les grandes questions, sur la profession, si on a envie de la faire, si on a un projet, faire remonter plein de choses…

Il me semble avoir compris en fout cas pas mal de choses par rapport ma non-réussite et ça, j’ai envie de le communiquer. Ce que je disais aux Sèmes années : reste encore la difficulté qu’on est, chacun, complètement différent, la façon de vivre les choses avec une personne ou toute seule. Comme je suis, avec mes qualités et mes défauts je l’ai vécu comme ça, j’ai ressenti ça, maintenant chacun s’y retrouve ou s’y retrouve pas.

En recommençant le mémoire, j’ai eu l’impression d’avoir retrouvé justement le but Quand on vit quelque chose à fond et on en reste pas à la conséquence et quand on fait un travail sur le pourquoi du comment, un cheminement par rapport à ce qui s’est passé, et bien ! Je pense qu’on a appris plein de choses et qu’à partir de ce moment-là on peut en faire bénéficier les autres. J’essaie d’expliquer avec le plus de précisions, parce que, ça aussi, il m’a semblé que les TS parlent d’une façon très très vague et quand on veut se faire reconnaître, il faut être très très pointu et faire attention à son vocabulaire. Et c’est pour ça qu’en discutant avec les Sème années je crois que j’ai essayé d’être très précise, d’employer un mot plutôt qu’un autre. Quand je voyais qu’ils essayaient d’interpréter à leur façon un mot je leur donnais la représentation du mot que j’employais et c’était génial !

-C’est déjà un travail d’écriture ça !

-Mais complètement ! Je crois que j’ai senti le déclic : chacun ne met pas les mêmes choses derrière un mot, je crois que l’important justement c’est que l’écriture fasse corps avec le réel’.

Laurence Millet *

Propos recueillis par Jean-Luc Dumont

* A.S. en polyvalence de secteur. Vient d’obtenir son diplôme. Pour toutè réaction ou demande d’information, écrire à PEPS qui transmettra.

Le Mémoire

  • 6h00 du matin, le réveil sonne… Mon mémoire !
  • 7h30, je monte dans le train… Mon mémoire !
  • 9h00, MONTROUGE…Salut les copines ! Votre mémoire !?
  • 12h00, Direction la cafétéria… Mon mémoire !
  • 16h30, A demain les copines, Bossez bien…Votre mémoire !

Et c’est ainsi pendant des mois et des mois…

Métro, boulot, dodo ? NON, NON…

Objet, Problématique, Hypothèse !…

Crises d’angoisse : j’y arriverai pas.

Bouffées d’espérances : j’y arriverai !

Qui va le taper ? Je tape…Non je ne pourrai pas !

Oh ! Et puis si…Et puis non, je le ferai taper !

Bon, j’en suis pas encore 1â !

2h00 du mat, cauchemar : recalée au D.E.

Mauvais rêve. J’y suis pas encore !

50 pages…Il faut que j’écrive 50 pages !

On sort ce soir ? Tu rigoles ! Faut que je pense au mémoire !

Oh ! Horreur : avril… faudrait peut-être que je m’y mette ! ! !

Béatrice MARINONI

A.S. 3ème année

No 41 – Ce qu’écrire peut vouloir dire

Si l’écriture professionnelle ou administrative est inscrite dans les habitudes des travailleurs sociaux, écrire sur sa pratique ne fait, en revanche, par partie de leur habitude. Cette difficulté d’écrire, déjà ancienne, peut être comprise à la fois comme un symptôme majeur de notre profession et comme ultime recours de sa survie. En effet, la reconnaissance passe aussi par une connaissance pratiquo-théorique, sur laquelle s’appuient les pratiques professionnelles.

DE LA DIFFICULTÉ A ÉCRIRE

Affirmer la difficulté à écrire chez les travailleurs sociaux ne permet pas d’en dévoiler les raisons. Une des premières causes semble être liée à l’économie même du savoir dans le champ social.

