J’ai gravi mille fois le Pré du Mollard

Guy Loyrion dort, randonne à pied et à ski, cuisine, lit, écrit et vole en parapente dans guy_loyrionBelledonne, tentant de partager tout cela avec quelques amis. En gros : il y vit ; du moins en partie. Dans le temps qui reste, il s’occupe de l’organisme de formation dont il est responsable à Grenoble. Et s’il reste encore quelques semaines, il découvre d’autres montagnes plus lointaines avant de revenir… dans Belledonne.

 

Mon vallon est le deuxième en partant celui des Adrets, c’est le plus beau. Les Adrets c’est un balcon sur le Grésivaudan, alors qu’ici on se sent immergé en plein Belledonne, dans la rugosité. On est vraiment dans l’enfilade de cette vallée, le versant de Saint Agnès, plein sud, délimité par le torrent du Vorz, et en face le versant boisé et plein nord, côté de Saint Mury. Fin décembre le soleil ne passe pas au-dessus des crêtes avant 11 heures et se couche à 14 heures. Après mi-janvier la trajectoire change et les montagnes ne nous gênent plus autant. Tout au fond du vallon, il y a plusieurs chemins avec des cascades, alimentées par le lac Blanc, et le petit glacier qui le domine. C’est l’un des glaciers le plus à l’ouest des Alpes. On est à 800 m environ pour le village et les sommets sont entre 2500 et 2800. Il y a un chemin de randonnée qui traverse la vallée, là-haut, aux alentours de 1800-2000.

IMMERGÉ AU CŒUR DES MONTAGNES

Mes décollages en parapente se font juste au-dessus du village : tu longes la crête et là où il y a un petit replat, sans arbre. Je ne compte plus, mais pendant longtemps j’ai compté : je pense que je suis monté pas loin de mille fois au Pré du Mollard. Mon truc c’est de marcher avant de décoller, que j’aille dans un endroit que je connais et que j’aime bien ou que je change. Je ne fais plus de ski parce que ça m’ennuie d’être en montagne avec l’impression de prendre le métro, le télécabine comme un transport en commun, sauf qu’il n’y a pas le même cadre. En parapente c’est pareil : voler au milieu de la foule ne m’intéresse pas. Pour moi c’est une une activité de montagne où je suis immergé dans un lieu qui me plaît, que j’ai rejoins à pied. En l’air on peut commencer une autre balade, aller jusqu’à Chamrousse et revenir. Ce n’est pas tellement la durée c’est plutôt le bonheur de se balader, ça m’est arrivé à monter à presque 3000 m. C’est un grand plaisir : comprendre la montagne, les vallées, les versants d’en haut. Plus à l’est, il y a les Sept Laux, les sommets encore beaucoup plus alpins, les aiguilles de l’Argentière, c’est un petit îlot de granite, cela ressemble à la haute montagne comme s’il y avait 1000 m de dénivelé en plus.

L’ALBATROS

J’appris à voler en Haute-Savoie avec la première école de parapente. C’était la première année où il faisait des stages il y a 30 ans. C’était des parachutes de saut, j’ai progressé en même temps qu’a évolué le matériel et les formes de pratiques. Aujourd’hui je suis un peu en dehors des courants à la mode. Ma pratique s’est affinée, mais je suis loin des pratiques « fun » : je marche et je vole. Le matériel est plus léger, ce qui permet de plus facilement le porter plusieurs heures sur le dos. On choisit le parapente en fonction de sa surface et de son poids. Dans les écoles sont des parapentes faciles à conduire, des 2 CV qui ne changent pas de cap quand ils ferment et se rouvrent tout seuls. À l’opposé il y a les formules 1, moi je suis au milieu. À la bonne saison je vole une à deux fois par semaine avec parfois des vols de distance.

SANS BALISAGE

Je fais de l’escalade, de la rando à ski, du trekking, un peu d’alpinisme. On a besoin de changer de terrain pour éviter la monotonie. C’est différent avec le parapente : on ne fait jamais le même vol, même en décollant toujours du même lieu. Cela dépend des conditions, parfois c’est seulement un vol balistique : on va directement sur le terrain de l’atterrissage. Mais dès que je peux, je vais ailleurs. Le plaisir c’est le temps de vol lui-même, là où tu vas, les difficultés techniques, les conditions que tu rencontres à se maintenir en l’air ou à monter, le fait d’oser traverser une vallée sans savoir si on peut revenir à son point de départ avec le risque de se poser loin et de revenir en stop ou de se retrouver dans une zone où l’atterrissage n’est pas possible. Il y a toujours des choix à faire. Tous les paramètres changent, il n’y a pas de balisage. C’est une manière de connaître intimement un lieu, dans une autre dimension. On arrive avoir une connaissance intime d’un massif, dans la manière dont les vallées sont agencées, dans l’organisation des sommets. Aujourd’hui je ne prends plus de cartes dans Belledonne, je sais où je suis.

