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Le rapport entre violence légitime et illégitime, ferment d’une conscience collective

Dans ce rapport entre violence légitime et illégitime se joue la possibilité de quatre composantes d’une mobilisation sociale de faire leur jonction ou non : la classe ouvrière, les quartiers populaires, les couches moyennes précarisées et la gauche radicale. Cette jonction est apparue jusqu’à maintenant improbable, car ne s’appuyant pas sur un rapport social commun, notamment le rapport au travail.

Le but de la violence légitime est de faire apparaître comme illégitime toute opposition à sa violence. Ceux qui sont dépositaires de cette violence légitime sont les corps constitués de l’État, en l’occurrence la police et l’armée.

Ce qui s’est passé ce 1er mai à Paris est un exemple de l’utilisation de la violence légitime de manière illégitime.
Le rapport était à peu près d’un policier pour cinq manifestants pour le défilé du 1er mai de Bastille à Nation. Même si on peut discuter de la proportion de ce rapport, il n’en demeure pas moins que le dispositif mis en place n’était pas celui d’un maintien de l’ordre discret d’une manifestation, mais d’une militarisation de l’espace public. Entendons par « militarisation » non seulement la disproportion entre la partie armée et la partie civile, mais par le fait que la société civile dans son ensemble est considérée d’emblée comme hostile.

À partir de ce principe, l’objectif n’est pas de garantir la paix, mais d’organiser la violence. Avant même le départ de la manifestation à la place de la Bastille les policiers suréquipés étaient directement en contact avec les manifestants et verrouiller déjà toutes les rues adjacentes. Certaines de ces rues étaient occupées par des groupes spécialisés comme la BAC facilement reconnaissable bien qu’habillée en civil et qui étaient déjà prête à l’action.

La question n’était donc plus de savoir si l’affrontement allait avoir lieu, mais de déterminer le lieu de l’affrontement. La tactique est un moment donné de détacher la tête du corps de la manifestation, ceci pour en extraire les éléments les plus violents. Pour créer cette émulsion, la gent casquée montre ces apparats de manière ostensible comme pour mieux agiter un chiffon rouge dans un champ de taureaux. Il ne suffit alors de pas grand-chose pour déclencher l’étincelle. Une fois les premiers heurts constatés, les forces de l’ordre par les rues adjacentes coupent la manifestation en deux. C’était ici au niveau du métro Reuilly – Diderot à 400 m de l’arrivée à la Place de la Nation.
Comme pour un filet de pêcheurs, une nasse se constitue. Il s’agit alors de « traiter » cette zone qui dans le langage fleuri militaire veut dire écraser, annihiler en utilisant à profusion gazage et matraquage. Cette hyper violence doit apparaître comme la résultante d’une première violence. Dans un enchaînement imparable, la contre-réaction à cette violence permet ensuite des interpellations sous différents libellés qu’il sera ensuite difficile de contester.

Cependant ici ce dispositif n’a pas vraiment fonctionné pour deux raisons. La première est que le 1er mai est aussi une fête familiale et comme en témoigne la photo, le profil de ces « casseurs » peut être très étendu, des enfants aux vieillards… D’autre part et surtout cette fois-ci les syndicats officiels, sans doute au regard du contexte politique, n’ont pas accepté de dérouter le corps de la manifestation pour laisser fonctionner la nasse. Après un statu quo très tendu d’une heure où les manifestants criaient « libérez nos camarades » indiquant également par là une solidarité avec tous les manifestants quel que soit le degré d’expression violente, finalement les forces de l’ordre ont cédé et ont laissé rejoindre les deux parties où ces retrouvailles ont donné lieu à une scène de liesse étonnante. La manifestation a pu ainsi se dérouler jusqu’au bout à la place de la Nation. Ce qui n’a pas empêché quelques projectiles de voler à droite et à gauche.

A été déployé le soir pour boucler la place de la République le même scénario programmé. Un des prétextes fut la dégradation de la vitrine d’un magasin de sport. Cette fois-ci malgré l’intervention des conciliateurs de Nuit Debout le rapport de force était défavorable. Le dispositif était encore plus vicieux d’une certaine manière puisque les personnes se sont laissées refouler dans le métro pour ensuite être gazées et matraquées jusqu’à l’intérieur des couloirs. Sans doute cette nuit va représenter un point de bascule d’une manière ou d’une autre dans la poursuite de l’occupation de la Place et des stratégies à déployer.