Les conditions d’acceptabilité de l’écriture sont effets indissociables de l’acte d’écrire ; « apprendre un langage, c’est apprendre que ce langage sera payant dans telle ou telle situation » (1). Dès lors, l’écrit peut devenir un support de l’action, un amplificateur qui lui donnera une assise et un fondement.

La recherche action dans le travail social est encore, pour la majeure partie, des productions d’acteurs qui ne sont pas des travailleurs sociaux ou qui ne le sont plus (car acquérir une compétence supplémentaire pour le travailleur social passe souvent par une sortie de sa profession) . De plus la coopération acteur chercheur installe insidieusement, tant chez le travailleur social vis à vis de « l’expert » que chez l’usager vis à vis du travailleur social, le sentiment que pour ces premiers, leur propre parole est en quelque sorte volée et qu’ils sont trahit par l’usage qui en est fait (2). Cette rivalité silencieuse sur la légitimité d’intervention renforce peut-être la conviction du caractère vain de la réflexion (3).

Dépasser ces appréhensions et transformer ces représentations « vampirisantes » autour de paroles déformées, nécessite une éthique de l’écriture qui passe d’abord par une restitution aux acteurs concernés de la production écrite. L’écriture n’étant pas une fin en soi, mais un prolongement d’une réflexion ou d’une recherche.

Elle devient alors une écriture instituante, c’est-à-dire un outil ou un support d’échange destiné à faire évoluer la pratique professionnelle.

Cependant, force est de constater qu’il y a conne un effet de censure sur le travailleur social qui intérioriserait l’irrecevabilité de sa production écrite comme n’étant pas celle exigée par les contraintes du « marché ». C’est comme si ce qu’il pouvait dire n’était pas une parole « autorisée » ou « d’autorité » (1) qu’il ne pourrait pas soutenir face à d’autres partenaires. L’écriture dépend, dès lors, du marché dans lequel elle s’inscrit et soulève des multiples enjeux et des logiques parfois opposées (économique, politique ou économique) qui viennent imposer une production écrite « instituée ».

Une des questions que l’on peut se poser, est celle de la reconnaissance de l’écrit par celui qui le lit. Si un des objectifs de l’écriture, c’est de transmettre quelque chose afin d’engager un échange, est ce que l’écrit du travailleur social sur sa pratique ne s’adresse-t-il pas en fin de compte, non pas à d’autres travailleurs sociaux, mais à ceux qui étudient le travail social ? Répondre à cette question supposerait que l’on dispose d’éléments sociologiques sur la culture des travailleurs sociaux et leur rapport à la lecture.

L’ambition de la revue Paroles et Pratiques Sociales est que les productions écrites puissent être un outil de réflexion et d’auto-formation pour ses auteurs et aussi pour les lecteurs.

UNE TRANSGRESSION NECESSAIRE

Choisir d’écrire sur sa pratique professionnelle, c’est s’inscrire dans une rupture par rapport aux traditions professionnelles (Cf tableau de l’article de J. L. Dumont dans ce même numéro) car le travailleur social est bien souvent dans un rapport de soumission ou d’aliénation vis à vis de ceux dont il tire les principes explicatifs de sa pratique.

On pourrait se poser la question de la nécessité d’écrire car en fin de compte si cette transmission orale se pérennise, c’est qu’elle recouvre peut être des enjeux ; l’un d’entre eux est l’empirisme et le pragmatisme de l’expérience dont le travail social, par la construction de réseaux d’information et d’informateurs, constitue un capital qui devient un réel pouvoir(4) pour celui qui le détient et le contrôle.

L’ECRITURE, UN ENJEU PROFESSIONNEL

De la nécessité d’écrire à l’acte d’écrire, il y a un pas qui est souvent difficile à franchir ;si les gains narcissiques n’échappent à personne, les retombées symboliques s’épuisent à court terme.

L’intérêt de l’écriture, c’est qu’elle s’inscrit dans une démarche conscientisante (5) car elle peut permettre une évolution de sa propre pratique, qui éclaire à son tour la place d’où l’on parle ; place qui pose la question d’une action sociale au service de qui : l’institution, l’usager ou le travailleur social ?