LE MOUVEMENT PENDULAIRE

Il y a eu une époque dans les villages du balcon où il y avait beaucoup de personnes qui avaient deux activités, qui élevaient des bêtes, ils avaient un peu d’élevage, et d’un autre côté travaillaient dans la vallée, à la papeterie ou aux aciéries, ou ici, à la mine de charbon. C’était des ouvriers paysans parce que les parents avaient une ferme, il n’y a pas beaucoup de terres agricoles pour le pâturage, il n’y a pas beaucoup la possibilité de faire du foin. Il y a la forêt, mais le coût du bois ne couvre pas l’exploitation. Moi je suis un habitant « pendulaire ». Je fais mes allers-retours quotidiens : Belledonne Grenoble et retour. C’est une part de l’identité de Belledonne, du rapport des villages du balcon à la vallée, ici comme dans toutes les vallées perpendiculaires au Grésivaudan.

CHANGER D’HERBAGES RÉJOUIT LE VEAU.

En France la montagne n’est pas souvent une pratique familiale, à la différence des vallées alpines de l’Autriche et de l’Italie, où il peut avoir trois générations qui fréquentent ensemble le même refuge, la même course en montagne. Ici ce n’est pas tellement les natifs de Belledonne qui pratiquent la montagne. Il y a des cercles relationnels, des groupes d’affinité, qui font que les pratiquants se retrouvent pour partager leur passion. Pour le ski et le parapente, je me rends compte que je pratique principalement dans Belledonne. Et ce n’est pas qu’une question de proximité, car même quand j’ai envie de changer d’horizon (comme disait ma grand-mère, « changer d’herbages réjouit le veau »), je vais souvent sur l’autre versant (Belledonne côté Savoie), 1h30 de voiture, alors qu’il serait facile d’aller dans le Vercors, la Chartreuse ou les Bauges.

LA VALLÉE D’À CÔTÉ

L’identité de Belledonne c’est avant tout le massif. Avec les trois stations, Chamrousse, le Collet d’Allevard, les 7 Laux. Aux 7 laux, il n’y a pas vraiment de vie en dehors du tourisme et du ski en particulier, c’est plutôt les Grenoblois qui viennent skier la journée. C’est une différence avec le Collet d’Allevard et Chamrousse où l’activité se combine avec la vieille activité touristique thermale qui fait le pont.
Mais en dehors des activités qui font venir les gens de l’extérieur, j’ai le sentiment que les habitants de Belledonne voyagent peu dans le massif. Les chasseurs ont une connaissance intrinsèque du milieu, mais eux aussi ont des pratiques de proximité. C’est lié à l’ancienneté des racines de chacun. Les habitants du village sont moins curieux de la vallée d’à côté, ont plus de liens et fréquentent plus le « bas » que la petite vallée voisine. Parfois les nouvelles pratiques peuvent amener les habitants historiques à avoir un autre rapport au territoire : comme ce vieux paysan qui a voulu me voir atterrir. Il s’est rendu sur le pré, distant de chez lui d’à peine un kilomètre. Son commentaire : « il y a au moins 20 ans que je ne suis pas venu ici ! »

CEUX QUI BOIVENT LE CHAMPAGNE ET CEUX QUI BOIVENT LE PASTIS

Cela fait 30 ans que j’habite là, les relations ont beaucoup bougé au sein du village ou entre les deux villages. C’était des relations assez conflictuelles avec des histoires entre les familles. Il y a de plus en plus d’habitants venus d’ailleurs, ce qui change la constitution des conseils municipaux. Il y a aussi des rencontres entre les parents à travers les enfants et les écoles, des croisements culturels avec les bibliothèques. C’est le partage des pratiques qui fait que les choses se tissent autrement. Il existe toujours les barrières sociales entre « ceux qui boivent le champagne et ceux qui boivent le pastis ». Mais c’est beaucoup moins cloisonné qu’il y a 25 ans.

COMMUNAUTÉ VIRTUELLE ET RÉSEAU RÉEL

Je suis en lien avec Benoit qui a mis en place une communauté virtuelle autour des pratiques de montagne, du parapente de la randonnée, du VTT. J’ai connu Sophie de l’espace Belledonne il y a 20 ans on a fait des formations d’animateurs de colos ensemble. Je suis le parrain du fils de Jean-Marc. Je participe à une association culturelle. Je suis inclus dans un réseau de liens avec une multiplicité d’appartenances, ponctuelles, restreintes chacune à un domaine mais dont l’ensemble contribue à définir ce qui fait mon identité d’habitant de Belledonne.

