No 56/57 – Sommaire / Edito

Sommaire

A PROPOS DE « JUNIOR S’ENTRAÎNE TRÈS FORT » P.6
En hommage à C. Bachmann, présentation du texte écrit avec L. Basier «Junior s’entraîne très fort» qui présente pour la première fois en France le hip-hop dans sa vérité historique et sociale. Par Georges LAPASSADE

JUNIOR S’ENTRAÎNE TRES FORT P.10
L’analyse ethnographique et linguistique en 1984 d’un phénomène culturel en émergence, le hip-hop, à partir d’une observation des interactions sociales et un travail sur les corpus langagiers. Par Christian BACHMANN et Luc BASIER

LE SENS D’UNE RENCONTRE P.23
Hip-hop et action culturelle à Bruxelles… Les recherches orientent l’action et le terrain alimente la recherche, mais ces démarches sont-elles conciliables ? Par Alain LAPIOWER

LES RAVES : DES FÊTES « BONNES À PENSER » P.32
Au-delà de sa dimension cathartique et de la sociabilité qu’elle permet, la participation aux fêtes-raves constitue, bien plus qu’une «contre-culture» ou une «consommation passive», un mode de socialisation. Par Étienne RACINE

PROFESSIONNALISATION DE JEUNES ARTISTES P.45
A partir d’une analyse ethnographique de la procédure de carrièrisation d’activités artis¬tiques venant de la rue, comment de la logique dite déviante des pratiques culturelles, s’installe une certaine normalisation. Par Damien MABIALA

L’ESPACE DE L’ETHNICITE DU RAP EN FRANCE P.58
La « racialisation » des rapports sociaux est largement chroniquée dans le milieu hip-hop. La question est de savoir si l’éthnicité favorise l’émergence d’acteurs-sujets et à quelles conditions. Par Manuel BOUCHER

LE RAP, UN DÉFI À LA MUSICOLOGIE ? P.69
Les dimensions musicales du rap doivent être analysées au même titre que les autres dimensions de la culture hip-hop. Par Jean-Marie JACONO

LA SOCIALISATION DE L’ART P.74
Le décalage provoqué par l’art crée les conditions d’une rencontre sociale inédite orga¬nisée autour de pratiques sociales complètes mais également il interroge les processus artistiques légitimés par les lieux culturels. Par Hugues BAZIN

DES ACTIONS, DES RÉFLEXIONS P.84
Le mot hip-hop joue le rôle de tiers entre cultures d’origines, et culture scolaire française, en même temps qu’elle remet radicalement en cause, le système traditionnel de production et consommation culturelle. Par Jean HURSTEL

UNE PRISE DE POSITION P.88
Nous proposons une interprétation de l’époque contemporaine à partir d’une analyse des réseaux. Par Béatrice SBERNA

A LA CROISÉE DES RECHERCHES P.91
Retranscription d’un débat sur les formes d’émergence culturelle autour des recherches de H. BAZIN, M. BOUCHER, J.-M. JACONO, A. LAPIOWER et E. RACINE

BIBLIOGRAPHIE DES AUTEURS P.121

(hors dossier) LES DÉBUTS DE L’ANNEE SCOLAIRE P. 123
A partir d’une approche ethnographique interactionniste de l’école les analyses de la déviance scolaire, des luttes de pouvoir, de la négociation permanente dans les classes. Par Abdellatif ELAZAMI