L’écriture, en laissant une trace, permet d’interroger l’expérience professionnelle et de redonner un sens nouveau à l’action. C’est une réappropriation de sens qui s’opère, caria distanciation qu’elle impose aide à formuler ses propres interrogations et introduit une démarche de conceptualisation dans le dispositif d’intervention.

L’écriture est aussi un espace de création et de sublimation, non pas d’un discours mais d’une parole « incarnée » qui s’appuie sur sa propre pratique.

Cette entreprise, aussi séduisante et passionnante soit-elle comporte cependant des risques ; celle d’accroître parfois des doutes, de rencontrer des blocages ou des empêchements de la pensée, car interroger les fondements, la finalité ou la pertinence de ses outils professionnels demande une vigilance aiguisée. De plus, les multiples dimensions des situations sociales nécessitent l’utilisation de concepts appartenant à des domaines « supposés étanches » mais « nécessitant de fait une investigation transdisciplinaires » (6).

Écrire, c’est construire une mémoire et permettre l’inscription des pratiques sociales ; c’est aussi s’inscrire dans une démarche de théorisation d’un savoir faire (7).

L’écriture devient alors un enjeu professionnel nécessaire car c’est en participant à la construction de ses propres outils, que le travail social pourra sortir de sa position de dépendance et construire ainsi son propre espace de pensée.

LES EFFETS DE L’ECRITURE

Comme nous venons de la voir, écrire est une démarche de sens qui implique une certaine transgression qui s’accompagne de la nécessité pour celui qui écrit, de rendre compte et de témoigner de sa pratique. L’acte d’écrire s’inscrit donc dans une dynamique de l’échange.

Ace titre, on peut tenter de classer les effets de l’écriture dans ce qu’elle produit sur le sujet pensant.

  • L’écriture est d’abord productrice de sens ; en interrogeant sa pratique, elle permet de la féconder et de lui donner un sens « en la rendant visib1 e et lisible par tous. – Elle produit de l’identité, car écrire s’est se dire, c’est se signer par rapporta l’autre qui va me lire. De fait, l’écriture agit sur celui qui écrit en lui redonnant confiance sur sa capacité d’agir sur son environnement.
  • L’écriture agit comme un mode d’évaluation de soi-même et de son travail.

Dans la mesure où elle agit comme un effet de miroir sur sa propre place.

  • L’écriture induit un travail de transformation de soi dans la mesure où je puise dans mes propres ressources et dans mes propres capacités pour écrire.
  • Si l’action ne se suffit pas à elle-même, c’est par ce qu’elle est d’abord produite, puis enrichie par la réflexion écrite. L’écriture est donc un prolongement de l’action et inversement, la pratique apparait comme un prolongement de la réflexion, entendue comme une action qui se réfléchie.
  • Enfin, quand l’écriture dépasse l’évaluation d’un savoir, pour devenir un acte libre que je pose, alors l’écriture peut être productrice de liberté.

Elle est une démarche conscientisante.

La revue PEPS tire une de ses originalités dans le fait que l’approche rédactionnelle permet à tout travailleur social qui le désire d’exprimer son point de vue, éclairé dans sa construction par les questions des membres du comité de rédaction.

L’idée que la parole de chacun est importante et peut être lue n’est pas seulement un projet ou une utopie. C’est déjà une réalité au travers de la revue PEPS et c’est chaque jour, un peu plus vrai quand on prend la peine d’écrire et de tendre la plume à ceux qui la veulent !!! Écrivons, c’est une urgence.