ÉCONOMIE PRODUCTIVISTE ET ÉCONOMIE PARTAGÉE

À Chamrousse, ceux qui pratiquent le ski de rando risquent de se voir amputés d’une partie de leur terrain de jeu pour des raisons économiques difficiles à justifier en termes de rentabilité (extension de la station de ski). C’est quelque chose qui peut faire du lien, mais aussi révéler des intérêts divergents : les conflits font partie du territoire, les oppositions. Comment au nom d’une forme d’activité je m’empare du territoire, j’impose un rapport différent sans avoir le sentiment de marcher sur les terres des autres ?
D’un autre côté, s’est constitué dans mon village et avec le village voisin une AMAP qui a été initiée par l’équipe municipale, dont les gens du cru. C’est un lieu de brassage social : cela rassemble des gens de toutes origines, certains que je connaissais depuis longtemps, d’autres que je ne connaissais pas. Est-ce qu’on peut favoriser une économie locale qui favorise l’activité sur le territoire ? Cela brasse une cinquantaine de familles sur le village. Il y a des producteurs du coin, du maraîchage du Grésivaudan, des gens des vallées proches : les produits laitiers, la viande, qui viennent du balcon de Belledonne.

 

Guy Loyrion, entretien avec Hugues Bazin, Belledonne, novembre 2015jeanmarc_carte

Les Chronique Obliques sont basées sur des rencontres déambulatoires avec des acteurs/habitants du territoire. Chaque visite s’ouvre sur un paysage intérieur et extérieur. Chaque déambulation donne lieu à un article publié sur le blog. Cette chronique constitue la trame d’un récit collectif qui enrichit une cartographie et un outillage conceptuel et méthodologique entre forme écrite et physique, matérielle et immatérielle pour les Rencontres Obliques de Belledonne.

Chaîne d’habitants

Agnès Daburon intervient à titre professionnel sur de multiples territoires. D’étudiante Agnes_GdPicBelledonneamoureuse de paysages grandioses, je suis devenue accompagnatrice de projets de développement et de valorisation des patrimoines. Je ne vis pas dans Belledonne, mais j’y travaille parfois… et je vois la chaîne de chez moi…

Belledonne, c’est la première image que j’aie eue en arrivant à Grenoble : par une fenêtre de l’Institut de Géographie Alpine (situé alors sur les pentes de la Bastille), un bel après-midi de septembre… J’ai savouré mon bonheur d’être là, d’avoir toute cette montagne à découvrir à portée de main !

On a une vision très faussée de ce qu’étaient les circulations inter alpines il y a un siècle. De fait, maintenant, il n’y a plus que le goudron qui compte. Alors que les gens marchaient beaucoup et bougeaient beaucoup, avec une autre échelle du temps qui était le temps à pied, le rapport aux distances était différent.

J’aime beaucoup le terme de « chaîne ». Il reflète totalement l’idée de ce qui fait l’identité, c’est cette chaîne d’habitants et ce sont eux qui vont faire la cohérence du projet. C’est par eux que le Parc naturel régional se fera ou ne se fera pas.

CHARTE COMMUNE

Ce territoire est remarquable par la façon qu’ont ses acteurs de travailler ensemble. Ce qui fait la singularité de ce projet de Parc, de sa force, c’est les gens qui le composent. Ce travail transversal existe. La notion de massif se construit avec un projet de territoire. Ce qui est important, c’est que les gens aient le sentiment d’appartenir à ce projet.
Le Parc régional est un label. La charte indique un engagement qualitatif sur 10 ou 15 ans, selon des règles de jeu communes. Selon les parcs, les formes de gouvernance peuvent changer, les priorités ne sont pas les mêmes. À la différence des parcs nationaux qui sont une émanation de l’État sur des zones très peu d’habitées, il n’y a pas de Parc régional sans volonté locale.
On peut appartenir à un territoire de projet sans obligatoirement se définir par une identité. Derrière la question de l’identité il y a l’affirmation souvent d’un sentiment d’être incompris, pas entendu. Chacun a tendance à défendre son petit coin de paradis. Comment peut-on encourager les habitants d’un territoire à s’approprier un projet ?

