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Extrait d’enquête. Odile. Des savoir-faire et des amis pour se relever des maladies.

Par Mélanie Duclos

7 septembre 2016 – Marché de la Croix-de-Chavaux (Montreuil, 93) – Entre 9h et 12h

C’est notre premier jour de travail de terrain.

Il fait beau. Sous le préau de la place de la Croix-de-Chavaux, les clients sont encore peu nombreux, les allés marchandes aérées. L’ambiance est calme et même joyeuse : à l’entrée du marché qui fait face au métro, sur l’étal d’un de ses marchands, un transistor fait de la musique.

Ici et là, dans leur gilet jaune, on reconnaît les membres d’Amélior : l’association qui, chaque mois, avec le soutien de la mairie de Montreuil, organise et tient ce marché. Et puis il y a nous, les quelques chercheurs-acteurs du collectif Rues marchandes, venus ce premier jour à la rencontre des biffinsi.

Je fais un tour avant de me lancer, je flâne au hasard des allées. Ici des vêtements, des pantalons des chemises soigneusement pliées, là des bijoux de la vaisselle et des jouets pour enfant, ces étals hétéroclites typiques de la biffe plus encore que de la brocante. Sur les bords, à droite, à gauche, les Roms ont déballé à la suite les uns des autres. Au fond, les Chinois eux aussi se sont regroupés. Et puis il y a tous les autres : nationaux et immigrés du Maghreb ou de l’Afrique noire, descendants d’immigré aux peaux souvent foncées, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes.

C’est vers les femmes que je me tourne – car le rapport aux hommes peut être compliqué, pour le moins au premier abord, dans cet espace de rencontre qu’est la place du marché et où les jeunes blanches sont rares si ce n’est même absentes – vers une femme en particulier, connaissance de connaissance, qui connaît Martine et Chantale, biffines des Rues marchandes.

« Ah oui, Martine, si je la connais ?! Quel amour cette Martine ! »

Comme c’est souvent au marché des biffins où vis-à-vis des inconnus c’est la méfiance qui prévaut – vu l’informalité de la biffe, les concurrences entre biffins et les regards négatifs généralement portés sur eux – et où les liens de solidarité peuvent être, à l’inverse, extrêmement étroits, notre connaissance commune nous rapprochent et met en confiance.

« Tous les week-ends elle est venue me voir quand j’étais à l’hôpital. C’était l’année dernière, je me suis cassée le col du fémur. Elle était là tous les week-ends et même le jour de mon anniversaire, elle est venue avec des fleurs ! Vraiment, quel amour cette Martine ! »

Odileii doit avoir autour de soixante-dix ans, petite et mince, cheveux mi-longs gris, chemise simple et pantalon. Quand elle sourit, comme à présent, ses yeux se ferment presque et toutes ses rides sourient comme si elle n’avait cessé de sourire toute sa vie. Quand elle recouvre son sérieux, c’est pourtant de la tristesse qu’on lit dans ses yeux gris derrière ses lunettes, comme de la mélancolie.

« On se connaît depuis longtemps avec Martine. On s’était perdues de vue à un moment donné… Et on s’est retrouvées, un jour, dans une brocante. Une amie m’avait fait une petite place – moi j’ai pas les moyens, moi, pour les brocantes. Et y’avait Martine qui chinait. On était bien contentes de se retrouver ! »

Depuis l’allée marchande, pour mieux l’écouter, je suis passée de l’autre côté de l’étal où Odile est assise sur sa chaise pliante. Odile continue:

« Heureusement que je suis bien entourée comme ça. Parce qu’avec l’âge, vous savez, c’est de plus en plus difficile. Là c’est mon pied qui me fait mal, ça commence à m’inquiéter. »

Elle regarde son pied, enflé. Une cane repose à ses côtés.

« Je devrais faire des analyses la semaine prochaine… Heureusement qu’il y a Martine et mes amies des brocantes et mes voisines aussi, des dames très gentilles, qui me donnent des choses, des bijoux surtout parce qu’elles savent que j’aime beaucoup les bijoux. »

Elle n’en porte pourtant pas. Ni bague, ni bracelet, ni boucle, peut-être une fine chaîne dissimulée sous sa chemise ? Mais son étal en est rempli. Dans des bacs en plastique, les pendentifs et les bagues, les petits bracelets s’entremêlent. Sur le tissu rose sombre qu’elle a étendu sur l’asphalte, les colliers, les boucles d’oreilles et les bagues en argent couvrent la moitié de la place. L’autre moitié mélange des vêtements, des sacs et des outils de cuisine ou de décoration qu’Odile a disposés de manière à donner envie. Aux clients qui s’arrêtent, des femmes surtout et surtout sur les bijoux, elle donne en souriant tout un tas d’informations : matière, époque, provenance, technique de nettoyage et de confection…

« J’aime beaucoup les objets. Mais ceux que j’aime, par-dessus tout, c’est les objets naturels : en bois, en cuivre, en argent… Je sais pas pourquoi, mais ça me passionne. Alors je fais des recherches, je me renseigne, ça me rend curieuse. Je répare aussi. J’ai des outils chez moi, à la maison, pour réparer. Quand on me donne des objets abîmés ou cassés. Ou quand je trouve… »

Elle prend un air un peu coupable, coupable gentiment.

« Des fois, quand je trouve dans les rues, je ramasse aussi, ça m’arrive.

  • Mais tu tournes pas, tu fais pas des tournées des poubelles ?

  • Non, plus maintenant. Avec mon pied, j’ai mal aux hanches… J’habite le 19ème, à 15 minutes d’ici à peine et j’ai déjà du mal à venir à vélo, alors tu penses ! Avant oui… Avant, avec un ami, il avait une voiture, on faisait les encombrants, tu sais, en banlieue, dans le 91 surtout. Et les poubelles aussi dans Paris. Avant oui mais plus maintenant…

  • Ça fait longtemps que tu fais ça ?

  • Oh oui ! 1987. L’année de mon cancer. C’est cet ami justement qui avait la voiture qui m’a proposé. Il disait que ça me ferait du bien, de pas rester sans rien faire, de voir du monde et puis de vendre aussi. J’étais vendeuse avant, dans les grands magasins. C’est comme ça qu’on a commencé. À Saint-Ouen d’abord, rue Fabre, à l’époque où le placier disait rien. Puis à Montreuil… On a vendu longtemps tous les deux… »

Elle a son air mélancolique.

« C’était ton compagnon ?

  • Mon compagnon, oui. Il est mort le pauvre. D’un crise cardiaque il y a des années déjà. C’était moi qui avait des tas de problèmes de santé, et finalement c’est lui qui part et moi je reste… Alors voilà, mais je continue. Plus comme avant, maintenant, avec mon pied, je peux plus courir comme avant, quand il y avait la police, fallait courir hein ?! Halala ! Non, maintenant, c’est ici, avec Amélior et puis des fois des brocantes ou des vide-greniers quand j’ai des amies pour me garder la place. Ça me fait du bien, de retrouver les gens… Et puis faut boucler les fins de mois aussi. Avec ma petite retraite, j’irai pas loin si j’avais pas ça. »

i Vendeurs-récupérateurs d’objets le plus souvent trouvés dans les poubelles

ii Par souci de confidentialité, le nom a été modifié.