Éric AUGER

  • Bourdieu P., « Ce que parler veut dire » dans QUESTIONS DE SOCIOLOGIE, Ed. Minuit, 1984, p. 95 à 120.
  • Cette hypothèse de la légitimité à parler sur le travail social reste à vérifier.
  • Cf article d’E. Auger, in PEPS N° 39 « l’écriture chez les travailleurs sociaux ».
  • Crozier M., et Friedberg E., L’ACTEUR ET LE SYSTEME, Ed. Points, 1977. Les auteurs parlent de « zone d’incertitude » comme enjeu de pouvoir dans les négociations.
  • Paolo F., La pédagogie des opprimés, Ed. Payot, 19…
  • Déconstruire le social, seminaire I dirigé par Sad Karsz Ed. L’Harmattan, Cahiers de Pratiques sociales, 1992.
  • Deux articles parues dans les ASH le 21/2/92 « Assistantes sociales, une crise symbolique » par Verda et Mondolfo et le 24/1/92 « Le travail social, l’avenir d’une crise » par Chauviere, Chopart et Bachmann, affirment, chacun à leur manière la nécessité de capitaliser les savoirs faire et d’un « ressourcement en légitimité ».

No 41 – Développement de foyers, foyers de développement

Les résidents maliens d’un foyer Soundiata a Alfortville créent une association pour gérer une série de projets avec les acteurs locaux et l’Etat. Ils négocient leur rôle de partenaires à part entière dans la conduite de ces projets et dans l’espace urbain où s’inscrit leur existence quotidienne[1].

L’origine d’une démarche

En juin 90, le précédent directeur constate que « …le foyer, par sa situation et sa population croissante génère des éléments qui ne ressemblent plus aux migrants traditionnellement accueillis ».

Les habitants du foyer d’Alfortville sont, à cette époque, confrontés à un problème relativement nouveau : la présence de squatters et trafiquants de drogue sur leur lieu de résidence. Il s’agit d’un groupe de jeunes récemment arrivés en France qui se trouvent dans une situation marginale (difficultés quanta la régularisation de leur séjour, chômage, manque de logement). En outre ces jeunes n’ont pas les mêmes points de repère que leurs aînés. Avoir des lieux où pouvoir exprimer leur différence, à distance de leur communauté sans rompre pour autant avec elle, est pour eux une nécessité vitale (cela semblait être une des raisons du squat de la salle de télévision du sous-sol).

Dans un deuxième temps, des personnes n’ayant aucun lien familial avec les résidents se sont jointes à ce groupe de jeunes. Parmi eux, des sortants de prison, des expulsés d’autres foyers et squats parisiens à la recherche d’un lieu d’habitation.

La plupart des résidents refoulaient les trafiquants vers la selle du sous- sol. D’une part ces personnes, considérées comme indésirables, n’étaient pas admises dans les chambres, d’autre part la communauté ne parvenait pas à rompre radicalement avec elles en leur interdisant l’entrée du foyer. Dépassés par les évènements, les résidents n’étaient plus capables d’assurer une régulation sociale au sein de l’institution. Des cloisonnements entre originaires des différents villages représentés, des replis individuels et très peu d’échanges sur les nouveaux problèmes rencontrés, par crainte de débordements, en furent les symptômes.

Une image qui se détériore, un désir de s’en sortir

Simultanément, l’image du foyer dans la ville s’est détériorée. Le foyer était devenu un lieu désigné comme menaçant, stigmatisé par les habitants du quartier proche, voire par la population alfortvillaise.

Les résidents ont très fortement ressenti cette image négative, renvoyée par la ville et par la presse locale[2]. Ils ont signalé, à plusieurs reprises, cette situation à la SOUNDIATA et attendaient de cet organisme et des forces de police, qu’ils procèdent à l’expulsion des personnes indésirables. La SOUNDIATA, quant à elle, s’est heurtée à d’importantes lenteurs administratives.

Entre juin et juillet 90, des interventions du commissariat d’Alfortville et de la brigade des stupéfiants du Val de Marne ont lieu, suivies de garde à vue et d’emprisonnement pour certains. La salle de télévision est aussitôt murée par la SOUNDIATA.

Ces actions ont paru apporter le calme souhaité, donnant aux résidents une lueur d’espoir et rétablissant, en partie, la confiance envers l’organisme gestionnaire et les forces de police, mais elles ne constituaient, en fait, qu’une réponse fragile à la situation. En effet, les interventions de la police ne permettaient qu’une évolution provisoire et ne pouvaient résoudre, elles seules, tous les problèmes.