ATELIERS D’ACTEURS

J’anime régulièrement des ateliers d’acteurs pour la construction de leur projet de territoire. Il est important que les gens puissent construire eux-mêmes leur analyse. Il s’agit de mettre les personnes en position d’être acteur de leur territoire, à travers des jeux de rôle et d’autres outils d’animations. Réaliser par eux même l’analyse de leur territoire, comme une sorte de « cueillette », est une étape importante pour construire ensuite un plan d’actions. Quand je prépare un atelier d’acteurs, je prends un temps fou pour trouver le bon mot, le bon outil, qui va permettre « d’accrocher » les personnes : par ex. une séquence de film, un petit jeu, des photos anciennes, une promenade sur le terrain, etc… pour que la trentaine de participants décrochent de leur monde, changent leur regard sur des paysages qu’ils côtoient en permanence, et se mettent dans une dynamique constructive. J’accorde une grande importance à ce que ces ateliers participatifs ne soient pas uniquement une balade sur un site et qu’après chacun rentre chez soi. Il s’agit de susciter une prise de conscience, de déclencher des idées et donner envie aux acteurs d’être porteurs de projets.

 

Agnès Daburon, entretien avec Hugues Bazin, Belledonne, novembre 2015agnès-carte

Les Chronique Obliques sont basées sur des rencontres déambulatoires avec des acteurs/habitants du territoire. Chaque visite s’ouvre sur un paysage intérieur et extérieur. Chaque déambulation donne lieu à un article publié sur le blog. Cette chronique constitue la trame d’un récit collectif qui enrichit une cartographie et un outillage conceptuel et méthodologique entre forme écrite et physique, matérielle et immatérielle pour les Rencontres Obliques de Belledonne.

C’est un jardin secret que tu fais partager

Jean-Marc Vengeon est guide de haute montagne, voyageur impénitent et docteur-Jean-Marc-Vengeoningénieur en mécanique des roches (éboulements, mouvements de versants comme à Séchilienne…), la montagne est le fil conducteur de tous ses choix de vie.

 

À la naissance de notre premier fils Antoine en 1998, ma femme Véronique et moi avons jeté l’ancre à Saint Mury Monteymond, un village des balcons de Belledonne. Nos trois fils ont fréquenté avec bonheur l’école communale, et nous ont aidés à commencer à nous intégrer dans une vie locale dynamique (association de parents d’élèves, MJC St Mury – Ste Agnès, conseil municipal, Au Fil de Belledonne et Espace Belledonne…).

Enfant, je passais mes vacances en Chartreuse, avec beaucoup de randonnées en famille et Belledonne pour nous c’était la haute montagne. C’est raide, c’est un peu austère. La montagne est plus sombre ici à cause de la roche. Il reste des névés l’été… Effectivement, Belledonne c’est la « petite haute montagne » sans les gros glaciers, mais à portée de la ville, c’est un échantillon en modèle réduit des Alpes.

LE LOINTAIN PROCHE

C’est moi qui incite les clients à venir faire des courses d’alpinisme sur Belledonne. En insistant sur sa proximité, qu’il y a peu de monde, que c’est une bonne préparation, etc. C’est un jardin secret que tu fais partager même s’il est à une demi-heure de Grenoble et du TGV. En tant que guide ma pratique n’a pour l’instant pas du tout été axée sur Belledonne, plutôt sur les voyages et les incontournables massifs alpins majeurs. Je commence maintenant à développer cet ancrage local. Les gens viennent avant tout pour des pratiques de ski ou autour des stations, des équipements. Il s’agit de leur faire découvrir autre chose. Il y a déjà quelques sites d’escalade en Belledonne, mais je projette de développer maintenant une offre de sites écoles et d’itinéraires à partir du refuge Jean Collet pour que les gens se fixent un peu. On peut jouer la carte du lointain proche, aménager une sorte de sas, monter en refuge et faire une course.

LA MONTAGNE AU BALCON

Le balcon de Saint-Hilaire n’est pas vraiment plus bourgeois qu’ici, mais ce sont deux ambiances différentes il est beaucoup plus ensoleillé. Il y avait plus d’emplois à l’époque des sanatoriums. Sur Belledonne à partir du XXe siècle les gens sont pluri actif avec une économie paysanne combinée avec des emplois en en vallée dans le commerce et l’industrie (quincaillerie et papeterie). C’est une activité pendulaire en complément de la ferme. Nous ne sommes pas dans des endroits où il y a des immenses alpages débonnaires, on est très vite confronté la montagne.

UNE IDENTITÉ À TROUVER, LA PASSION EN HÉRITAGE

Sans grande identité publique, Belledonne est obligé d’inventer autre chose. Ça peut être considéré comme une contrainte, mais ça peut être une opportunité aussi, on n’est pas attaché à un héritage. Il y a des gens qui sont nostalgiques de Belledonne sauvage sans trop d’équipements. Il y a une nouvelle génération d’alpinistes, grimpeurs et randonneurs qui veulent partager leurs pratiques, qui font des topos qui partagent sur Internet. Petit à petit c’est en train de devenir un massif de pratiques normales, mais pas à travers les institutions, à travers les pratiquants.