Edito

Le collectif qui vous présente ce dossier dans la cadre de la revue Paroles Et pratiques Sociales, comme la formation de tout groupe, s’est constitué autour d’une histoire de rencontres, du croisement de parcours qui finissent par tisser les mailles d’un travail en réseau. Le dossier met en lumière ce premier travail de connexion autour d’un constat commun.
Sans renier l’apport fondamental des grands penseurs en sciences humaines et sociales, nous remarquons l’éclatement des systè¬mes théoriques. De même les acteurs sociaux, inquiets devant le constat d’une situation sociale dégradée et atomisée, cherchent des cadres de réflexion en même temps que des pistes d’action. Les autorités politico-institutionnelles quant à elles cherchent également de nouveaux axes théoriques et pratiques capables de faire contrepoids à la « désocialisation ».
Cette situation peut contribuer à laisser le champ libre aussi bien à une redéfinition épistémologique et méthodologique fructueuse, qu’à la mainmise d’une pensée totalisante et conformiste derrière des énoncés admis.
4 Nous connaissons les effets de la pensée unique et les discours
sur le travail, les jeunes, la banlieue, l’intégration, l’exclusion… autant de portes qui se ferment à notre compréhension de la vie sociale. La manière dont nous décrivons le monde est dépendante de nos schèmes de pensée, de nos représentations, des énoncés qui constituent notre organisation mentale et, à travers eux, ceux d’une époque.
D’un autre coté, des analyses commencent à provoquer un re-nouvellement des regards et des pratiques, bien qu’elles restent encore peu visibles.
La notion d’émergence traduit pour nous les processus qui condui¬sent à cette visibilité. Visibilité ne veut pas dire obligatoirement « nouveauté ». Dans cette perspective, nous avons à prendre en compte aussi bien la reconnaissance des processus dans l’espace public que la partie immergée qui supporte l’ensemble. La com¬préhension de ce continuum nous amène à une vision différente émergences
de la réalité sociale et du rapport qu’entretient le chercheur avec cette réalité.
La reconnaissance n’est pas dénuée d’ambiguïté. En témoigne le débat actuel sur les « cultures urbaines », tandis que les processus et les enjeux sont rarement explicités.
Si nous nous intéressons plus particulièrement, comme objet d’étude, aux formes d’émergence culturelle telle que la forme hip-hop ou la forme techno, ce n’est donc pas pour la visibilité de leur forme qui n’est pas en soi « nouvelle » mais pour les proces¬sus sous-jacents modifiant, d’une part notre vision du rapport au travail, aux pratiques sociales et culturelles… (enjeux politiques fondamentaux), d’autre part, la façon même dont nous concevons notre travail de recherche (enjeux scientifiques).
En cela l’émergence se meut dans un espace interstitiel. Entre l’espace institué et l’espace informel peuvent être explorées de nouvelles perpectives. C’est un espace de reformulation et d’ex-périmentation où s’exerce un jeu de tensions et de contradictions, où peuvent être posés des enjeux.
Autrement dit, à l’étude des formes d’émergence comme objet de recherche, nous aimerions faire correspondre une recherche comme émergence d’une pensée en mouvement. De même, à l’espace interstitiel comme lieu culturel et symbolique nous dési-rerions faire correspondre un espace interstitiel de la pensée.
Aussi, notre démarche désire accueillir, dans la pluralité des dis-ciplines en sciences humaines et sociales, les auteurs, confirmés ou débutants, qui éprouvent la nécessité de redéfinir leur grille de lecture au-delà de leur objet précis de travail, qu’il s’agisse de travaux empiriques ou théoriques. Ouverts à ceux qui veulent travailler dans cet esprit, nous nous définissons par notre volonté d’indépendance vis-à-vis des institutions qu’elles soient politiques ou universitaires.
Sous la diversité des approches, le présent dossier présente l’ébau-che d’un travail qui ne peut se concevoir que dans une perspective à long terme. Nous espérons qu’il pourra s’engager sur un travail en réseau autour d’échanges approfondis.

Le collectif du dossier

No 41 – L’extrémisme culturel

A l’heure où MALCOLMX sort sur les écrans, nous découvrons une nouvelle forme d’extrémisme : l’extrémisme culturel. Sorte de parent noir du « Radical chic », l’extrémisme culturel reçoit ses lettres de noblesse avec les casquettes ‘X » que l’on voit désormais sur les têtes dures. Car Malcolm X est déjà un mythe. Et une mode. Un tee-shirt noir flanqué d’un grand ‘X » tout fier, ça flashe !

Pourtant, au-delà du vernis (noir, évidemment), subsiste un malaise profond. Si les noirs américains sont à tel point assimilés culturellement que la question ne se pose même pas, les discriminations qu’ils subissent, notamment sur le plan économique, ont empiré sous Reagan, et n’ont pas cessé depuis.

Les communautés noires radicalisent leur position quand elles élaborent, dans les états où elles sont dotées d’un certain pouvoir, des programmes éducatifs « pro-black », à la limite du révisionnisme historique (la période de l’esclavage est gommée, c’est la guerre d’indépendance qui fonde la civilisation américaine).

L’image positive que veut se donner la communauté noire à elle-même ne risque t-elle pas de l’éloigner de sa situation réelle dans la société ?

Aussi, gardons-nous de ne voir dans : l’extrémisme culturel qu’une position « soft », les émeutes de l’an dernier à Los Angeles nous font craindre le pire. Mais si Malcolm X est à ce point récupéré, n’est-ce pas aussi parce que ses errances politico-publiques ont donné libre cours à toutes les interprétations sur la, nature de son message ?

La majorité des rappers noirs américains, de Public Enemy à Ice T, se reconnaissent dans le jeune Malcolm X, tendance dure, période pré-pélerinage à la Mecque. C’est son visage le plus superficiel (drogues, chaines en or et belles nanas), mais aussi le plus radical (ultra-violence, « by any means necessary »). Aussi, pour Leroi Jones, le message de X a été stérilisé dans le film de Spike Lee, qui n’est qu’un « petit bourgeois ».

Alors Spike Lee, faiseur de mythes, re-révisionniste ou extrémiste chic ?

Jorge de la BARRE

No 41 – Spike met le x

Sixième film du caustique réalisateur Spike Lee, « Malcolm X » représente une entreprise lourde à gérer, tant du point de vue du symbole que de la complexité du personnage mis en scène. C’est la première fois que Lee travaille sur un film dont le scénario ne soit pas une fiction tirée de son imagination.    