Cette dérive sécuritaire est directement cautionnée par l’état d’urgence qui se pare d’un dispositif technique et juridique. Le pouvoir en place comme les partis politiques d’opposition usent et abusent de cet argument. Mais sa légitimation initiale liée à l’effroi des attentats s’effrite de plus en plus. Dès les premiers jours de l’état d’urgence, nous soupçonnions ses dérives (« Quand le terrorisme devient le meilleur allié du capitalisme »).

Sans doute la délégitimation de la violence d’État n’aurait pas suffi à donner aux différentes formes de mobilisation leur caractère éruptif quasi insurrectionnel si elles ne rejoignaient pas l’opposition à une autre violence plus profonde et insupportable, celle socio-économique dont la « loi travail » a réussi à symboliser toute l’arrogance oligarchique.
La militarisation du territoire, les quartiers populaires n’ont pas attendu l’état d’urgence pour se confronter à cette violence. De même les classes laborieuses n’ont pas attendu la loi El Khomri pour subir l’oppression des rapports économiques de subordination. Ce n’est pas non plus d’hier que la gauche radicale dénonce les rapports de domination. Enfin, les étudiants, les travailleurs intellectuels, artistiques et autres indépendants savent au quotidien ce que la précarisation induit.

Cependant, chacune de ces composantes ne peut à elle seule changer le rapport de force, étant séparée dans leur manière de vivre et de répondre à leurs conditions de vie. Paradoxalement, la double conjonction d’une délégitimation de la violence d’État et d’une violence économique, notamment à travers ces points de focalisation dans l’espace public peut constituer le ferment d’une conscience collective. C’est en cela que les « casseurs » ne peuvent être séparés sociologiquement du reste du mouvement quoi qu’en disent les médias mainstream et des intellectuels qui préfèrent préserver leur position dominante que d’assumer leur fonction critique. La manière dont cette rage pourra être réorientée en stratégie aura une incidence déterminante sur la suite du mouvement (« Agir en primitif et prévoir en stratège ») en offrant un point de référence entre les différentes luttes qui n’ont pas réussi jusqu’à maintenant à trouver leur traduction politique.

Nous n’en sommes pas encore à former ces fameux « Communs » (définis par Edwy Plenel et d’autres) qui pourraient structurer une nouvelle organisation économique et politique. Effectivement, ces Communs ne pourront pas se penser à partir d’une seule catégorie au risque de reproduire un schéma ethnocentré qui réduirait une transformation de la société à une lutte de champs tels qu’ont pu se laisser enfermer les corps intermédiaires (syndicats, partis politiques, associations, universités, etc.). C’est ainsi qu’ont pu prospérer les « penseurs » néoconservateurs et réactionnaires sur le terreau de décomposition de la gauche dont ils sont issus (Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Pascal Bruckner, Pierre-André Taguieff, Alexandre Adler, Max Gallo, Philippe Val, Élisabeth Badinter, etc.) érigeant en guise de pensée politique l’éthnicisation des rapports sociaux et ses dérives identitaires les plus inacceptables.

On ne peut s’opposer à cette contre-révolution intellectuelle que par une autre révolution. Elle ne s’obtiendra pas simplement en réunissant Nuit Debout avec les mouvements syndicaux ou les associations militantes de banlieue où les minorités actives basées sur la défense des droits : LGBT, genre, migrants, « sans ». Elle viendra dans la possibilité de chacune de ces composantes de se penser de l’extérieur dans sa capacité à être ou redevenir une forme instituante de la société. Bien qu’on puisse tout à fait la développer sans s’y référer, cette démarche d’auto-analyse n’est pas sans rappeler les courants de la sociologie radicale tels que l’analyse institutionnelle et certaines formes de recherche-action. C’est aussi une manière d’indiquer qu’un mouvement transversal se structure à travers une intelligence collective qui dépasse les disciplines et croise les savoirs.

Les situations éruptives permettent de déconstruire les formes constituées, mais les formes constituées permettent de structurer les situations transversales sans organisation. C’est bien dans la tension entre les deux processus, dans le mouvement des luttes que se forgera cette conscience collective.

