Auteur/autrice : lamorcage
Une question de regard ; le décaler pour mieux observer !
Regarder et observer dans une démarche de compréhension de l’autre dans le partage d’une condition commune.
Regarder et observer pour étudier une société en partageant son mode de vie, en se faisant accepter par ses membres et en participant aux activités des différents groupes et à leurs enjeux.
Regarder et observer pour décaler les yeux des directions conseillées notamment par les médias, enlever nos œillères culturelles pour fabriquer sa propre culture et, au final, pour participer à l’écriture de l’histoire commune.
Très rapidement arrive la question du matériau de l’observation permettant de décaler le regard :
– exposition d’anciennes photos du quartier et de dessins des enfants dans la rue, sur les places publiques, dans le jardin. Les habitants du quartier vivent la Rénovation Urbaine : démolition, mouvement de population parfois gentrification, relogement, construction, changement des centres de vie et des déplacements internes… Pour certains, cela est très difficile à vivre : « Ça va vous paraître bête mais l’Ariane sans sa Tour 4, ce n’est plus l’Ariane ! ». La Tour 4, construite dans les années 70 : 200 logements, des squats, des morceaux de vie, plusieurs générations… La Rénovation Urbaine prévoit sa démolition dans un esprit de modernisation et d’assainissement. Mais, la réalité quotidienne se confronte au savoir d’usage et à l’histoire. La question du regard sur un même objet semble différente du point de vue des décideurs et de ceux qu’ils appellent les « usagers ». Revenir sur la mémoire oubliée d’un quartier à travers le regard des anciens permet le témoignage aux plus jeunes des émotions et récis de vie d’une identité pour la partager. L’exposition est à construire ensemble : les habitantEs sont invitéEs à partager leurs photos, leurs histoires, leurs parcours.
Ce travail se fait en partenariat avec les associations Le Grain de sable et La Boîte dans un projet nommé :
Identité – Parcours – Mémoire.
– L’utilisation du théâtre forum ou d’improvisation pour s’exprimer et façonner collectivement un regard commun, une vision élargie d’une problématique sociétale. Envisager intellectuellement des actions pour appréhender sensiblement des réponses à des situations. Le concept de regard renvoie à l’analyse de la manière dont un individu ou un groupe d’individus perçoit et se représente son environnement et en particulier soi-même et les autres individus : le « regardant » est aussi le « regardé » et inversement.
– Le porteur de paroles : recueillir des réponses à une question et les afficher dans les espaces publics pour susciter des débats.
Regarder la culture de l’autre dans sa différence mais aussi dans sa ressemblance. Une habitante est venue à notre rencontre : « J’ai un projet ou plutôt un rêve. Je voudrais organiser une Journée Multicolore sur le quartier durant laquelle les différentes cultures partageraient leurs plats traditionnels, leurs tenues vestimentaires, leurs musiques, leurs danses… comme dans un voyage ». Les habitantEs du quartier ne croyaient pas vraiment à la réalisation de cette journée surtout avec l’actualité, les attentats de novembre 2015, la peur, le regard des autres sur une culture stigmatisée. La Journée Multicolore eut lieu le 12 décembre 2015 dans une ambiance de fête et de joie forte avec une quinzaine de cultures représentées. Une carte du monde trônait sur la place et des cartes zoomant sur les parties du monde dont étaient issues les cultures du quartier.
Ce jour là, le regard fut décalé. Chacune et chacune pouvait se regarder dans les profondeurs intimes de sa vie : le « regardé » se montrait délibérément à l’autre allant même jusqu’à défiler en costumes traditionnels. Décaler le regard, c’est partager dans l’action une vision du monde, une vision sociétale qui compose ce monde. Le regard est un support important de la communication entre individus, il permet d’assumer la réalité quotidienne et partagée.
Je regarde, tu regardes, nous observons tous ensemble !
Observer, c’est savoir se poser pour prendre du recul, c’est être à l’écoute des non-dits, du langage non-verbal, c’est à la fois s’immerger et sortir les yeux du cœur.
« Pour connaître la réalité, il faut la transformer » disait Karl Marx
et j’ajouterai que cela ne peut se réaliser que par l’aventure créative.
