No 41 – Sommaire / Edito – Les figures de l’insertion

Les figures de l’insertion

Sommaire

DOSSIER LES FIGURES DE L’INSERTION

  • Les apports successif de l’immigration par Raymond CURIE
  • Les figures de l’étranger par Jorge de la BARRE
  • De l’ “étranger” à l’immigré” par Faïza MAHJOUB
  • Développement de foyers et foyers de développement par D. CUBERLO et J. L. DUMONT
  • Les immigrés, le travail social, et les législatives de 93…. par Mehdi FARZAD
  • Le foyer d’Alfortville communique par Comission de la Vie Associative
  • L’insertion périphérique, l’effet Al Capone par Gérard LEBLANC
  • Travail social, travail scolaire, quels rapports ? par Pierre MONTECCHIO
  • Intégration et retour par T. CAPECCHI,B.CHAILLOUX, J. L. DUMONT
  • Les immigrés vieillissent en foyer. Qui le sait, qui s’en soucie, qui s’en occupe ? par Xavier VANDROME

L’écriture professionnelle

  • Ce qu’écrire peut vouloir dire… par Eric AUGER
  • La formation des travailleurs sociaux : écrire pour mémoire ? par Laurence MILLET
  • L’inscription des pratiques sociales par J. L. DUMONT

Travail social à l’étranger

  • L’Allemagne : Politique et travail social par Kamila BENAYADA et Rémi HESS
  • Rencontre du Hip Hop et du travail social, une expérience italienne par Georges LAPASSADE
  • Travail social et prévention à Rimini (Italie) par collectif de prévention

Relation éducative

  • Un éducateur pour la FAC ? par Mustapha AIT LARBI

Art et culture

  • Sipke met le X par Damien MABIALA
  • L’extrémisme culturel par Jorge de la BARRE
  • Actualité des livres

Edito

QUESTIONS SUR LES MOTS
A trop parler d’intégration, sait-on encore de quoi l’on parle ? Y a t-il en effet un terme plus galvaudé que celui-ci ? Et si l’on abordait simplement l’intégration comme un modèle idéal, indiquant les différentes modalités de participation des individus à la vie sociale ?
A ce titre, nous pourrions parler de l’entreprise ou de l’école comme facteurs d’intégration ; cette dernière restant alors un processus en évolution constante, et jamais acquis définitivement.
Mais alors, qu’en est-il de l’insertion ? Se montre t-elle plus limpide ?
L’insertion semble désigner un ensemble de prises en charges, ponctuelles et localisées, organisée autour de dispositifs divers repérables dans le temps et dans l’espace, dans des domaines particuliers (le “scolaire”, le “professionnel”, le “social”, …).
Dans ce sens, l’insertion ne se cantonne t-elle pas aujourd’hui à un traitement ponctuel, dont l’efficacité est discutable ?
En retour cependant, le glissement vers des logiques d’assistance favorise chez les usagers stratégies et conduites adaptatives. Mais ses effets invalident et aliènent la démarche d’insertion. En perdant son but, celle-ci ne perd-elle pas aussi son sens ?
Face à cette confusion généralisée, et contre les politiques marketing d’insertion, nous préférons renvoyer à ce processus inachevé qu’est l’intégration. A l’heure des remaniements politiques et des coupes budgétaires à venir, elle seule peut nous permettre de poser les vraies questions sur les paroles et les pratiques de l’insertion. Car loin de lui être opposée, elle en est le prolongement.
Et si l’on reparlait d’intégration ?

Eric Auger, Jorge de la Barre, Jean-Luc Dumont, Faiza Mahjoub Guelamine

Nota : Cette réflexion ne propose pas de modèles mais souhaite questionner les mots que nous employons quotidiennement.

No 41 – Ce qu’écrire peut vouloir dire

Si l’écriture professionnelle ou administrative est inscrite dans les habitudes des travailleurs sociaux, écrire sur sa pratique ne fait, en revanche, par partie de leur habitude. Cette difficulté d’écrire, déjà ancienne, peut être comprise à la fois comme un symptôme majeur de notre profession et comme ultime recours de sa survie. En effet, la reconnaissance passe aussi par une connaissance pratiquo-théorique, sur laquelle s’appuient les pratiques professionnelles.