LIBRE OU AMÉNAGÉ, NATUREL OU ARTIFICIEL, SAUVAGE OU DOMESTIQUE, ROOTS OU MAINSTREAM

Il y a un débat sur jusqu’où il faut équiper les voies d’ascension. Soit ce sont les grandes voies soutenues assez difficiles et donc équipées ou alors tu fais un itinéraire et tu équipes là où ce n’est pas possible de se protéger facilement. On est donc dans un entre-deux. Si tu fais une ascension et que tu ne l’équipes pas, tu dis simplement ce que tu as utilisé et les gens font leurs choix. Si tu commences à laisser du matériel en place, tu veux faciliter le parcours de ta voie. C’est à la fois garder un plaisir pour soi et rendre accessibles une pratique. On peut faire des choses un peu austères et élitistes. Il y a de la place cela n’empêche pas de flécher en parallèle des parcours plus faciles.

MANIFESTATIONS ÉVÉNEMENTIELLES ET NOUVELLE ÉCONOMIE

Le trial de Belledonne (Échappée Belle) est en chemin hors-piste. Ce genre de performance athlétique a des limites physiques. Ces pratiques de masse posent quelques problèmes de partage de territoire avec les bergers. Mais en termes d’image, c’est un dynamisme qui apparaît porteur. La proximité des métropoles facilite aussi l’accès. Ce sont les stations de ski qui font encore l’économie de montagne alors que le tourisme vert diffus est difficile à chiffrer. Dans les stations il y a aussi les emplois secondaires puisqu’il faut nourrir et loger les saisonniers. C’est la partie visible. Mais ce qui se développe aujourd’hui, ce sont des zones touristiques hors stations. C’est difficile de construire une unité territoriale alors que certaines communes ont leur agenda propre et pas forcément très lisible (comme Chamrousse). Quelle place peut prendre le parc régional par rapport à l’importance économique de la vallée ? Il peut avoir un rôle de pivot.

MODÈLE DE GOUVERNANCE

L’espace Belledonne a proposé un siège pour les accompagnateurs et guides en tant que groupe socio-économique professionnel sur le territoire. Cela a permis de créer une sous-section des guides et accompagnateurs de montagne au sein de l’association « Au Fil de Belledonne », qui regroupe les petits acteurs du tourisme et de l’accueil de Belledonne. Ça permet de commencer à structurer ces professions sur Belledonne. Le territoire a besoin d’interlocuteurs dans les professions de montagne.
Il faut accepter le principe qu’il existe des tensions entre communautés sur le territoire et ne pas s’interdire certains sujets pour chercher ensemble un terrain d’entente, surtout si on veut favoriser une dimension d’accueil.
Par exemple, les conflits d’usage avec les chasseurs sont récurrents et parfois dramatiques. Dans le partage du territoire, il y a une façon de dire aux autres qu’on les a pris en compte, dans les règles qu’on se donne et qu’on respecte effectivement. Ce degré de vivre ensemble est à construire. Je ne me sens pas toujours en sécurité dans la forêt quand je croise des chasseurs qui ne prennent pas la peine de casser leur fusil pendant leurs déplacements, même sur des itinéraires de randonnée fréquentés. La chasse fait partie de la tradition des territoires de montagne, mais elle doit s’adapter au territoire d’aujourd’hui avec les diverses pratiques. Une place n’est jamais due, cela se mérite. Il serait de l’intérêt de tous et des chasseurs en premier de chercher des solutions ensemble sur le territoire plutôt que d’attendre qu’elles soient imposées de Paris après un fait divers sanglant de trop. Il peut y avoir des cartographies informatives sur les zones de pratiques comme les zones de chasse ou de balade en fonction des saisons ? Ou des jours sans chasse le week-end ? Il manque une base partagée. Chacun doit apprendre à se respecter et à connaître l’autre et faire de l’application de ces règles une fierté, une sorte d’identité revendiquée comme un label de qualité.

 

Jean-Marc Vengeon, entretien avec Hugues Bazin, Belledonne, novembre 2015jeanmarc_carte

Les Chronique Obliques sont basées sur des rencontres déambulatoires avec des acteurs/habitants du territoire. Chaque visite s’ouvre sur un paysage intérieur et extérieur. Chaque déambulation donne lieu à un article publié sur le blog. Cette chronique constitue la trame d’un récit collectif qui enrichit une cartographie et un outillage conceptuel et méthodologique entre forme écrite et physique, matérielle et immatérielle pour les Rencontres Obliques de Belledonne.