C’est à partir de l’autobiographie de Malcolm X écrite en 1964 par Alex Haley (auteur de « Racines, la saga d’une famille afro-américaine »), adaptée par l’écrivain James Baldwin et revue dans son dernier tiers par le scénariste-dramaturge Arnold Perl, que s’articule lé film.

Plusieurs réalisateurs blancs pressentis par Hollywood ont déjà dû renoncer à ce projet malgré le recours à cinq scénaristes différents : Calder Willigham (collaborateur de Kubrick), Joseph Walker Mamet (pour Sidney Lumet), David Bradley et Charles Fuller pour Norman Jewison. Ce dernier abandonnera le projet face à un Spike Lee talentueux et entreprenant. Cette détermination trouvera son écho dans les potins des journaux américains avides de rapporter les 1 000 détails croustillants de cette aventure.

La Warner n’accorde que 20 millions de dollars. Largo International chargée de la distribution à l’étranger met, elle, 8 millions sur la table, alors que l’équipe de production Lee/Worth estime le coût du film à 40 millions. Finalement, Spike Lee renoncera au deux tiers de son salaire de départ ($5 millions) et fera appel à la générosité de célébrités noires pour boucler le dépassement du budget : Bill Cosby, Oprah Winfrey, Janet Jackson, Prince, Tracy Chapman, Earvin « Magic » Johson.

Le film est émaillé de tensions et de pressions. Certaines venant parfois de là où on l’attendait guère. Ainsi l’écrivain-poète Africain-Américain Amiri Baraka de son nom d’emprunt Américain Leroi Jones dit : « Spike Lee est un petit bourgeois ». Conséquence il ne peut faire passer les messages de Malcolm X. Même son de cloche chez Kwame Touré alias Stockely Carmichael ex-Président de la S.N.C.C. (Comité de coordination des Étudiants Non Violents) dont en 1961 le mot d’ordre était : « Pouvoir pour le peuple noir » puis en 1966: « Black power »(1). Cet ancien Premier Ministre du « Black Panther Party of Self-défense » déclare par exemple dans le magazine « Jeune Afrique » « Spike Lee est incapable de faire un film sur Malcolm X. Il peut, en revanche, faire un bon film sur Malcolm Little, sur la vie sexuelle de celui-ci, sur ses crimes, en somme surtout ce qui est vulgaire, mais jamais -je le répète- il ne peut faire un film sur Malcolm X ». Pour lui, « seul un révolutionnaire Africain peut filmer Malcolm X » (2). Il vit depuis 1969 en Guinée.

On comprendra cette controverse dans la mesure où la complexité de la vie de Malcolm X encourage chacun à s’approprier la période qui l’intéresse. D’où la difficulté pour n’importe quel réalisateur de proposer un film qui satisfasse les innombrables exigences.

Au delà de l’intérêt historique médiatique à la fois suscité et orchestré par Spike Lee, le résultat commercial est positif : 14,5 millions sont engrangés/gagnés durant la première semaine d’exploitation. Le public américain fait montre de son intérêt pour une de ses figures nationales après « Dracula » et « Maman j’ai raté l’avion n° 2 ».

Exploitation encore de la part des grands médias français sur le dos du réalisateur noir et d’une vague « black » (mystification /idolatration / intérêt démesuré pour tout ce qui

fait référence aux noirs d’Amérique et à leur société), dont les Etats-Unis et une partie de l’Europe semblent curieusement se délecter depuis l’avènement/la portée aux nues médiatique de la culture hip-hop. Bizarre, vous avec dit bizarre ? Quand « l’élite journalistique contrôle la diffusion des messages sur l’espace public on l’appelle « médiacratie » (3).

Nous savons que Spike Lee est proche des rappers. Notamment ceux du groupe Public Enemy dont il a employé la musique pour le générique de son film « Do The Right Thing » et tourné le clip « Fight The Power ». Lors de leur premier grand concert au Zénith en 198**, ce groupe a été présenté par la presse française comme un groupe extrémiste, anti-black et antisémite. A propos de ce film, Spike Lee « bénéficiera » du même traitement de la part de ces mêmes médias français et américains, « travaillant » à le discréditer aux yeux du public en diffusant des « infos » visant à modeler son état d’esprit. Plusieurs magazines français mobiliseront des équipes de journalistes pour traiter le film de M Lee…(4).

Malcolm X disait de la presse : Si vous n’y prenez pas garde, les journaux vous feront haïr les opprimés et aimer les oppresseurs » (5). A l’allure où vont les choses, un débat sur la déontologie dans la presse s’avère peut être nécessaire. Comme l’a dit Y. Roucaute : La « logique » journalistique du reportage ne ramène donc pas nécessairement du savoir. Mais tandis que le bavardage du commentateur vise surtout à dissimuler son incompétence, le reportage positiviste tend, par son pseudo-rapport au fait, à « simuler le vraisemblable » (6).