De plus, entre les mois d’août et de novembre 90, la situation redevient difficile : des squatters et trafiquants de drogue recommencent au foyer une escalade de violence (agression d’un agent d’entretien, vols, actes de vandalisme, occupation du logement de fonction désaffecté).

Il fallait donc mener une action en profondeur permettant de trouver des solutions durables et pour y parvenir, faire un d’abord un bilan de la situation.

Nécessité d’un diagnostic social au foyer

L’objectif consistait à identifier la réalité socioculturelle des populations hébergées avec leurs difficultés de vie et leurs richesses[3], puis à mettre en valeur ces dernières en les mobilisant autour d’actions concrètes.

A cet effet, les résidents du foyer devaient être impliqués dans toute étude, conception et réalisation de projets les concernant, en tenant compte et en associant au maximum les réseaux sociaux existants dans le foyer : « L’insertion et le développement d’un foyer ne se réalisent pas en vase clos : la pratique partenariale est essentielle comme ferment et catalyseur (…) L’insertion et le développement demandent l’action participative et innovante des bénéficiaires ; ils en sont collectivement capables (…) leur champ d’action est habituellement plus large que celui des partenaires officiels : il recouvre les « frères » (surnuméraires), les familles et le village natal »[4].

Afin de préparer la mise en place d’un nouveau dispositif, des rencontres ont lieu, à plusieurs reprises, entre le Comité des délégués, le Conseil des Sages et le directeur du foyer (octobre-décembre 90). A la suite de ces réunions de réflexion, les participants décident, ensemble, de créer deux groupes de travail :

  • une Commission de sécurité
  • une Commission de réflexion sur la vie associative

Des représentants de regroupements communautaires et d’associations villageoises du foyer sont désignés parles résidents pour faire partie de ces groupes. Les premières réunions de la commission de réflexion se succèdent et permettent la réalisation du diagnostic social entre janvier et mai 91[5].

C’était souligner, par là-même, la nécessité de mener une action sociale de type collectif, celle-ci pouvant s’appuyer sur un dispositif permettant un travail de prévention et d’animation au sein du foyer

Dispositif d’action sociale dans le foyer Ce dispositif devait également associer les résidents et assurer la mise en place d’une action sociale selon trois axes :

  • sécurité des personnes et des locaux
  • amélioration du climat interne
  • promotion de l’image du foyer dans la ville

II s’agissait en même temps de rétablir une régulation sociale interne et d’assurer l’intégration du foyer au niveau local, rompant ainsi avec une sorte d’extraterritorialité accrue depuis la fin des années 70. Il ne fallait pas oublier non plus que si les problèmes de toxicomanie et de délinquance étaient apparus, c’était aussi à cause d’une augmentation des handicaps sociaux (chômage, manque de logement, exclusion, perte d’identité…) pour une fraction de la population résidente. La démarche avait comme référence ce qu’on appelle aujourd’hui dans le domaine du travail social, les interventions sociales d’intérêt collectif et le développement social[6], elle se fondait sur les principes suivants :

  • Ne pas réduire l’action sociale à l’amélioration du confort et du cadre bâti, même si ces améliorations sont nécessaires
  • Pas de réponses toutes faites : plutôt que d’apporter des réponses à des besoins signalés, évaluer les problèmes des gens concernés, mais aussi leurs ressources en termes de savoirs de savoir-faire et de savoir-être. C’est seulement en favorisant les capacités d’expression, d’initiative, d’organisation d’une population, qu’une intervention sociale peut, nous semble-t-il, s’inscrire dans un processus de changement.
  • Rompre avec toute logique réparatrice ayant l’intention d’imposer des modèles préconstruits [7].
  • Partir des dynamismes propres aux résidents et provoquer progressivement des ouvertures, notamment au niveau local (associations, travailleurs sociaux, municipalité) cherchant à créer ou retrouver des liens entre les personnes et à opérer des décloisonnements au niveau institutionnel.
  • Trouver des points d’articulation entre le domaine de l’intégration en France et celui du développement dans le pays d’origine. Ces deux domaines apparaissent complémentaires pour la revitalisation des réseaux de solidarités.

