Bernard Amy est alpiniste et écrivain très engagé dans la protection des milieux naturels et dans la recherche d’un équilibre entre pratiques sportives de la montagne et développement d’une montagne à vivre. Ancien chercheur au CNRS dans le domaine des sciences cognitives, il s’intéresse aujourd’hui à la sociopsychologie des pratiquants de la montagne.
J’ai emmené l’autre jour sur un sommet un couple d’amis. Ils étaient émerveillés. C’était des randonneurs qui allaient en Belledonne, mais c’était la première fois qu’ils allaient au sommet au-dessus de chez eux.
PORTE D’ENTRÉE
Belledonne est un massif de montagnes qui a échappé au grand développement de la fréquentation sportive des montagnes de type Mont-Blanc ou Écrins. La carte n’est pas le territoire et ne dit pas le comportement et les idées de ceux qui pratiquent le territoire.
Il existait un ancien topo-guide des escalades dans le massif de Belledonne, et pendant plusieurs décennies il n’y a rien eu d’autre. Toutes les voies décrites se limitaient aux Grand Pic de Belledonne, l’extrémité sud du massif au-dessus d’Uriage. C’est qu’à l’époque, il n’y avait pas de voiture, on partait de Grenoble en tram jusqu’à Uriage, puis on montait en une journée à pied au refuge de la Pra. Et le lendemain on faisait une course en montagne sur Belledonne. Après, quand est arrivée une plus grande facilitée de circulation, les gens se sont concentrés sur les massifs du Mont-Blanc et des Écrins. Les JO et le ski à Chamrousse n’ont pas ouvert une porte d’entrée dans Belledonne. Il y avait des relations d’alpages entre les deux versants de Belledonne trois mois chaque année.
VERTICALITÉ ET TRANSFUGE
Il y a des conflits verticaux entre les vallées, toutes les crêtes qui descendent de Belledonne sont les points de contact entre les communes. Les marins se connaissent tous alors que les montagnards sont chacun dans leur vallée. Ce sont des mondes cloisonnés, fermés comme dans le versant nord des Pyrénées. Ce ne sont que des vallées parallèles, et il faut descendre à Toulouse et remonter car il n’y a pas de communication transversale. Ce sont des mondes clos. L’exemple caricatural est entre Chamonix et Beaufort dans le Beaufortin. Chacun considère l’autre comme un étranger. Il y a eu des transfuges comme Frison-Roche qui était de Beaufort et il est devenu guide à Chamonix, on ne lui a jamais pardonné.
ÉCONOMIE DU DEDANS ET ÉCONOMIE DU DEHORS
Il y a des gens qui vivent en Chartreuse et qui vivent de la Chartreuse. Il y a un tissu économique de petites industries traditionnelles ou touristiques. La zone habitée de Belledonne se réduit au balcon et aux deux vallées orientales. Les habitants de Belledonne ne sont majoritairement pas des agriculteurs, ce sont des résidents. L’économie du tourisme en Belledonne ne tourne qu’autour de trois stations.
LE NOMADE ET LE SÉDENTAIRE
Le conflit entre nomades et sédentaires apparaît en toile de fond dans le rapport entre les sportifs randonneurs ou alpinisme et les gens du pays. Pour ces derniers ce sont des gens qui passent et qui habitent ailleurs à Grenoble ou Chambéry. Ils apparaissent comme des instables qui n’habitent pas un lieu donné. Ils sont assimilés à des nomades. Mais la nouvelle génération qui arrive va jouer un rôle de charnière.
LA CONNAISSANCE EN PARTAGE
L’idée de Parc vient d’un mouvement de la base. Je pense par exemple à l’ancien maire des Adrets qui avait envie de construire des choses. L’idée n’a pas été imposée du haut, elle implique les collectivités et le pays. La mise en place de ce projet ne peut pas se faire en ignorant les gens de la vallée. Et réciproquement il faut que les gens d’en bas ait envie de s’impliquer dans un projet comme celui-ci. Dans les espaces délibératifs, les fédérations de pratiquants ainsi que les structures associatives de Grenoble et Chambéry devraient aussi être parties prenantes. Y compris les chercheurs comme ceux de l’Institut de Géographie Alpine, qui ont des choses à dire. Récemment un colloque a été organisé à Grenoble sur les pratiques de la montagne pour savoir ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, car on manque de données. La plupart des discours sur l’évolution des pratiques en montagne reposent sur des impressions. Ce colloque a permis de faire se rencontrer des chercheurs et des acteurs de terrain à qui il avait été demandé de venir avec des propositions d’étude précises.
(Bernard Amy, entretien avec Hugues Bazin, Belledonne, novembre 2015)
Les Chronique Obliques sont basées sur des rencontres déambulatoires avec des acteurs/habitants du territoire. Chaque visite s’ouvre sur un paysage intérieur et extérieur. Chaque déambulation donne lieu à un article publié sur le blog. Cette chronique constitue la trame d’un récit collectif qui enrichit une cartographie et un outillage conceptuel et méthodologique entre forme écrite et physique, matérielle et immatérielle pour les Rencontres de Belledonne.