No 41 – Les figures de l’étranger

La figure de l’Étranger apparaît comme un acteur privilégié qui révèle l’épaisseur et la sensibilité des « couches culturelles » de notre société

Il y a une réalité économique des mouvements de population qui s’inscrit dans une perspective globale d’étude des mouvements au sens « physique » : mouvements de capitaux, mouvements de main d’œuvre.

Aujourd’hui, à mesure que les frontières s’ouvrent aux capitaux pour constituer des blocs commerciaux (CEE, Europe de l’Est, ASEAN en Asie du sud-est, ALENA en Amérique), cette réalité est en train de changer.

Parallèlement à une internationalisation des échanges économiques et à une ouverture des frontières, s’opère en effet une redéfinition de la citoyenneté, qui touche au plus près les populations immigrées. C’est pourquoi les figures de l’étranger peuvent nous permettre de redessiner une carte des mouvements de population, qui pose comme fondamentale la question de l’insertion et son prolongement, l’intégration : alors que les frontières se ferment aux nouveaux arrivants, la question de l’intégration des populations « déjà là » reste entière. Or, pour que l’étranger réussisse son entrée dans la société d’accueil, faut-il encore que celle-ci ait la volonté de mettre en œuvre des conditions favorables (insertion économique, éducation, logement, coopération avec les pays d’origine…).

Après avoir évoqué les modifications de la structure des échanges économiques dans les sociétés développées, nous présenterons la question de l’étranger telle qu’elle est abordée dans la sociologie interactionniste. Cet exposé devrait nous permettre de faire le lien avec les processus d’affiliation culturelle et économique propres à toute société, et qui constituent le gage de toute forme d’intégration.

LA NOUVELLE DONNE

Dans les pays industrialisés, l’immigration de main d’œuvre a, on le sait, laissé la place depuis les années 1960, à une immigration de regroupement familial. Mais aujourd’hui, les facteurs de migration se sont diversifiés et complexifiés. Deux types de migration nous semblent caractériser les années 1980, au moins sur le plan qualitatif.

D’une part, une migration de main d’œuvre, qui tend à se concentrer autour de personnes ayant un haut niveau de compétences. Témoin de cette tendance, la toute-puissance technocratique, qui dicte aujourd’hui les mouvements de capitaux et les mouvements d’hommes.

D’autre part, une migration de réfugiés politiques. C’est l’importance croissante de celle-ci, qui encourage dans les pays développés une modification de la citoyenneté.

Propre aux années 1980, ce facteur de migration « refuge » est autant une conséquence des bouleversements politiques que connaissent les pays « débiteurs » (la migration fonctionnant comme un indice de la situation démocratique du pays : c’est ce qu’on appelle le « référendum par les pieds »), qu’une forme d’adaptation des flux migratoires aux politiques d’arrêt de l’immigration dans les pays industrialisés. L’année 1974 marque en France l’arrêt des flux migratoires. Les demandes de statut de réfugié politique ont depuis lors fortement augmenté, sans que l’on assiste pour autant à une nette dégradation de la situation politique dans les pays d’Afrique francophone en tous cas.

La demande de statut de réfugié politique apparait dans ce contexte comme une solution pour perpétuer une logique migratoire qui existait bien avant la fermeture des frontières.

La « fonction miroir » de la migration, en sautant les obstacles mis en place parla société d’accueil, continue ainsi d’alimenter des mouvements de population qui, mis en place à la veille des indépendances, étaient appelés à durer.

D’où la redéfinition, en « terre d’asile », du statut de réfugié politique.

Même si, au-delà des chiffres, la réalité sociologique des mouvements migratoires doit être abordée, il en est qui parlent d’eux-mêmes : de 157 000 en 1980, les candidats au statut de réfugié politique sont passés à 400 000 en 1990.

Dans un article précédent, nous avions abordé les migrations africaines dans la situation postcoloniale (« De la savane à la ville, les migrations en Afrique de l’Ouest », PEPS, 39). L’argument était que les études démographiques et économiques ne permettaient pas de rendre compte de la migration du point de vue de sa réalité vécue par les acteurs.

Reste que, comme le rappelle Samir Amin, « la mobilité des hommes est incomparable à la mobilité du capital » (1992).

Les accords USA Canada Mexique par exemple, portent sur la liberté de circulation des marchandises, alors que tous les jours, des immigrants sont refoulés à la frontière mexicaine.

Comme notre méditerranée, le golfe du Mexique est un lieu majeur de charges migratoires, tant les disparités démoéconomiques sont flagrantes, tant les affrontements culturels entre le nord et le sud sont grands.

À la fin des années 1980, près du tiers des émigrés à travers le monde étaient originaires des « deux méditerranées », celle du Vieux Continent, et celle du Nouveau Monde : 25 millions de l’Ancien Continent, monde arabe inclus, et 16 millions de la Caraïbe et du Mexique (G. Simon, 1991).

Les dynamiques migratoires qui y sont enclenchées depuis le début du siècle ne semblent pas sur le point de s’arrêter (l’Espagne et l’Italie sont confrontées à leur tour à la question brûlante de l’immigration).

En même temps, des formes d’organisation nouvelles chez les populations immigrées sont en train de naître, comme pour contrer une tendance dominante à I’ « exploitation dans le renoncement  » (J.M. Kalflèche, 1992). Ces nouvelles formes d’organisation doivent être vues autant comme des initiatives de coopération avec les pays à forte émigration, que comme des facteurs inédits d’intégration à la société d’accueil (1)

ARGUMENTS POUR L’ETRANGER

Entre assimilation culturelle et économique, entre intégration ici et retour là-bas, la figure de l’étranger nous propose un modèle dynamique.

Appliquée à l’immigration (sans que pour autant elle ne s’y limite), l’intégration apparaît en effet un processus, par lequel des communautés immigrées s’affilient à la société d’accueil en même temps que celle-ci réagit (de manière favorable ou non). L’intérêt de la posture de l’étranger est justement de questionner les allants de soi de la société d’accueil. Le terme même d’étranger, tant dans son sens courant que dans son sens sociologique s’oppose radicalement à tout ce qui touche à l’intégration. C’est pourquoi il permet une mise en perspective globale des processus par lesquels toute forme d’intégration est possible : la posture de l’étranger n’est pas un point d’arrivée, elle est un point de départ, et un point de départ interrogateur.

Analyser la figure de l’étranger, c’est donc se placer dans ce cheminement qui mène à l’intégration, en passant par l’insertion.

Mais si les analyses sociologiques de l’étranger privilégient dans leur problématique les aspects culturels de l’insertion, il n’y est pas pour autant question d’interculturalité.

Quant Schutz emploie le terme d’ajustement social, il désigne moins nous semble til, l’existence d’une communication interculturelle, que le processus même à partir duquel toute forme d’affiliation de l’étranger au modèle culturel qu’il découvre sera possible.

La figure de l’étranger en tant que migrant se pose donc comme typique de toute forme d’ajustement social. Elle peut alors s’étendre à l’analyse de toute situation moderne au sens de Stonequist, qui envisageait le fait de vivre dans des contextes sociaux différents comme une forme d’adaptation caractéristique de la vie moderne (1961).

Il existe un grand nombre d’études reposant sur des données démographiques et des études spécifiques des mécanismes régissant les mouvements migratoires. Toutefois, l’attention doit être portée en ce qui nous concerne, sur les formes d’adaptations nouvelles que connaissent les populations issues de la migration.

Rappelons qu’en France, la politique scolaire d’intégration fonctionne encore suivant le modèle républicain d’intégration école, armée, dans le respect affiché des cultures.

Stonequist posait donc comme caractéristique de la vie moderne le fait de vivre dans des contextes sociaux différents, ceux-ci engageant autant de processus d’ajustement à une réalité sociale existante que de processus de transformation sociale : là où il y a apprentissage culturel, il y a aussi rencontre, et qui dit rencontre dit transformation, modification, changement.

L’ETRANGER DANS LA CITE

Dans cette forme de sociologie, qui voit en l’étranger une clé, ce n’est pas tant le politique qui l’emporte, que cette « dimension nouvelle », que les sociologues interactionnistes ont si bien « attrapée » : l’interaction sociale dans sa dimension autocréatrice.

Fondatrice de l’ethnologie urbaine, l’Ecole de Chicago posait la ville comme préexistante au politique. En ce sens, on ne peut réduire la ville aux politiques urbaines. De plus, la sociologie urbaine fait sienne l’hypothèse selon laquelle les villes sont des sociétés avant ou malgré les interventions du gouvernant. Ce faisant, elle privilégie la conjoncture sur la structure, le changement sur la reproduction.

Robert Park observait dans Race and Culture (1950), que la mobilité et la migration avaient, entre autres effets, celui de séculariser les relations autrefois sacrées, par un double processus de laïcisation de la société et d’individuation de la personne. Soustrait à l’intimité d’un milieu culturel de tradition qui auparavant l’intégrait à un groupe plus large, le migrant modifierait (ou séculariserait) en milieu urbain, relations et rituels antérieurs.

Y a-t-il une spécificité de l’urbain, ou la ville n’est-elle qu’un simple espace d’effectuation des rapports sociaux?

En d’autres termes, la ville est-elle déterminée, ou est-elle déterminante ?

A ces questions, la sociologie interactionniste répond par l’idée que l’urbanité désigne plus le travail de la société urbaine sur elle-même que le résultat d’une législation ou d’une administration : la ville est un lieu d’émeutes, de troubles, de turbulences ou d »‘état d’esprit », de « mentalité » (Park, Simmel).

Comment la figure de l’étranger vient-elle s’inscrire dans ce courant interactionniste, c’est-à-dire dans le « postulat de la primauté de l’interaction entre acteurs sociaux sur l’identité et les stratégies des acteurs » (I. Joseph) ?

Sociabilité, analyse du local, rapports entre vie privée et vie publique, déviances, identités : les thèmes forts de l’interactionnisme symbolique sont donc analysés sous l’angle du caractère auto-créatif de l’interaction sociale. Dans ce cadre-là, comme le note Isaac Joseph, l’abandon de la fameuse coupure épistémologique entre sociologie professionnelle et sociologie profane va de pair avec le rétablissement d’une rupture entre comportement et personnalité.

La sociologie dominante (T. Parsons aux États-Unis, E. Durkheim en France) posait la coupure épistémologique entre sociologie professionnelle et sociologie profane comme essentielle à la définition de la sociologie comme discipline scientifique.

(La sociologie professionnelle s’efforçait de bâtir un ensemble d’outils méthodologiques et conceptuels pour se démarquer de la sociologie profane de l’homme de la rue et de ce qu’on appelle le sens commun). En brisant ce mythe d’une « tour d’ivoire » scientifique, la sociologie interactionniste réhabilite le sujet comme un être pensant et agissant indépendamment des structures qui le dépassent.

Elle n’est pas une sociologie déductive au sens où elle ne fabrique pas par exemple, une personnalité type (individuelle ou de groupe) à partir d’un certain nombre de critères fonctionnant comme indicateurs.

En partant des comportements en situation, l’approche interactionniste annihile donc la dichotomie entre sociologie profane et sociologie professionnelle.

Accorder le primat des comportements significatifs en situation, partir des comportements en situation plutôt que des motivations sont donc les présupposés que se donne l’interactionnisme symbolique pour analyser le social.

La figure de l’Etranger apparait alors comme un acteur privilégié qui révèle l’épaisseur et la sensibilité/résistance des « couches culturelles » de notre société.

Chaque situation de ‘étranger l’objet de la plus grande attention. Il lui faut à chaque moment repérer les codes culturels qui apparaissent si familiers à ses hôtes.

Comme le dit Schutz, l’étranger part à chaque instant « à l’aventure ».

C’est pourquoi le migrant est, en quelque sorte, un expert en redéfinition des situations (I. Joseph). Il est celui qui met à l’épreuve l’univers du « taken for granted », de ce que l’on prend habituellement pour argent comptant. Cosmopolite, juif, migrant ou marginal, l’étranger est l’analyseur du trivial (2).

Dans sa non-représentativité et au-delà de cette strate de régularité supposée de la société civile, l’étranger se pose comme analyseur du système, partout où les phénomènes de reproduction et d’habitus posent problème. L’étranger a perdu le sens du trivial, c’est pour cela qu’il questionne la société moderne de façon pertinente.

LES FIGURES DE L’ETRANGER : SIMMEL ET SCHUTZ

Les figures de l’étranger chez Simmel (1908) et Schutz (1944) sont différentes dans leur présupposé de départ et dans leurs conséquences sur la nature des processus de changement social.

Pour Schutz, l’étranger n’est pas, comme chez Simmel, le « voyageur potentiel », il est le « membre potentiel ».

Schutz décrit plus une attitude interne de l’étranger (qui ne saurait par exemple montrer sur une carte d’où il vient) en situation de découverte d’une nouvelle réalité sociale et culturelle.

Simmel quant à lui, adopte une position géographique d’ensemble, qui étiquette l’étranger comme un point typique sur une carte, dont l’échelle est celle du proche et du distant.

L’étranger suscite chez Simmel une étude des mouvements, plus que l’étude d’un processus d’ajustement social, que Schutz propose dans son « Essai de psychologie sociale ».

Vues sous la lampe des notions d’étrangeté et de familiarité chez l’un, de distance et de proximité chez l’autre, les deux positions finissent pourtant par se rejoindre.

Simmel

Simmel propose une typification dynamique de l’étranger. Chez lui, la situation est développée en termes spatiaux, la mobilité définie comme une position formelle. L’étranger, c’est le « voyageur potentiel ». Simmel voit chez le commerçant l’exemple typique de l’étranger, car le commerçant vient toujours d’ailleurs.

Entre distance et proximité, Simmel définit donc l’étranger comme un membre appartenant au groupe, mais pas depuis le début.

En tant que « newcomer », l’étranger est sans histoire du point de vue du groupe. À mesure que son modèle d’interprétation courant devient caduc, il fait l’expérience de la relativité de sa « pensée ordinaire ». Ne partageant pas les présupposés fondamentaux, il doit questionner tous les allants de soi.

En tant que membre potentiel, il est à la recherche de ce statut qu’offre le modèle culturel, et qui permet de l’interpréter.

Avec l’étranger note Simmel, le sentiment d’appartenance s’effectue avec le groupe selon des caractéristiques plus générales, qui dénotent une nature plus abstraite des rapports.

Simmel reconnait une forme d’objectivité à l’étranger dans cette combinaison particulière de distance et de proximité : l’étranger n’appartient pas à ce réseau si dense d’interdépendances et de tradition qui forme la société qu’il découvre.

Schutz

Schutz pose la situation de l’étranger comme une « situation typique dans laquelle (il)se trouve lorsqu’il tente d’interpréter le modèle culturel d’un groupe nouveau et de s’orienter à l’intérieur de celui-ci » (p.217).

En questionnant cette situation d’approche qui précède tout ajustement social, il précise néanmoins que la situation sociale exemplaire de l’immigré ne limite pas l’analyse à ce cas particulier.

Schutz parle de « recettes » que détiennent les membres d’une société pour communiquer dans le modèle culturel d’appartenance, et que l’étranger doit sans cesse questionner.