Résoudre des problèmes internes

Par la suite, la Commission de réflexion se transforme progressivement en « Commission de la Vie Associative » (juin 91) et réalise plusieurs animations à l’intérieur du foyer. A partir d’octobre, celle-ci décide d’élargir ses activités à l’extérieur du cercle des ressortissants maliens : participation au Forum des associations d’Alfortville, Journée Tiers Monde. En 92, la C.V.A., conjointement avec le Conseil des Sages et le Comité des Délégués, provoque une, mobilisation encore plus large du foyer.

Cette mobilisation, réalisée en collaboration avec l’organisme gestionnaire, des associations locales, le commissariat, le service des ilotiers et la municipalité d’Alfortville, permet enfin la résolution des problèmes liés à la drogue (mai-juin 92)[8].

Opérations « foyer portes ouvertes »

La C.V.A. s’approprie la totalité du diagnostic et met en place, avec l’appui d’un réseau partenarial, un dispositif provoquant la constitution d’autres commissions et groupes de résidents : atelier d’écriture, troupe de musique, équipe de football, commission santé, tout en dynamisant leurs actions.

En juillet 92, une première journée portes ouvertes a lieu sous l’appellation : « Regards croisés sur les réalités ». Plus de 80 invités y ont participé (associations locales, travailleurs sociaux, dirigeants d’associations, gestionnaires de foyers, chef de projet D.S.U. d’Alfortville, représentants de la municipalité, du département, du clergé local, du Ministère des Affaires sociales et de l’Intégration, du service d’ilotiers).

Le but de cette opération était de faire connaître les aspects occultés de la vie sociale et culturelle des habitants du foyer, pour améliorer leur image et retisser des liens avec les autres alfortvillais.

De multiples contacts se poursuivent avec des réprésentants de la municipalité, des associations locales, des travailleurs sociaux.

En octobre 92, a lieu une deuxième grande action d’ouverture : « le Mali si lointain et pourtant si proche », cette fois dans une salle municipale. Cette journée est organisée par la C.V.A. en partenariat avec les associations locales et la participation active de la municipalité. Environ 200 personnes, pour la plupart des alfortvillais, y assistent.

Pour l’intégration du foyer dans les politiques sociales urbaines

Ce processus aboutit, en décembre 1992, à l’élaboration d’un programme d’actions et à la création d’une association franco-malienne de développement[9] qui inscrit ses projets dans le cadre du développement social urbain local et dans la perspective des récentes politiques des organismes gestionnaires de foyer (convention C.I.V.-U.N.A.F.O.)

Directeur de foyer : des fonctions différentes pour une autre gestion sociale des foyers

Le travail social -autre que celui d’offrir un toit- a donc toujours été aussi l’une des missions des directeurs de foyers[10]. De plus, comme on peut le constater dans toute forme d’hébergement à caractère social, les problèmes des résidents se répercutent directement sur la gestion de l’habitat (accroissement d’impayés individuels, abandon du bâti, vandalisme, etc.).

C’est pourquoi, un document officiel de la Soundiata stipule que si le directeur du foyer assume des tâches administratives, comptables, techniques liées au bâti, au suivi du personnel d’entretien et de ménage, il a également des fonctions d’animateur au sein de l’établissement[11] :

« Relation avec les résidents

  • information générale auprès des résidents sur l’organisation de la vie du foyer et de l’environnement.
  • organisation de réunions avec les délégués du foyer et les résidents

Actions culturelles :

  • assurer et faire assurer la réponse en matière d’assistance médicale, sociale, administrative
  • proposer et accueillir des activités d’animation dans le foyer »

Malheureusement le directeur de foyer, dans la plupart des associations gestionnaires, est souvent débordé par des tâches administratives et ne peut, en conséquence, consacrer suffisamment de temps au social. Il apparaît donc nécessaire de réviser les fonctions du directeur de foyer, dans la mesure où -à Alfortville comme ailleurs-la situation réclame des formes d’intervention allant au-delà de l’aide individuelle (remplir des formulaires, donner des informations, orienter au coup par coup) et des contacts intermittents avec les représentants des résidents.