Atelier public de recherche-action avec les récupérateurs-vendeurs

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Invitation à l’atelier public de recherche-action

« La biffe comme écodéveloppement en milieu urbain »

Le 29 septembre 2016 de 14h à 18h – salle 410

MSH Paris Nord – 20 avenue George Sand – 93210 La Plaine Saint-Denis – M° 12 Front populaire

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Bonjour à toutes et tous,

Nous avons le plaisir de vous convier au prochain atelier des Rues marchandes.

À l’ordre du jour de cet atelier :

1. Bilan des activités réalisées et rappel de celles à venir

2. Point sur l’état d’avancée des différents travaux :

  • Le guide culturel et juridique
  • La cartographie participative
  • L’étude d’impact
  • La plateforme ressources

3. Programmation de la journée publique du 2 novembre au cours de laquelle nous présenterons et discuterons nos travaux en cours.

À ce propos, les personnes susceptibles d’intervenir le 2 novembre, que ce soit pour présenter ou discuter nos matériaux, sont cordialement invitées à nous rejoindre pour cet atelier, ou, si elles ne peuvent être là, à prendre contact avec nous.

Pour le collectif Rues marchandes, Hugues Bazin et Mélanie Duclos

Les récupérateur·e·s de déchets : entre marginalisation et reconnaissance

Article de Claudia Cirelli et Bénédicte Florin paru dans le revue Mouvements du 06/09/2016.

La décharge de Médiouna, Casablanca, Maroc. Tou·te·s les acteur·e·s des déchets sont présent·e·s : camions des intermédiaires semi-grossistes, récupérateur·e·s, charrettes et ânes des ramasseur·e·s de déchets verts pour animaux, camions-bennes des sociétés de collecte, bulldozer de la société qui gère la décharge, vaches et moutons des éleveur·e·s, au fond à gauche (Photo B. Florin, 2012)

La décharge de Médiouna, Casablanca, Maroc. Tou·te·s les acteur·e·s des déchets sont présent·e·s : camions des intermédiaires semi-grossistes, récupérateur·e·s, charrettes et ânes des ramasseur·e·s de déchets verts pour animaux, camions-bennes des sociétés de collecte, bulldozer de la société qui gère la décharge, vaches et moutons des éleveur·e·s, au fond à gauche (Photo B. Florin, 2012)

Le travail et la situation sociale des récupérateur·e·s se transforment avec l’intensification des circulations urbaines et mondiales de déchets et leurs prises en charge étatiques, industrielles et humanitaires – avec, aussi, leurs mobilisations et prises de paroles. Claudia Cirelli et Bénédicte Florin proposent une synthèse des enjeux à l’œuvre à partir de l’ouvrage qu’elles ont coordonné en 2015, Sociétés urbaines et déchets. Éclairages internationaux. A travers la diversité des cas présentés, de la marginalisation la plus précaire à la constitution de groupes professionnels, elles relèvent notamment l’émergence d’un discours de plus en plus collectif qui, par l’appropriation des discours dominants sur le « développement durable », plaide la valorisation du travail de récupération avec des arguments écologistes, hygiénistes, économiques et humanitaires. La reconnaissance d’un droit sur les déchets engage plus largement celle d’un droit au travail, quand bien même « informel », et d’un droit à la ville, ressource vitale pour ces populations marginalisées. L’intégration de récupérateur·e·s aux systèmes formels de gestion, aux mains des collectivités publiques et de plus en plus des industries, ne suffit pas : la justice implique un changement radical du rapport que les sociétés entretiennent avec leurs rebuts matériels et avec ceux·lles qui, assigné·e·s à leur récupération, font eux·lles-mêmes figure de « rebuts » sociaux.

La récupération des déchets est une pratique ancienne qui a fourni des revenus aux individu·e·s et aux groupes qui s’y adonnaient grâce à l’extraction et à la vente des matières valorisables contenues dans ce que les autres citadin·e·s abandonnaient. Pour les autorités publiques, chargées de la propreté et de l’hygiène de la ville, cette activité de récupération et de recyclage de « matières premières urbaines » dans des filières agricoles ou industrielles[1] permettait une forme de traitement de matières qui, autrement, seraient devenues des rebuts. Des travaux précurseurs ont présenté la récupération comme étant le symbole emblématique de la pauvreté urbaine, souvent associée à de viles activités à l’instar de la prostitution au Caire ou à la figure du paria en Inde. Ces travaux ont examiné les conditions de vie des récupérateur·e·s dans leurs lieux de travail (rues, décharges, etc.) ainsi que les stratégies de survie pour collecter leur gagne-pain, en les comparant parfois, comme à Mexico, à des « bandes de chasseurs-cueilleurs dans la jungle urbaine[2] ». Ne relevant pas seulement d’une « anthropologie de la misère[3] » et donnant la parole aux récupérateur·e·s, ces études ont souligné la dimension communautaire de l’activité et les relations que les groupes de récupérateur·e·s entretiennent avec les intermédiaires acheteurs de déchets, donnant vie à une « industrie de régénération des ressources » dynamique et intégrée à l’économie urbaine.

De nos jours, dans un contexte général de croissance urbaine, d’évolution rapide des modes de production et de consommation générant d’importants volumes de déchets, mais aussi de situations de pauvreté urbaines inédites, la récupération des déchets est, selon la Banque mondiale, une ressource indispensable à la survie d’au moins deux millions d’individu·e·s, notamment dans les métropoles caractérisées par des fortes inégalités socioéconomiques. Dénommés par des termes spécifiques selon les lieux, les plus connus parmi ces biffins contemporains sont les cartoneros argentin·e·s, les catadores brésilien·ne·s, les hurgadores en Uruguay, les scavengers à Manila, les wastepickers indien·ne·s ou les zabbâlin égyptien·ne·s. Comme par le passé, il·elle·s contribuent à la prise en charge d’une partie des déchets par le ramassage et le tri de matériaux recyclables. Il·elle·s garantissent des revenus à des populations situées aux marges du marché du travail, de la ville et souvent de la société, tout en fournissant un réel service aux citadin·e·s et tout en fondant une partie de l’activité de l’industrie qualifiée de formelle et lucrative du recyclage.