Il voit l’objectivité de l’étranger dans son attitude critique, qui lui vient plus, précise-t-il, de son besoin d’acquérir une connaissance « de » que de sa propension à juger le nouveau groupe selon le modèle culturel qu’il apporte dans ses bagages.

En effet, à la différence des membres du groupe qui détiennent une connaissance interne des processus culturels dans lesquels ils vivent (connaissance « de »), l’étranger adopte quant à lui un mode de connaissance « sur », qui lui permet de décoder ce que les membres considèrent comme acquis et n’ont donc pas besoin de questionner.

Pour l’étranger, le modèle culturel n’est pas une chance objective de succès, il est une pure opportunité subjective. L’étranger doit tester le modèle culturel pour constater que ça marche aussi pour lui, comme pour tous les membres de la société.

Il est significatif de noter que Schutz parle d’étrangeté et de familiarité de la même manière que Simmel parle de distance et de proximité.

Nous voyons dans ces deux points de vue qui s’entrechoquent une façon éminemment riche de poser le problème des mouvements sociaux, tant sur le plan spatial que sur le plan social.

Migrations, processus d’ajustement social, intégration, assimilation, insertion,… Autant de thèmes pouvant être enrichis par la situation d’analyseur » de l’étranger.

Quelques critiques sont néanmoins à formuler

 Parler d’assimilation mérite quelque précision. L’assimilation culturelle n’est pas l’assimilation sociale. Si, par exemple, le modèle culturel dominant est parfaitement accepté chez les noirs américains, il n’en demeure pas moins que ces derniers subissent toujours des discriminations sociales (voire raciales), et économiques. Il faut donc ici encore insister sur cette situation typique de l’étranger dont parle Schutz, qui précède toute forme d’ajustement social. On dira donc que l’étranger, dans son travail de « décodage » du modèle culturel qu’il découvre, rend possible une situation nouvelle qui pourra le mener l’intégration. Nous parlerons alors, non plus seulement en termes de distance/proximité ou de familiarité/étrangeté, mais aussi, et cette fois-ci dans une perspective mettant en jeu la société d’accueil, de visibilité/invisibilité des codes culturels ; toute société fonctionnant peu ou prou surie mode du secret, dans la mesure où les procédures de normalité de l’interaction ne sont pas « livrées clefs en main » à ses acteurs.

 La perception du groupe social nouveau par l’étranger n’est pas une entité « réelle » lorsque typifiée, elle est dégagée de son contexte : l’étranger est en situation de formation et d’apprentissage accompagné, notamment parle réseau d’appartenance culturelle qu’il intègre en arrivant.

 Enfin, il nous semble que si la seconde génération n’a rien ou peu de l’étranger, il reste qu’à rapprocher la figure de l’étranger de la notion de membre, nous obtenons une position essentielle pour saisir les mouvements sociaux.

La notion de membre, polysémique et non moins ethnométhodologique (3), devient alors aussi éclairante que la figure de l’étranger pour poser la question des contacts culturels et, plus largement, celle de toute situation d’apprentissage (4).

Jorge de la BARRE, in PEPS 41″Les figures de l’étranger », pp. 7-11


(1) Pour un exemple concret de ces nouvelles formes d’organisation, voir l’article de Jean-Luc Dumont & Daniel Curbelo, « Travail social en interface, les projets des associations villageoises en France », PEPS, 39.

(2) Jean-Michel Berthelot inscrit la figure de l’étranger dans une tradition sociologique qui définit le rôle de l’autre comme fondamental dans la connaissance du social. À ce titre, l’étranger est la figure du XXème siècle qui nous permet d’interroger l’arbitraire des manières d’être et de faire des membres d’une société, tout comme le furent en leurs temps, le prolétaire du XlXème siècle, ou le sauvage du XVlllème (qui revient à la mode, en ces temps d’anniversaire du cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique).

(3) Pour un exposé de la notion de membre en ethnométhodologie, voir A. Coulon (1987), L’Ethnométhodologie, Paris, P.U.F., chp. Ill, p. 43.

(4) Pour une analyse plus fine de ce phénomène qu’on ne saurait aborder ici, voir l’ouvrage de G. Lapassade (1963), L’Entrée dans la vie, Paris, 10/18. Qui se passe évidemment de toute espèce de commentaire.

Bibliographie

  • AMSELLE, J.L., 1976, Les migrations africaines, Paris, Maspéro.
  • BERTHELOT, J.M., 1991, La construction de la sociologie, Paris, PUF.
  • CICOUREL, A.V., 1983, « Vivre dans deux cultures : l’expérience quotidienne des travailleurs migrants », Vivre entre deux cultures, Paris, UNESCO.
  • JOSEPH, I., 1982, « L’analyse de situation dans le courant interactionniste », Ethnologie Française, XII, 2.
  • JOSEPH, I., 1984, Le passant considérable, essai sur la dispersion de l’espace public, Paris, Librairie des Méridiens.
  • KALFLECHE, J.M., 1992, Jonas Savimbi, une autre voie pour l’Afrique, Paris, Critérion.
  • « Les étrangers en France », Le Monde Dossiers et documents, Février 1992.
  • « Migrations, La planète en courants », Libération, supplément au 22 Juin 1991.
  • SCHUTZ, A., 1987, « L’étranger, essai de psychologie sociale », Le chercheur et le quotidien, Paris, Méridiens Klincksieck.
  • SIMMEL, G., « Digressions sur l’étranger », in Grafmeyer, Y. & Joseph, I. (Prés.), 1979, L’Ecole de Chicago, Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Aubier.
  • STONEQUIST, E., 1961, The marginal man, a study in culture and personality conflict, New York, Russell & Russell.
  • THOMAS, W.I., « Définir la situation », in Grafmeyer, Y. & Joseph, I.(Prés.), 1979, L’Ecole de Chicago, Naissance de l’écologie urbaine, Paris, Aubier.
  • « Un entretien avec Samir Amin », Le Monde, Mardi 26 Mai 1992.

No 41 – Les immigrés, le travail social et les législatives de 93

L’un des thèmes qui a alimenté encore cette année la campagne électorale pour les législatives, concerne l’IMMIGRATION. Un bref regard historique sur l’évolution de ce thème nous aide à comprendre le mécanisme par lequel, depuis quelques années, I » ‘étranger » est devenu l’une des pièces maîtresses d’un jeu politico- médiatique.

Pour ce faire, nous procéderons par quelques constats :

– les immigrés commençaient à devenir les indésirables d’une partie de la société française, après avoir accompli leur mission qui consistait à remettre en marche la machine économique de la France, fortement en panne par la guerre et par l’ère de l’industrialisation.

Outre les réactions racistes (très minoritaires dans les années 197080) l’absence d’une réelle politique d’immigration a autorisé la généralisation de l’indésirabilité des étrangers ; – le processus du refus médiatique de « l’étranger » a commencé au début des années 80 parla voix des petites formations politiques fondées sur une idéologie xénophobe et dans un climat politique et économique, caractérisé par la modernisation et l’officialisation de la compétitivité comme finalité structurelle de la société. La formule magique étant « Trois millions d’immigrés égal trois millions de chômeurs ». C’est dans ce cadre que le dossier de l’immigration a pu devenir problématique, attirant même les grandes formations politiques de droite classique. Cette conscientisation électoraliste des politiques, a abouti à la formulation de termes symboliques tels que : « l’invasion » ou les « odeurs insupportables » …

– après avoir porté ses premiers fruits, notamment avec le Front National, le thème en tant qu’enjeu électoraliste a pu faire son entrée officielle dans le langage commun de la classe politique (les meetings, les manifestations sur les places publiques, les programmes politiques etc…). La généralisation de ce processus a fait de ce thème un sujet d’actualité ou parfois, le sujet d’actualité le plus vendable et « original » des pouvoirs politico-médiatiques ;

– le grand parti socialiste des espoirs, qui avait pu enthousiasmer la majorité des français notamment durant les campagnes électorales d’avant 1981, n’a pas pu échapper à cette contamination. Cela a conduit certains dirigeants de ce parti à reculer sur certaines thèses selon lesquelles, les immigrés devaient pouvoir participer à certaines élections locales. Ces slogans ont laissé leur place à des discours tels que : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Ces prises de position, même si elles n’obéissaient pas aux mêmes raisonnements, utilisés par la droite, montraient cependant, que toutes les grandes formations politiques, étaient tombées dans le piège de la logique de vulgarisation électoraliste du dossier immigré. Il confirme surtout l’idée de rentabilité du « chantier étranger », faisant désormais partie intégrante des sujets à négocier au moment des élections. C’est dans cette logique qu’au milieu des années 80, un autre dirigeant du parti socialiste déclare : « Le Pen pose les vrais problèmes en y apportant de fausses réponses… »

LES CLANDESTINS

Parmi les zones d’activités souillées par ce climat, le champ social a été le plus touché. La fabrication médiatique de cette machinerie a eu de notables conséquences :

Elle a renforcé la logique de catégorisation des étrangers donnant lieu à un regard à plusieurs vitesses envers eux (les bons, les intégrés, les insérés, les mauvais, les clandestins et enfin les indésirables). Pour certaines sensibilités politiques, cette classification, a servi à exclure de la scène sociale les couches les plus démunies sous l’étiquette de « clandestins ». Pour une autre partie prônant le socialisme, le processus de catégorisation a joué un rôle de modérateur ouvrant une porte de secours pour sa séparation avec les discours extrémistes. La démarche de catégorisation des étrangers, a été d’ailleurs renforcée par la mise en place du Traité d’Union Européenne (Maastricht) qui ne prévoit aucune politique      d’immigration communautaire à l’égard des ressortissants des pays tiers (1).

La politique de « l’immigration préférentielle », a orienté les institutions à fonctionner avec » l’alternative entre assimilation et adaptation d’une part, marginalisation et exclusion de l’autre » (2).

Les réponses apportées aux questions telles que le chômage, la justice sociale, la formation, le logement, l’égalité des droits, etc… n’ont guère satisfait les gens. C’est l’entretien de ces problèmes qui a souvent remplacé la recherche de solution, créant ainsi des conditions morales et juridiques pour la naissance de nouveaux problèmes sociaux.

Les nouveaux pauvres, les « fins de droits », les sans abris ou plus précisément les SDF (sans domiciles fixes), les Rmistes, les Tucs, puis les CES, les ZEP, les DSQ, les DSU, …

Ces nouveaux phénomènes tout autant que ces nouvelles mesures, qui au départ étaient conçues comme moyens ponctuels, sesont d’une part transformés en « solutions permanentes », et ont pu d’autre part, reveler l’existence officielle d’une société malade.

Même si ici et là, on peut enregistrer quelques acquis sociaux, l’aggravation des difficultés sociales dù essentiellement à l’inefficacité de certaines de ces mesures, a eu pour effet, de répondre à la crise par la crise. Le climat politique ainsi tissé a transformé l’espoir de la réalisation de certaines idées de justice sociale. En réalité, elles n’ont jamais vu le jour, pour laisser la place à certaines idées fatalistes.

C’est parla vulgarisation de « C’EST LA CRISE », comme réponse la plus officielle et la plus immédiate, que l’idée de culpabiliser tout le monde  , sans se questionner sur les mécanismes de la crise a trouvé sa place dans les opinions publiques. Cette démarche ayant entraîné une perte d’identité collective a en réalité, renforcé l’exclusion des gens, sans repères, appartenant à la catégorie la plus faible de la société.

La place offerte aux immigrés dans cette mise en scène sociale, ne pouvait que les mettre au premier rang des accusés en même temps que les victimes d’une situation et d’un bilan pour lesquels, ils n’étaient en fait pour rien.

Les questions sociales et les problèmes les plus élémentaires des gens qui trouvaient leur sources dans les modèles de société promis, se sont soldés par un échec. Les politiques ne peuvent plus rien leur proposer ou plutôt ils ont tout dit sur les projets de société.

Le seul chantier médiatique et électoraliste qui fonctionne encore très bien, c’est celui de l’immigration, il n’a pas encore fait son plein dans l’acquisition de voix. Il est donc encore vendable.

C’est dans ce climat que durant ces élections, certains candidats optent pour des solutions miracles :

« L’équilibre social, c’est également avoir le courage de régler le problème d’une immigration dont le seuil de tolérance est franchi depuis longtemps. Certains socialistes l’ont compris, mais tous se sont refusés à en tirer les conséquences » (3).

LES MOUVEMENTS DU SOCIAL

Le développement de la situation sociale a produit plusieurs phénomènes « inattendus » expliquant une nouvelles définition du champ et de l’action sociale. On peut présenter ses grandes caractéristiques comme suit :

  1. Les mesures nouvelles se déterminent en fonction de la gravité de la situation et peuvent être considérées avant tout comme le traitement des problèmes sociaux. En ce sens, non seulement, elles ne peuvent pas apporter des changements fondamentaux aux problèmes posés, mais elles peuvent avoir un rôle de générateur pour en créer d’autres ;
  2. On peut noter une adhésion officielle des mouvements associatifs, à dominante socio-culturelle au travail social : de plus en plus d’individus officiellement non mandatés (les militants associatifs, les bénévoles, les volontaires à vocation humanitaire, etc), procèdent à la réalisation de projets, en lien avec le champ social ;
  3. Cet élargissement officiel et officieux du travail social a offert la possibilité d’ une coopération interprofessionnelle, mais en même temps, il a mis en place une logique de nouvelles représentations de certains métiers. On a pu percevoir des collaborations effectives entre différents agents du service public; -la police faisant le métier d’éducateur, les enseignants devenus de temps à autre des assistants sociaux et vice-versa, etc.
  4. Différents services humanitaires et charitables (secours catholique, croix rouge, les « restaus du coeur », etc…) ont pris une place importante dans l’accomplissement des actions sociales. L’exemple du dossier des mals-logés de « Vincennes », dans lequel les bénévoles à dominantes religieuses, avaient pris une part considérable et significative (4).

Dire que les difficultés des gens doivent être considérées comme l’affaire de tous n’est pas en soi, une erreur. Cela peut s’inscrire au contraire dans une démarche collective de solidarité et de civisme, mais cette idée ne peut être comprise et praticable que s’il y a une structure réglementaire de l’égalité des droits et une éducation socialisante basée sur la justice sociale.

SPECTACLE DE LA SOCIÉTÉ

La naissance des phénomènes de banlieues et leurs caractéristiques ; les cultures de la rue (5), le chômage des jeunes, leur isolement, le mal de vivre, la violence, l’exclusion, etc…, obéissent à des règles qui trouvent leur légitimité dans cette situation confuse déterminée notamment par l’absence de projets à long terme.

C’est à travers cette absence de perspectives, que le travail social s’est orienté progressivement vers une forme de bricolage (6), où les ressources humaines apparaissent tout autant mal utilisées qu’utilisées de façon inégale. Il s’agit en fait, de rendre « normal » le travail social par rapport aux problèmes posés, en se basant sur des pratiques fondées sur des expériences, sur des capacités « d’appliquer ou d’adapter les règles, ou même d’inventer des règles ad hoc » (7) qui permettent de traiter les difficultés sociales dans une certaine norme. La décomposition de l’état social ainsi annoncé, a été le révélateur d’un état de requestionnement sur l’application du droit sur des populations considérées comme « sans droits »?