DE LA DIFFICULTÉ A ÉCRIRE

Affirmer la difficulté à écrire chez les travailleurs sociaux ne permet pas d’en dévoiler les raisons. Une des premières causes semble être liée à l’économie même du savoir dans le champ social.

Les conditions d’acceptabilité de l’écriture sont effets indissociables de l’acte d’écrire ; “apprendre un langage, c’est apprendre que ce langage sera payant dans telle ou telle situation” (1). Dès lors, l’écrit peut devenir un support de l’action, un amplificateur qui lui donnera une assise et un fondement.

La recherche action dans le travail social est encore, pour la majeure partie, des productions d’acteurs qui ne sont pas des travailleurs sociaux ou qui ne le sont plus (car acquérir une compétence supplémentaire pour le travailleur social passe souvent par une sortie de sa profession) . De plus la coopération acteur chercheur installe insidieusement, tant chez le travailleur social vis à vis de “l’expert” que chez l’usager vis à vis du travailleur social, le sentiment que pour ces premiers, leur propre parole est en quelque sorte volée et qu’ils sont trahit par l’usage qui en est fait (2). Cette rivalité silencieuse sur la légitimité d’intervention renforce peut-être la conviction du caractère vain de la réflexion (3).

Dépasser ces appréhensions et transformer ces représentations “vampirisantes” autour de paroles déformées, nécessite une éthique de l’écriture qui passe d’abord par une restitution aux acteurs concernés de la production écrite. L’écriture n’étant pas une fin en soi, mais un prolongement d’une réflexion ou d’une recherche.

Elle devient alors une écriture instituante, c’est-à-dire un outil ou un support d’échange destiné à faire évoluer la pratique professionnelle.

Cependant, force est de constater qu’il y a conne un effet de censure sur le travailleur social qui intérioriserait l’irrecevabilité de sa production écrite comme n’étant pas celle exigée par les contraintes du “marché”. C’est comme si ce qu’il pouvait dire n’était pas une parole “autorisée” ou “d’autorité” (1) qu’il ne pourrait pas soutenir face à d’autres partenaires. L’écriture dépend, dès lors, du marché dans lequel elle s’inscrit et soulève des multiples enjeux et des logiques parfois opposées (économique, politique ou économique) qui viennent imposer une production écrite “instituée”.

Une des questions que l’on peut se poser, est celle de la reconnaissance de l’écrit par celui qui le lit. Si un des objectifs de l’écriture, c’est de transmettre quelque chose afin d’engager un échange, est ce que l’écrit du travailleur social sur sa pratique ne s’adresse-t-il pas en fin de compte, non pas à d’autres travailleurs sociaux, mais à ceux qui étudient le travail social ? Répondre à cette question supposerait que l’on dispose d’éléments sociologiques sur la culture des travailleurs sociaux et leur rapport à la lecture.

L’ambition de la revue Paroles et Pratiques Sociales est que les productions écrites puissent être un outil de réflexion et d’auto-formation pour ses auteurs et aussi pour les lecteurs.

UNE TRANSGRESSION NECESSAIRE

Choisir d’écrire sur sa pratique professionnelle, c’est s’inscrire dans une rupture par rapport aux traditions professionnelles (Cf tableau de l’article de J. L. Dumont dans ce même numéro) car le travailleur social est bien souvent dans un rapport de soumission ou d’aliénation vis à vis de ceux dont il tire les principes explicatifs de sa pratique.

On pourrait se poser la question de la nécessité d’écrire car en fin de compte si cette transmission orale se pérennise, c’est qu’elle recouvre peut être des enjeux ; l’un d’entre eux est l’empirisme et le pragmatisme de l’expérience dont le travail social, par la construction de réseaux d’information et d’informateurs, constitue un capital qui devient un réel pouvoir(4) pour celui qui le détient et le contrôle.

L’ECRITURE, UN ENJEU PROFESSIONNEL

De la nécessité d’écrire à l’acte d’écrire, il y a un pas qui est souvent difficile à franchir ;si les gains narcissiques n’échappent à personne, les retombées symboliques s’épuisent à court terme.

L’intérêt de l’écriture, c’est qu’elle s’inscrit dans une démarche conscientisante (5) car elle peut permettre une évolution de sa propre pratique, qui éclaire à son tour la place d’où l’on parle ; place qui pose la question d’une action sociale au service de qui : l’institution, l’usager ou le travailleur social ?