Une carte, ça sert avant tout à rêver

Alain Doucé est accompagnateur en Montagne codirigeant de Belledonne en Marche, alain-Doucephotographe, auteur, il navigue depuis toujours entre montagne et approche sensible du monde qui nous entoure. Entre volonté de comprendre et envie de transmettre.

 

Le matin la première chose que je fais en me levant c’est de regarder le lever de soleil sur Belledonne. Ce matin les nuages étaient roses.

La montagne est suffisamment grande pour qu’il y ait de la place pour tout le monde. La période de l’automne est ma période préférée c’est là que l’on se retrouve un peu plus seul, avec le sentiment de retrouver « sa » montagne, les touristes sont partis et je me retrouve seul avec elle. Je ne cherche pas forcément la foule.

MODE DE PROGRESSION ENTRE LE PROCHE ET LE LOINTAIN

J’ai plein d’amis sur le plateau de la Chartreuse qui ne connaissent pas Belledonne. La personne qui vient de loin a une connaissance, une vision plus étendue géographiquement des Alpes qu’un natif qui va connaître avant tout autour de chez lui. Pourquoi faire une heure de route alors qu’en partant de chez soi l’on a la montagne. Quelqu’un de plus éloigné aura moi une connaissance approfondie d’un secteur, mais a tendance à explorer différents secteurs.

Il y a différents modes de progression dans le paysage. Le parapentiste ne va pas l’appréhender de la même façon que le marcheur. En parapente on peut partir de la Chartreuse (des Petites Roches) le matin en face est, alors que l’on va plutôt voler sur Belledonne en soirée en ouest puisque le soleil va taper sur ce versant en fin de journée, créant des ascendants, alors que le versant de la Chartreuse va passer à l’ombre. Il y a un jeu avec le soleil.

Dans cette progression dans le paysage, la notion d’effort a reculé, la plupart des personnes s’écartent à moins d’une heure du parking de stationnement. Il y a une barrière psychologique à partir de 600 m de dénivelé dans la journée. Les gens suivent le chemin balisé, le monde rassure.

Quand tu prospectes, que tu sors des sentiers balisés, que tu vas chercher sur la carte l’hypothétique terra incognita qui t’éloigne des grands axes de randonnée tu es comme un chercheur d’or, et tu es disponible pour dénicher la « petite perle ». Il faut aussi savoir renoncer, faire marche arrière, accepter les frustrations.

DES ZONES BLANCHES NON BALISÉES

La montagne de Belledonne est une montagne qui est exigeante, c’est des pierriers, des pentes raides… Tous les chemins ne sont pas de grands axes très roulants. Les personnes qui font l’Échappée Belle en trail s’en rendent compte en comparaison avec celui du Mont-Blanc.

Il y a une cartographie du photographe. La photo est une possible entrée dans le paysage. La vision d’une photo inspirante donne envie de faire la même, phénomène accentué par la diffusion numérique. Alors que la vision des photos déjà prises devrait inciter à en faire des différentes. Quel est le point de vue que l’on va prendre ? Quels sont les lieux photographiés, célèbres par leurs redondances ?

Sur les ateliers de cartographie avec les enfants, nous proposons d’ouvrir plein de cartes différentes avec des échelles différentes. La première question que je pose c’est à quoi sert une carte ? On me répond que ça sert à se retrouver, à se déplacer, à ne pas se perdre. Mais je dis qu’une carte, ça sert avant tout à rêver. C’est se donner la possibilité d’aller. C’est imaginer des possibles, des histoires.

L’utilisation des GPS conduit à une réduction. Cela a tendance à focaliser, c’est un « selfie cartographique » ! La carte on l’étale, on découvre d’autres chemins d’autres possibilités. C’est cette curiosité qui est intéressante, le caractère exploratoire d’une terre inconnue, la zone blanche est plus intéressante que la zone balisée, on peut avoir des surprises. Une lecture de carte uniquement focalisée sur les chemins balisés réduit le champ des possibles

Il faut trouver le mode accessible entre élitisme et populisme, faire quelque chose qui touche sans être trop complexe. La formule des entretiens est motivante, ça donne le temps d’imaginer comment cette cartographie imaginaire et prospective pourrait s’articuler.
Marquer sur la carte l’endroit où on aime aller, l’endroit que je ne connais pas, mais que j’aimerais découvrir, l’endroit que je n’aime pas, et puis passer le relais à d’autres personnes. C’est le principe de la tache d’huile. On dessine quelque chose en allant voir les pratiquants.

carte-alain

Alain Doucé, entretien avec Hugues Bazin, Belledonne, novembre 2015

Les Chronique Obliques sont basées sur des rencontres déambulatoires avec des acteurs/habitants du territoire. Chaque visite s’ouvre sur un paysage intérieur et extérieur. Chaque déambulation donne lieu à un article publié sur le blog. Cette chronique constitue la trame d’un récit collectif qui enrichit une cartographie et un outillage conceptuel et méthodologique entre forme écrite et physique, matérielle et immatérielle pour les Rencontres Obliques de Belledonne.