Dans le jeu entre légitimation et délégitimations de la violence, la balance ne penche pas toujours du côté de ceux qui possèdent le bras armé comme en témoigne la révolution tunisienne. À la vitesse où se reconstitue une culture politique auprès de ceux qui étaient réputés n’en avoir aucune, le pouvoir en place aurait tort de miser sur une dégradation des relations sociales pour se maintenir, même s’il valide de fait aux prochaines échéances électorales le renforcement d’un pouvoir autoritaire.

Réunion d’ouverture programme recherche-action « La biffe comme écodéveloppement en milieu urbain »

Invitation à la mise en place du programme de recherche-action

« La biffe comme écodéveloppement en milieu urbain »

Le 7 avril 2016 de 14h à 17h – salle 414

MSH Paris Nord – 20 avenue George Sand – 93210 La Plaine Saint-Denis – M° 12 Front populaire

Ce séminaire atelier ouvre le programme de recherche-action en partenariat avec la Maison des 2016-635936624963200459-320Sciences de l’Homme Paris-Nord. Il a pour but principal de confirmer les modalités de structuration et de développement sur 2016-2017. Si l’atelier est ouvert à tous acteurs – chercheurs motivés par la démarche et les problématiques[1], il nous faudra trouver la forme collaborative la plus adéquate pour la constitution d’un collectif où chacun puisse trouver une place et un mode d’implication.

Nous essaierons notamment d’articuler trois points d’organisation du programme en précisant une définition, une organisation, une production :

  • La gouvernance : mise en place à différentes échelles d’une démarche sur un territoire : recherche collaborative, problématique de travail, implication de tous les acteurs concernés de manière égalitaire selon une maîtrise d’usage
  • La formation-action : condition d’une intelligence collective et validation de compétences collectives (dans l’articulation avec des enquêtes de terrain et des ateliers transdisciplinaires)
  • L’expérimentation : accompagnement, production de connaissance et modélisation d’un espace marchand sur le territoire francilien

Nous nous projetterons donc sur deux ans pour envisager comment peut s’articuler ce processus. Le but est de partir de la réunion avec un outil opératoire et une répartition des tâches.

 

[1] Il est fortement conseillé avant de venir à la rencontre de se documenter sur la démarche à l’origine de la mise en place de ce programme, le collectif Rues Marchandes (http://recherche-action.fr/ruesmarchandes/) et la démarche de recherche-action portée par le Laboratoire Social (www.recherche-action.fr).

La biffe, perspectives d’un écosystème ? (Paris)

RUES MARCHANDES vous invite à une soirée projection-débat

« La biffe, perspectives d’un écosystème ? »rues-marchandes-amelior
Mardi 1er mars, de 19h à 22h
A l’Archipel, 26 bis rue de Saint Pétersbourg
75008 Paris
Entrée libre

Projection

des films de WOS/agence des Hypothèses/Claire Dehove et Julie Boillot-Savarin

  • « Raconte-moi Ta Rue Marchande » : reportage-portrait de l’activité biffine en région parisienne/
  • « Kit de Libre Ambulantage »  :   étals ambulants pour le commerce informel dans l’espace public

Débat

animé par Sophie ALARY d’Aurore et Christian WEISS, géographe, membre du collectif Rues Marchandes,  en présence de :

  • Hugues BAZIN, sociologue, chercheur au LISRA, co-fondateur de Rues Marchandes
  • Patrick  SPISAK et Lucien SAVU, biffins
  • Martine HUSER, biffine bijoutière, collaboratrice du film KIT de Libre Ambulantage
  • Samuel LECOEUR, co-fondateur et président de l’association AMELIOR
  • Ninon OVERHOFF, présidente du SIGA SIGA/ la Boutique Sans Argent (Paris 12ème)
  • WOS/agence des Hypothèses/Claire DEHOVE et Julie BOILLOT-SAVARIN

 

Hold-up mental

Nous assistons à une manipulation mentale utilisant le choc traumatique des derniers attentats pour anesthésier la conscience populaire. Les plus anciens d’entre nous se souviendront peut-être que le titre « Hold-up mental » fait référence au célèbre morceau du groupe de rap IAM [1] .