« De plus en plus, le travailleur social tend à se transformer en un contrôleur de la régularité juridique de la situation des exclus face à l’aide sociale et en exécutant de la règle de droit, situation qui, en raison entre autres de la culture professionnelle, est sans doute l’une des raisons du malaise professionnel actuel de ce secteur » (8).

La reconnaissance de l’argent comme la seule valeur sinon la plus pertinente de la réussite sociale, et l’individualisme perçu et pratiqué comme le principe premier de la démocratie, n’ont fait que nourrir la crise. L’institutionnalisation de cette crise reconnue par le renforcement de la pratique de la technologie au service des profits n’a fait que généraliser la crise. L’exemple des usines d’automobiles où travaillent beaucoup d’ouvriers immigrés, est assez significatif. En effet, les gains successifs de bénéfice annuel et la situation excédentaire de ces entreprises n’ont pas servi à la création d’emplois, mais au contraire, ils ont entraîné des licenciements de leurs ouvriers.

LE TRIPLE DÉCODAGE

On peut qualifier les activités des professionnels du travail social d’opération de décodage à trois volets dans la mesure où ces derniers doivent travailler sur trois publics différents :

  1. Une partie importante des tâches des travailleurs sociaux est consacrée à l’interprétation de décisions prises par les technocrates, les décideurs et souvent non praticiens.
  2. Le langage et les réalités institutionnelles de chaque service constituent une mission importante pour les professionnels du travail social. Concernant « la règle de tout dire ou de la libre expression », R. Hess et A. Savoye précisent qu’il consiste « à restituer dans les séances le non dit de l’institution (les rumeurs, les secrets, son histoire, etc.), mais aussi les appartenances sociales externes qui la traversent » (9). L’analyse et l’application des projets sur lesquels ils travaillent dépendent pour eux du degré de leur compréhension locale sur les institutions et leurs acteurs ;
  3. Le troisième et en même temps le plus important décodage de langage pour les travailleurs sociaux, se situe au niveau des usagers. Il s’agit pour eux de rendre compréhensibles puis opérationnelles les mesures sociales proposées pour lesquelles ils sont missionnaires. Cette activité de déchiffrage renvoit nécessairement à l’analyse de situation issue des réalités etde l’évaluation des besoins faites par les usagers.

Le travail de médiateur tripartite accomplit par le travailleur social ne peut se réaliser que s’il prend en compte ces trois dimensions et s’il réunit les conditions nécessaires.

Parmi les éléments essentiels qui peuvent accompagner le travailleur social à réussir dans ses mandats, la formation joue un rôle important. Les écoles qui avant tout ont une fonction de transmission d’un savoir particulièrement théorique lié aux normes de la société peuvent-t-elles accompagner les professionnels dans leurs démarches ? La question d’inadaptabilité de certaines méthodes d’enseignement dans les situations de formation à caractère scolaire, révèle l’existence de coupures entre la culture (10) des écoles du travail social et celle de futurs publics-usagers.

L’école ici, est souvent perçue, vécue, et comprise par les étudiants, non pas comme le lieu d’autoformation ou d’auto-évaluation, mais un lieu de passage obligé, sanctionnant des diplômes. Les problèmes sociaux sont traités souvent à partir de textes, de discours, et de théories, pour lesquels les étudiants n’ont rarement de place dans leur élaboration.

Cette absence de contribution, ne se limite pas à l’école. Car, l’un des problèmes rencontrés chez les professionnels du travail social, réside à ce niveau : une fois lancés sur le terrain, ils n’ont pas de lieux pour se former, s’auto-former, et s’auto-évaluer.

LA QUESTION DE L’INSERTION DES ÉTRANGERS

Les mesures proposées par les pouvoirs publics peuvent-elles répondre à la question de l’insertion des populations étrangères au sein de la société française ? Réunissent-t-elles les éléments juridiquement favorables au processus de l’insertion ?

Les réponses à ces questions montrent qu’il existe une certaine limite dans l’aboutissement des objectifs. Cette limitation peut s’expliquer à deux niveaux :

Premièrement sur le plan purement juridique ; il est pratiquement impossible d’espérer l’insertion sans l’acquisition du droit de vote. Ce droit peut assurer certains éléments fondamentaux de la réussite sociale (emploi, logement, justice sociale, etc).

Selon R. Park : « l’origine des préjugés raciaux réside dans les inégalités économiques » (11).

Deuxièmement, l’insertion de l’étranger parmi les « autochtones », ne peut se faire que si elle est accompagnée d’un travail éducatif, culturel et psychologique basé sur les mémoires collectives, écartant tout sentiment xénophobique, au sein-même de la société d’accueil,

En effet, trois thèmes caractérisent l’immigration :

L’insertion ; garder sa nationalité et sa culture d’origine tout en respectant publiquement le mode de vie et les lois du pays d’accueil mais en bénéficiant d’un rapport culturel nouveau et de la citoyenneté (12).

L’intégration ; adopter la nationalité du pays d’accueil tout en gardant des références à sa culture d’origine, acquérir des valeurs culturelles nouvelles et choisir de vivre définitivement dans le pays d’accueil.

L’assimilation ; adopter la nationalité et la culture du pays d’accueil en ne gardant que quelques caractéristiques folkloriques du pays d’origine.

G. Kepel sépare « l’insertion communautaire » avec « l’intégration individuelle ». La première démarche est élaborée au Royaume-Uni qui et la seconde parla France (13).

La réflexion apportée sur ces thèmes dans l’éditorial de ce même numéro (14), va à l’encontre de celle que nous avançons ici. La seule formule proposée dans l’éditorial pour la réussite des étrangers est représenté par le concept d’intégration. Vu la place que le terme intégration occupe aujourd’hui dans le sens commun, on peut se demander si la formule n’est pas « réductionniste ».

L’une des causes des difficultés en France, en matière de l’immigration réside dans l’association inséparable des deux thèmes nationalité et citoyenneté. Pourtant, selon la Constitution de 1793, l’obtention de la citoyenneté française pour les immigrés résidant en France depuis un an, est autorisée.

Le texte de juin 1793 de la Constitution prévoit : « Tout homme né et domicilié en France âgé de 21 ans accompli. Tout étranger âgé de 21 ans accomplis qui domicilié en France depuis une année y vit de son travail ou acquiert une propriété ou épouse une française ou adopte un enfant ou nourrit un vieillard. Tout étranger enfin qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité est admis à l’exercice des droits de citoyen français ».

Paradoxalement, dans les situations où les étrangers résidant en France ont actuellement le droit de vote, la vie collective est à la fois mieux gérée, et en même temps, elle contribue à l’insertion. On peut citer l’exemple des établissements scolaires où les élèves quelle que soit leur origine peuvent participer aux élections de délégués d’élèves. Dans les entreprises où existe une structure syndicale, tout comme les délégués du personnel, la participation de tous à ces systèmes, contribue au développement de la vie des entreprises. Dans ces deux cas cités, « l’étranger » n’a pas mis en cause la notion de la nation francaise !

Les immigrés deviennent des « bouc-émissaires » pris en otages, dans un espace politiquement et médiatiquement défavorable à leur insu. C’est dans un environnement social caractérisé parla crise où la réussite sociale et individuelle est fortement liée à l’argent (toujours plus), que cette crise attaque avant tout les couches les plus défavorisées. Les actes racistes actuellement en cours en Allemagne contre les étrangers notamment les familles turques, trouvent leur alimentation en particulier dans cette politique de « bouc-émissaire ».

C’est dans cette logique, que les problèmes sociaux les plus fréquents tels que la régularisation des situations litigieuses (carte de séjours, carte de sécurité sociale, inscription dans les équipements scolaires et éducatifs, l’obtention de logement etc…), ne touchent aucunement les familles très favorisées. Les familles des Emirs par exemple et celles des pétrodollars ne figurent pas dans l’angle d’attaque des législatives. Même si celles-ci ne parlent pas francais, et même si elles n’ont pas contribué à la construction de la France tant pendant la période de colonisation que pendant l’ère de « l’indépendance ».

AFFAMÉS LÀ-BAS, CLANDESTINS ICI

L’insertion des étrangers dans la société française, peut-elle se réaliser si celle-ci n’intègre pas officiellement le développement du pays d’origine dans sa philosophie et sa stratégie globale ? (15).

Les difficultés de plus en plus importantes des pays du sud font du phénomène de l’immigration « une donnée structurelle des relations internationales » (16). Les pays du tiers monde accueil lent environ 83% des réfugiés du monde. La Somalie avec un produit intérieur brut (PIB) par tête de 329 dollars comptait, en 1988, 137 réfugiés pour 1000 habitants ; La Suisse, à la même date, avec un PIB moyen de 20418 dollars par tête comptait 5 réfugiés pour le même nombre d’habitants (17).

On voit là, un décalage aussi bien au niveau de la richesse qu’au niveau de la solidarité envers des millions de réfugiés qui pour échapper à la guerre et à la famine, n’ont aucun autre choix que le chemin de l’exil, de l’immigration ou de l’émigration. « On estime qu’en l’an 2000, près d’un milliard d’hommes chercheront un travail dans le Tiers monde » (18).

Les différentes expressions culturelles des jeunes issus des quartiers défavorisés, vont dans ce sens. Tout en tentant de changer la situation sociale, l’émergence des expressions culturelles et artistiques, surtout chez la « deuxième génération », tente de « concilier les différents éléments de son identité, alors qu’implicitement la société le somme de choisir » (19).

– elles manifestent l’existence d’une situation qualifiée par eux de « galère » ; -en confirmant l’apparition de nouveaux phénomènes sociaux, elles exigent des pratiques sociales tout aussi récentes et adaptées, issues des aspirations des usagers ;

– elles montrent que les actions sociales classiques auxquelles, pour leur conception, les usagers n’ont aucune parole, se heurtent à l’insatisfaction. Les diverses expressions des jeunes révèlent l’idée d’une restructuration radicale du travail social garantissant la mise en place d’activités ayant pour démarche la prise en compte des cultures des jeunes – pour les jeunes originaires des pays sous-développés, elles relancent le processus d’une recherche d’identité souvent ignorée par les sociétés autochtones. « Perdre la mémoire s’est hypothéquer l’avenir » (20).

– elles confirment surtout que la cause des problèmes socio-économiques n’est pas l’étranger, mais plutôt des politiques étranges en direction des populations d’immigrés.

Les législatives ne changent rien au problème de l’immigration, tant que des mesures concrètes ne sont pas prises au niveau économique et social, et tant que les immigrés n’auront pas le droit de vote.

Mehdi FARZAD

  • (1) K. B, « Maastricht et la libre circulation », in, FORUM, n°2, Bruxelles, 1992.
  • (2) Verbunt G., L’intégration par l’autonomie, Paris : CIEMM, 1980, cité dans « Des immigrés et des villes », document réalisé par le Centre G. Pompidou et l’Agence de développement des relations interculturelles, 1983.
  • (3) Lettre du Député de Clichy-Levallois, Maire de Levallois-Perret aux habitants, 3 février 1992.
  • (4) Nous avons pu notamment voir l’Abbé Pierre conduire le dossier des sans abris et le « Téléthon » devenir la possibilité la plus efficace de la récolte de l’argent pour des malades…
  • (5) Voir PEPS n° 36 sur les « Cultures de la rue », janvier-mars 1991.
  • (6) Dumont J. L., et Gibert G., « Bricolage du social », in PEPS, n°35,1990.
  • (7) Coulon A., L’ethnométhodologie, coll. Que sais-je, 1987, p. 107.
  • (8) Barrau P., « droit et travail social : de la règle à la médiation », in, Cahier n° 1, A.D.E.U.S. et S.U.F.A-Université Aix-Marseille II, Actes du séminaire tenu en mars 92 sur le thème : Les travailleurs sociaux ont-ils encore besoin des Sciences sociales ?, Marseille II, Décembre 1992.
  • (9) Hess R., etSavoyeA., L’analyse institutionnelle, coll. Que sais-je, 1993, p. 102.
  • (10) Terme emprunté à P. Woods qui dans une approche ethnographique, distingue les cultures des maîtres à celles des élèves, L’ethnographie de l’école, A. Colin, 1991.
  • (11) Park R., Racial Assimilation in Secondary Groups with Particular Reference to the Negro, American journal of Sociologie, 1914. Voir A. Coulon, L’école de Chicago, coll. Que sais-je, 1992, p. 40.
  • (12) Jusqu’à 1981, la gauche .IPS, PC) parlait d’insertion et la droite d’intégration des immigrés. Depuis, la majorité de la gauche parle d’intégration et la droite prône l’assimilation. Aujourd’hui, seule une minorité (notamment l’extréme gauche) défend la thèse de l’insertion.
  • (13) LangellierJ. P., etTincq H., « un entretien avec G. Kepel », in journal Le Monde, mardi 16 février 1992.
  • (14) Voir l’éditorial de ce même numéro
  • (15) Curbelo D., et Dumont J. L., « Le travail social en interface », in PEPS, n° 39, avril-juin 1992, p. 37.
  • (16) Jacques A., et al, L’État du Tiers monde, Ed. La Découverte, 1989, P 21.
  • (17) Ibid.
  • (18) Veit B., et Wiebus H. O., Pourquoi le Tiers monde ?: Manuel à l’usage des jeunes générations, L’harmattan, 1990, p. 125.
  • (19) Voir « Des immigrés et des villes », op. cit.
  • (20) Bazin H., « Recit d’une mort annoncée », in PEPS n° 40, 1992.

No 41 – Les apports successifs de l’immigration

Cet article fait suite au premier texte paru sur ce thème dans le numéro 39 de PEPS ; l’auteur aborde ici la question de l’évolution juridique concernant l’immigration en retraçant parallèlement l’histoire des différentes.

DES ORIGINES A 1946

Avant 1851 : L’immigration de voisinage

Jusqu’en 1851 l’immigration a été un phénomène naturel et de voisinage, il s’agissait essentiellement d’étrangers habitant les pays limitrophes de la France ; les belges, les allemands, les suisses, les italiens et les espagnols ainsi que les anglais qui s’établissaient dans des régions proches de leur pays. Une exception les polonais qui sont partis d’un pays plus lointain et sont arrivés dans les Charentes en passant par la Marne. Cette immigration est retardée par les obstacles naturels que constituent les Pyrénées, les Alpes, le Jura et les Vosges alors que les plaines du nord la facilitent ainsi que les grandes villes comme Paris, Lyon et Marseille.

De 1851 à 1931: Une progression constante

C’est en 1851 qu’à lieu le premier comptage des étrangers résidant en France, il a lieu à l’occasion du recensement mais ne tient pas compte des habitants d’origine étrangère et naturalisés. A cette date on en recense 381000. Dès lors leurs effectifs ne feront qu’augmenter au fil des recensements. En 1931 ils seront 2 715 000 avec un pourcentage de la population totale de 6,58% égal à celui d’aujourd’hui proportionnellement. Cependant depuis 1921 sont apparues des nationalités nouvelles portugais et africains.