La mission du directeur de foyer peut se résumer selon deux axes principaux :

  • conduire des expériences pilotes pour mettre en cohérence réalités du terrain, actions menées et l’esprit du discours institutionnel, afin de contribuer à la réalisation du « projet social de l’association »[12].
  • développer des échanges entre gestionnaires et résidents dans la perspective d’une action en partenariat. D’où la nécessité de responsabiliser les résidents en leur permettant de participer à cette gestion en se constituant en commissions ayant un rôle social dans le foyer (pour la vie associative, la sécurité, la santé…).

Ces deux axes sont fortement liés l’un à l’autre et impliquent, nous l’avons déjà indiqué, une redéfinition des fonctions du directeur de foyer plutôt conçu comme un animateur et un « médiateur culturel »[13].

Daniel Curbelo et J.L. Dumont.


[1] Éléments d’informations sur le foyer d’Alfortville, rapport de Xavier Souillard, 1990.

[2] cf l’article du Parisien libéré, édition du Val de Marne, 13 mai 1992.

[3] Le diagnostic a été réalisé par un ensemble d’acteurs locaux avec les moyens suivants :

  • Construction d’une grille d’entretien semi-directif
  • Mise en place d’un groupe de travail : »la commission de réflexion sur la vie associative »
  • Animation et enregistrement de réunions de ce groupe, analyse, restitution d’informations et analyse postérieure (une dizaine de réunions) -cinq interviews (individus et petits groupes) auprès de membres d’associations du foyer
  • Une quinzaine d’interviews exploratoires auprès de dirigeants d’associations villageoises et culturelles africaines d’autres foyers ont servi à mûrir la réflexion
  • Des échanges officieux avec des collègues directeurs de foyer et avec des assistantes sociales et membres d’associations locales ont aussi fourni de précieux renseignements.

[4] M. Fievet (chargé de mission, UNAFO) : Actions dans un foyer-dortoir d’lle de France, rapport surie foyer d’Alfortville, juillet 92.

[5] cf Daniel Curbelo et Commission de réflexion sur la vie associative, « Exploration- diagnostic et bases pour un programme d’actions « Alfortville, Juin 91.

[6] Ce type de démarche est reconnue dans les opérations de DSQ, DSU, ainsi que dans le cadre de l’action réalisée par des services sociaux tels que CCAS, SSAE, Centres sociaux, mais on ne tonnait pas ce genre d’intervention au sein des foyers de travailleurs migrants ; il faudrait inventer la notion de « développement social des foyers » intégrable dans celle de DSU.

[7] cf D. Curbelo, J.L. Dumont, Travail social en interface, PEPS n° 39, avril-juin 1992, pp. 37-42.

[8] cf chapitre « Bilan des actions réalisées », in : Rapport sur le foyer Soundiata d’Alfortville, jan. 93, pp.38, 39 .

[9] Voir le rôle central qu’elle joue (schéma du « dispositif global, in Rapport, op.cit, p.95)

[10] L’article n°2, précisant les objectifs de l’association Soundiata, stipule : « Aider les travailleurs immigrés Africains durant leur séjour en France en s’efforçant de répondre à leurs besoins les plus urgents en matière de travail, logement, santé, alphabétisation, promotion sociale et humaine ».

[11] cf. l’article de Xavier Vandrôme : « Vieillir immigré en foyer », qui abonde dans notre sens : « PEPS, n° 41, mars 1994.

[12] « Le Conseil d’Administration de la Soundiata a souhaité que le point soit fait sur l’ensemble des activités sociales qui se déroulent dans les foyers(…) L’objectif est d’engager une réflexion sur le projet social de l’association en complément de l’aide prioritaire que reste le logement des isolés en Région parisienne », Note de service à l’encadrement du 8/6/1988.

[13] « Le rôle du directeur de foyer se situe de plus en plus dans celui de la médiation entre les résidents et l’environnement de proximité à partir et avec des personnalités et des organisations locales repérées et connues »: M. Fievet, op.cit.