L’écriture, en laissant une trace, permet d’interroger l’expérience professionnelle et de redonner un sens nouveau à l’action. C’est une réappropriation de sens qui s’opère, caria distanciation qu’elle impose aide à formuler ses propres interrogations et introduit une démarche de conceptualisation dans le dispositif d’intervention.

L’écriture est aussi un espace de création et de sublimation, non pas d’un discours mais d’une parole “incarnée” qui s’appuie sur sa propre pratique.

Cette entreprise, aussi séduisante et passionnante soit-elle comporte cependant des risques ; celle d’accroître parfois des doutes, de rencontrer des blocages ou des empêchements de la pensée, car interroger les fondements, la finalité ou la pertinence de ses outils professionnels demande une vigilance aiguisée. De plus, les multiples dimensions des situations sociales nécessitent l’utilisation de concepts appartenant à des domaines “supposés étanches” mais “nécessitant de fait une investigation transdisciplinaires” (6).

Écrire, c’est construire une mémoire et permettre l’inscription des pratiques sociales ; c’est aussi s’inscrire dans une démarche de théorisation d’un savoir faire (7).

L’écriture devient alors un enjeu professionnel nécessaire car c’est en participant à la construction de ses propres outils, que le travail social pourra sortir de sa position de dépendance et construire ainsi son propre espace de pensée.

LES EFFETS DE L’ECRITURE

Comme nous venons de la voir, écrire est une démarche de sens qui implique une certaine transgression qui s’accompagne de la nécessité pour celui qui écrit, de rendre compte et de témoigner de sa pratique. L’acte d’écrire s’inscrit donc dans une dynamique de l’échange.

Ace titre, on peut tenter de classer les effets de l’écriture dans ce qu’elle produit sur le sujet pensant.

  • L’écriture est d’abord productrice de sens ; en interrogeant sa pratique, elle permet de la féconder et de lui donner un sens “en la rendant visib1 e et lisible par tous. – Elle produit de l’identité, car écrire s’est se dire, c’est se signer par rapporta l’autre qui va me lire. De fait, l’écriture agit sur celui qui écrit en lui redonnant confiance sur sa capacité d’agir sur son environnement.
  • L’écriture agit comme un mode d’évaluation de soi-même et de son travail.

Dans la mesure où elle agit comme un effet de miroir sur sa propre place.

  • L’écriture induit un travail de transformation de soi dans la mesure où je puise dans mes propres ressources et dans mes propres capacités pour écrire.
  • Si l’action ne se suffit pas à elle-même, c’est par ce qu’elle est d’abord produite, puis enrichie par la réflexion écrite. L’écriture est donc un prolongement de l’action et inversement, la pratique apparait comme un prolongement de la réflexion, entendue comme une action qui se réfléchie.
  • Enfin, quand l’écriture dépasse l’évaluation d’un savoir, pour devenir un acte libre que je pose, alors l’écriture peut être productrice de liberté.

Elle est une démarche conscientisante.

La revue PEPS tire une de ses originalités dans le fait que l’approche rédactionnelle permet à tout travailleur social qui le désire d’exprimer son point de vue, éclairé dans sa construction par les questions des membres du comité de rédaction.

L’idée que la parole de chacun est importante et peut être lue n’est pas seulement un projet ou une utopie. C’est déjà une réalité au travers de la revue PEPS et c’est chaque jour, un peu plus vrai quand on prend la peine d’écrire et de tendre la plume à ceux qui la veulent !!! Écrivons, c’est une urgence.

Éric AUGER

  • Bourdieu P., “Ce que parler veut dire” dans QUESTIONS DE SOCIOLOGIE, Ed. Minuit, 1984, p. 95 à 120.
  • Cette hypothèse de la légitimité à parler sur le travail social reste à vérifier.
  • Cf article d’E. Auger, in PEPS N° 39 “l’écriture chez les travailleurs sociaux”.
  • Crozier M., et Friedberg E., L’ACTEUR ET LE SYSTEME, Ed. Points, 1977. Les auteurs parlent de “zone d’incertitude” comme enjeu de pouvoir dans les négociations.
  • Paolo F., La pédagogie des opprimés, Ed. Payot, 19…
  • Déconstruire le social, seminaire I dirigé par Sad Karsz Ed. L’Harmattan, Cahiers de Pratiques sociales, 1992.
  • Deux articles parues dans les ASH le 21/2/92 “Assistantes sociales, une crise symbolique” par Verda et Mondolfo et le 24/1/92 “Le travail social, l’avenir d’une crise” par Chauviere, Chopart et Bachmann, affirment, chacun à leur manière la nécessité de capitaliser les savoirs faire et d’un “ressourcement en légitimité”.