C’est dans cette période que se dessinent les caractéristiques de l’immigration française conséquence à la fois du ralentissement de l’accroissement naturel de la population et de l’essor économique du pays. Elle est le fait d’hommes jeunes, salariés pour la plupart qui viennent occuper des emplois en expansion ou délaissés par des français (Agriculture ,carrières, mines, bâtiment, terrassement ,métallurgie et emplois domestiques). C’est aussi à cette époque que l’on voit se dessiner les premières tentatives d’organisation de l’immigration, soit du fait d’organismes privés (Fédérations des sociétés agricoles du Nord-Ouest, Houillères du Nord et du Pas de Calais pour les mineurs polonais, Comités des forges de Meurthe et Moselle pour les italiens,    Société générale d’Immigration créée en 1924 ; soit du fait de l’État qui à partir de 1916 prend en charge le recrutement de certains migrants (Grecs, portugais et espagnols) et qui par le décret du 2 Avril 1917 crée pour la première fois une carte de séjour pour étrangers.

De 1931 à 1946: Le reflux

La première guerre mondiale avait entraîné un besoin de main d’oeuvre pour la reconstruction du pays et une relance de la prospérité économique :Avec la crise de 1931 et la deuxième guerre mondiale, c’est l’inverse qui va se produire. C’est une époque ou les premières dispositions prises par les pouvoirs publics pour ralentir l’entrée des travailleurs étrangers et encourager les départs sont prises. La loi du 10 Août 1932 posant le principe de la limitation des effectifs étrangers dans chaque secteur.

DE 1946 A NOS JOURS

Les migrations au lendemain de la guerre

La France est exsangue, l’économie est à reconstruire et la population a diminué d’environ un million de personnes. L’immigration est donc une nécessité évidente sur laquelle tout le monde s’accorde . Par contre des divergences entre organismes apparaissent sur l’évaluation. Si l’immigration est souhaitable, elle doit être maîtrisée. L’ordonnance du 2 Novembre 1 945 définit les conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers et crée l’Office national d’immigration auquel l’Etat confie le monopole des opérations de recrutement des travailleurs ainsi que l’organisation du regroupement des familles.

L’échec de l’immigration organisée

De 1946 à 1982 et malgré l’arrêt officiel en 1 974 le nombre des étrangers à augmenter progressivement ainsi que la population française dans le même temps. Cependant cette évolution a été assez fluctuante et liée à des facteurs conjoncturels et structurels plus profonds.

1946 à 1956: L’échec d’une immigration maîtrisée

Les différents organismes qui gèrent les questions de l’immigration se fixent des objectifs quantitatifs et qualitatifs : De 1946 à 1947

les entrées doivent concerner 430 000 personnes, avec un effort accentué sur l’Italie même s’il est prévu de diversifier les nationalités accueillies. Le résultat est tout autre, il n’y aura que 100 000 entrées comptabilisées par l’ON I, les algériens l’emportant sur les italiens .Par contre l’immigration salonnière est importante. A partir de 1950 l’immigration restera à un niveau très bas sauf pour les algériens qui bénéficiaient de la libre circulation.

L’ONI ne tiendra pas le rôle attendu, les procédures officiels d’introduction sont lourdes, l’accueil notamment des familles est négligé, les problèmes de logement non résolus, ce qui favorisera l’immigration clandestine encouragée par une partie du patronat. La conséquence c’est que l’image des étrangers se dégrade aux yeux de l’opinion publique.

1956 à 1965 : L’essor de l’immigration

Cette période est marquée par la guerre d’Algérie, la reprise économique et la modification du contexte international Est-Ouest.

L’ONI introduit ou régularise 430 000 travailleurs permanents, on constate alors que les espagnols, les marocains et les portugais progressent au détriment des italiens. Ces chiffres sont cependant trés éloignés des prévisions, ils prouvent que les flux migratoires échappent aux pouvoirs publics et au contrôle de l’ONI qui régularise des situations à postériori. A partir de 1962, le retour des militaires et des rapatriés d’Algérie provoque un accroissement massif de la population active nationale. L’immigration dans la même période, connait un niveau très élevé. C’est l’époque d’un net recul de l’immigration italienne, de l’essor de l’immigration espagnole (surtout familiale) et portugaise, de la reprise des immigrations marocaines et algériennes et du début d’une immigration noire africaine. Cette extension n’ayant pas été maîtrisée par les pouvoirs publics, ceux-ci vont réagir en élargissant le champ d’intervention de l’ONI, en contrôlant l’immigration algérienne et africaine noire et par l’extension de l’effort d’insertion du FAS.

1966 à 1974: Du contrôle à l’arrêt de l’immigration

Comme celle qui précède, cette période est marquée par un niveau élevé de l’immigration. Cette augmentation n’est pas linéaire, après un ralentissement entre 1966 et 1968, la reprise s’effectue de 1969 à 1970 puis chute brutalement en 1971. Des régimes particuliers apparaissent pour les travailleurs de la CEE qui bénéficient à partir d’octobre 1968 de la libre circulation et pour les algériens à partir de décembre 1968 qui pourront obtenir désormais un certificat de résident (61a fois titre de séjour et carte de travail ) mais les entrées sont contingentées. L’essor des immigrations portugaise, marocaine, tunisienne et turque se confirme.

Le contrôle de l’État s’accroît sur le processus migratoire (restriction des pratiques de régularisation, subordination de l’immigration à l’emploi et suspension de l’immigration en Juillet 1974).

De 1975 à 1982 : Une évolution récente

Cette période se traduit par une relative stabilité de l’immigration mais par une modification qualitative. Le pourcentage atteint au recensement de 1982 s’établit pratiquement au même niveau qu’il y a cinquante ans (6,8% contre 6,6%). C’est une époque qui se caractérise par un freinage important de l’immigration ,lié à la baisse de l’emploi dans l’Industrie et le bâtiment ainsi qu’aux mesures gouvernementales. Les événements politiques survenus dans certains pays (Iran, Sud est asiatique, Turquie…) ont entraîné l’arrivée de nouveaux étrangers souvent en qualité de réfugiés. Le regroupement familial pour les familles de travailleurs immigrés et un taux de natalité élevé a augmenté considérablement le nombre de jeunes et de femmes.

Au niveau du logement une amélioration s’est effectuée petit à petit, du foyer Sonacotra au « bidonville » on est passé maintenant aux appartements en HLM avec le relogement de familles entières . U n autre fait important au niveau des familles, la plupart des jeunes sont nés en France et beaucoup adoptent la nationalité française. Cependant la dégradation des conditions de vie dans les banlieues et la montée du chômage touchent en premier les populations immigrées.

En ce qui concerne les derniers chiffres du nombre d’étrangers en France, les statistiques du ministère de l’intérieur font état de 4 453 765 étrangers autorisés à résider en France au 31 Janvier 1986 ; l’INED estimait suivant ses bases au 1er Janvier 1986 que la population étrangère était de 3752 000 personnes sans les franco-algériens.

Ces chiffres traduisent donc une relative stabilité de la population étrangère et répertoriée comme telle dans la nation française (1).

Raymond CURIE, in No 41 « Les figures de l’insertion », pp 5-7


(1) Maryse Tripier, L’immigration dans la classe ouvrière en France, Ed. Ciemi L’Harmattan, 1990.

No 41 – De l’étranger à l’immigré

Comment les services sociaux construisent-ils les catégories qui définissent et désignent les populations étrangères auprès de qui ils interviennent ?

Avant de tenter d’apporter des éléments de réponse à cette question, deux remarques préalables s’imposent :

  1. A l’heure où les travailleurs sociaux interrogent leurs pratiques (quelles interventions pour favoriser l’intégration ?[1]), n’est-il pas fondamental de s’interroger sur les représentations que les intervenants sociaux ont des publics diversement appelés « étrangers- immigrés migrants-clandestins ou … beurs » ?
  2. Il apparait d’ailleurs que derrière l’image perçue de l’étranger du point de vue de l’emploi (le travailleur immigré), du point de vue du statut juridique (le résident, le clandestin) de la nationalité ou de la perception de son appartenance culturelle, (le jeune « entre deux cultures »), c’est plus profondément le rapport que la société française entretient avec l’immigration en général qui détermine la nature des vocables utilisés pour parler de ces populations.[2]

La manière dont les travailleurs sociaux nomment et caractérisent ces publics sera ici abordée à travers l’étude des modes de désignation des populations que le S S A E[3] utilise dans quelques documents écrits. (Ce n’est donc que dans cette perspective qu’il faut prendre en compte ce type de construction de catégories).

Ainsi, nous tenterons de repérer comment une classification s’effectue parmi les populations qui font l’objet des interventions du service, depuis l’après-guerre, jusqu’à une période plus récente.

Pour aller au-delà d’une description, qui montrerait l’évolution, ou les « allers-retours » dans les termes utilisés pour nommer et caractériser les « clients », en dehors du contexte socio-économique, politique et culturel qui contribue à la construction des catégories de « clientèle », nous articulerons à ce mode de classement quelques données précisant les conjonctures migratoires qui ont marqué l’histoire de l’immigration en France.

Le SSAE : Origine et champ d’activité

Afin de situer brièvement l’origine du SSAE, rappelons le caractère confessionnel à l’origine de la création de ce service : rassemblées en conférences, en 1914, les J.W.M.C.A. (Jeunesses chrétiennes), émettent le désir de répondre « à la situation dramatique vécue en Europe par les femmes et les enfants des émigrants »[4]

C’est donc dans un contexte de guerre et d’après-guerre (le service d’aide aux émigrants naîtra en 1926), de déplacements nombreux d’hommes et de familles, qu’est né ce service social. (L’association a le statut créé par la loi de 1901, et sera reconnue d’utilité publique en 1932).

A cette époque (1921-1945) le service développe une action en faveur des familles dispersées par la guerre et les événements politiques en Europe, une activité d’aide à la régularisation des étrangers selon la réglementation en vigueur, et montre un intérêt décisif aux migrations politiques (exemple : les polonais).

UN CRITERE DE CLASSEMENT

La nationalité et l’origine socio-politique des migrations

A la fin des années 1930, les étrangers lorsqu’ils sont singularisés le sont par leur nationalité et l’origine socio-politique des conditions qui les ont conduits à s’expatrier.

Si les étrangers en France en 1936 sont à 87% européens ce sont les Arméniens, Ies Américains du Nord, les Russes qui seront davantage mentionnés en 1933 dans les rapports d’activité du S S A E.

En 1937 et 1939, ce sont les Polonais, les migrants juifs, les réfugiés Espagnols qui seront le plus souvent cités. Ces derniers constitueront 8,08% des cas traités par le SSAE alors qu’ils forment 11,6 % des étrangers en France.

Les réfugiés de l’Est ; Tchéquoslovaques, Russes, Allemands, sont plus souvent évoqués par le SSAE, que les Italiens par exemple, qui pourtant représentent 32% des étrangers en 1936.

En fait les objectifs originels du S S A E conduisent celui-ci à connaître et à prendre en compte le contexte politique des pays des migrants et à y être sensibilisé. Ce sont donc les migrations à caractère politique qui seront perçues comme les « plus douloureuses » celle qui nécessitent un accueil particulier, voire privilégié et des actions spécifiques qui ne cesseront de se développer.

L’APPORT ECONOMIQUE DU TRAVAILLEUR ETRANGER

Au début des années 1950, le S S A E « comme par le passé » privilégie l’action sociale en faveur des réfugiés, et une nette distinction est réalisée : la clientèle du SSAE est partagée entre deux catégories : le travailleur étranger et le réfugié.

Le premier est caractérisé par l’appoint à la vie économique française. L’étranger, nommé aussi quelquefois : « immigré- immigrant » est donc considéré comme une main-d’œuvre ponctuelle en France : Il est un immigré « économique » venu en France pour des raisons économiques, trouver un emploi.

Le réfugié, a un statut différent : qui lui est conféré par la loi (statut de réfugié politique)[5] mais aussi par des caractéristiques soulignées par le SSAE.

Le réfugié a besoin d’être rattaché à une collectivité. Il a des difficultés matérielles importantes, que le S S A E explicite largement (logement-bas salaires, etc.) ; et surtout , il se retrouve dans l’impossibilité d’envisager un retour au pays d’origine.

Les nationalités les plus représentées dans la clientèle correspondent à celles qui existent alors en France : Italiens, Polonais, Allemands, Espagnols : parmi eux beaucoup de réfugiés.

A noter que les Espagnols constituant 16,4%de la population étrangère en France, représentent 36,68% de la clientèle du SSAE (groupe essentiellement composé à cette époque de réfugiés politiques).

Ils sont d’après le service social d’aide aux émigrants une population particulièrement en difficulté : « diminués physiquement ». Alors que les Italiens sont considérés comme plus « lucides, réalistes ».

La clientèle du service correspond alors, en termes de nationalité, à la population étrangère en France : Européenne à 72, 2% en 1954.

1956: PRESENCE DE « NOUVEAUX REFUGIES »

Après 1956, les appellations qui différencient le « migrant économique » du réfugié perdurent.

Des faits politiques tel que la nationalisation du Canal de SUEZ, les événements en Hongrie (1956) ont entraîné un flux de populations vers la France (12 000 réfugiés Hongrois-3000 expulsés d’Égypte).

A ces réfugiés, qu’évoque le S S A E s’ajoutent ceux qui arrivent du Maroc et de Tunisie, alors que le discours caractérisant les difficultés ou encore les capacités d’adaptation des uns ou des autres est fondé sur la nationalité :

  • Les « Hongrois se sont mis courageusement au travail ».
  • Les expulsés d’Égypte rencontreraient des problèmes plus aigus que les autres : déclassement professionnel, déracinement, entrainant une atteinte psychologique importante.
  • Les Italiens « débrouillards », s’adaptent facilement en France.

Le service précise par ailleurs « les migrants économiques » sont aussi plus nombreux à venir en France. (La par des étrangers dans la population totale de la France entre 1946 et 1954, passera de 39 848 à 42 781 personnes).

L’association fait le constat que les réfugiés sont relativement mieux installés en France, que les migrants économiques. Ceci est expliqué par « leur désir de se fixer en France »[6]. Tout se passe comme si les réfugiés politiques du fait de leur « expatriation forcée » bénéficiait d’une meilleure « image ». On retrouve ici les principes fondateurs, et l’origine du SSAE : accueillir les populations contraintes à quitter leur pays du fait des guerres, etc.

ANNEES 60 : la nationalité comme principe de distinction

Après 1962, la distinction réfugié-migrant, existe toujours. Mais ces derniers sont l’objet de la plupart des commentaires portant sur les clients reçus par le service.

Ils deviennent une clientèle plus nombreuse. C’est par la nationalité ou le groupe d’âge, que sont distingués les migrants appelés, « travailleurs migrants, émigrants.[7]

Le continent d’origine sert à distinguer les populations et la nature de l’expatriation apparaissent : « les Africains », « les repliés d’Algérie » …, ces derniers formant une catégorie à part.