Signalons tout de même l’intérêt que ce film suscite auprès de la communauté noire, qui, à en jugé par les travaux effectués par de nombreux chercheurs, serait en train de se réapproprier et réhabiliter son histoire. Med Hondo (cinéaste mauritanien) a vu son film « Saraouina » retraçant l’épopée coloniale en Afrique, censuré, lors de sa sortie en 1986 pour enfin se voir accorder un visa favorable en 1992. Sur ce film la grande presse est restée silencieuse… (cette fresque magnifique n’est projetée que dans une salle parisienne « Image d’ailleurs »).

La sous représentativité des Africains-Français ou Africains dans les médias où leur quasi inexistence en tant que groupe homogène pouvant donner son point de vue constitue dramatiquement un réel handicap. Or, le fait de penser qu’il n’y a pas de problème noir dans ce pays n’en élude ni l’existen¬ce ni le débat. On traite à profusion des problèmes de l »‘Afro-Américain » mais qu’en est-il ici ? Certains rappers Africain-Français se sont vu proposer de « métisser » leur groupe pour mieux passer dans le milieu du show-biz. Avant de prétendre donner des leçons au grand frère Charly qui doit encore faire du chemin ?

Damien MABIALA

  • James Forman : « La libération viendra d’une chose Noire », Ed. François Maspéro, 1986, p. 142.
  • Jeune Afrique du 7 au 13 janvier 1993.
  • Yves Roucaute, « Splendeur et misères des journalistes », Ed. Calmann-Levy, 1991, p. 15.
  • Libération du 18 novembre 1992 – Actuel janvier 1993 – Revue du cinéma janvier 1993.
  • Malcolm X « le pouvoir noir », Ed. F. Maspéro 1966, p. 132.
  • Yves Roucaute, op, cité p. 314.

No 41 – Rencontre du hip hop et du travail social

Une expérience italienne

Depuis l’an dernier, à Rimini – une station balnéaire de la côte adriatique italienne – une équipe de psychologues et de travailleurs sociaux travaille, dans le contexte de ses activités de prévention, avec un groupe local du hip hop – « la posse » de Rimini – qui pratique le rap, le graffiti aérosol et la break dance.

A partir de 1983, l’Italie a connu, comme la France et d’autres pays d’Europe, un premier mouvement hip hop dans lequel la break dance occupait le devant de la scène. À ce moment-là, le rap européen, de Rome à Rimini et à Paris, s’exprimait généralement en anglais, tout comme le reggae et le raggamuffin. Si, au niveau des formes culturelles, les deux mouvements, italien et français, présentaient des ressemblances fortes – dans les deux cas, on retrouvait les formes d’expression élaborées aux USA, la base sociale n’était pas la même: en France, le hip hop a pris racine d’abord chez les enfants des immigrés – maghrébins, africains, mais aussi espagnols, italiens et portugais – ainsi que chez les jeunes antillais et il se développe dans les banlieues qu’ils habitent; en Italie, par contre, l’immigration externe était peu importante à ce moment-là, ce sont les jeunes italiens eux-mêmes qui ont adopté et développé les pratiques de ce mouvement.

Et, en Italie comme en France toujours, le hip hop a traversé ensuite, sans disparaître, une phase de reflux suivi d’une renaissance à partir de 1990.

C’est alors que les différences entre le hip hop français et la situation italienne se sont accentuées.

En France, le « retour » du hip hop, ou plutôt de sa visibilité sociale, s’est effectué là où il avait commencé à se développer : dans les banlieues d’abord, et toujours, et surtout chez les jeunes dits « de la deuxième génération » (de l’immigration). En Italie, par contre, une partie, la plus visible, du hip hop, s’est développée dans un contexte plus large de contre-culture dont la base institutionnelle et militante se trouve dans des Centres sociaux occupés et autogérés qui n’ont pas leur équivalent en France. C’est essentiellement dans ces Centres que s’est développé un « rap militant » (j’emprunte cette expression à Fumo LHP, Francesco Adinolfi, et al: « Rap Militante », Decoder, Rivista Internationale Underground, Shake Edizioni Underground, Milano).

LE RAP MILITANT

Le mouvement des Centres sociaux italiens est en grande partie l’héritier d’une tradition politique de luttes sociales : il s’agit d’une ultra-gauche « extra-parlementaire », souvent issue de l’autonomie ouvrière des années 70. Cette tradition n’est pas partout la même, – il y a des différences fortes entre les centres de Rome, de Bologne et de Milan, par exemple -, mais elle présente partout des traits communs. Elle est enfin associée à des degrés divers à une tradition de contre-culture dans laquelle les anarcho-punks italiens ont joué un rôle essentiel.

Onda Rossa posse – du nom d’une radio locale militante où ce groupe avait assuré des émissions – était le nom du groupe de rap qui, à partir de 1990 surtout, a en quelque manière – selon une remarque d’Alberto Piccinini – « donné le ton ». Les membres principaux de l’ex- Onda Rossa sont ou ont été, pour la plupart, étudiants à l’université tout en étant des militants de l’ultra-gauche italienne et des centres sociaux. Ils ont joué un rôle important, au cours de l’hiver 1990, dans le mouvement étudiant dit de la pantera.