Pourtant, la récupération et le recyclage ne sont pas exclusivement l’apanage d’individu·e·s de pays dits en développement. Dans les pays industrialisés, des pratiques que l’on croyait peu ou prou disparues font à nouveau surface dans des contextes urbains présentant de nouvelles situations de marginalité ou d’appauvrissement de certains groupes (personnes âgées, chômeur·e·s, migrant·e·s). Le glanage alimentaire à la fin des marchés, dans les bennes des supermarchés ou la fouille des poubelles permettent à ces individu·e·s de tirer parti de la collecte des déchets via leur revente et/ou recyclage. En Europe, on trouve des personnes, qualifiées de « Roms », qui fouillent bennes et poubelles pour en extraire des objets réparés, réutilisés ou vendus afin d’obtenir des revenus pour les familles sur place ou dans le pays d’origine. On peut les apercevoir à Marseille, comme à Turin, Madrid ou Lyon, se déplacer dans la ville, poussant des chariots ou des poussettes emplies de matériaux, parfois munis de crochets pour mieux prélever les déchets à l’intérieur des bennes. Dans les villes d’Amérique du Nord, la pratique des binners – originellement collecteur·e·s de canettes en aluminium – est le fait de populations souvent expulsées des centres-villes, sans domicile fixe et sans emploi[4].

Marseille, récupérateur informel avec une poussette lui servant de moyen de travail. Cliché Pascal Garret, 2016

Marseille, récupérateur informel avec une poussette lui servant de moyen de travail. Cliché Pascal Garret, 2016

Depuis une trentaine d’années, alors que les préoccupations internationales et locales pour l’environnement se généralisent, les déchets font l’objet de politiques visant à limiter les impacts liés à leur élimination. Le principe de réduction est donc adopté et sa mise en œuvre prévoit, d’une part, une diminution de leur production et, d’autre part, une diminution du volume à traiter dans les exutoires (décharges, incinérateurs, etc.). En amont et en aval de la chaîne de gestion des déchets, la valorisation des matières via le tri et la récupération s’est imposée comme une troisième dimension de ces politiques. Dans ce contexte, de nouveaux acteur·e·s sont apparus pour participer aux processus de valorisation, parmi lesquels deux catégories au rôle important : les entreprises privées, notamment les sociétés multinationales spécialisées dans le domaine de l’environnement, et les structures, émanant de la société civile, spécialisées dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. En France, Emmaüs en est un exemple pionnier, récupérant et réintégrant des objets et matières en bout de course dans des transactions économiques, afin de réinsérer socialement des personnes exclues du marché du travail. D’ailleurs, la proximité entre le réemploi des objets et le réemploi des personnes, parfois considérées comme des « déchets sociaux », est soulignée par certains auteur·e·s[5]. Ces initiatives sont également des lieux où une clientèle paupérisée peut s’approvisionner en objets de seconde main, lesquels échappent alors à la poubelle.

Les activités de collecte réalisées par les récupérateur·e·s n’ont été prises en compte que récemment par les pouvoirs publics. Au niveau international, des associations telles WIEGO ou l’Alliance mondiale des récupérateurs se sont employées à « mettre en lumière » et « mettre en valeur » le travail des récupérateur·e·s, afin d’accompagner et de renforcer leur organisation pour qu’il·elle·s puissent non seulement être intégrés à la gestion formelle, mais également accéder à des conditions de vie appropriées (santé, éducation, logement). Ces expériences font écho à des initiatives locales plus anciennes, plus localisées comme l’Asociacion de los recicladores de Bogotà en Colombie, celle du Movimiento pro vida decorosa en Uruguay et, encore, celle de Sœur Emmanuelle en Egypte[6].

Parallèlement, la multiplication des structures de récupération et de recyclage ainsi que la technicisation des métiers et des modes de traitement posent de nouvelles questions. Les études sur la récupération dans différents pays du Sud rassemblées dans l’ouvrage Sociétés urbaines et déchets permettent d’en proposer ici une synthèse[7]. D’une part, une concurrence inédite s’est créée autour des déchets, dans un contexte de tensions liées aux réformes des systèmes de gestion. La place des récupérateur·e·s du secteur dit informel, souvent exclus des processus décisionnels conduisant à ces réformes, s’en trouve bousculée et oscille entre marginalisation et intégration de la part du secteur formel et des pouvoirs publics, alors même que la distinction informel/formel fait peu sens. C’est en observant les pratiques professionnelles des acteur·e·s que se révèlent au mieux les enjeux et les effets de ces réformes. Celles-ci, imposées « par le haut », se heurtent, dans de nombreux cas, à des oppositions, articulant des pratiques de résistance et des mobilisations ouvertes pour la reconnaissance de ce travail. C’est notamment ces dernières que nous souhaitons rendre visibles au terme de notre contribution.

Nouvelles concurrences et convoitises autour du déchet : acteur·e·s, enjeux et tensions

Depuis une trentaine d’années, la rentabilité potentielle du déchet est devenue un enjeu économique crucial pour de nouveaux acteur·e·s, privé·e·s et public·que·s. Alors que, à l’échelle mondiale, les ressources énergétiques et minérales se raréfient et que la demande en matières premières secondaires croît, ceux·lles·-ci considèrent les gisements de déchets comme une nouvelle source de gain, voire de véritables « mines urbaines » ou « mines d’or[8] ».

Grâce à la sélection et à la récupération de certains de leurs composants – se substituant partiellement ou totalement à une matière première vierge et devenant ainsi une matière première secondaire –, les déchets se transmutent en ressource et en produit. Ceci explique l’apparition de nouveaux acteur·e·s dans l’univers des déchets : les entreprises privées, notamment transnationales, captent une partie importante du marché des déchets et jouent un rôle croissant dans l’organisation et la régulation de ces flux de matières, témoignant des intérêts entrecroisés liés à la valorisation des rebuts. Cette convoitise suscite de nouvelles concurrences avec les tensions qui leur sont inhérentes.

Ces transformations à l’œuvre dans les sociétés urbaines occidentales ont également eu des effets dans d’autres villes du monde. Dans un contexte de diffusion des modèles de gouvernance, idéalement fondés sur des critères d’« excellence environnementale » et encouragés par les organismes et bailleurs internationaux, de nouveaux modes de gestion sont promus, nécessitant des équipements toujours plus sophistiqués, des savoir-faire spécialisés et des investissements importants. Des réformes sont engagées afin de remplacer d’anciennes façons de collecter ou de traiter les déchets, jugées révolues et inadaptées ; elles visent également la réduction des risques sanitaires associés à la présence de décharges non contrôlées. Face aux défis imposés par les nouvelles exigences environnementales, les administrations urbaines convoquent – et financent via les « partenariats publics-privés » – des grandes firmes offrant des solutions standardisées.

Or, ces tentatives de transposition de modèles, produits dans des cadres urbains très différents, se heurtent à des dispositifs locaux préexistants et fortement ancrés. Ces derniers se sont souvent développés dans des situations de défaillance – voire d’absence – d’un service institutionnalisé et intégré et constituaient de vraies alternatives au service conventionnel. Leur remplacement n’a pas été dépourvu de conséquences politiques et sociales, notamment pour les groupes de récupérateur·e·s et recycleur·e·s. En effet, pour les autorités urbaines, ces activités de récupération, légales ou illégales, peuvent entrer directement en concurrence avec l’organisation des différentes formes de collecte (sélective ou non) et du recyclage, et ainsi constituer un manque à gagner sur les recettes de vente des matériaux des nouveaux prestataires du service.