Plus précisément, certaines nationalités d’après l’association connaissent » plus de difficultés » que d’autres du fait d’un ensemble de caractéristiques qui leur sont propres : « les Africains sont inadaptés au travail en France »… En fait, la singularisation parla nationalité et par le continent d’origine est fondamentale pour le service. Celui-ci se défend d’établir une hiérarchie parmi la population étrangère : pourtant, il semble qu’il ait à l’égard d’une fraction de cette population une perception assez négative.

Ainsi en est-il des Yougoslaves « souvent clandestins »: « les yougoslaves sont instables, peu intéressés à améliorer leur techniques de travail. »[8]

IMMIGRATION NOUVELLE, IMMIGRATION ANCIENNE

Au delà des caractéristiques diverses attribuées à chaque nationalité, les immigrations « plus récentes » qui marquent les conjonctures migratoires dans les années 1960, considérées comme « nouvelles », font l’objet des remarques suivantes : « ce sont celles qui posent les plus grands problèmes d’adaptation » ; mais pour certaines nationalités, les « difficultés persisteront, alors que d’autres seront « rapidement assimilés », indique le S S A E.[9]

1974 : L’ÉTRANGER DEVIENT L’ÉMIGRÉ

Au début des années 70 , deux faits sont marquants :

Il est de moins en moins question de réfugié, lorsqu’est évoquée la population cliente du S SA E; d’ailleurs la part des étrangers originaires d’Europe (d’où provenaient beaucoup de réfugiés ) dans la totalité de la population étrangère , passe de 88,% en 1946 à 60, 7% en 1975 pour ne représenter que 47, 6% en 1982)

Les « migrants économiques », de 14 viennent les « émigrés. Les travailleurs émigrés, les familles émigrées ». Ce sont des vocables issus des mots migration-émigration qui sont le plus souvent utilisés pour désigner la population alors que le terme « étranger » apparait moins fréquemment dans les écrits du service.

Ce dernier permettait par le passé au SSAE de différencier parmi sa clientèle les réfugiés des « autres » . Or depuis le début des années 1960, et ce de manière continue, la part des réfugiés politiques s’est transformée pour ne devenir qu’une faible proportion de l’ensemble des personnes touchés par le service.

Alors que durant les années 1960 « les entrées de migrants font un bond quantitatif qui s’accompagne d’un renouveau des nationalités d’origine »[10], la part des étrangers en France, est définie par le service, à travers un mode de désignation qui indique qu’au-delà du fait que celle-ci soit de nationalité étrangère, cette population provient d’une « immigration ».

La perception de ces populations est signifiée à travers la place que celle-ci occupe dans un espace économique -« le travailleur émigré »[11].

En fait, moins que la nationalité, c’est l’augmentation de leur nombre parmi la clientèle du S S A E entre 1969 et 1974, qui parait être l’indicateur déterminant dans la manière dont l’association caractérise les « émigrés » auprès de qui elle intervient.

(Les statistiques indiquent une augmentation de la présence de la population étrangère en France en 1975 : 6,54% contre 5,28% en 1968).

D’ÉMIGRÉ A IMMIGRÉ

Durant la fin des années 1970 (de 1975 à 1978), c’est en parti à travers le terme « immigré », que seront nommées les populations étrangères.

Correspondant à l’évolution de la structure familiale des étrangers en France (« la part des étrangers de moins de 25 ans dans la population française est passée de 6,6% en 1975 à 7,5% en 1992 et l’accroissement du nombre des familles dans un contexte de crise a ravivé les polémiques sur la cohabitation inter-ethnique et sur le fameux » seuil de tolérance[12]« ), le S S A E évoquera de manière significative la « présence parmi sa clientèle d’une « deuxième génération ».

Ces quelques repères permettent de comprendre que les appellations qui définissent « la clientèle formée par les étrangers » sont au moins en partie déterminées par la nature même des conjonctures migratoires. Nul doute que la nature de la législation qui réglemente le droit au séjour et au travail des étrangers, participe à la construction de ces catégories (qui parle encore de travailleur immigré quelques années après la suspension de l’immigration en 1974 et à notre époque où chacun clame haut et fort que la France ne peut plus accueillir de nouveaux « immigrés »?), mais ceci est une autre histoire …

Faiza MAHJOUB GUELAMINE, Formatrice à l’IRTS de Montrouge


[1] Voir « Femme immigrée, d’une rive à l’autre », in PEPS n° 40 juill/ sept 1992.

[2] Voir l’article de F. GASPARD : « Assimiler.,.;’ in HOMMES ET MIGRATION, mai 1992,

[3] Le Service Social d’Aide aux Emigrants.

[4] HACKETTE A. M., « le SSAE », in droit social n°1 janvier 1977.

[5] Statut défini par l’article 1 de la convention de Genève 28/7/51.

[6] Il faut signaler l’existence de la Charte des réfugiés signée en 1954, développant l’attribution d’aides légales, de pension pour les « vieillards réfugiés ».

[7] Le terme « migrant » invoque la durée du séjour des étrangers, qui sont considérés en France pour « un temps ». Le participe présent utilisé illustre ce que A. SAVED appelle  » l’illusion d’une présence nécessairement provisoire … », in « l’immigration ou les paradoxes de l’altérité », éditions universitaires DEBOECK université, 1991.

[8] Il peut être significatif de relever la nature du discours qui caractérise les étrangers qui n’obtiennent pas, ou moins facilement que d’autres, un titre de séjour. L’image des « clandestins », dans les propos que tiennent le pouvoir politiques, les médias, induit forcement des connotations négatives.

[9] On retrouve ici les références au classement établi par la thèse de MAUCO, reprise par les pouvoirs publics en 1938, classant les étrangers à travers une perception qui vise à définir « apriori » des catégories assimilables et d’autres inassimilables : voir l’ouvrage de P. WEIL La France et ses étrangers, coll, CALMAN-LEVY, édition FONDATION ST SIMON 1991.

[10] Voir l’ouvrage de TRIPIER, M., L’immigration dans la classe ouvrière en France, Coll. CIEMI L’HARMATTAN, 1990.

[11] Voir ici l’introduction de l’ouvrage d’A. SAVED, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, p.18. (….) Cette présence est totalement justiciable de la raison ou de l’alibi qui est à son principe et qui est ici le travail, auquel elle est ou devrait être, en bonne logique, totalement subordonnée.

[12] Voir Maryse TRIPIER, Les immigrés dans la classe …, op. cit

No 41 – Le foyer d’Alfortville communique

Un foyer d’hébergement est un lieu où se reproduit la culture d’origine. Doit-il pour autant rester fermé sur lui-même ou bien s’ouvrir et communiquer avec son environnement ? Les résidents réalisent que leur mission de développement villageois passe aussi par la reconnaissance et l’intégration de leur foyer dans l’espace urbain d’Alfortville 

Les actions menées depuis 91 par la Commission de la Vie Associative, composée d’une douzaine de membres, eux-mêmes dirigeants ou faisant partie d’une « association villageoise » et de membres du Comité des délégués du foyer, ont été, avec le soutien des Sages, à l’origine des transformations de la vie dans le foyer. Ces actions ont donné à la communauté malienne un nouveau dynamisme et ont permis d’améliorer l’image un peu ternie du foyer dans la ville.

Par ces initiatives, nous avons favorisé une attitude plus positive de nos frères à l’égard de leur situation, en mettant sur pied une structure leur permettant d’élaborer un nouveau réseau d’entraide, de confronter leurs idées et expériences des projets de développement et, en conséquence, de pouvoir concevoir des projets avec plus d’efficacité. Par ailleurs, nous avons aidé à la création d’autres groupes associatifs villageois.

En mettant en rapport des groupes avec les différentes formes d’entraide existant en France, nous avons incité les résidents et les associations villageoises à réfléchir sur leur rapport à la société d’accueil et nous avons demandé aussi aux associations locales, services sociaux municipaux et police d’Alfortville de se repositionner vis à vis de la communauté malienne.

Ce projet mérite une continuité et un approfondissement des actions menées depuis plus de deux ans perdes bénévoles qui ont sensibilisé à ces idées l’ensemble du foyer.

Les principaux objectifs sont de faire connaître la vie quotidienne des maliens d’Alfortville et de diffuser les réalisations des associations villageoises et des autres regroupements communautaires traditionnels. Faire que des échanges aient lieu autour des projets de développement au Mali et d’intégration en France.

Il semble que beaucoup de nos partenaires français croient que la participation des migrants au développement des villages d’origine est un fait récent. En réalité, cela a commencé avec l’immigration. Le seul fait nouveau : les regroupements traditionnels ont été récemment légalisés (loi 1901) et sont donc davantage connus à l’extérieur.

L’IMMIGRATION DES SONINKE (1958-92)

Le début de l’immigration de la zone sahélienne se situe entre 1958 et 59, juste avant l’indépendance et répondait à une demande de main d’oeuvre de la France. Les raisons qui nous ont poussés à venir sont des raisons économiques.

Dès 68, la situation a changé : l’immigré, qui travaillait pour faire des économies et se réinstaller au pays est devenu le principal soutien alimentaire de toute une famille.

A partir de 74, l’idée est venue que les immigrés de chaque village commencent à créer des regroupements communautaires villageois ayant pour objectifs de répondre aux besoins du village

Agents de développement au Mali, souvent à partir de maigres ressources et, dans d’autres cas, avec l’aide de certaines ONG et de municipalités, les immigrés ont ainsi construit des écoles, des dispensaires et des pharmacies, ils ont financé des coopératives de consommation, ils ont valorisé des terres de cultures par les barrages, l’irrigation, ils ont également multiplié les points d’eau potable par la création de puits et l’installation de pompes manuelles et mécaniques.

Toutes ces petites réalisations contribuent à élever le niveau de vie des populations, tandis que l’immigré qui réside en France perd ses droits en matière de séjour, de protection sociale, en cas d’absence prolongée du territoire français. Il perd aussi son travail et, malheureusement, aucune législation n’a été mise en place pour sa protection.

Pour ces actions, pouvons-nous être reconnus économiquement et socialement comme acteurs et agents de développement, des agents économiquement et socialement indispensables à l’amélioration des conditions de vie de nos communautés ? Il semble urgent de pouvoir sortir de l’impasse et d’utiliser toutes les ressources disponibles au sein de la communauté malienne pour rendre à cette dernière son autonomie.

Nous avons donc besoin de partenaires prêts à discuter avec nous sans essayer de nous imposer des idées toutes faites, bref à ne pas nous considérer comme de grands enfants qu’il faut assister.

LES ASSOCIATIONS VILLAGEOISES REGIES PAR LA LOI 1901

Une association villageoise est le regroupement des ressortissants d’un même village ou du regroupement d’un village et ses hameaux, des cultures transmises depuis les origines.

En fait, cette forme associative est compatible avec nos traditions car elle a toujours existé dans le passé avec nos anciens. En dehors des chefs traditionnels, un groupe est choisi et élu pour gérer la destinée de la communauté. Ce groupe est celui des Sages.

Les associations villageoises ont commencé à se créer aux environ de 7980. Elles avaient pour but de promouvoir le développement villageois. Une grande partie des responsabilités ont été déléguées aux jeunes, car ils sont plus instruits scolairement que les anciens. Les jeunes peuvent mieux prendre en charge le fonctionnement de l’association et, par exemple, laisser des traces écrites des dépenses effectuées.

Le rôle des Sages n’est pas pour autant négligeable, car rien ne se fait sans leur approbation (au niveau de l’association en France et au village d’origine). Le chef de village demande toujours l’avis des Sages pour toute décision engageant l’avenir du village.

L’approfondissement de l’expérience des maliens d’Alfortville rend nécessaire la consolidation de tous ces projets en matière de développement des villages d’origine. Pour réussir l’intégration il faut qu’il y ait poursuite du développement villageois. Il est nécessaire que nous sachions nos familles à l’abri de certaines intempéries et cela est faisable, parfois, avec peu de moyens.

CREATION D’UNE « COMMISSION DE LA VIE ASSOCIATIVE »

En 1991, les résidents du foyer SOUNDIATA d’Alfortville et le directeur du foyer se sont réunis autour d’une table pour créer une Commission de la vie associative. Que veut dire « Commission de la vie associative » ? C’est mettre les associations villageoises en rapport les unes avec les autres, car chacune de ces associations travaillaient à part, elles ne se consultaient pas.

Il n’y avait pas de dialogue entre elles. Grâce à cette commission, 1 es associations se sont, aujourd’hui, regroupées et se réunissent toutes les deux ou trois semaines pour exposer les idées de développement de leurs villages d’origine et pour discuter des problèmes d’intégration en France. Le résultat est que la sensibilisation a été efficace et qu’à l’intérieur du foyer, d’autres groupes et commisions ont vu le jour: commission de sécurité, troupe de musique, commission santé, équipe de football, groupe d’alphabétisation, atelier écriture…

LE « FOYER-VILLAGE »

Le foyer représente pour nous, tout d’abord, un lieu de regroupement. C’est aussi la poste ; c’est par cette maison collective qu’on peut avoir des nouvelles du pays et des villages, c’est un lieu de communication, le tissu central qui relie les immigrés. La vie du foyer, c’est l’assurance de notre identité et la garantie individuelle pour chacun (nos cotisations collectives couvrent les nécessiteux qui sont parmi nous).

Cette vie communautaire fait partie de nos traditions soninkés. L’expérience nous montre que depuis le temps de la culture du coton et de l’arachide au Sénégal, elle a été leur ligne de conduite. Une fois que l’immigration est arrivée en France, nous avons continué le même système.

Le foyer d’Alfortville est situé d’abord au 21 quai d’Alfortville. Le 23 mars 1971, les nouveaux locaux deviennent foyer Soundiata d’Alfortville au 4 rue des Alouettes. Avec l’arrivée de la nouvelle génération, des rapports se sont tissés entre la commune et le foyer. Nous participions aux manifestations culturelles et réciproquement, la commune participait à nos activités.

Mais depuis plus d’une dizaine d’années le foyer, que nous estimons partie intégrante de la commune, s’était isolé et renfermé sur lui-même, au moment où nous avions besoin de partenaires pour les multiples activités que nous menions au sein de notre communauté. Voilà pourquoi le foyer a pris l’initiative de renouer avec la commune.

JOURNEES ORGANISEES PAR LA COMMISSION DE LA VIE ASSOCIATIVE

Pour communiquer avec l’extérieur, les résidents du foyer ont organisé des manifestations avec la collaboration d’ONG, d’associations et de travailleurs sociaux de la commune.

La première journée a eu lieu le 4 juillet92, la deuxième le 17 octobre 92, grâce à l’action de la C.V.A. Cela a permis de mieux faire connaître la vie sociale et culturelle des résidents et leurs activités de développement pour leurs villages d’origine.

Ces « opérations portes ouvertes » ont permis de rompre avec de longues années d’isolement, si bien que les résidents ont demandé que ces manifestations se renouvellent plus souvent.

FOYER, LIEU D’ECHANGES ET DE RENCONTRES

Le foyer, n’est pas seulement un dortoir, c’est aussi le lieu des rencontres de tous (artisans traditionnels, cordonniers, bijoutiers, tisserands, tailleurs, griots). C’est aussi le point de départ de tous les projets de développement villageois et le siège de nos associations. Enfin, le foyer est un lieu où le dialogue est possible avec nos familles, où nos enfants retrouvent leurs racines culturelles.