« Lourde comme le rythme qui m’accompagne13943429-720x485

Je lance l’ascension qui frappe sans palabre

Les incultes qui tentèrent de nous étouffer

Dans un ghetto où il est difficile de s’échapper

Car il est clair que l’ignorance est une énorme barrière

Un obstacle à l’évolution autre que guerrière

Mais je me suis un jour pris en main

Et suis parti en quête de précieux bouquins

[…] Vos exactions entraînent un verdict sans égal

Subissez à présent un hold-up mental »[2]

13943429Le hold-up mental dont parle IAM est une déconstruction du langage dominant opéré par le rap pour faire émerger un nouvel imaginaire émancipateur de sa condition sociale, notamment à travers la prise de conscience de l’accès à la connaissance comme outil de libération. Le but est d’opérer un choc mental par le flow (rythme des mots scandés), véritable « retournement de la tête » appuyé par la force métaphorique et allégorique du vocabulaire. C’est en fait la base du rap, qu’il est donc inutile d’appeler « hardcore », « social » ou « politique » sinon pour le distinguer d’une variante édulcorée reprenant dans une version stéréotypée et une visée commerciale (les deux étant liées) cette faculté de faire passer un message.

Le « hold-up mental » dont nous parlons aujourd’hui est exactement inverse de ce que voulait exprimer IAM. Ici, la « stratégie du choc » [3] est utilisée pour légitimer un état d’urgence et étouffer dans l’œuf le réveil d’une conscience politique, en l’occurrence la mobilisation de la société civile autour de la question du climat. C’est symptomatique d’un modèle de gouvernance qui, au lieu de faire confiance à la responsabilité citoyenne qui serait le meilleur appui aux négociateurs de la COP 21, préfère vider les rues des manifestants et déresponsabiliser ou infantiliser leurs encadrants pour que les chefs d’État puissent se réunir tranquillement.

Cela a commencé par le discours martial devant la Représentation Nationale, l’imposition du deuil et l’injonction du drapeau, enfin le discours aux Invalides sur « une génération devenue l’image de la France », n’autorisant qu’une seule vision de la société délégitimant toute analyse critique assimilée à du « sociologisme » ou de la « justification »[4].

Le détournement consiste ainsi à transformer le légitime choc émotionnel en légitimation d’un rapport de domination qui permet aux autorités, sans l’ombre d’un débat, de mettre en résidence surveillée des militants, d’interdire les manifestations puis les réprimer sous le couvert de l’état d’urgence. Des pratiques dignes d’un État autoritaire que ne renierait pas Monsieur Poutine.

L’alliance objective du système économique que nous décrivions dans un précédent billet[5] est renforcée par celle du système médiatique. La fonction première de décrypter la réalité a été dévoyée au profit d’une construction de la réalité. Il ne s’agit plus d’informer, mais de participer à une expérience commune cimentée par l’émotion, autre manipulation mentale qui n’a de seul but que vendre du cerveau disponible par effet de subjugation.

Ainsi est opposé de manière particulièrement perverse le recueil du deuil incarné par l’autel populaire érigé en mémoire aux victimes des attentats au pied de la statue de la Place de République à la violence irrespectueuse des manifestants sur cette même place appartenant pourtant au même peuple. Un simple décryptage des vidéos permettrait de comprendre comment une manifestation pacifique ce dimanche 29 novembre dégénère en affrontements par effet de nasse, vieux système par ailleurs utilisé par les forces de l’ordre pour séparer les « bons » des « mauvais »[6].

Les effets risquent d’être surprenants où ce gouvernement va finir par réussir en quelques jours d’état d’urgence à ce que n’a pas pu faire la gauche radicale en 30 ans, c’est-à-dire relier et renforcer un mouvement social au-delà de ses logiques groupusculaires.

[1] Hold-up mental (4’51), Akhenaton, Shurik’N / IAM, «Red, Black and Green » EP 1991, « Micro d’Argent » Album Edition limitée, 1998
[2] Lyrics complets ici – vidéo ici
[3] Voir l’excellente analyse de l’essayiste canadienne Naomi Klein.
[4] Michel Wieviorka, Terrorisme : pouvons-nous critiquer le discours officiel ?
[5] Quand le terrorisme devient le meilleur allié du capitalisme
[6] La police se lance dans le tri sélectif des manifestants et ici pour un récit détaillé de la manifestation