Caricature parue dans le quotidien Al-Ahram, le 16 novembre 2002, au moment de la délégation de service à des multinationales européennes. « Zebalt C° » vient de zabbal, le déchet et donne par extension zabbâlin, chiffonniers. Légende : « Les entreprises étrangères prennent en main la propreté du Caire » (sources : S. Dollet, 2003, Une communauté traditionnelle face à la modernité. Le cas des zabbâlin du Caire, mémoire de DEA de sciences politiques, sous la dir. de E. Picard, Université Aix-Marseille III, p. 43)

Caricature parue dans le quotidien Al-Ahram, le 16 novembre 2002, au moment de la délégation de service à des multinationales européennes. « Zebalt C° » vient de zabbal, le déchet et donne par extension zabbâlin, chiffonniers. Légende : « Les entreprises étrangères prennent en main la propreté du Caire » (sources : S. Dollet, 2003, Une communauté traditionnelle face à la modernité. Le cas des zabbâlin du Caire, mémoire de DEA de sciences politiques, sous la dir. de E. Picard, Université Aix-Marseille III, p. 43)

De nombreux travaux témoignent de la complexité des relations entre ces modèles et les dynamiques propres à chaque situation[9] : ces dernières ne relèvent ni de la seule imposition de modèles exogènes, ni de processus exclusivement locaux. Les pratiques de récupération et de valorisation mises en œuvre par des acteur·e·s dits « informel·le·s » oscillent en effet entre marginalisation et reconnaissance de la part des acteur·e·s dits « formel·le·s » (politiques, institutions et administrations, entreprises). Bien que les premier·ère·s, non intégré·e·s aux dispositifs institutionnels, jouent un rôle indispensable dans le cycle de traitement et d’élimination des déchets, il·elle·s sont fréquemment exclu·e·s des processus décisionnels et des restructurations liés aux réformes des services publics qui bouleversent l’organisation préexistante.

Les récupérateur·e·s de déchets et le système formel : entre marginalisation, intégration et institutionnalisation

Dans les analyses traditionnelles portant sur le phénomène de la récupération en tant que pratique urbaine à laquelle s’adonnent des individu·e·s ou groupes sociaux paupérisé·e·s, trois points de vue se sont imposés, s’inscrivant dans des débats plus larges sur l’informalité. Ainsi, dans le cadre de la théorie du sous-développement et de la modernisation, la récupération est une activité marginale, relevant du secteur informel, mais destinée à disparaître lorsque le pays atteint un niveau de développement économique plus élevé. De façon plus générale, les activités informelles qui perdurent malgré la modernisation ressortissent de la débrouille ou d’une économie de la survie dont il ne faut pas attendre grand-chose.

Selon une autre position, la récupération est une composante structurelle de l’économie capitaliste qu’elle en soit un secteur à part entière ou qu’elle en soit une activité dépendante, son « armée de réserve » pour reprendre la terminologie de l’approche marxiste ou de la théorie de la dépendance. Dans ce cadre théorique, le secteur informel est une source importante de travail pour des populations urbaines appauvries, mais reproduit des rapports de domination et de soumission au capitalisme.

Enfin plus récemment, un troisième prisme d’analyse, néolibéral celui-là, considère, dans la lignée des travaux de l’économiste Hernando de Soto Polar, l’informalité comme un « bassin latent de croissance », « comme un nouveau moteur de développement » ou, encore, comme une économie hyperflexible se régulant par elle-même lors des crises[10]. Cette position – qui a fait par ailleurs l’objet de vives critiques – s’accompagne d’une remise en cause du rôle de l’État, dont les normes seraient trop contraignantes et brideraient l’esprit d’entreprise. C’est peu ou prou cette dernière approche qui conduit les politiques de la Banque mondiale et du FMI depuis les années 1990 : le secteur informel se pare alors de nombreuses vertus. Sans doute ici nous faut-il nuancer car les activités de récupération des déchets n’ont pas exactement le même statut que d’autres activités informelles (comme, par exemple, le petit commerce de rue) : la dimension sanitaire et les représentations très négatives liées à l’ordure justifient dans de nombreux cas une approche politique spécifique de gestion des déchets et, du coup, de la pauvreté.

Quoi qu’il en soit, les études de terrain montrent que l’organisation qui en résulte est celle d’individu·e·s collectant, la plupart du temps illégalement, des matériaux pour des acheteur·e·s intermédiaires (informel·le·s ou formel·le·s) qui, à leur tour, sont relié·e·s à des vendeur·e·s, tel·le·s les grossistes formel·le·s dont les affaires se développent à une échelle plus industrielle. En tous les cas, l’activité de récupération peut être considérée comme étant en lien étroit, sinon imbriquée, avec le secteur formel : soit parce que ce dernier est incapable d’absorber les activités informelles, soit parce qu’il s’agit d’une stratégie du secteur formel afin de réduire les coûts de production, notamment celui des salaires[11].

De notre point de vue, cette lecture, prônant une continuité entre un secteur et l’autre, est plus adaptée aux mutations récentes des services urbains des déchets. Loin de réduire les contradictions et les rapports de pouvoir inégaux caractérisant le fonctionnement de ces systèmes composites de récupération, elle met en avant la complexité des conditions et des mécanismes de fonctionnement. Les pratiques professionnelles des récupérateur·e·s reposent davantage sur un continuum que sur une opposition entre « formel » et « informel ». Les articulations et métissages des pratiques et modes de gestion brouillent les frontières, et les stratégies des différent·e·s acteur·e·s peuvent se répondre et se compléter. La réalité des situations relève ainsi d’un « continuum socio-technique[12] » de prise en charge des ordures qui relativise nettement cette dichotomie. On pourrait même ajouter que plus l’intérêt des acteur·e·s se porte sur le déchet devenu ressource, plus les enjeux autour de cette matière première secondaire sont grands, et plus le continuum est observable : preuve en est l’essor de nouveaux·lles intermédiaires, acheteur·e·s et vendeur·e·s de déchets, qui constituent l’entre-deux des secteurs formel et informel. Schamber et Suarez décrivent bien ce processus pour le cas argentin : « Les récupérateurs urbains ont réinventé la marchandise et le travail en transformant des rebuts en intrants pour l’industrie. Car il existe une industrie locale et globale encore invisible entre les labyrinthes de l’intermédiation[13] ».

Aussi le processus de la récupération tient-il ensemble les récupérateur·e·s, les entrepreneur·e·s-acheteur·e·s-intermédiaires propriétaires des dépôts pour stocker les matériaux et les industriel·le·s. Les rebuts sont collectés dans des conditions de travail précaires et engendrant des revenus modestes pour les récupérateur·e·s, puis transitent par les dépôts où ils sont conditionnés pour, enfin, parvenir à des circuits de vente gérés par des firmes internationales qui en tirent des profits notables.