LE RAP ZULU

Revenons maintenant à Rimini où l’un des travailleurs sociaux de la prévention rencontre, en mars 1992, à partir d’un premier contact avec un graffiti artiste, la « posse » locale de hip hop qui réunit des groupes de quartiers : au total, quarante jeunes environ, parmi lesquels des rappeurs, des danseurs, des « graffiteurs » et leurs amis qui vont être invités à participer aux activités d’ un centre socio-éducatif – le Centre Via – géré par l’ équipe de prévention. On y met à leur disposition à temps partiel des salles pour les répétitions de rap et de break dance et pour la réalisation de fresques à la bombe aérosol.

Le mode de fonctionnement et de gestion du Centro Via n’est pas celui des Centres sociaux autogérés mais il semble convenir à ce moment-là aux jeunes du hip hop local qui, s’ils ont quelques rapports assez lointains avec un Centre social de Bologne aujourd’hui fermé, sont d’une toute autre orientation.

On sait que le hip hop américain a pris naissance dans une lutte contre la toxicomanie et le deal des bandes comme le raconte notamment la saga de la Zulu Nation. D’ailleurs, l’idéologie des B. Boys de Rimini telle qu’on peut la saisir dans les entretiens et les récits de vie que nous avons pu recueillir reste très proche de celle qui a marqué en Europe les débuts du hip hop il y a maintenant dix ans: c’est une idéologie « zulu » de « B. Boys scouts », pourrait-on dire (sans vouloir y mettre de nuance péjorative): une morale de la santé sportive, du peace and love qui veut, comme disait Bambaataa, transformer l’énergie négative des bandes en énergie positive.

Cette idéologie a très certainement facilité, du moins dans un premier temps, la collaboration entre la posse de Rimini et le Centre Via : Outre la participation aux activités du Centre, elle a abouti à des actions de rue faites en commun et à la publication, en commun également, d’une fanzine intitulé Colori . (On imagine mal, par contre, des rappeurs militants s’engageant dans une entreprise similaire).

Le rap et la culture hip-hop d’Italie ont donc été marqués par un processus de dualisation qui a conduit, on vient de le voir, à deux pratiques du rap : une pratique militante, d’une part, et une pratique zulu, c’est à dire plus conforme aux orientations du vieux hip hop, d’autre part.

Un tel processus, que nous n’avons pas retrouvé ailleurs, n’est pas un cas unique en Italie où une dualisation analogue s’était déjà produite, il y a maintenant une décennie, dans le mouvement punk.

LES CENTRES ET LA « DUALISATION » ITALIENNE DU MOUVEMENT PUNK

Dans Posse italiane, Alba Solaro montre comment les anarcho-punks du groupe VIRUS (de Milan) ont joué un rôle décisif dans la formation et l’orientation actuelle des Centres. Ces anarcho-punks italiens avaient déjà fait l’objet d’une présentation dans un autre ouvrage collectif intitulé Bande. Cet ouvrage était l’aboutissement d’une enquête ethnosociologique menée par les sociologues du Centre d’Etudes et de Recherches sur la marginalité et la déviance auprès des « groupes spectaculaires » – Rockabilies, Mods et Punks – de Milan.

Mais si les anarcho-punks de Virus étaient très actifs sur le devant de la scène contre-culturelle et politique de l’époque, cela ne signifiait pas que le courant punk italien se limitait à sa version anarcho-punk.

Il y avait aussi, dans le même temps et la même ville – et/ailleurs, bien sûr – un mouvement juvénile punk. Or, si la notion de contre-culture telle qu’elle est utilisée par Alba Solaro dans sa présentation des Centres sociaux peut servir à l’étiquetage des mouvements culturels qui s’y développent, il faut peut-être trouver une autre étiquette pour désigner ce punk ado dans sa différence avec celui des Centres. La notion de sub-culture pourrait alors servir à désigner cette culture punk qui s’était d’abord développée en Grande-Bretagne où, comme plus tard à Milan, les punks étaient souvent d’origine ouvrière, étant eux-mêmes des jeunes ouvriers et employés.

ENQUÊTES ITALIENNES

L’étude ethnosociologique du groupe de Rimini a été le point de départ de recherches consacrées au rap zulu d’Italie.

En juin 92, à l’occasion d’un séminaire à l’université de Rome, Sandra de Juli présentait un document vidéo concernant le hip hop de Rimini. Des jeunes rappeurs et graffeurs participaient à ce séminaire de l’université, où ils ont pris la parole pour décrire leurs activités.

Ils n’appartenaient pas au « hip hop » des Centres, s’en démarquaient explicitement, n’étaient pas étudiants mais dans l’ensemble lycéens ou collégiens et plus jeunes par conséquent que les rappeurs militants.

