15 novembre 2015

Pour une révolution des invisibles

Par Hugues Bazin

Il y a un discours martial chez les hommes de pouvoir d’autant plus guerrier qu’il signe leur absence de pouvoir à imaginer une autre société. J’avais déjà suspecté cette dérive dans un texte sur le 11 janvier qui se confirme un peu plus chaque jour : « Ce dimanche 11 janvier je suis allé marcher au Col de la Liberté ». Quant à l’unité, elle ne peut pas être de l’ordre de l’injonction, elle ne peut naître que dans la conscience d’être acteur d’une histoire collective, mais quel récit collectif ?

Il y a un récit collectif qui s’écrit qui n’est pas le nôtre entre d’un côté les identitaires et les déclinistes et de l’autre, les intégristes et les terroristes. Les premiers rêvent d’un modèle de société qui n’existe plus pour mieux la momifier, les seconds rêvent d’abattre un modèle occidental qui n’a pas nécessairement besoin d’eux pour s’écrouler puisqu’il se recroqueville sur lui-même comme une patate toute sèche et ridée.

Donnons au moins une bonne raison aux uns et aux autres de vouloir nous éliminer en inventant de nouvelles formes de radicalité. Si le peuple est le seul héros, à lui d’écrire son récit collectif. Si c’est ce peuple qu’on a voulu assassiner en banlieue de Saint-Denis ou dans les quartiers de l’Est parisien, alors à lui d’affirmer que dans les cafés et les concerts, les stades et les lieux publics, se fomente un art festif de la révolution.

Ce n’est pas simplement une jeunesse écervelée qui s’épanche dans des lieux de consommation ou dans des rituels conformistes. Pour éviter qu’il soit libre, on dit au peuple qu’il n’a pas d’idéal. Ce qui arrangerait bien les marchands de sécurité ou de paradis qui prétendent écrire l’histoire au nom du peuple pour mieux le diviser et le soumettre. Ils transforment les aspirations en « sous-cultures » afin de mieux, au gré des circonstances, les ignorer ou les médiatiser, les mépriser ou les canoniser, les craindre ou les récupérer.

Ainsi ce sont toujours ceux qui tiennent les rênes du pouvoir qui écrivent l’histoire visageofficielle, justifiant idéologiquement une domination pour mieux cacher leurs intérêts triviaux et mercantiles. Les révolutions populaires, celles qui transforment réellement la société, restent invisibles puisque non écrites.

 

À ce peuple de ne plus se laisser écrire par d’autres, laisser libre cours à un imaginaire instituant de la société. Cette dimension de l’utopie agissante, de la transgression créative renvoie à l’urgence d’écrire une nouvelle page de ces « révolutions invisibles » et dresser un pont entre les générations.

Hugues Bazin, 13 novembre 2015