LE FOYER CREE UN ATELIER D’ECRITURE

Notre objectif : retrouver la mémoire de nos villages, comprendre le sens de ce que nous faisons ici (particulièrement notre rôle d’agents de développement et d’intermédiaires entre ici et là-bas) et nous voulons le faire savoir en dehors de notre communauté.

C’est pour cette raison que nous voulons écrire nos projets en français. L’atelier d’écriture a été crée et démarre au foyer dans ce but. Il fonctionne de la façon suivante : nos conversations sont enregistrées et, petit à petit, nos souvenirs, nos expériences et ce que nous pensons aujourd’hui trouvent une expression dans la langue française.

Pourquoi tenons-nous à faire savoir que le foyer est le centre de tous ces projets, le siège de toutes ces associations ? Pour montrer malgré ce qu’on peut dire dans la presse qu’il n’y a pas au foyer que des côtés négatifs.

L’opinion en France doit être sensibilisée aux projets de développement initiés par les immigrés. Ces derniers doivent être reconnus comme agents de développement dans leurs villages et comme acteurs et partenaires ici, car sans développement là-bas, il n’y a pas d’intégration possible ici.

Commission de la Vie Associative et Atelier d’écriture

No 41 – Entre intégration et retour

L’accompagnement social des étrangers en France, quelle alternative, quelles méthodes ?

« Tout homme ou femme sur cette terre peut se sentir immigré, car il a quitté des lieux, des gens, des sensations, un monde, celui de son enfance, qu’il ne retrouvera plus jamais » Joseph Brodsky, poète russe devenu citoyen américain

Le retour des immigrés dans leur société d’origine est- il pensable ? Mais ne signifie-t-il pas, dans ce cas, échec de l’intégration dans le pays d’accueil ? Les deux termes sont-ils irréductibles, ou bien faut-il les comprendre l’un et l’autre comme les deux faces d’une même réalité ? Ce qui nous inciterait plutôt à élaborer une conception autre de l’accompagnement social des étrangers résidant en France ?

Le développement de l’immigration familiale et l’arrivée progressive, sur le marché du travail, des épouses et enfants de migrants ont consolidé, ces dix dernières années, la tendance à la stabilisation et à l’autonomisation du phénomène : installation permanente de communautés, bien qu’elles aient été durement touchées par la crise (1) et malgré les pressions du pouvoir politique et de l’opinion publique (licenciements, incitations au retour depuis 77, expulsions jusqu’en 81 et après 85, restriction des groupements familiaux en 84, etc.). Ces mesures pour lutter contre la stabilisation de l’immigration ainsi que la vague de xénophobie enregistrée depuis quelques années, ont visé tout particulièrement les étrangers originaires des pays du Maghreb et de l’Afrique Noire dont les effectifs augmentent, cependant, régulièrement. (2)

UNE INTEGRATION PROBLEMATIQUE

Le nombre d’ouvrages et d’articles traitant, ces vingt dernières années, des populations immigrées en France et des difficultés qu’elles rencontrent (pour trouver du travail, un logement, avoir une scolarité normale etc.) est impressionnant à tel point que l’on doit se demander si cet apport considérable d’informations a permis d’y voir plus clair et de mettre en œuvre des solutions adéquates. On ne peut, malheureusement, que faire le constat suivant : malgré l’effort de sensibilisation auprès de la population d’accueil, les difficultés demeurent et s’aggravent même. les informations diffusées ont paradoxalement eu pour effet d’offrir à l’opinion publique les immigrés comme problème, enfermant ceux-ci dans un cercle vicieux (immigration = problème).

L’accoutumance à une telle représentation généralisante des faits est rapide parce que pratique et l’on finit par vivre avec ce « problème » vide de sens et, en quelque sorte, banalisé.

En outre, la politisation du « problème immigré » a contribué à donner à celui-ci un contenu en le liant à la réalité du chômage, de l’insécurité, de la « crise » en général et en posant la question de savoir jusqu’à quel « seuil » les immigrés étaient tolérables en France. Une conséquence en a été le renforcement de leur exclusion en les caractérisant soit comme relevant d’une gestion à part et d’une assistance spécifique en marge des solidarités sociales, soit comme une menace pour la société française (son économie, ses valeurs).

Entre l’euphémisme (3) qui évacue les véritables questions (de droit particulièrement) et la caricature qui les désigne comme indésirables et de trop dans notre société, les immigrés se voient pratiquement contester, aujourd’hui, la possibilité d’une réelle intégration (incitations au retour, tracasseries

UN ETAT DE PRECARITE PERMANENT

S’il convient de souligner ces faits comme graves, il est d’autant plus nécessaire d’en rechercher le sens : le « problème » est-il là où l’on veut le situer, est-il celui des immigrés en France ou, dans la perspective inverse, celui de la France ? Comme l’écrit A. Sayad : « Alors que chaque société croit traiter des autres et de leurs problèmes (…), alors qu’elle feint de « sortir d’elle-même », elle ne se pose en réalité que les problèmes qui sont les siens. » (4)

Ainsi, le repli communautaire peut ainsi être expliqué à la fois comme un mécanisme de défense des immigrés contre leur propre angoisse au terme d’un itinéraire qui ne les a menés nulle part(5) et contre les agressions dont ils sont l’objet de la part d’une fraction de la population française.

L’ambiguïté de la situation immigrée doit être également décrite comme l’effet d’une « illusion collective » entretenue par tous « d’un état qui n’est ni provisoire ni permanent, ou, ce qui revient au même, d’un état qui n’est admis, tantôt comme provisoire (en droit) qu’à la condition que ce provisoire puisse durer indéfiniment et, tantôt, comme définitif (en fait) qu’à la condition que ce « définitif’ ne soit jamais énoncé comme tel ». (6)

Cette double contradiction, a été, de fait, intériorisée comme un modèle d’adaptation (ou d’inadaptation, par exemple, la question du logement aujourd’hui) offrant du moins un équilibre précaire, peu tolérable, mais chronique. Cette contradiction, l’immigré l’a faite sienne et la rationalise. Comment pourrait-il, d’ailleurs, faire autrement puisque le paradoxe de son existence même est de ne pas avoir de place et pourtant d’être là ? L’état d’alternance, dans lequel les immigrés se trouvent, ne leur offre, de prime abord, qu’une issue : la consolidation de relations communautaires sur la base d’une reconstitution de leur culture originale. Cette stratégie, outre qu’elle leur garantit une certaine sécurité matérielle et affective, apparaît aussi, parfois, comme une tentative pour réaliser (de façon fantasmatique) ce retour impossible à l’intérieur d’un espace marginalisé et, de ce fait, également en rupture avec la société d’origine.

QUELLE ISSUE ?

Que dire alors quand s’élabore, se décide un projet de retour au pays ? Quelles sont les causes de ce projet ? une réussite économique permettant de revenir avec un statut social valorisé, une sécurité matérielle et financière ou l’échec d’une intégration qui engage une personne à partir ?

Partir vivre ailleurs correspond au désir de mieux vivre et, pour justifier ce choix, il faut réussir, (on connait l’immigré en vacances chargé de cadeaux et donnant l’illusion d’avoir réussi.). L’acte d’émigrer équivaut aussi à une critique formulée à l’égard du pays d’origine. L’émigré cherche autre part ce qu’il ne peut trouver chez lui ; il part à la conquête d’un mieux réel ou idéalisé. La façon dont il va être accueilli, sa capacité d’adaptation, l’image positive ou négative qui lui est renvoyé (incompréhension, racisme, etc.) va donc jouer sur la durée et la réussite de son implantation

D’autres éléments rentrent aussi en ligne de compte : l’âge, le sexe du migrant, sa situation familiale, le temps d’immigration, les liens maintenus là-bas (concrétisés par les allers-retours et le sentiment qu’on a toujours une place au pays).

Ce qui est sûr, c’est que le retour reste une éventualité permanente, car l’attachement à la société d’origine est fort et les conditions de vie difficiles qui leur sont faites amènent les immigrés à désirer ce retour, même s’il s’avère irréalisable. Dans de nombreux cas, cette perspective est évoquée dans un avenir plus ou moins lointain et incertain : « quand les enfants auront terminé leurs études » ou bien « à la retraite ». On peut se demander avec H. Le Masne, au sujet des immigrés Algériens,  » s’ils ont voulu véritablement formuler des projets de retour, au sens précis du terme, ou simplement exprimer leur aspiration à regagner le Pays »(7)

Raisonner à partir de ces deux extrêmes n’est pas suffisant, il faut considérer les itinéraires individuels, les attitudes à l’égard du pays d’origine et du pays d’accueil des personnes se situant dans une problématique de retour, sans oublier le contexte économique et socioculturel dans lequel cette problématique s’inscrit. En effet, le départ du pays d’origine implique que l’on quitte une communauté, des parents, une place reconnue. Ce départ est souvent accompagné de culpabilité par rapport à ceux qui sont restés, aux proches. Le maintien des liens en particulier avec la famille, le besoin de l’aider financièrement. Le rôle de soutien n’efface pas toujours ce sentiment d’avoir « abandonné » les siens. Un projet de retour, s’il se réalise doit s’inscrire dans un cycle, une étape de vie.: deux femmes projettent le retour à la retraite du mari ou du couple : « Nous attendons notre retraite pour repartir dans notre village où nous avons construit une très belle maison »(8).

LES OBSTACLES AU RETOUR

En outre, le développement du sous-développement des pays du Tiers-Monde (qui subit actuellement les contrecoups de la crise des nations industrialisées dont leur économie est dépendante) suscite -selon la logique même du développement inégal-des migrations vers l’Europe. Ces pays « de la périphérie » se trouvent également dans l’incapacité d’assumer le retour en nombre de leurs migrants faute d’infrastructures locales créatrices d’emplois. Par ailleurs, le niveau peu élevé de qualification professionnelle auquel ils ont été maintenus, ne permet pas aux travailleurs immigrés de se réinsérer convenablement dans leur société d’origine : c’est le cas des Algériens qui devront, s’ils rentrent, retrouver un emploi, un logement dans une ville (de paysans, ils sont devenus citadins).

Ils ont également pris « l’habitude de la France », habitudes de consommation et d’une certaine liberté », gain appréciable par rapport à la tradition vécue comme contraignante et à laquelle ils pensent échapper « ici ». En réalité, les choses sont plus complexes : leur souci de liberté s’accommode souvent de la reproduction, au sein de leur communauté, des règles les plus rigides de cette tradition, cependant qu’ils regrettent que le pays n’y soit plus conforme, qu’il ait « évolué ». Eux aussi ont changé et ce décalage leur fait apparaître un éventuel retour comme une seconde émigration, une épreuve qu’ils préfèrent éviter. Le retour demanderait une nouvelle adaptation. Les difficultés à se réintégrer vont-elles les mettre dans un statut d’étrangère dans leur propre pays ce qui ne peut-être que douloureux, car cela peut aller jusqu’à se sentir nulle part.

Enfin, il y a les enfants qui ont grandi « ici » et dont la scolarisation constitue un espoir de reconnaissance sociale en France (9) elles ne peuvent envisager le retour qu’une fois l’éducation des enfants terminée. Là encore on est dans un cycle :  » Tous mes enfants et petits-enfants sont ici, comment les laisser ? » (10) Pour un Malien qui nous raconte qu’à l’inverse ses enfants sont « là-bas », retourner signifierait renoncer au développement de son village (voire de sa région) qu’il finance grâce à son salaire d’immigré. C’est l’avenir de tous ces enfants qui est en jeu et son « sacrifice » est le prix à. Payer (11).

La migration comporte la confrontation et l’acquisition de nouvelles libertés, particulièrement en ce qui concerne les femmes. Trois femmes interrogées nous ont parlé de leur autonomie aujourd’hui. Ces acquis qu’elles tiennent à conserver, elles les perdraient en cas de retour : « si je retournais, j’aurais d’énormes difficultés d’adaptation, on me regarderait et on me jugerait parce que j’ai trop changée (…) Je ne pourrai pas m’habituer la mentalité de mon village »(12), ou bien : « Ici je travaille, je gagne ma vie pour moi et mes enfants, au pays, c’est la famille qui déciderait tout »(13), ou encore ce sentiment de culpabilité dont nous avons parlé, mais au second degré, celui qui cumule l’angoisse d’être parti et celle de revenir: « A plusieurs reprises, je me suis dit, « je vais revenir ! », mais je n’ai pas pu, celui qui part est toujours coupable de quelque chose »(14)

Pour certains le retour est totalement exclu. Arrivée en France comme réfugiée politique et malgré les changements survenus dans son pays, une femme hongroise nous déclare : « Je ne peux vivre en Hongrie, il y a trop de mauvais souvenirs ».

QUESTIONS SUR LES ROLES REELS OU POSSIBLE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX DANS LE CHAMP DE L’IMMIGRATION

Le travail social a-t-il aujourd’hui les moyens d’intervenir dans le champ de l’immigration ? (suppression du travail social dans les foyers en 1982, position un peu extérieure du SSAE par rapport au terrain, etc.). En outre, certaines communautés ont eux-mêmes leurs systèmes de régulation et d’entraide (Africains, Asiatiques) et, de ce fait, contact et dialogue ne sont pas immédiatement réalisables. A cela s’ajoute une méfiance à l’égard des travailleurs sociaux parfois perçus comme agents de contrôle.

Cette représentation est souvent due la position institutionnelle des TS (agents de l’État), mais également au fait que les travailleurs sociaux proposent le retour comme la seule solution possible en raison d’une situation qu’ils jugent peu tolérable pour l’immigré lui-même et peut-être aussi pour eux…(pas d’emploi, logement précaire, accumulation des handicaps, rejet par la population etc.). Ils ignorent -en voulant seulement être opérationnels et « rendre service »- qu’un retour serait peut-être encore plus douloureux pour l’intéressé. Mais il faut surtout souligner que leur institution ne leur donne pas les moyens d’accompagner d’éventuels retours de façon cohérente et sensée.

Dans ces conditions la question se pose aussi de savoir comment se positionnent à l’égard de la répression policière. C’est le problème des TS devant les sans-papiers ou d’autres situations mal définies où il existe un vide juridique. Peuvent-ils, doivent-il aller jusqu’à l’illégalité pour être à même de proposer des solutions acceptables ? (15)

Il semble en tout cas manifeste que l’action sociale doive développer son effort pour qu’un sens puisse être retrouvé ; cela consiste, ici, à permettre aux immigrés de construire une identité nouvelle et de se faire reconnaître dans cet effort, ce qui correspond, d’ailleurs, à une définition récente et officielle de l’intégration (16) Pour cela, un travail réel sur les projets personnels ou collectifs des usagers nous semble nécessaire (17).

Il n’y a, en effet, véritablement de retour que comme projet construit avec accompagnement social, ce qui ne peut effectivement se réaliser que dans un développement à l’échelle locale en France (quartier, immeuble, foyer) et dans la société d’origine (quartier, village). Il s’agit de suivre, en appui personnalisé, la réinsertion économique et sociale de la personne ou du groupe (18) ; à ce titre, on pourrait avancer que l’action sociale doit de plus en plus quitter le Centre ou le bureau pour se porter sur le terrain.