Ce processus ne demeure pas toujours dans l’informalité et n’est pas tout le temps caractérisé par une faible rentabilité pour tous les acteur·e·s impliqué·e·s : si, pour les récupérateur·e·s, il s’agit de faire face à leurs besoins de survie, pour les entreprises locales et internationales, il s’agit de garantir une logique d’accumulation. Cette organisation fait écho au propos de Lautier : « Il y a bien des “activités informelles qui marchent” ; en revanche, il n’y a que très peu “de filières informelles qui marchent”. Ce qui marche, on peut le trouver dans l’exemple, précisément, des ramasseurs de déchets […], notamment au Brésil. Ils ont, dans de multiples cas, réussi à s’organiser en coopératives et à sortir de la tutelle des mafieux du recyclage […]. [Mais] on peut bien récupérer les déchets de façon informelle, solidaire et conviviale, les déchets sont bien à l’origine issus de l’économie formelle et y seront recyclés […]. Tout cela ne fait pas une “autre économie” ou une “autre mondialisation[14] ».

D’une part, ceux·lles qui collectent et trient constituent une main-d’œuvre quasi gratuite en raison des bas prix des matériaux vendus. D’autre part, il·elle·s délestent la ville ou les décharges d’une grande quantité de déchets, gratuitement ou parfois en payant eux·lles-mêmes des pots-de-vin. Cette « gratuité » et l’importance de leur service ont, par exemple, constitué l’un des arguments des chiffonnier·ère·s du Caire plaidant pour une reconnaissance de leur travail au moment des réformes les privant de l’accès aux déchets[15]. Elles ont aussi justifié la requête envoyée en janvier 2016 au ministre de l’Environnement indien par l’Alliance of Indian Wastepickers pour rendre explicite, dans la nouvelle législation de déchets solides, le rôle joué par les récupérateur·e·s dans le système de gestion et leur intégration au système : « Les récupérateurs et recycleurs informels de déchets devraient être identifiés, enregistrés, autorisés et intégrés dans le système de gestion des déchets solides par les gouvernements locaux. De ce fait, ils devraient être reconnus et identifiés comme des cols verts[16] ».

Dans le même ordre d’idées, certaines situations voient émerger des tentatives de formalisation de cet entre-deux informel par la régularisation, comme cela a été le cas pour les cartoneros de Buenos Aires au cours des années 2000. Ceux·lles-ci ont réussi, après des mouvements de protestation, à obtenir du gouvernement urbain une reconnaissance de leur activité et une amélioration des conditions de travail. Aujourd’hui, une douzaine de coopératives sont en charge de la collecte des matériaux secs sur tout le territoire de la capitale argentine. De même, en Indonésie, dans les années 1990, le gouvernement de Suharto avait émis un décret limitant les importations de matières recyclables afin de garantir des prix plus intéressants pour les récupérateur·e·s locaux·les[17]. Les études de cas réunis dans l’ouvrage Sociétés urbaines et déchets montrent les processus similaires d’intégration en Tunisie, au Pérou et au Brésil.

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Buenos Aires, Travailleur·e·s et membres de la Coopérative El Alamo, triant le plastique. Cliché C. Cirelli, novembre 2015

Toutefois, ce processus d’intégration ne se met pas en place sans difficultés. Si le travail des récupérateur·e·s est reconnu et même, dans certains cas, parfois légitimé, si la récupération connaît une forme d’institutionnalisation dans le cadre de nouvelles politiques environnementales, les mécanismes pour intégrer les travailleurs des déchets dans le système formel remettent parfois en cause la présence des récupérateur·e·s plus fragiles dans la ville. Les cas argentin et égyptien montrent bien comme les nouvelles règles mises en place pour participer aux appels d’offre pour la collecte peuvent exclure les récupérateur·e·s doté·e·s de peu de réseaux, de peu de moyens pour se déplacer et considéré·e·s, quoi qu’il en soit, comme peu capables de répondre aux besoins des administrations urbaines. Dans de nombreux autres exemples, les pouvoirs publics tentent plutôt d’éradiquer certains maillons de la chaîne, notamment les récupérateur·e·s les plus précaires. Ainsi, à Istanbul, bien conscients de la valeur du déchet, les pouvoirs publics encouragent la création de petites sociétés formelles, dans l’objectif clair qu’elles se substituent aux dépôts sans licence des semi-grossistes. En janvier 2016, le ministère de l’Environnement turc a simultanément interdit la récupération informelle des papiers et cartons, sous peine d’une amende de 6 200 €, et tout achat de papiers et cartons au secteur informel, sous peine d’une amende de près de 43 400 €, ceci visant les sociétés formelles.

 

Buenos Aires, Travailleuse et membre de la Coopérative El Alamo, triant le papier. Cliché C. Cirelli, novembre 2015

Buenos Aires, Travailleuse et membre de la Coopérative El Alamo, triant le papier.
Cliché C. Cirelli, novembre 2015

Les organismes et bailleurs internationaux avaient eux-mêmes impulsé ce type de réformes de modernisation du service, via les délégations au secteur privé, inspirées de modèles occidentaux, souvent inadéquats. Mais, depuis une vingtaine d’années, ils ont renouvelé la réflexion sur la gestion des déchets dans les pays du Sud. Le principe est de tenir davantage compte des dispositifs locaux existants, d’intégrer les activités des récupérateur·e·s et d’articuler les services urbains, notamment quand ils sont défaillants, aux dispositifs alternatifs pris en charge par les récupérateur·e·s. L’objectif est double : garantir une véritable gouvernance urbaine des déchets et gérer la pauvreté urbaine.

Entre résistances, innovations et mobilisations : sortir de la marge ?

L’activité de récupération des déchets a longtemps été marquée par un paradoxe qui la rend tout à la fois répugnante et profitable. Déchet pour les un·e·s, ressource pour les autres, tout se passe comme si, symboliquement, s’opérait un transfert entre les propriétés du rebut – souillure, dégradation, déchéance – et les individu·e·s qui s’adonnent à leur récupération. De même, le rapport au déchet paraît soumis à cette double dimension de l’éloignement et de la proximité : si leur récupération est une source de revenus, leur contact est source de pollution. Ceci explique aussi que les récupérateur·e·s de déchets, en raison de cette manipulation, ont toujours été assigné·e·s aux marges : marges du travail, marges de la société, marges de la ville. Ajoutons que, une fois les matériaux collectés, les récupérateur·e·s retournent, avec leurs déchets, dans leurs quartiers. Ces opérations produisent des externalités importantes en termes sanitaires et environnementaux sur ces sites de vie et de travail : paradoxalement, en libérant les centres-villes ou les quartiers aisés de leurs ordures, les récupérateur·e·s fragilisent et rendent vulnérables leurs propres territoires et leurs populations.