 

Je préfère l’espace au territoire

Anne Trégloze est Sculptrice. Elle vit et travaille en Belledonne depuis une dizaine Anne-Trégloze_DSC2821d’années (mais aussi parfois en d’autres lieux lointains, pour changer d’espace).

 

 

Je raccroche ce territoire à mon quotidien sachant que je vis et travaille ici. Tous les matins et le soir je regarde le paysage. L’atelier est un lieu ouvert et fermé, c’est là où je travaille, où j’ai besoin d’être seule tout en accueillant des personnes.

 

 

Espèces d’espaces

Je préfère le mot espace au mot territoire. Le territoire induit des limites alors que l’espace est ouvert, il a plusieurs dimensions. Les cartes ont tendance à aplatir. Ce qui est important, ce n’est pas une carte géographique, mais une carte existentielle, ce que font les gens ici.
La notion de territoire amène l’idée de territoire défendu. C’est une terre défendue par des gens qui considèrent que c’est la leur. A l’inverse de l’espace, que j’imagine partagé, ouvert et accueillant.
Je connais les lieux que j’aime à travers les personnes que j’y connais. Le meilleur moyen de connaître un espace c’est de le parcourir par des gens pour lesquels on a un intérêt, avec qui on partage.

Patrimoine vivant

C’est une dimension intéressante le patrimoine, mais il faut qu’il vive. Belledonne, on pense plus au massif montagneux, aux alpages, à la forêt. On parle de patrimoine naturel, mais où sont les gens qui vivent maintenant ici? Qu’est-ce qu’on fait des gens? Des gens qui sont ici depuis longtemps, des gens qui passent, des gens qui arrivent, qui ont envie de rester ou pas?

Quand on parle de culture et patrimoine, on se réfère tout de suite à la préservation des bâtiments, c’est faire un circuit des intérêts locaux, tout ça semble un peu figé. Un patrimoine ne sert pas simplement à être regardé. Il serait intéressant de confronter le patrimoine avec la culture et l’art contemporains. Par exemple redécouvrir des lieux anciens, mais qui n’ont plus d’utilité et qui prendraient une nouvelle fonction à travers une forme contemporaine.
Des maisons de vigne ou des granges peuvent être réhabilitées et accueillir des œuvres contemporaines, faire l’objet d’un circuit pédestre de découverte. C’est ce qui a été réalisé autour de Digne avec l’artiste Andy Goldsworthy.
Il est intéressant de se réapproprier l’histoire, mais avec un regard contemporain, une autre approche : c’est quoi ces objets et ces lieux, d’où ils viennent, où ils vont, est-ce qu’ils ont encore un sens ?…

Dessine moi une carte

Je construirais une carte de Belledonne en pointant des gens, des lieux et des expériences qui m’intéressent. Chacun serait libre de contribuer en y superposant sa strate personnelle. Créer quelque chose qui soit accessible à tout le monde et concret.

(Anne Trégloze, entretien avec Hugues Bazin, Belledonne, novembre 2015)carte-anne

Les Chronique Obliques sont basées sur des rencontres déambulatoires avec des acteurs/habitants du territoire. Chaque visite s’ouvre sur un paysage intérieur et extérieur. Chaque déambulation donne lieu à un article publié sur le blog. Cette chronique constitue la trame d’un récit collectif qui enrichit une cartographie et un outillage conceptuel et méthodologique entre forme écrite et physique, matérielle et immatérielle pour les Rencontres Obliques de Belledonne.

La carte n’est pas le territoire

Bernard Amy est alpiniste et écrivain très engagé dans la protection des milieux naturels B.Amy-3biset dans la recherche d’un équilibre entre pratiques sportives de la montagne et développement d’une montagne à vivre. Ancien chercheur au CNRS dans le domaine des sciences cognitives, il s’intéresse aujourd’hui à la sociopsychologie des pratiquants de la montagne.

 

 

 

 

 

J’ai emmené l’autre jour sur un sommet un couple d’amis. Ils étaient émerveillés. C’était des randonneurs qui allaient en Belledonne, mais c’était la première fois qu’ils allaient au sommet au-dessus de chez eux.