C’est de ce type de retour dont il faut parler plus précisément et à la réalisation duquel il faut investir davantage, quitte à mener des campagnes de sensibilisation et alerter les autorités publiques sur l’intérêt (social, mais aussi économique) d’une telle opération. Le retour éventuel d’immigrés ne peut être conçu et décidé que par eux comme projet, ce qui implique qu’il se constitue au sein d’un réseau de partenaires (dont les travailleurs sociaux). C’est en ce sens qu’il peut être dit fiable et faisable et que l’action sociale peut se montrer, à travers lui, efficace

Un retour qui a un « sens » puisqu’en créant de nouvelles structures, il change les données du problème. Ce qui démontre qu’il n’y a de retour possible que si l’intégration est réalisée au préalable. Si on est sans repère, en recherche d’identité, sans lien, non seulement on ne peut concevoir et produire un projet cohérent, mais on risque fort, en outre, d’échouer dans sa réintégration au pays et de se retrouver perdu ; dans un espace hors du social. Le retour n’est jamais un moyen de régler une situation impossible, il est une fin, il doit donc avoir un sens.

Cette problématique de l’immigration interroge, comme révélateur (19), la profession elle-même, ses pratiques à l’égard des immigrés comme dans d’autres secteurs de la vie sociale. Conduire l’intégration c’est créer du lien social ; sur ce terrain, un défi est lancé aujourd’hui aux travailleurs sociaux, leur responsabilité devant l’usager est engagée, leur professionnalité est en jeu.

Tecla CAPECCHI Béatrice CHAILLOUX, Assistantes sociales
Jean-Luc DUMONT, sociologue

  1. De 1975 à 1982, le taux de chômage des étrangers passe de 4,6 à 14% alors que celui du chômage national varie de 3,2 à 8,7% (source : INSEE).
  2. L’exemple algérien est significatif pour montrer que les réductions d’emplois sont sélectivement opérées, non seulement par secteurs, mais surtout selon l’origine culturelle et la nationalité du migrant : le recensement de 82 indique que, depuis 1975, la population algérienne en France s’est accrue de 1%, tandis que, dans le même temps, le nombre des actifs ayant un emploi régresse de 19%. Par contre, la population portugaise baisse de 1,2% avec une augmentation de 2% des actifs ayant un emploi.
  3. Consistant, par exemple, à remplacer « les Arabes » par les « Maghrébins » ; le premier terme apparaissant comme une violence (le peuple ainsi désigné étant souvent confondu avec une « race »). Mais le second terme ne constitue-t-il pas lui aussi une violence puisque, sous un semblant de neutralité et de pudeur, il refuse à des hommes toute appartenance à une communauté nationale ?
  4. A. Sayad : Les usages sociaux de la culture des immigrés, Paris, CIEMM, 1978, p.2.
  5. « Quand j’ai compris qu’en ayant choisi de venir ici, je m’étais laissé prendre à un piège, j’ai commencé à mordre mes doigts jusqu’à l’os, à serrer mes poings dans mes poches et parfois en les ouvrant il y avait des traces d’ongles sur mes paumes ; à ronger ma chair, à sucer mon sang, à perdre des kilos ; à ne souhaiter plus rien, ne vouloir plus rien. Salive ou grain de sel, c’est la même chose. Plus aucun sentiment, plus rien , plus rien. Un corps, une tête, en résonance, en vibrations, des douleurs, souffrances sans but. » Bouziane Zaid : « Ici ou là-bas », in : L’immigration maghrébine en France, Les temps modernes, n° 452-453-454, mars-avril-mai, 1984,p. 1793.
  6. A. Sayad : Qu’est-ce qu’un immigré ? Peuples méditerranéens, n°7, avril-juin 1979, pp. 3-4.
  7. H. Le Masne : Le retour des immigrés algériens, O.P.U., CIEM, Alger-Paris, 1982.
  8. Espagnole, 45 ans, mariée, sans profession.
  9. Espoir souvent déçu du fait de la marginalisation de ces enfants à l’école (et de l’échec qui s’ensuit fréquemment) et plus encore, du fossé que l’école creuse entre parents et enfants.
  10. Hongroise, 56 ans, mariée, sans profession.
  11. « Lorsqu’on a commencé il faut toujours lutter jusqu’à notre dernier jour de vie, parce que tous ces projet qu’on avait mis en place, moi je vois pas le retour aujourd’hui. On a un centre de santé grâce à nous, les ressortissants, on a une banque céréales ,on a un magasin coopératif, on a des forages qui font vivre le village et tout ça est pris en charge par les ressortissants et nous, les ressortissants, on s’est bien mis dans notre tête qu’il faut toujours continuer et avoir des solutions qui pourront soutenir les projets. On ne désire pas retourner avant de trouver les solutions qui peuvent soutenir les projets commencés là-bas, sinon tout ça sera zéro, c’est comme si on foutait tout en l’air. Alors, nous, notre idée c’est de développer le village pour une continuité pour nos enfants pour qu’eux, peut-être ils restent sur place et vivre là-bas au lieu d’aller faire l’émigration comme nous. Mais pour nous, le retour, on sait bien si on retourne tout ça se cassera la gueule. Pour le moment, on voit pas le retour, pour être rassuré, il faudra qu’on continue à tirer la ceinture ici.(Malien, 40 ans, responsable d’une association de développement villageois).
  12. Portugaise, 30 ans, mariée, gardienne d’immeuble.
  13. Malienne, 25 ans, divorcée, femme de ménage.
  14. D’origine italienne, 41 ans, mariée, Assistante sociale.
  15. Nous renvoyons sur ce point le lecteur à notre article intitulé Histoires ‘de vies, mémoire du social, PEPS, n°38 et à la question que nous posons (p. 6) sur la marginalité des TS, en référence à l’ouvrage de V. GUIENNE, Le travail social piégé ? L’Harmattan, 1990
  16. Définition adoptée par le Haut conseil à l’intégration, La Documentation française, 1991. citée in J.L. Dumont et D. Curbelo « Travail social en interface » PEPS n°39, avril-juin 1992, pp.37-41
  17. Cf, dans ce numéro les articles sur l’expérience du foyer d’Alfortville.
  18. Ce qui impliquerait une formation à l’émergence des projets et la constitution d’équipes pour effectuer des missions dans le pays d’origine
  19. Le « problème de l’immigration » n’est pas le seul sur lequel on pourrait interpeller les TS ; d’autres catégories d’usagers requièrent une attention particulière, aujourd’hui où les questions du chômage, de la marginalité, de la délinquance, etc. doivent être abordées autrement que bureaucratiquement ou policièrement. Ici le travail (de développement) social peut avoir un rôle considérable à jouer.

No 41 – Les immigrés vieillissent en foyer

Qui le sait, qui s’en soucie, qui s’en occupe ?

Comment accompagner les travailleurs immigrés qui vieillissent en foyer ? Une question nouvelle pour les décideurs et les praticiens du social écartelés entre les rôles de gestionnaire et ceux de médiateur culturel.

Initialement, projet d’émigration et projet de retour se confondent ; l’émigration est rarement envisagée comme définitive. En effet, la présence de l’immigré et , corrélativement, l’absence de l’émigré n’a de sens pour l’intéressé lui-même, pour la société d’émigration et la société d’immigration que si elle s’effectue sur le mode du provisoire. Or, les conditions de vie et de travail de l’immigré conduisent à une prolongation de son séjour qui, de provisoire, tend à devenir permanent.

Plus le contact avec la société d’immigration se prolonge et s’intensifie, plus la rupture avec la société d’origine est physique et spatiale.

Le retour devient alors difficile. Selon leur expérience migratoire, leur histoire de vie, leurs trajectoires sociales, culturelle, économique et familiale, certains immigrés s’installent, malgré eux, définitivement en France et les célibataires restent en foyers. Parfois, ils maintiennent (tant que leur santé le leur permet) l’illusion d’un retour concrétisée par de brefs voyages entre ici et là-bas. Les transformations de la personnalité de l’immigré qui se traduisent par l’habitude de la vie en France, la dissolution des liens familiaux ainsi que l’échec du projet économique, sont des faits incontestables qui déterminent les résidents de foyer à rester lorsqu’ils vieillissent.

En effet, le non-retour n’est que rarement l’expression d’un choix, mais il est vécu par l’immigré comme le résultat d’un destin inéluctable, d’une fatalité.

L’ÉPREUVE DES FAITS

Sur les 140 000 lits disponibles en foyers et compte tenu de l’absence de statistique fiable sur l’âge des résidents, on considère communément que 20 à 30 % de la population des foyers est en situation de vieillissement ou de non-activité professionnelle due à l’âge ou au handicap. Soit 28000 à 42000 résidents. Certains établissements sont occupés exclusivement par des maghrébins vieillissants. Il sont, peu à peu, transformés en hotels d’immigrés non-productifs.

Cependant, il ne faut pas confondre « retraite » et « résidents vieillissant ». Un très petit nombre d’entre eux ont cotisé suffisamment pour jouir d’une retraite. Le phénomène migratoire de masse était encore trop jeune (1960-1974) pour évoquer sociologiquement un phénomène de retraite. Par contre, l’ensemble de cette population a subi un processus accéléré de vieillissement facilement repérable dans les relations que l’on peut entretenir avec n’importe quel immigré présent en métropole.

L’isolement, le déracinement, l’analphabétisme, le manque de suivi médical, les accidents ou incidents de travail répétés, de forts investissements physiques entre 30 et 40 ans, l’absence de vie relationnelle stable, de vie familiale, les difficultés d’adaption alimentaire, la précarité du logement, concourent une déshumanisation lente de l’individu et donc, à une accélération du processus de vieillissement physique et psychologique. On observe aisément dans les foyers, des résidents entre 40 et 55 ans, errant de la cuisine à la chambre, de la chambre à la salle de prière. Ils vont dos vouté, à petits pas, regard flou et sourire triste, traîner entre deux missions d’intérim, rendez-vous à l’hopital, etc.

A force d’être stigmatisé, l’individu se renferme sur lui-même, il communique difficilement avec ses compatriotes, s’enferme dans un état de dépendance. Ces hommes vivotent de pensions d’invalidité, RMI, allocations spécifiques dépassant rarement un SMIC. Une fois leur situation proche de la vacuité, ils décèdent à l’hopital dans l’indifférence générale.

Situation inadmissible au pays des droits de l’homme. Il convient d’examiner préciséments ces faits et les solutions raisonnables à envisager.

L’observation attentive des situations des résidents vieillissant en foyer, fait apparaître l’ambiguïté de notre système d’accueil. Ces établissements conçus pour être des lieux de transition, des sas entre accueil et assimilation, deviennent des Iieux d’arrêt définitifs du processus d’insertion. En conséquence, il paraît opportun d’analyser et de proposer des solutions entre immigration et insertion. Ce phénomène grave de vieillissement prématuré semblable à celui qu’ont connu certains soldats au retour de la première et de la seconde guerre mondiale, apparaît d’autant plus crucial que si dans les années à venir, rien n’est entrepris, c’est la quasi-totalité des 140 000 résidents qui sera atteinte de vieillissement précoce, dans les 660 foyers de travailleurs migrants du territoire.

UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU

En France, il s’agit d’un phénomène nouveau. Quelle démarche adopter en la circonstance ? Le retour au pays semblait une solution satisfaisante, mais il n’avait de sens que conjugé avec une certaine promotion sociale et la constitution d’un pécule, la construction d’une maison pour « ses vieux jours subvenir au besoin de sa famille restée au pays, etc. Or, les conditions de vie et de travail de l’immigré ne lui donnent que peu de chance de réussir : les accidents de travail, maladies professionnelles (notamment dans le secteur du nucléaire, de la sidérurgie, du bâtiment), les licenciements économiques touchent plus fréquemment les travailleurs étrangers occupant majoritairement des emplois peu qualifiés.

Parti pour s’enrichir, il ne peut revenir les mains vides, ce qui révèlerait à tous l’échec de son entreprise avec la honte qui accompagne le sentiment d’avoir gâché sa vie. Cette situation lui serait rapidement insupportable. Alors il rompt avec sa famille, il ne s’accorde que de brefs voyages où, pendant quelques jours, il peut offrir des cadeaux, embrasser les siens et vite repartir en France.

L’habitude de vivre en France, la longueur du séjour, l’impossible retour, destabilisent les cadres spatiaux, et socioculturels d’origine qui sont des référents identitaires essentiels. L’absence physique des premiers moments se transforme inévitablement en vide culturel car cette déculturation observable chez l’immigré n’implique pas toujours pour autant l’acquisition d’un mode de vie français.

En général, les liens avec la communauté d’origine et la société d’émigration s’altèrent. Il faudrait être présent ici sans être absent là-bas…11s deviennent ainsi des étrangers dans leur propre pays, sans appartenance culturelle puisqu’ils ne sont plus en prise avec la réalité quotidienne, qu’il n’y participent plus.

En lien avec cette rupture sociale et culturelle, la rupture familiale est la conséquence des absences répétées du chef de famille. Le migrant délègue son autorité à son épouse, en échange de quoi il subviendra « largement » au confort de la famille. Ce transfert d’autorité pose de réels problèmes dans certains pays où passer du pouvoir des père à celui des mères modifie sensiblement la vie sociale. C’est parfois un frère ou un beau-frère, voire un fils aîné qui prend la cellule familiale sous son autorité, au nom de valeurs culturelles et religieuses à sauvegarder. En outre, les enfants restés au pays grandissent en l’absence de père. Si la communauté ne prend pas le relai, les conflits entre générations ne sont plus gérés comme ils l’étaient et la rupture est là, également dans la transmission des valeurs.

Après 1520 ans de travail en France, les immigrés maghrébins que nous avons vu vieillir en foyer, ont souvent perdu le sens même de leur expatriation. Leur famille qui ont pris d’autres orientations de vie, ne reconnaissent plus ce père qui ne comprend pas lui-même les aspirations de ses enfants. Dans ces conditions, comment ce dernier pourrait-il se situer ? Son identité, ses habitudes, son espace, tout est modifié. Agé, il reste là où il a été hébergé, « là où il est tranquille ».

UNE IDENTITÉ EN MIETTES

L’identité du travailleur migrant d’origine maghrébine vieillissant en foyer peut être définie selon sept axes principaux:

Du point de vue historique, ils ont vécu de semblables évènements, (par exemple la guerre avec l’occupant français, notamment en Algérie et la décolonisation). Leurs parents ont subi la même tutelle. Ils ont accepté, contesté, partagé des grands principes ou idéologies (démocratie, modernité, etc.). Ensemble, ils ont pris position entre le combat ou l’acceptation, entre le désir d’émigrer ou de rester. Tous ont été marqués par les mêmes espérances d’égalité et de justice.

Au plan social, ils ont participé à des mouvements dans leur pays ou en France. Parfois, ils se sont trouvés au premier rang de l’action syndicale et sont, aujourd’hui utilisés par des courants politiques qui s’expriment en leur nom, sur leur condition. Ils revendiquent le fait d’avoir contribué à la richesse industrielle de la France et ne comprennent pas qu’ils soient à ce point laissés pour compte. Ils aspirent maintenant pratiquer leur religion, à conserver leurs coutumes.