Face au stigmate, les récupérateur·e·s intériorisent les représentations négatives à leur encontre, mais il·elle·s cherchent aussi à les contrer en magnifiant certains aspects de leur travail : l’exposition permanente au risque, au lieu de les affaiblir, les rendraient invulnérables grâce à une sorte d’immunisation physique et symbolique. De même, il·elle·s font valoir les effets positifs sur la propreté de la ville et sur l’environnement de leurs activités. Certes, il·elle·s n’annulent pas le stigmate, mais il·elle·s tentent de s’en arranger et, en quelque sorte, de le renverser par des discours légitimant leurs activités.

Une autre forme de résistance est liée aux changements, et parfois bouleversements, que les reformes des services urbains impliquent pour les activités professionnelles des récupérateur·e·s : ces petites pratiques de résistance ordinaire constituent des formes de contournement ou des ripostes vitales pour l’accès à la ressource. En effet, les récupérateur·e·s sortent quotidiennement dans la ville pour collecter les matériaux : il·elle·s franchissent les frontières du quartier où il·elle·s habitent – marges spatiales et symboliques – et il·elle·s pratiquent des espaces publics, espaces de visibilité et de vulnérabilité. Exposés à la vue de citadin·e·s, il·elle·s sont bien reconnaissables avec leurs chariots ou charrettes parfois tractées par un âne. Leurs « routes » de collecte peuvent être longues d’une dizaine de kilomètres, que certain·e·s font à quatre ou cinq reprises dans la même journée. Il·elle·s collectent dans les lieux touristiques ou les quartiers aisés, riches en matériaux, où il·elle·s sont en général mal perçus. Pour éviter les tensions avec la police ou les habitants, les récupérateur·e·s estiment qu’il faut collecter rapidement et discrètement. Il ne faut pas non plus gêner la circulation automobile, ni les piéton·e·s. Dans l’espace public, il·elle·s ne sont jamais prioritaires et il·elle·s savent qu’il·elle·s n’auront pas gain de cause en cas de conflit ou d’accident. Face à la modernisation généralisée des dispositifs de collecte, l’invention est aussi convoquée et il devient nécessaire de connaître les horaires des camions-bennes pour collecter avant leur passage ou donner un coup de mains aux éboueur·e·s en échange du droit de récupérer des matériaux. La multiplication des conteneurs enterrés ou fermés rend compliqué l’accès à la ressource et, dans de nombreux exemples, les récupérateur·e·s ont passé des accords avec les commerces et hôtels, quitte à les payer, pour avoir accès aux déchets. Certains fabriquent de longues perches pour atteindre le fond du conteneur. D’autres, enfin, collectent avec les enfants, qui se glissent dans les conteneurs…

Yunus, récupérateur, aide un éboueur ; en échange celui-ci le laisse collecter les cartons. Cliché P. Garret, Istanbul, 2015

Yunus, récupérateur, aide un éboueur ; en échange celui-ci le laisse collecter les cartons.
Cliché P. Garret, Istanbul, 2015

C’est par ces pratiques des espaces publics et par ces « petites tactiques » de contournement de l’ordre établi par les systèmes de gestion que se donnent à voir des actes de résistance, certes discrets, tantôt individuels tantôt collectifs, parfois éphémères et fragiles. On peut lire, en effet, ces modalités de récupération comme une forme de soumission renvoyant au stigmate – être discret –, mais elles témoignent aussi de connaissances de la ville et de la société urbaine permettant aux récupérateur·e·s de contourner les obstacles. Dans de nombreuses métropoles, les réformes en cours ont fait basculer les récupérateur·e·s de l’informalité à l’illégalité, rendant nécessaires ces tactiques et inventions quotidiennes qui contournent la mise aux normes et en ordre de la ville. La dimension spatiale y devient importante, notamment parce que, pour les récupérateur·e·s, souvent issus de la même communauté d’origine, l’échelle du quartier leur est essentielle en termes d’interconnaissances et de circulation de l’information. L’articulation entre proximité spatiale, proximité sociale et proximité professionnelle est à considérer dans les capacités qu’ils ont à pouvoir s’organiser et éventuellement se mobiliser. Ce fut le cas pour les chiffonnier·ère·s égyptiens qui ont organisé des réunions – en théorie totalement interdites – pour débattre et réagir face à la délégation de la collecte à des multinationales européennes dans les années 2000. L’une de leurs décisions collectives fut, en particulier, de mener des grèves du ramassage des déchets, aux effets immédiatement perceptibles.

Ainsi, ces résistance se traduisent parfois en protestations ouvertes, voire en des mobilisations d’envergure, face auxquelles les autorités publiques sont mises en demeure de trouver des arrangements. Les réformes découlant de l’évolution des politiques environnementales et urbaines ont produit, à plusieurs reprises, des mouvements d’opposition de la part des récupérateur·e·s – comme le Mouvement des travailleurs exclus (MTE) créé par 2 000 cartoneros argentin·e·s, ou l’Alliance of Indian Wastepickers (Alliance des récupérateur·e·s indien·ne·s) – qui les ont projetés sur le devant de la scène et qui contribuent, lentement certes, à faire évoluer la figure du·e la récupérateur·e dans les représentations collectives.

Banderole lors d’une manifestation de récupérateurs à Ankara, 1er mai 2010, « Un paradis pauvre est meilleur qu'un enfer riche. Travailleurs des déchets de papier. Ne jetez pas le capitalisme à la poubelle de l'histoire. Ça ne coûte même pas deux sous », www.facebook.com/groups/7037320971/photos/

Banderole lors d’une manifestation de récupérateur·e·s à Ankara, 1er mai 2010, « Un paradis pauvre est meilleur qu’un enfer riche. Travailleur·e·s des déchets de papier. Ne jetez pas le capitalisme à la poubelle de l’histoire. Ça ne coûte même pas deux sous », www.facebook.com/groups/7037320971/photos/

La presse a souvent joué un rôle de caisse de résonance des protestations en tant qu’espace de publicisation de leur cause. De même, l’ouverture de nouveaux espaces de représentation politique et de participation a favorisé leur mise en visibilité – le cas des zabbâlin égyptien·ne·s en est emblématique. Sans oublier, enfin, le travail de chercheur·e·s qui, notamment dans les pays d’Amérique latine, ont analysé et dénoncé cette nouvelle pauvreté urbaine. Ce travail de visibilisation des récupérateur·e·s et de valorisation de leurs activités a contribué, d’une part, à la constitution de formes coopératives pour la gestion de la collecte et de la vente et, d’autre part, à la construction d’acteur·e·s sociaux·les capables de développer des demandes politiques.

