14 avril 2015

Patrimoine hip-hop, irruption d’un espace du commun et poétique de la lutte (Villetaneuse – 93)

Par Hugues Bazin

Performance/débat avec la compagnie Elolonguè et le slameur Loubaki11062327_884906788235166_999377927293853018_n

vendredi 17 avril – 19h – Hôtel de ville de Villetaneuse (93430)

Depuis 35 ans le patrimoine hip-hop constitue un bien commun permettant de faire société ensemble à travers notre diversité, nos complémentarités et la transmission entre générations. La reconnaissance de ces formes matérielles et immatérielles, sociales et culturelles est une manière d’assurer une transition et d’ouvrir un champ du possible.

Le patrimoine est moins la conservation du passé que la construction de l’avenir

Le patrimoine n’est pas une affaire de spécialistes, mais d’acteurs populaires, pas de techniciens, mais d’usagers, pas de gouvernants, mais de populations. Entre la géographie industrielle du XIXe siècle et les nouveaux pôles d’attraction économiques du XXIe siècle en quoi se dessine aujourd’hui une nouvelle géographie sociale où les jeunes se réapproprient le sens de cette histoire tout en interrogeant la manière dont se compose et est gouverné le territoire ?

Personne ne viendra contester que la révolution de 1789 est non seulement un fait historique, mais constitue un patrimoine commun qui permet aujourd’hui de continuer à revendiquer une citoyenneté. Ce patrimoine immatériel représente des ressources collectives réelles comme héritage commun

Le hip-hop a initié des pratiques qui sont devenues un bien commun qui concerne tous ceux, notamment dans les couches populaires, qui veulent promouvoir un mieux vivre ensemble, garder une maîtrise d’usage de son environnement, et prennent conscience que cette expérience influence le cours de notre société.

Le hip-hop contribue donc tout autant à un patrimoine culturel qui est le fruit d’une réponse à des conditions de vie, l’expression à la fois d’une irruption dans l’espace public témoignant d’une époque, mais aussi une construction collective qui traverse les générations à travers des valeurs, des pratiques, des modes de vie, des savoirs permettant plusieurs décennies après à des jeunes qui n’étaient pas nés au début des 80 de se définir comme acteur et auteur de cette histoire.

L’origine ne se tourne pas vers l’arrière, c’est une identité qui se place devant nous et se construit un peu plus chaque jour. Ce qui nous définit, ce n’est pas le fait d’être « issu de », mais « d’aller vers », entre « l’identité racine » de notre appartenance et « l’identité relation » de notre diversité.

Le patrimoine ne pose donc pas des enjeux périphériques, il est au contraire au cœur des questions démocratiques. Le monde marchandisé a tendance à couper ses liens en nous submergeant d’une production sans sens d’objets, d’images, de comportements. La fonction du patrimoine justement est de redonner du sens à ces objets, ces lieux, ces pratiques en les reliant dans un récit collectif, en facilitant à travers une reconnaissance, une transmission, une capacité d’agir. En cela tout objet, lieu, pratique peut constituer un patrimoine matériel, immatériel ou symbolique.

La question est moins ce qui fait patrimoine que ceux qui font patrimoine

L’accès au patrimoine est un droit humain fondamental inséparable d’une émancipation sociale dans un mouvement du bas vers le haut.

La valeur du patrimoine culturel d’une société ne se situe pas au niveau de l’objet du patrimoine, mais de la personne qui en bénéficie. La pluralité de la jeunesse et ses potentialités novatrices sont les meilleurs témoignages d’un patrimoine qui n’est pas conçu comme une fin en soi, mais comme une ressource utile.

Ce n’est pas un hasard si la Seine-Saint-Denis qui est un des départements les plus jeunes de France a été aussi un des plus importants foyers de l’émergence hip-hop qui valorise en retour les quartiers populaires par l’histoire collective de ses habitants, ses lieux d’appropriation, la diversité de ses pratiques culturelles. Cette richesse patrimoniale contredit les visions misérabilistes apposées de l’extérieur en proposant un autre regard sur la ville.

Toute personne a droit de participer au patrimoine et est invitée à sa valorisation en tant que ressource de développement durable et de qualité de la vie. Ces biens communs représentent un enjeu que chacun peut revendiquer.