Ne serait-ce qu’une question de participation ?
La Démocratie participative opposée à la Démocratie « contemplative » ainsi que la Participation des habitantEs, la gouvernance participative ou les méthodes d’empowerment sont des termes de plus en plus à la mode, voir souvent galvaudés.
Ainsi, une loi de réforme de la Politique de la ville a même été promulguée le 21 février 2014 pour renforcer le pouvoir d’agir des habitantEs et leur participation dans le cadre de la politique de la ville avec notamment la création de Conseils citoyen.
Une autre loi a été adopté en 2014, le 31 juillet : la loi-cadre de l’ESS (Économie Sociale et Solidaire) et un chapitre y est dédié à l’innovation sociale dont un des quatre piliers est la participation citoyenne (habitantEs, usagers, bénéficiaires, clientEs) à la construction des réponses à leurs besoins.
Mais, entre désengagement potentiel de l’État, démarches humanitaires et entrepreunariat social, qu’en est-il réellement de la participation des habitantEs ? Que fait-on de cette participation ? La participation est-elle une finalité en soi ? Que faire des enquêtes publiques ? des diagnostics partagés ou autres questionnaires participatifs ?
Quel est le sens de la participation des habitantEs à la vie de la Cité ?
Participer à un sondage dans l’attente de réponses institutionnelles ? Formuler les réponses aux problématiques quotidiennes par ceux qui les vivent au quotidien ? Agir et mettre en place collectivement des solutions ?
Comment dégager de l’émancipation populaire et du pouvoir d’agir ? Comment faire rimer « Créativité » et « Réalités » ?
Telles sont les questions, parmi d’autres, auxquelles notre Recherche-Action dans un quartier populaire de la région PACA tentera de répondre !
1) L’innovation sociale ?
Aujourd’hui, il semblerait qu’en dehors de l’innovation il n’y ait point de réussite. Les institutions demandent de définir le caractère innovant des projets déposés, l’innovation doit trouver sa place partout. Dans notre Recherche-Action, nous avons une boîte à outils qui sont vus comme innovants. Cependant, ces outils ne sont pas tout jeunes : le Théâtre Forum et les méthodes d’Empowerment sont nés dans les années 60. Innovation sociale, chiffres, pourcentages, statistiques, freins, obligation légale, bénéfices…
2) de juin 2014 à janvier 2015
Nous sommes arrivés sur le quartier avec une action de porteur de paroles. Il s’agit de poser une question qui semble toucher l’ensemble de la communauté ou des communautés et d’afficher les réponses sur de grands papiers de couleur afin de susciter des micros ou macros débats. Nous avons fait cela 5 mois entre septembre 2014 et janvier 2015 autour de la question « Quelles améliorations voudriez-vous apporter à votre quartier ? ».
Nous avons pu noter 3 phases : la première phase fut celle de la curiosité et a duré trois semaines. La deuxième phase fut celle de l’interpellation des habitantEs : « A quoi vont servir les réponses ? À alimenter des statistiques ? On nous interroge sur tout un tas de questions depuis des années et ça ne nous sert à rien; y’a aucune réponse! ». Nous avons tenté d’expliquer notre démarche qui était de pouvoir organiser des ateliers collectifs avec les habitantEs pour demander des réponses aux décideurs, pour s’approprier l’espace public, et pour essayer de mandater des représentants dans les réunions des institutions et, surtout pour construire ensemble des solutions sans attendre que cela vienne « d’en haut ». Alors, à commencer la troisième phase : l’acceptation. Notre action est passée de la rencontre aux rendez-vous hebdomadaires, le temps de se saluer, de se reconnaître, de se sourire…de construire !
Nous avions l’ambition de faire participer les habitantEs à notre animation de rue mais je me rends compte que c’est nous qui participions à leur quotidien. Nous nous sommes investis sans attendre de gratification, nous avons pris place pour comprendre, connaître, sentir…et au final s’immerger pour partager les problématiques. Après le 7 janvier 2015 et les événements de Charlie Hebdo, nous avons même partagé des morceaux d’intimité confiés comme un récit de vie à peine dévoilé.
1er pas vers une ethnographie du quartier
en cours