On pouvait mesurer là le chemin parcouru : alors qu’en février 90, dans cette université romaine de la Sapientia, le seul thème mis à l’étude pour le séminaire du hip hop était celui des Centres, cette fois, deux ans plus tard, on s’occupe aussi de « l’autre hip hop ».

Le rap zulu version italienne a commencé alors à faire l’objet d’enquêtes : à Rimini, Leonardo Montecchi a continué ses recherches sur la posse locale; à Bologne, Sandra de Juli et Roberto ont engagé avec d’autres une recherche sur un groupe important de jeunes graffiti artistes; à Rome et Ostia, Roberto de Angelis a lui aussi enquêté parmi les groupes et les bandes de l’autre hip hop. Nous avons eu enfin l’occasion de rencontrer la posse d’Ancona, une ville balnéaire proche de Rimini où le hip hop présente les mêmes caractères toujours.

Au vu des premiers résultats, on peut déjà esquisser quelques traits essentiels de ce courant en les distinguant des pratiques du rap et du hip hop des Centres :

  • c’est un rap et un hip hop d’adolescents alors que chez les rappeurs militants la moyenne d’âge est plus élevée ;
  • il se situe en général dans la tradition du premier hip hop alors que le lien avec cette tradition est beaucoup moins marqué dans les Centres ;
  • les jeunes du « rap zulu » sont souvent issus de milieux populaires (mais il y a d’assez nombreuses exceptions) alors que les rappeurs militants sont plutôt issus des classes moyennes ;
  • les rappeurs zulu fréquentent souvent des écoles professionnelles (assez semblables à nos LP) alors que la contre-culture des Centres est davantage associée aux universités ;
  • ceux du hip hop « anonyme » adoptent les signes distinctifs et déjà traditionnels de la culture hip hop (les vêtements, par exemple) ce que ne font pas ceux des Centres ;
  • « l’immigration » interne » (parents venus du Sud de l’Italie à la recherche d’emplois, est pour une part importante, la « base sociale » de ce courant alors que ce trait est moins visible dans les Centres ;
  • les thèmes politiques développés dans le hip hop zulu : la lutte contre le racisme en général, les droits de l’homme, le refus de la guerre, s’ils sont engagés et si l’on peut même les considérer comme expression d’un certains militantisme (tout en constituant en même temps des thèmes obligés) ne sont pas pour autant l’expression du « radicalisme » politique qui caractérise souvent, par contre, rap militant.

Georges Lapassade

Bibliographie

  • S. Cristante, A. Di Cerbo e G. Spinucci (a cura di).La rivolta dello stile, Franco Angeli Editore, Milano, 1983.
  • L. Caioli, A.R. Calabro, M. Fabroni, C. Leccardi, S. Tabboni, R. Venturi: Bande: un modo di dire. Rockabilies, Mods, Punks, Milan, Eidizione Unicopli, 1986.
  • Alba Solaro, Franco Pacoda, Carlo Branzaglia: Posse, Editions Tosca, 1992.
  • Piero Fumarola/Georges Lapassade: « Rap Copy », Studi e Ricerche, Istituto di psicologia e sociologia, Universita degli studi di Lecce, n°13, 1992.
  • Franco Bollardi (sous la direction de): Hip hop, Bologna, 1992.
  • CyberpunkAntologia., Shake Edizioni Underground, Milano, 1992.
  • Fumo LHP, Francesco Adinolfi, et al: « Rap Militante », Decoder, Rivista Internationale Underground, Shake Edizioni Underground, Milano.

No 36 – Sommaire / Edito

Sommaire

En bouclant ce dossier nous nous sommes aperçus que nombreux thèmes abordés ici mériteraient un prolongement. Cependant l’ampleur du sujet rend l’exhaustivité difficile.
Fruit de plusieurs mois de rencontres, de travail entre jeunes du « Mouvement », travailleurs sociaux, universitaires et chercheurs, le numéro 36 de PEPS est conçu comme un outil de réflexion.
Le premier chapitre donne quelques clefs de compréhension en retraçant les sources de la culture urbaine et propose une définition des principaux termes employés dans ce dossier.
Le second chapitre pose un regard sur les mouvements et mutations sous la forme d’une critique sociale.
Le troisième chapitre envisage comment ce phénomène conduit à une évolution des institutions d’éducation et d’insertion.
L’équipe du dossier,
Ali ABDERRAHMANE, Hugues BAZIN, Raymond CURIE, Mehdi FARZAD, Damien MABIALA

Chapitre 1 : Mémoires

A partir du moment où on a commencé par falsifier notre histoire, il faut qu’on réagisse en reprenant notre histoire et notre culture.