Réappropriation de l’espace public ou l’Irruption d’un espace du commun

« À travers les espaces du commun se définit un art de vivre. L’économie de vie consiste à faire le plus possible avec et le moins possible contre les énergies en place. Cela s’applique aux gestes quotidiens dans tous les domaines d’action. La notion de résistance trouve son extension possible à tous les niveaux. Ce faisant il convient de se tenir en permanence en alerte afin de ne pas se trouver emporté par le flux consumériste ». (« Les jardins de résistance » de Gilles Clément, jardinier, paysagiste, écologue et écrivain).

L’expression artistique permet de changer de point de vue sur ce qui nous paraît familier. En explorant les ressources d’un lieu parfois jugé insignifiant, nous ouvrons des espaces-temps, peut-être éphémères, mais où l’on s’autorise à penser et agir autrement en brisant les représentations établies…

Le hip-hop a permis ainsi de revaloriser la dimension d’espaces publics en espace du commun. Le bas des cages d’escalier, les dalles des centres commerciaux et d’établissements publics, les gares et croisements de réseaux de transport, les terrains vagues, friches industrielles et autres zones non attribuées, tous ces espaces sont venus autant de lieux d’expérience collective, de rencontres et d’échanges, d’expérimentations et de transdisciplinarités. C’est un acte fondamental d’appropriation de son espace vital qui permet de recomposer l’unicité de son parcours de vie.

Ces écosystèmes urbains sont les véritables biens communs, ceux du partage non-marchand, des ressources nécessaires et de l’interdépendance des personnes.

C’est cela qui fait culture et fait que la culture participe de ces biens communs au même titre que l’eau ou l’air et permet de résister aux formes de récupération, instrumentalisation, sectorisation, marchandisation qui représente autant de segmentation du tissu urbain et des groupes humains.

Un art revendiqué du bricolage

« Puisque tu n’as rien, tu vas faire quelque chose de magnifique. L’art est au coin de la rue, il suffit d’avoir des yeux de poète » (Bodan Litnianski,Thiebaut, Bonjour aux promeneurs ! Sur les chemins de l’art brut, 1996).

« Je vis et je crée à partir des déchets, à partir de rien. La nuit je suis prince et le jour mendiant » (Chromo, art brut, 1985)

Il s’agit de prendre les matériaux là où ils sont : son propre corps, son environnement, des morceaux de ville. Le bricolage peut être aussi un art, bien qu’inachevé et dépendant des contingences du moment. C’est ce qu’indiquent le savoir-être et le savoir-faire hip-hop, celui de la survie de ceux qui n’ont rien au départ et de ce rien font un capital culturel.

Au-delà de cet aspect utilitaire, le bricolage décrit aussi le processus qui compose de nouvelles formes esthétiques à travers la confrontation à une matière qui comme le béton des cités parfois résiste. À la différence d’un enseignement académique qui part d’une forme déjà construite et d’un sens préétabli, ici c’est l’assemblage de matériaux qui nous enseigne sur le sens que prennent ces formes sociales et culturelles. Ainsi les pratiques hip-hop ont élaboré un nouveau vocabulaire esthétique qui permet de décrypter notre société contemporaine. Il n’y a pas d’intermédiaire entre le concepteur et l’utilisateur, le créateur et le public redonnant ainsi à la culture son rôle vivant et politique. Les bricoleurs font de leur vécu une œuvre, il refuse de séparer l’art de la vie

Ce n’est pas sans raison que l’art du bricolage est associé à l’esprit de la combine fait d’ingéniosité et de ruse. Le bricolage fait partie de ce braconnage culturel, débusquant la création dans la banalité de la vie quotidienne. C’est un art du détournement et de la réappropriation à l’origine de toute émergence culturelle. Certains de ces mouvements comme le hip-hop sont devenus planétaires tout en restant populaires dans le sens où chacun peut se le réapproprier de manière autodidacte en bricolant sa propre culture et sa propre expérience.

Une poétique de la lutte

Sous la garde des géants, j’ai placé l’épopée des humbles, courbé sur les cimes (Ferdinand cheval, inscription sur la façade du palais idéal).