Au plan psycho-affectif, ils ont dû s’adapter à un type de société différent du leur et acquérir des habitudes autres. Il apparaissent fragilisés par une vie relationnelle brisée, une vie sexuelle inexistante. En vieillissant, nombreux sont ceux qui présentent des troubles du comportement liés à une incapacité d’insérer certains éléments de leur existence passée dans l’action présente ou de les rapporter à une perspective future, celle, par exemple, de leur propre mort en terre étrangère.

Biologiquement, comme nous l’avons constaté, ils sont souvent dans un état d’épuisement et éprouvent des difficultés à se mouvoir dans cet univers de béton qui les aliène.

Malgré un regard pessimiste sur le monde, sur leur monde, la force des habitudes et des temps ludiques, entre copains, leur permettent de « tenir » au nom d’une même histoire partagée. L’activité intellectuelle prend un sens fort, principalement dans l’étude du Coran.

Des façons d’être ensemble permettent de sortir de l’anonymat : prendre le thé avec d’autres , palabrer, échanger des nouvelles du pays, prier, se retrouver autour de symboles communs, permet à chacun de retrouver plus ou moins ses racines et un sens pour continuer à vivre.

QUELLE SOLUTION ?

En interrogeant cette population on s’aperçoit que le sentiment d’appartenance reste fort chez chacun d’entre eux. Leur situation est tellement lourde qu’ils se retranchent souvent derriere un murde silence. Il ne s’agit plus, pour cette génération, de s’insérer (ou s’intégrer), mais de vivre sereinement les dernières années d’exil dans la dignité.

Il appartient donc aux organismes d’Etat et aux associations gestionnaires, de proposer des solutions raisonnables en réaménageant dans les foyers, afin de permettre aux résidents vieillissant de vivre dans des espaces semi-collectifs conçus pour eux. Entre la ville et le foyer qui les a accueillis : « Il convient de faire élaborer par les organismes propriétaires et gestionnaires, sous contrôle des Préfets, les programmes des travaux ou de restructuration qu’appellent l’état des lieux et l’évolution »(1).

Certes, réaménager l’espace architectural va à l’encontre d’un politique de foyer pour personnes « de passage », mais a-t-on le choix, si l’on considère que d’ici dix ans le problème que nous posons sera général ?.Malgré tout, un projet intéressant se met en place : il s’agit de donner au résident autre statut dans un cadre nouveau.

L’objectif que nous proposons : passer du foyer à la résidence avec unités de vie spécifiques, c’est l’enjeu des prochaines années. La modification de l’espace de vie agira directement sur les comportements et améliorera l’image sociale d’une population trop oubliée. le résident deviendra acteur d’un système nouveau dont les gestionnaires, actuels gérants de foyer, devront redéfinir leur statut et leur rôle plus proche du travailleur social que du comptable.

GERANT DE FOYER : UN MEDIATEUR CULTUREL

Il n’y a, en effet, pas de statut clairement défini de gérant de foyer-hotel. L’appellation professionnelle change selon les organismes gestionnaires : « chef de centre », « gardien social », « directeur itinérant »… Cependant les employeurs attendent un travail précis encaissement des loyers, entretien. du patrimoine, gestion du personnel. A part la gestion, il n’existe aucune formation au management social des populations accueillies. Les chefs de centre doivent composer de façon empirique, selon les appartenances culturelles des hébergés. Un gérant de foyer se situe sur une frontière fragile entre rigueur comptable et animation socioculturelle, sans reconnaissance statutaire de son métier(il n’existe aucune convention collective pour ce secteur d’activité).

Cependant les responsabilités humaines et sociales sont considérables. Le gérant est l’acteur privilégié d’une promotion humaine interne et externe. Il se situe au carrefour de l’accueil, de l’insertion et de l’intégration. La mise en oeuvre sur un site d’action concerté, légitime, aux yeux de tous, une autorité, un respect, un savoir-faire d’action sociale s’inscrivant dans un partenariat favorisant la promotion des résidants.

Le gérant de foyer est un praticien de terrain faisant émerger une parole originale concernant la population dont il a la charge. Chaque jour, il met en place des stratégies afin que les groupes ethniques expriment des désirs cohérents pour vivre en harmonie dans l’établissement et être acteurs dans le quartier, dans la ville. Il lui faut faire entendre la parole des hébergés auprès de l’organisme gestionnaire, auprès des pouvoirs publics locaux. Si cette parole n’est pas entendue, les groupes humains hébergés se crispent comme ce fut le cas de 1978 à 1984 avec la grève des loyers dans les foyers.

Malgré l’aspect complexe des missions et tâches des directeurs de foyer-hotel, il apparaît crucial d’offrir à ceux-ci des formations plus spécialisées afin qu’ils deviennent des partenaires reconnus auprès des acteurs de développement social urbain. Le désengagement progressif des financements du FAS et la nouvelle enveloppe budgétaire du ministère de la ville, redéfinissent peu à peu les missions des foyers. Ces derniers ont toujours été des lieux phares où s’expriment la capacité de la nation à intégrer l’étranger. Avec un minimum d’attention politique, ces établissements peuvent être des espaces précieux de l’expression d’une nouvelle citoyenneté.

LES ENJEUX POLITIQUES

Le vieillissement des populations immigrées dans les foyers est un sujet évacué du champ social habituel. Dans son rapport de 1987 : Immigration : le devoir d’insertion(2), Stéphane Hessel occulte complètement ce problème. Le rapport du Haut Conseil à l’intégration, Pour un modèle français d’intégration, ne fait que le constater en une ligne.

De plus, la population immigrée n’étant pas représentée par le vote, les élus ont une connaissance peu précise de cette question. Seules les associations gestionnaires sont au fait de cette situation nouvelle, mais elles ont tendance à le minimiser par peur de créer une onde de choc préjudiciable par rapport à l’octroi des diverses subventions.

Quant aux Français, comment leur annoncer que les résidents hébergés en foyer restent définitivement sur le sol français, que le citoyen d’aujourd’hui doit partager sa vieillesse avec des immigrés âgés d’Afrique du Nord et d’Afrique de l’Ouest. Le sort des vieux immigrés n’intéresse pas car ils ne représentent pas une force dont il faut se ménager les faveurs électorales.

La vieillesse des immigrés nous renvoie tous à notre propre destin. Quelle’ place ces derniers vont-ils avoir ? Ils ont pourtant un riche passé et des savoirs à transmettre aux jeunes issus de l’immigration. Ils représentent un relai précieux pour la société métissée du XXlème siècle. Que faisons-nous de ce formidable moyen de régulation sociale et culturelle que constitue la présence des vieux immigrés sur notre territoire.

Xavier VANDROME, Travailleur social

(1) Pour un modèle français d’intégration -Mémorandum sur l’avenir des foyers. La Documentation française, février 1991.

(2) La Documentation française, 1991.

No 40 – Sommaire / Edito

Sommaire

URBANISME

  • Un logement pour tous par Michèle Pisigot 7 La ville en rose par Jean Pierre Garnier
  • Présentation par C. Desnus et M. Esterle
  • Combien sont-elles
  • Travailleurs sociaux d’origine étrangère, de l’exil à l’accompa¬gnement social par Christine Desnus
  • Qui sont les femmes immigrées iraniennes? par Raki Afsaneh
  • Réseaux de familles monoparentales par Tecla Gapecchi
  • Que dire à ma propre famille par Beatrice Chailloux
  • PMI d’hier et d’aujourd’hui par Nadine Nonain
  • Une action de terrain, les femmes des Franc-Moisin propos recueillés par Maryse Esterle et Christine Desnus
  • Le visible et l’inivisible, les éducateurs de rue et les filles d’Ori¬gine étrangère par Maryse Esterle
  • Image des femmes dans l’immigration, Filmographie par Guy Jouannet
  • Bibliographie

ACTION EDUCATIVE

  • ASUD, groupe d’auto support par Gilles Charpy
  • A propos des stratégies de réduction de risque par Jean Jacques Deluchey

ACTION SOCIALE

  • Le groupe du mardi, un lieu de paroles et d’échanges par V. Courtot, G. Gibert, M. C. Pailhes, Y. Royer

CULTURE JEUNES

  • Ethnogalère, histoire d’un café musique universitaire par Georges Lapassade

ARTS ET CULTURE

  • Many, un peintre pas comme les autres par Mehdi Farzad
  • La rentrée cinématographique par Guy Jouannet

Édito

Paroles et Pratiques sociales peut souffler sur ses dix bougies. Il y a dix ans, une poignée de travailleurs sociaux décidaient de créer une association dont le but était de « favoriser l’échange et le débat entre professionnels ».
La revue a été le principal outil d’échange et de réflexion sur la pratique professionnelle, sans cesse interrogée dans ses fondements, ses moyens et ses objectifs. L’écriture est restée l’outil privilégié car il ne peut y avoir de pensée sans une parole qui s’en fait l’écho et il ne peut y avoir de pensée ni amorce de théorisation sans énoncé de ses interrogations.
C’est une gageure que d’avoir réussi à publier régulièrement plus de 40 numéros sans interruption (sauf arrêt de neuf mois, le temps d’une gestation…). Preuve est faite que les travailleurs sociaux ont quelque chose à dire et à transmettre et que leurs critiques ou leurs propositions alimentent la pratique de chacuns et fécondent leur réflexion.
C’est aussi une réussite que des travailleurs sociaux, puis des formateurs et récemment des universitaires soient parvenus, bénévolement à construire et à faire vivre cette revue et à animer des soirées débats et des colloques.
Nous ne cesserons jamais de le dire ; cette revue est aussi la vôtre car si elle se veut carrefour d’idées, elle ne peut exister sans une certaine réciprocité, un minimum d’échange et de diffusion.
Plus que jamais P.E.P.S. s’affirme comme le garant d’une lecture critique sur l’actualité du travail social. La complexité croissante des problèmes se posant avec acuité, P.E.P.S. a montré sa capacité à s’en faire l’écho et à poser un regard original.
A l’heure européenne, les espaces de réflexions sur les droits et les politiques
sociales sont à occuper par les travailleurs sociaux eux mêmes.
Enfin, P.E.P.S. s’avère de plus en plus un nouvel instrument pédagogique : l’écriture comme un outil d’élaboration et d’appropriation d’une pensée sur le travail social.
Pour marquer les dix années d’existence de P.E.P.S, nous organiserons un grand débat-rencontre en mars 1993. Nous vous donnerons plus amples détails dans notre prochain numéro qui sera l’occasion de clôre le dernier volet de notre tryptique sur les enjeux de l’immigration.
L’équipe se joint à moi pour vous remercier pour la fidélité et la confiance que vous nous accordez.
Eric AUGER

No 39 – Sommaire / Edito

Sommaire

Dossier

  • Avant propos

MEMOIRE

  • Les apports successifs de l’immigration, de l’ethnie à la nation par Raymond CURIE
  • De la savane à la ville, les migrations en Afrique, par Jorge de la BARRE
  • Rapports de domination, des anciennes galères aux nouveaux galériens, par Hugues BAZIN

REGARD

  • Lettre Persane par Mchdi FARZAD
  • Arrêt sur image, immigration et racisme dans le cinéma par Guy JOUANNET
  • La communauté Zaïroise, une particularité par Damien MABIALA

PRATIQUE

  • Travail social en interface, projets des associations villageoises africaines en France par Daniel CURBELO
  • Rencontre avec des enfants Kurdes, Culture de résistance et action collective par Sylvie FEVRIER
  • Les couleurs de l’Ecole, accompagnement social et scolaire d’un groupe d’enfants par Cheikh Oumar BA et Jean,Marc OISEL

Rubrique

ACTUALITE SOCIALE

  • Los Angeles, la rue rend la justice par Damien MABIALA
  • Un toit, un droit !, expulsion de familles africaines par Jorge de la BARRE

TRAVAIL SOCIAL A L’ETRANGER

  • Récit de voyage au Brésil par Michel TALEGHAN

DEVELOPPEMENT URBAIN

  • Prenons en acte, Forum Les Cultures de la Rue
  • Intelligences de banlieues, un collectif associatif par Mustapha BOUDJEMAÏ

RELATION EDUCATIVE

  • Espoirs et limites des Etats Généraux des Educateurs par Jean Pierre VIVIER

ACTION SOCIALE

  • De la crise, dans le travail social par Jean Jacques DELUCHEY

Edito

« Immigration », dans quel sens ?

Encore un dossier sur l’immigration st-il question de se livrer à un exercice
intellectuel, d’élaborer un discours, après tant d’autres, sur un «sujet intéressant» souvent exploité par les médias, ou bien s’agit-il de produire des outils. susciter des actions afin de transformer une situation impossible?
A quoi sert, en effet, de parler des gens si, en même temps, on leur refuse le droit de cité à Paris, Vincennes, et en d’autres lieux où les étrangers originaires d’Afrique, en particulier, n’ont pas leur place ? Il en est d’ailleurs du logement comme de l’école, de l’emploi, de la citoyenneté…
Et comment aussi ressaisir l’immigration dans ses différentes figures ? Ce terme a tous les sens que le pouvoir trouve avantageux de lui donner (étrangers, résidents en foyers, sans papiers…). là où des enjeux économiques ou politiques sont présents. «L’immigré» n’est alors qu’un mot et un prétexte. Mais un peuple n’est-il pas le produit de mouvements successifs de populations venant d’ailleurs ? Sa culture ne représente-t-elle pas. pour l’essentiel, une mémoire qu’il a construite. façonnée peu à peu ? En parlant d’immigrés, nous prenons nos distances par rapport à un groupe d’hommes et de femmes qui nous ressemblent, comme si nous avions un peu honte d’une part de nous-mêmes. Il faut pourtant en convenir : nous sommes tous des immigrés…
On associe souvent immigration à une nécessaire intégration, mais là encore la question du sens se pose. Si l’on entend par intégrer, rendre conforme à un modèle assimilateur, c’est une imposition idéologique, une violence faite à des personnes. Si, à l’inverse, intégration signifie que des étrangers ont des projets sur une terre d’accueil comme ils en ont également chez eux et que ces projets peuvent être reconnus comme porteurs de valeurs novatrices, alors l’intégration est synonyme d’alternative, échange et changement en ce qu’elle relève d’une logique d’action créatrice.
La présence des «immigrés» fait peur. Cependant, car elle nous renvoie à nous-mêmes, à notre mémoire de colonisateurs, voire d’esclavagistes. Elle, ébranle nos certitudes. Un débat s’impose sur cette question et sur d’autres interrogations. notamment celle relative au travail social dans le champ de l’immigration : quelles sont les attitudes et les pratiques des T.S. ? Nous espérons que ce débat ait lieu à PEPS pour définir le contenu du dernier dossier sur ce thème, en octobre 1992.
Il faut penser les immigrés autrement et, pour cela en parler, mieux : leur donner la parole.
Alors ils seront peut-être perçus et nommés autrement ou. tout simplement. on ne les nommera plus. Parler de l’immigration pour ne plus avoir à en parler, voilà l’idéal !

Jean Luc Dumont