  • P.6 : Le rock est mort vive le rock par Jorge de la Barre
  • P.10 : Reggae et hip-hop par Hugues Bazin
  • P.11 : Aux sources du raggamuffin par Super John
  • P.12 Nation Zulu par Damien Mabiala
  • P.14: Dix ans d’histoire dans les banlieues par Adil Jazouli
  • P.18 : Brève histoire du hip-hop français par Georges Lapassade
  • P.21 : Tag, Graff, danse et rap par Damien Mabiala

Chapitre 2 : Regards

C’est la perception de ce qui est visible : les bandes l’État, la retranscription des faits par les médias. En fait, peu de gens savent ce qui se passe…

  • P.26 : Le hip-hop dans la société médiatique par Georges Lapassade
  • P.32 : Les bandes, mythes et réalités par Adil Jazouli
  • P.34 : Histoire des bandes, reflet de la société par Maryse Esterle
  • P.38 : Identité, violence et critique sociale par Raymond Curie
  • P.41 : Histoire d’Antonio pas Pascal Obolo
  • P.42 : Vent de couleur sur la ville par Nathalie Begot
  • P.43 : Femme de Toulouse par Karima Ouabache

Chapitre 3 : Mouvement

Des jeunes disent appartenir un mouvement mais dans quel mouvement sincère les traverses sociaux entre parenthèses et autres professeurs, éducateurs, universitaires, intervenants), de quelle appartenance revendique-t-il ?

  • P.46 : Hip-hop, un défi pour les traverses sociaux par Guy Magin
  • P.48 : Pour une véritable action sociale par Anne Lyse Viel
  • P.50 : Lutte contre l’échec scolaire par Mehdi Farzad
  • P.56: Un espace culturel à l’université par Georges Lapassade

Édito

PEPS se mettrait-elle à «rapper» ? Il est de bon ton aujourd’hui pour paraître «branché» de suivre ce mouvement. Certains médias, producteurs ou décideurs peu scrupuleux cherchent à récolter quelques bénéfices en le parant des habits de la mode. Nous ne désirons pas jouer à ce «top 50» dont la superficialité transforme une aspiration légitime à la dignité d’une frange importante de la population en un simple produit de supermarché.
Il ne se déroule pas une semaine sans que paraisse un article extasie sur ce «nouveau phénomène» ou qu’un politique découvre éberlué une banlieue avec des gens qui y vivent et s’expriment, parfois avec violence.
Le nombre de paroles déversées sur le «phénomène» social et culturel urbain est inverse-ment proportionnel à la connaissance effective de ce qui se passe aujourd’hui dans la rue. Les médias, en premières lignes des accusations, représentent fidèlement un système basé sur l’immédiateté et l’événementiel. L’événement existe, il est d’un autre ordre. Sans être spectaculaire il révèle une mutation profonde.
Ce dossier – fruit du travail d’un collectif (jeunes, travailleurs sociax, universitaires,…) – s’inscrit dans une démarche d’ensemble:
Le numéro spécial de PEPS «Banlieue Cent Visages» (mars 89) suivi en mars 90 par la rencontre nationale du même nom, partait d’une intuition qui nous est apparue à tous comme une évidence:
– il existe une fracture profonde de la société, nous parlions de «société à deux vitesses»
– dans des zones urbaines – appelées «banlieues» -, étaient en train de se forger les outils qui transformeront la société de demain
– que l’un de ces outils puissants était représenté par l’expression culturelle et artistique; moyen de reconnaissance et d’affirmation d’une dignité.
– enfin qu’il était urgent et vital de tisser des réseaux, de renouer les fils d’un dialogue entre les principaux acteurs (la population des 15/30 ans principalement) et les différents partenaires et intervenants dans les quartiers (travailleurs sociaux, élus, représentants institutionnels et ministériels)
– que ces liens devaient être directs et marquer la fin de l’aristocratie de ceux qui «parlent pour..» ou «font pour…» Il fallait restituer aux jeunes leur titre «d’auteur».
Les événements qui se sont précipités depuis ont confirmé cette première perception; et quand M Delebarre rencontre directement des jeunes de Sartrouville (2), il ne fait pas preuve d’une «politique éclairée» mais d’un simple bon sens.
Nous pouvons regretter qu’il eut fallu autant d’années et de sang versé pour reconnaître l’évidence. Mais l’heure n’est plus au constat. Il est temps pour tous, non pas de mettre en place un nouveau développement, mais réinventer la notion de développement qui rangera enfin dans les rayons de la caricature les murs des cités transformés en murs d’escalade au même titre que le concept révolu «d’intégration».
Ceci exige de comprendre de façon intime les bouleversements et les mutations qui s’opèrent actuellement en commençant par ce qui en constitue la fibre même: le sentiment d’appartenance et de dignité.
Ce dossier pose une première pierre. Il sera suivi d’autres actions significatives tout au long de cette année qui reprennent les principes et la méthodologie de «Banlieue Cent Visages»: se doter de moyens de réflexion et de formation, ouvrir un espace de rencontre et d’expression…. Nos lecteurs en seront bien sûr les premiers informés.
Hugues BAZIN

(1) Le mardi 26 mars Djamel Chettouh (18 ans) habitant la cité «des Indes» à Sartrouville (banlieue nord-ouest de Paris) est tué par un vigile du centre commercial «Euromarché». Ce meurtre déclenche chez les jeunes de la cité une révolte attisée par les propos du maire de la ville qui les traite de «voyous»… Après plusieurs jours de flottement politique (aucun responsable gouvernemental n’ose se déplacer), Michel Delebarre, Ministre de la ville, rencontre une délégation des jeunes de Sartrouville le 4 avril à Versailles.