PORTE D’ENTRÉE

Belledonne est un massif de montagnes qui a échappé au grand développement de la fréquentation sportive des montagnes de type Mont-Blanc ou Écrins. La carte n’est pas le territoire et ne dit pas le comportement et les idées de ceux qui pratiquent le territoire.

Il existait un ancien topo-guide des escalades dans le massif de Belledonne, et pendant plusieurs décennies il n’y a rien eu d’autre. Toutes les voies décrites se limitaient aux Grand Pic de Belledonne, l’extrémité sud du massif au-dessus d’Uriage. C’est qu’à l’époque, il n’y avait pas de voiture, on partait de Grenoble en tram jusqu’à Uriage, puis on montait en une journée à pied au refuge de la Pra. Et le lendemain on faisait une course en montagne sur Belledonne. Après, quand est arrivée une plus grande facilitée de circulation, les gens se sont concentrés sur les massifs du Mont-Blanc et des Écrins. Les JO et le ski à Chamrousse n’ont pas ouvert une porte d’entrée dans Belledonne. Il y avait des relations d’alpages entre les deux versants de Belledonne trois mois chaque année.

VERTICALITÉ ET TRANSFUGE

Il y a des conflits verticaux entre les vallées, toutes les crêtes qui descendent de Belledonne sont les points de contact entre les communes. Les marins se connaissent tous alors que les montagnards sont chacun dans leur vallée. Ce sont des mondes cloisonnés, fermés comme dans le versant nord des Pyrénées. Ce ne sont que des vallées parallèles, et il faut descendre à Toulouse et remonter car il n’y a pas de communication transversale. Ce sont des mondes clos. L’exemple caricatural est entre Chamonix et Beaufort dans le Beaufortin. Chacun considère l’autre comme un étranger. Il y a eu des transfuges comme Frison-Roche qui était de Beaufort et il est devenu guide à Chamonix, on ne lui a jamais pardonné.

ÉCONOMIE DU DEDANS ET ÉCONOMIE DU DEHORS

Il y a des gens qui vivent en Chartreuse et qui vivent de la Chartreuse. Il y a un tissu économique de petites industries traditionnelles ou touristiques. La zone habitée de Belledonne se réduit au balcon et aux deux vallées orientales. Les habitants de Belledonne ne sont majoritairement pas des agriculteurs, ce sont des résidents. L’économie du tourisme en Belledonne ne tourne qu’autour de trois stations.

LE NOMADE ET LE SÉDENTAIRE

Le conflit entre nomades et sédentaires apparaît en toile de fond dans le rapport entre les sportifs randonneurs ou alpinisme et les gens du pays. Pour ces derniers ce sont des gens qui passent et qui habitent ailleurs à Grenoble ou Chambéry. Ils apparaissent comme des instables qui n’habitent pas un lieu donné. Ils sont assimilés à des nomades. Mais la nouvelle génération qui arrive va jouer un rôle de charnière.

LA CONNAISSANCE EN PARTAGE

L’idée de Parc vient d’un mouvement de la base. Je pense par exemple à l’ancien maire des Adrets qui avait envie de construire des choses. L’idée n’a pas été imposée du haut, elle implique les collectivités et le pays. La mise en place de ce projet ne peut pas se faire en ignorant les gens de la vallée. Et réciproquement il faut que les gens d’en bas ait envie de s’impliquer dans un projet comme celui-ci. Dans les espaces délibératifs, les fédérations de pratiquants ainsi que les structures associatives de Grenoble et Chambéry devraient aussi être parties prenantes. Y compris les chercheurs comme ceux de l’Institut de Géographie Alpine, qui ont des choses à dire. Récemment un colloque a été organisé à Grenoble sur les pratiques de la montagne pour savoir ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, car on manque de données. La plupart des discours sur l’évolution des pratiques en montagne reposent sur des impressions. Ce colloque a permis de faire se rencontrer des chercheurs et des acteurs de terrain à qui il avait été demandé de venir avec des propositions d’étude précises.

 

(Bernard Amy, entretien avec Hugues Bazin,  Belledonne, novembre 2015)carte-bernard

Les Chronique Obliques sont basées sur des rencontres déambulatoires avec des acteurs/habitants du territoire. Chaque visite s’ouvre sur un paysage intérieur et extérieur. Chaque déambulation donne lieu à un article publié sur le blog. Cette chronique constitue la trame d’un récit collectif qui enrichit une cartographie et un outillage conceptuel et méthodologique entre forme écrite et physique, matérielle et immatérielle pour les Rencontres de Belledonne.