 

Conclusion

Ces processus d’engagement et de prise de parole dans l’espace public diffèrent fortement d’un pays à l’autre : ils découlent des situations politiques et socioéconomiques, des histoires des groupes de population impliqués et des parcours de vie des individu·e·s. En effet, les expériences d’intégration ne se mettent pas toujours en place sans contestation ni conflit. Dans certains cas, comme en Argentine ou au Brésil, la réorganisation du travail des récupérateur·e·s à l’échelle métropolitaine, fondée sur le modèle des coopératives, a représenté une émancipation pour un grand nombre d’entre eux·lles : ce processus n’a pourtant pas éradiqué des pratiques de collecte moins encadrées.

Au Caire, les protestations des zabbâlîn ont conduit à leur intégration très partielle au système mis en place lors de la « privatisation » : délégataire du service, une entreprise italienne sous-traite, pour son plus grand bénéfice financier, la collecte de pans entiers de la ville à des chiffonnier·ère·s « informel·le·s » qui peuvent, certes, garder et recycler les matériaux. Ceux·lles qui n’ont pas été intégrés au système ont vu leurs conditions de travail se détériorer.

À Mexico, à la différence d’autres situations latino-américaines où les récupérateur·e·s ont pu faire entendre leur voix et davantage faire valoir leurs droits dans les dernières décennies, le système reste encore aujourd’hui peu transparent et inféodé à des logiques politiques clientélistes. L’organisation de la récupération y est entièrement sous l’emprise de leader·e·s locaux·les qui maîtrisent tout le cycle de la prise en charge des déchets : leur contrôle sur les déchets et, par-là même, sur les récupérateur·e·s est ainsi presque absolu. Les récents conflits autour de la fermeture de la plus grande décharge de Mexico et les reconfigurations qui en ont découlé, montrent les fortes imbrications – politiques mais aussi sociales et économiques – de ce dispositif avec le système conventionnel. Mais elles révèlent surtout comment ces mobilisations, loin de représenter un processus de développement d’un pouvoir d’agir ou d’empowerment des récupérateur·e·s ainsi qu’un affranchissement de conditions de travail très dures, peuvent aussi reproduire des relations de pouvoir fortement inégales et faire perdurer des situations de soumission et de précarité.

Les prises de parole publiques émanant du secteur dit informel, les débats qui en découlent, les mobilisations, aux résultats certes inégaux, participent à l’émergence d’un discours de plus en plus collectif sur la défense des droits de populations marginales. Ils témoignent tout autant d’une organisation de la part des récupérateur·e·s autour d’intérêts corporatifs à défendre que d’une forme de professionnalisation, toutes deux construites sur un discours de justification de leur rôle dans la société et dans le monde, qu’ils contribuent à préserver par le recyclage. Loin d’être passif·ve·s et s’appropriant les discours dominants sur le « développement durable », ces récupérateur·e·s plaident pour la reconnaissance de leur travail avec des arguments écologistes, hygiénistes, économiques et humanitaires – leur activité fait vivre de nombreuses familles. La reconnaissance de « leurs droits sur les déchets » engage plus largement celle d’un droit au travail et d’un droit à vivre de la ville, car celle-ci constitue pour eux une ressource au sens propre, en fonction de l’accès, ou non, au déchet, matière première de leur activité.

Dans certains cas, les revendications ont débouché sur une vraie amélioration des conditions de travail et de santé, conduisant à la constitution de groupes professionnels, ayant accès aux arènes politiques et s’éloignant de la figure du·e la « chasseur·e·-cueilleur·e· » évoquée en introduction. Dans d’autres, notamment ceux où la gestion des déchets est défaillante et où les administrations urbaines continuent de maintenir des sites d’enfouissement à ciel ouvert, non sécurisés et représentant de vraies bombes à retardement sanitaires et environnementales, les populations qui y travaillent demeurent dans la marginalité et la précarité.

Finalement, les cas exposés ici montrent que, malgré les réformes des services des déchets et les enjeux économiques liés aux intérêts d’acteur·e·s privé·e·s au niveau local ou global, des innovations sociales et des ajustements vis-à-vis des modèles dominants sont possibles. Cela ne passe pas seulement par l’intégration de récupérateur·e·s aux systèmes formels de gestion : celle-ci doit être accompagnée par une inclusion sociale de ces groupes, ce qui implique un changement radical du rapport que les sociétés entretiennent avec leurs rebuts – en termes de représentations et de gestion – afin de renverser l’image et le statut de ceux·lles qui ont à faire avec ces rebuts.

Pour aller plus loin

Bertolini, Le marché des ordures. Économie de gestion des déchets ménagers, Paris, L’Harmattan, 1990.
–– Économie des déchets, Paris, Technip, 2005.
M.-N. Carré, « Gestion intégrée et valorisation des déchets à Buenos Aires (Argentine) », in C. Cirelli, B. Florin (dir.), op. cit., p. 291-316.

Cavé, « La gestion des déchets à Coimbatore (Inde) et à Vitória (Brésil). Convoitises autour de la res derelicta », in C. Cirelli, B. Florin (dir.), op. cit., p. 269-290.

Cirelli, « “Lorsque la ville avait besoin de nous”. Fortune et déclin des paysans-recycleurs des eaux usées urbaines au Mexique », in D. Corteel, S. Le Lay (dir.), Les travailleurs des déchets, Toulouse, Erès, 2011, p. 121-143.

Cirelli, B. Florin, « Vivre des déchets : acteurs, dispositifs et enjeux de la valorisation », in C. Cirelli, B. Florin (dir.), op. cit., p. 13-56.

Corteel, « Des déchets faire surgir une capacité d’agir. Enquête dans une association berlinoise de récupération », Ethnologie française, 45/3, 2015, p. 511-522.

Debout, « Conception et définition du déchet face aux enjeux d’égalité territoriale : la gestion des déchets ménagers au Caire (Égypte) », in C. Cirelli, B. Florin (dir.), op. cit., p. 343-362.

Durand, « Quand la vulnérabilité des populations permet de réduire la vulnérabilité urbaine : les déchets à Lima (Pérou) », in C. Cirelli, B. Florin (dir.), op. cit., p. 317-346.

Fernandez, « De hurgadores a clasificadores orgnizados. Analisis politico institucional del trabajo con la basura en Montevideo », in P. J. Schamber, F. Suàrez (eds), Recicloscopio…, op. cit., p. 83-95.

–– « Système hybride de gestion des déchets à Montevideo (Uruguay) », in C. Cirelli, B. Florin (dir.), op. cit., p. 145-166.

Florin, « Les récupérateurs de déchets à Casablanca : l’“inclusion perverse” de travailleurs à la marge », Sociologie et sociétés, 47/1, 2015, p. 73-96.

Moretto, M. Azatraoui, « La valorisation des déchets urbains à Sfax (Tunisie) : entre réformes politiques et récupération informelle », in C. Cirelli, B. Florin (dir.), op. cit., p. 367-396.