No 28 – Sommaire / Edito

Sommaire

I. MÉMOIRE

  • Les chemins du politique. Saïd Bouamama. P.5-6
  • -L’émigration portugaise, Joachim Soarez. P.6-7
  • Histoire du mouvement beur, Mogniss H. Abdallah, Hugues Bazin. P.8-9

II. DISCOURS ET RÉALITÉ SUR LES QUARTIERS

  • Paradoxes, J.P. Descamps. P.11
  • Ça bouge à Bondy, Raymond Curie. P.12-14 / Rock Ardennes. Solidarité P.14
  • Des flocons bleus à Grigny, Martine Gerson. P.15
  • Gennevilliers, histoire d’une Mobilisation, Hafida Charef, Hugues Bazin. P.16
  • Témoignages, Karine Veducheau, Hafida, Charef, Rodolphe Soligny, P.17
  • Texture : Penser, parler, écrire, agir et change pour la citoyenneté. Saï t Bouamama. P.18-19

III. OUVERTURE D’UN ESPACE CULTUREL

  • La seconde conquête de l’espace, Hugues Bazin. P.21-22
  • Aubervilliers Bande Comédie, Catherine. Boskowitz. P.22-23
  • Traction Avant Cie, Marcel Notargiacomo. P.24
  • Festival « Y’a de banlieue dans l’air » P.26

IV. UNE PENSÉE GLOBALE POUR DES ACTIONS LOCALES

  • Travail social et décentralisation, Raymond Curie. P.28-29
  • Démythifier le social, Hugues Bazin. P.30-31
  • Naissance d’une mutuelle. P.31
  • Délégation interministérielle pour la ville, Liliane Guigni, Nicole Martin, Hugues Bazin. P.32-33
  • Jeunesse et nouvelle citoyenneté, Saïd Bouamama. P.32-33
  • Rencontre nationale « Banlieue cent visages ». P.33-34
  • Le séjour des jeunes étrangers en France, Patrick Mony. P.35-36.

V. VERS UNE NOUVELLE CITOYENNETÉ

  • Saïd Bouamama. P.38-39
  • Bibliographie. P.39

Édito

Jeunes des banlieues et banlieue des cultures, ce numéro spécial inter-associatif (LPS -Mémoire Fertile – PEPS – STAJ) ouvre le débat. La diversité des articles est à l’image des cent visages d’une banlieue regardée habituellement sans visage.
Il y a des logiques contradictoires et des contradictions entre discours et réalité. La richesse des interventions dévoilent aussi ces contradictions. Nous avons pris ce risque. Au ventre mou d’un consensus hâtif nous préférons l’âpreté des débats préliminaires à toute construction.
Conçu comme une étape, ce numéro de PEPS conduira le groupe initiateur à l’organisation d’une Rencontre Nationale le 24-25 novembre 1989 à Nanterre. Ce sera l’occasion d’ouvrir, nous l’espérons, un espace d’expressions et de propositions.
Le droit des cités et des jeunes à s’exprimer et à être entendu soulève des vagues. Parfois surgit le vieux syndrome de « mai » dans la peur collective d’un raz-de-marée.
Sous les paradoxes pointés par le dossier se cache un malaise :
Présentés comme « fer de lance » des politiques, les jeunes sont « partenaires », « avenir du pays », « force vive ». Cependant lorsqu’ils prennent une place non attribuée, ils ne leur restent que le droit de se taire.
Ils sont alors « en difficultés », « délinquants », au pire « inadaptés », au mieux « à réinsérer ». Si ces qualificatifs justifient le mandat de l’intervenant, ils appauvrissent la lecture de la réalité sociale. Cernés dans un problème ou une maladie, on s’autorise à parler d’eux et traiter de leur sort derrière le langage éducatif de « l’autonomie des populations ».
Aussi est-il important de préserver une mémoire en suivant la trace des différentes mobilisations des jeunes de cette décennie. Il est nécessaire de partir des formes de participation et d’expression, action d’aujourd’hui, pour démystifier le discours sur « jeunes des quartiers » et « jeunes immigrés ».
Concevoir une pensée globale pour une action locale exige ce cheminement. Sans quoi l’idée de « nouvelle citoyenneté » sera comme le ravalement des mots « Liberté-Egalité-Fraternité » sur le frontons des mairies en cette année « révolutionnaire ». Elle risque d’appeler la dérision au lieu de la considération de ceux qui savent quotidiennement ce que « Droit de l’Homme » veut dire.