No 40 – Sommaire / Edito

Sommaire

URBANISME

  • Un logement pour tous par Michèle Pisigot 7 La ville en rose par Jean Pierre Garnier
  • Présentation par C. Desnus et M. Esterle
  • Combien sont-elles
  • Travailleurs sociaux d’origine étrangère, de l’exil à l’accompa¬gnement social par Christine Desnus
  • Qui sont les femmes immigrées iraniennes? par Raki Afsaneh
  • Réseaux de familles monoparentales par Tecla Gapecchi
  • Que dire à ma propre famille par Beatrice Chailloux
  • PMI d’hier et d’aujourd’hui par Nadine Nonain
  • Une action de terrain, les femmes des Franc-Moisin propos recueillés par Maryse Esterle et Christine Desnus
  • Le visible et l’inivisible, les éducateurs de rue et les filles d’Ori¬gine étrangère par Maryse Esterle
  • Image des femmes dans l’immigration, Filmographie par Guy Jouannet
  • Bibliographie

ACTION EDUCATIVE

  • ASUD, groupe d’auto support par Gilles Charpy
  • A propos des stratégies de réduction de risque par Jean Jacques Deluchey

ACTION SOCIALE

  • Le groupe du mardi, un lieu de paroles et d’échanges par V. Courtot, G. Gibert, M. C. Pailhes, Y. Royer

CULTURE JEUNES

  • Ethnogalère, histoire d’un café musique universitaire par Georges Lapassade

ARTS ET CULTURE

  • Many, un peintre pas comme les autres par Mehdi Farzad
  • La rentrée cinématographique par Guy Jouannet

Édito

Paroles et Pratiques sociales peut souffler sur ses dix bougies. Il y a dix ans, une poignée de travailleurs sociaux décidaient de créer une association dont le but était de “favoriser l’échange et le débat entre professionnels”.
La revue a été le principal outil d’échange et de réflexion sur la pratique professionnelle, sans cesse interrogée dans ses fondements, ses moyens et ses objectifs. L’écriture est restée l’outil privilégié car il ne peut y avoir de pensée sans une parole qui s’en fait l’écho et il ne peut y avoir de pensée ni amorce de théorisation sans énoncé de ses interrogations.
C’est une gageure que d’avoir réussi à publier régulièrement plus de 40 numéros sans interruption (sauf arrêt de neuf mois, le temps d’une gestation…). Preuve est faite que les travailleurs sociaux ont quelque chose à dire et à transmettre et que leurs critiques ou leurs propositions alimentent la pratique de chacuns et fécondent leur réflexion.
C’est aussi une réussite que des travailleurs sociaux, puis des formateurs et récemment des universitaires soient parvenus, bénévolement à construire et à faire vivre cette revue et à animer des soirées débats et des colloques.
Nous ne cesserons jamais de le dire ; cette revue est aussi la vôtre car si elle se veut carrefour d’idées, elle ne peut exister sans une certaine réciprocité, un minimum d’échange et de diffusion.
Plus que jamais P.E.P.S. s’affirme comme le garant d’une lecture critique sur l’actualité du travail social. La complexité croissante des problèmes se posant avec acuité, P.E.P.S. a montré sa capacité à s’en faire l’écho et à poser un regard original.
A l’heure européenne, les espaces de réflexions sur les droits et les politiques
sociales sont à occuper par les travailleurs sociaux eux mêmes.
Enfin, P.E.P.S. s’avère de plus en plus un nouvel instrument pédagogique : l’écriture comme un outil d’élaboration et d’appropriation d’une pensée sur le travail social.
Pour marquer les dix années d’existence de P.E.P.S, nous organiserons un grand débat-rencontre en mars 1993. Nous vous donnerons plus amples détails dans notre prochain numéro qui sera l’occasion de clôre le dernier volet de notre tryptique sur les enjeux de l’immigration.
L’équipe se joint à moi pour vous remercier pour la fidélité et la confiance que vous nous accordez.
Eric AUGER