Dehors !

Socialiser l’éducation tel était le mot d’ordre de Helena Radlinska , fondatrice du projet de Pédagogie sociale dans lequel la Pédagogie Freinet prend tout son sens contrairement à la Pédagogie Montessori et à l’Education Nouvelle.

La vogue de ce dernier courant , illustré entre autres par « le phénomène médiatique Céline Alvarez » ne s’explique pas seulement parce que les pratique prônées par ce courant sont compatibles avec l’offre libérale et leur peu d’impact social et politique.

Cette vague , qui marque aussi le « souvenir Freinet » quand cette pédagogie est « muséifiée »  (on le voit bien dans tout ce qui entoure le « cinquantenaire »), n’est pas porteuse d’optimisme.

En effet la plupart de ceux qui soutiennent ces courants, ou qui se disent « Ce n’est pas si mal »; « C’est déjà quelque chose »; « Ça va dans le bon sens »; « Ça influencera l’Institution », se trompent malheureusement.  Et nous devons évoquer ici non seulement les clients de la Pédagogie Montessori, mais aussi les mouvements d’écoles parallèles, « entre soi », d’écoles « naturelles », quand celles ci ne se destinent pas ouvertement aux enfants des milieux les plus précaires.

Ils ignorent que ce mouvement des classes moyennes/ supérieures, qui réclament pour leurs enfants des « pédagogies plus douces » s’accompagne aisément , et voire même justifie le fait qu’une pédagogie de plus en plus punitive (sous couvert de « préventions » diverses et variées) se renforce simultanément vis à vis des enfants de classes et de milieux populaires et précaires.

Il n’y a pas de contagion du progrès. La Pédagogie si bonne ici, ne produira rien autour. Là dessus Freinet lui même s’était trompé et nous devons en tirer aujourd’hui plus qu’hier des leçons urgentes. La pédagogie douce des uns, renforce la pédagogie dure des autres.

Il faut bien comprendre le succès des « pédagogies pimpantes », comme un mouvement qui dessine et renforce chaque jour un apartheid scolaire:
– de moyens
– de publics
– de méthodes
– de stigmatisation, mise à l’écart et intimidation des enfants des quartiers populaires

Le progrès de cet apartheid passe avant tout par un progrès de l’image toxique des enfants pauvres et précaires, dans les esprits, dans l’opinion publique , … chez les enseignants eux mêmes. C’est en cela que cette tendance à l’apartheid scolaire est manifeste et dangereuse.

Il y a  aujourd’hui une conversion profonde des enseignants à l’idée que pour les enfants des cités, il faut avant tout et toujours : du cadre , des limites, des repères, de l’autorité, de la répression pour eux mêmes et aussi leur parents…

Et aux autres et aux leurs: du respect de l’écoute, de la créativité et de l’épanouissement.

En un mot aux uns la dévalorisation collective de ce qu’ils sont et d’où ils viennent, de leur famille, de leurs origines, de leur histoire; aux autres la valorisation individuelle de leur personne et de leur potentiel et de leur avenir.

En Pédagogie sociale, on ne cherche pas à bâtir de telles écoles merveilleuses, de nouveaux lieux épanouissants. On cherche encore moins à renforcer l’école punitive et transmissive, et pas davantage à isoler l’enfant pauvre et précaire dans un environnement bourgeois pour le « convertir » et « l’améliorer ».

Nous posons le problème et le projet de la sortie de l’institution scolaire justement à cause de cette impasse.

Vouloir remplacer l’école par une meilleure école c’est comme vouloir améliorer le capitalisme par le libéralisme, remplacer la prison par d’autres formes de prison, les partis politiques qui nous ont déçu par d’autres partis encore.

Non nous assistons à la fin des systèmes institutionnels.  La désaffection des partis politiques n’amènera pas un nouveau parti plus vertueux. Et cela n’est pas plus vrai pour les musées, les prisons que les écoles.

Le seul  vrai progrès aujourd’hui est qu’il n’y a plus d’avenir pour toutes ces institutions.

Aujourd’hui c’est en dehors de l’Ecole, que peut se bâtir, notamment en milieu populaire , une éducation qui ait un sens « complet et global »: qui soit à la fois relationnelle, sociale, politique, économique et culturelle.

Il s’agit de bâtir des lieux pour les enfants et les jeunes qui se proposent non pas seulement « d’éduquer à … »,  mais de transformer ici et maintenant avec les moyens qu’on a ce que la réalité sociale et environnementale a de violent, et d’insupportable.

Là est le moteur de la transformation pédagogique, là est le ciment qui réunit les acteurs sociaux et les groupes bénéficiaires.

Là sont nos terrains et nos chantiers. D’aucuns diront qu’ils peuvent faire tout cela dans leur classe, leur institution.  A ceux ci on peut répondre:

« Peut être pour une petite part, mais voyez où portent les regards de vos publics. Voyez où mènent vos espoirs et vos impatiences; c’est dehors qu’est la vie ! »

 » (…) L’hospitalité au 21e siècle s’administrera, et l’encampement sera sa norme ; il est attesté que l’architecte engagé se fera designer de camps, expert en « innovations modulaires », producteur d’espaces anti-urbains mais prétendument « dignes» parce que sanitaires et conviviaux ; il est rabâché que nous devrons « faire un effort » et « prendre notre part », faisant se répéter jusqu’à la nausée la pauvre fable selon laquelle ces gens là s’avèrent une lourde et abstraite charge pour la collectivité, elle-même déjà asphyxiée ; il est narré que si nous n’imaginons rien d’extraordinaire, c’est parce qu’il y a urgence, comme si demain était prévu un retour à la normale, de type siècle passé. Toujours, il s’agit de traiter une foule de corps en trop : au moyen, d’un côté, d’opérations militaires d’évacuation et de neutralisation du territoire.

Jamais nous ne considérons ces femmes, ces hommes, ces enfants comme des citoyens en plus, comme de précieux co-habitants. Jamais nous ne prêtons attention aux relations fragiles mais cruciales qu’ils ont tissées avec les riverains que nous sommes, à la puissance de nos désirs partagés de vivre ensemble (…)  Jamais nous ne voyons là, avec joie, frémir des mondes à venir.  »

(S. Thiéry- Le Perou 2016)