« Il se peut que, sur les ruines de la culture, une création d’art renaisse, orpheline, populaire, étrangère à tout circuit institué et à toute définition sociale, foncièrement anarchiste, intense, éphémère, dégrevée de toute idée de génie personnel, de prestige, de spécialisation, d’appartenance ou d’exclusion, de clivage entre la production et la consommation. Ce serait la ruine de toute valeur et l’avènement de l’ “homme du commun”, d’un homme sans modèles, radicalement irrespectueux et par conséquent créateur » (Michel Thévoz, L’Art Brut, 1975).

Connaître et se reconnaître, relier, transformer, résister… Ces modes d’existence participent tout autant au patrimoine commun. Ces zones de lutte se déplacent avec les formes d’exploitations, d’un capitalisme industriel vers un capitalisme cognitif, de la subordination au travail vers le contrôle du corps, des affects, des déplacements.

Entre insertion forcée dans le monde du travail et précarité de moyens de subsistance réduits à l’aide sociale, quelle marge de liberté, d’autonomie, de solidarité, d’émancipation, de créativité ? Entre modèle libéral et libertaire y a-t-il une manière de s’approprier ses espaces de vie dans un temps choisi articulé à nos besoins, organisé selon nos critères et dans une visée de valorisation collective ? C’est bien au patrimoine d’ouvrir ce champ du possible.

Les conflits du monde industriel du dernier siècle ont permis de replacer la question humaine au centre de l’économie. Depuis les années 70 et ce que l’on appelle « la crise », les quartiers populaires sont passés du creuset culturel au lieu du bannissement et les logiques techniciennes relèguent un peu plus l’humain des processus de développement.

L’art hip-hop est entré au début des années 80 par effraction pour se loger un peu partout dans les interstices et faire de nouveau ces quartiers  des lieux d’une expression universelle d’émancipation. C’est dans ce sens que l’on peut entendre « cultures urbaines », car la ville depuis la naissance des grandes cités du Moyen Âge à travers les différentes migrations constitue l’espace où les individus peuvent s’affranchir du joug de la servitude.

La banlieue n’est plus le lieu du ban. Exilé de l’intérieur l’art outsider devient central en retournant les plis de la ville. En développant une intelligence sociale dans le lien entre le sensible et l’intelligible, il nous renvoie à l’urgence de créer par tous les moyens imaginables. Agir sur le monde est un acte de création, c’est aussi une manière de le comprendre et de réaffirmer son existence, non plus en tant qu’objet, mais surjet de l’histoire.

Sur le terreau des anciennes luttes ouvrières, des logiques autonomes et solidaires déconstruisent et reconstruisent ce patrimoine commun. Chacun peut être ce travailleur de la culture grâce à la métamorphose du commun en création singulière et trouver ainsi réponse à ses attentes à travers des formes d’expressions universelles.

Ensemble du programme :

• 18h30 : accueil.

• 19h : visite de l’exposition « Fabrik’Art » *

• 19h30 : performance de slam et de danse par la compagnie Elolongué.

• 19h45 : table ronde avec Hugues Baziin, chercheur indépendant en sciences sociales, spécialiste du hip hop.

* Premier concours de Street art industriel de Plaine Commune : Au total, dans les 9 villes de Plaine Commune, ce sont 80 jeunes qui ont laissé libre court à leur imagination à travers des graffitis sur des plaques en inox d’échangeur thermique… Ils ont appris les techniques du graffiti pour détourner un objet industriel, une plaque en inox d’échangeur thermique, et en faire une œuvre d’art

Projet Traces, Mémoire et Transmission

La compagnie Elolonguè ouvre le propos sur la mémoire des corps, du mouvement mais aussi des habitants, sur ce qui constitue notre patrimoine commun. Car le hip-hop n’a cessé de laisser son empreinte sur les villes et quartiers depuis le début des années 80, contribuant ainsi à façonner les espaces de la ville, d’hier et de demain. Ainsi la danse et le slam pourra vous permettre de vous rencontrer, et de réinventer à votre style hip hop les transformations urbaines de votre ville.

La transmission du mouvement, la transcription de vos paroles, de votre ressenti sur les changements de la ville. Quel est ce patrimoine commun entre les cultures urbaines ? Qu’est-ce qu’on l’on souhaite transmettre à travers son parcours individuel, de génération à génération, entre Villetaneusiens de différents quartiers ? La compagnie et sa directrice artistique Marguerite Mboulé vous attend à ses ateliers pour partager cela.

Contact : Cie Elolongué