Olivera, « Insupportables pollueurs ou recycleurs de génie ? Quelques réflexions sur les “Roms” et les paradoxes de l’urbanité libérale », Ethnologie française, 45/3, 2015, p. 400-509.

Pérémarty, « Tirer sa subsistance du tri : recyclage collectif ou récupération individuelle ? Une coopérative de catadores du Nord-Est du Brésil », in C. Cirelli, B. Florin (dir.), op. cit., p. 121-144.

Rosa, «Marginality as resource ? From Roma people territorial practices, an epistemological reframing of urban marginality », in M. Lancione (ed.), Rethinking life at the margins, London, Routledge, 2016, p. 182-197.

Safar-Zitoun, « La reconversion économique des récupérateurs de la décharge de Oued Smar (Alger) ou le dilemne communautaire », in C. Cirelli, B. Florin (dir.), op. cit., p. 101-120.

M. Santos, L’espace partagé : les deux circuits de l’économie urbaine des pays sous-développés, Paris, M. Genin-Librairies Techniques, 1975.

[1] S. Barles, L’invention des déchets urbains. France : 1790-1970, Seyssel, Champ Vallon, 2005.

[2] L. Lomnitz, Cómo sobreviven los marginados, México, Siglo XXI, 1975.

[3] H. Castillo, El basurero: antropología de la miseria. Siete « historias de la vida » de los trabajadores de la basura en la ciudad de México, Mexico, EDAMEX, 1984.

[4] B. Raoulx, J. Gutberlet, C. Tremblay, « Dans les poubelles de Vancouver. Le recyclage comme support de socialisation », Le Sociographe, 29, 2009, p. 69-81.

[5] D. Lhuilier, « Le sale boulot », Travailler, 14, 2005, p. 73-98 ; Z. Bauman, Vies perdues. La modernité et ses exclus, Paris, Rivages & Payot, 2009. Voir aussi les travaux récents de Delphine Corteel.

[6] http://wiego.org/ ; http://globalrec.org/fr/ ; http://www.asmae.fr/

[7] C. Cirelli, B. Florin (dir.), Sociétés urbaines et déchets. Éclairages internationaux, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2015. Les références à des auteurs sans indication bibliographique renvoient aux chapitres de cet ouvrage, dont le détail est précisé en fin d’article.

[8] J. Cavé, La ruée vers l’ordure. Conflits dans les mines urbaines de déchets, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015 ; E. Guitard, « “C’est pas le déchet, c’est le diamant !” Pratiques de récupération et gestion publique des déchets à Garoua et Maroua (Cameroun) », in C. Cirelli, B. Florin (dir.), Sociétés urbaines et déchets…, op. cit., p. 74.

[9] S. Jaglin, M.-H. Zerah, « Eau des villes. Repenser des services en mutations. Introduction », Revue Tiers Monde, 203, 2010, p. 7-22.

[10] C. Yerochewski (dir.), Sociologie et sociétés, « Travail et informalité : nouvelles figures de l’exploitation et des mobilisations au Nord et au Sud », 47/1, 2015.

[11] M. Medina, The world’s scavengers. Salvaging for sustainable consumption and production, globalization and the environment, Lanham, Altamira Press, 2007.

[12] S. Jaglin, M.-H. Zerah, art. cit.

[13] P. J. Schamber, F. Suàrez (eds), Recicloscopio, Miradas sobre recuperadores urbanos de residuos en América Latina, UNLA, Universidad Nacional de General Sarmiento, Prometeo libros, 2007, p. 9 (traduction de Claudia Cirelli).

[14] B. Lautier, « Les limites de l’économie informelle comme alternative à la mondialisation libérale », Revue du Mauss, 21, 2003, p. 206.

[15] L. Debout, B. Florin, « Les contradictions du nouveau système de déchets au Caire. Conflits, négociations et stratégies d’acteurs », Égypte-Monde arabe, 8, 2011, p. 31-57.

[16] http://globalrec.org/2016/01/12/inclusion-of-waste-pickers-in-proposed-solid-waste-management-rules/

[17] M. Medina, op.cit.

Culture hip-hop en débat (Paris Les Halles)

cubDans le cadre du cycle « Cultures urbaines« , la médiathèque de la Canopée vous propose une soirée débat pour explorer la culture Hip Hop, avec Olivier Cachin, Hugues Bazin et Isadora Dartial.

Arrivée des USA au début des années 1980, la culture hip-hop s’enracine dans le territoire urbain, particulièrement en Ile-de-France. Associé à la jeunesse révoltée de la banlieue, le hip-hop devient rapidement une forme d’expression totale associant des arts tels que la danse, la musique, le graffiti.

Comment expliquer le développement de cette culture urbaine, longtemps considérée comme une sous-culture ? Qui sont aujourd’hui les pratiquants du hip hop ? Quelles sont les motivations des politiques culturelles menées depuis 30 ans pour soutenir ce mouvement ?

Invités :

Olivier Cachin

Véritable plume du journalisme musical, ce reporter tout terrain, fondateur du magazine L’Affiche, a été l’animateur de l’émission Rapline : première émission de télé sur le rap dans les années 90, diffusée sur M6. Ce journaliste passionné par son sujet a largement contribué à faire émerger le rap, la culture hip hop et les musiques afro-urbaines plus généralement en France.

Hugues Bazin

Chercheur indépendant en sciences sociales, animateur du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action, chercheur associé à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord. Il fut parmi les premiers dans les années 80/90 à organiser des rencontres et écrire sur les expressions des cultures urbaines, notamment à travers La culture hip-hop (Desclée de Brouwer, 1995).

Rencontre modérée par Isadora Dartial, journaliste à Radio Nova.

Informations pratiques:

Le jeudi 29 septembre 2016 de 19h00 à 21h00
Médiathèque de la Canopée la fontaine
10 passage de la Canopée – Paris Les Halles

Entrée libre, sans réservation, dans la limites des places disponibles.

 

Révolution et contre-révolution à l’époque des tueries suicidaires

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Combattre le feu par le feu

Le renouvellement en quasi-simultanéité par le parlement de la procédure du 49.3 sur la loi travail et de l’état d’urgence sur une période de 6 mois n’est pas dû au simple télescopage d’un calendrier dramatique, c’est la nature même de cette concomitance qui conduit à des conséquences dramatiques.

Néolibéralisme et terrorisme n’ont que faire des nations et se nourrissent de la décomposition de leur société, seule une alternative au capitalisme débridé pourrait repousser l’obscurantisme. Aucune militarisation de la société et lois liberticides ne pourront étouffer l’idéologie terroriste parce qu’un feu ne peut être combattu que par un contre-feu de même nature. Seul un mouvement d’inspiration révolutionnaire peut aspirer l’oxygène d’une contre-révolution.

Une idéologie n’est pas qu’un corpus d’idée justifiant d’une réalité, cette activité théorique possède aussi une dimension performative, elle structure pour le meilleur ou pour le pire les fonctions de formation, d’encadrement, de programmation. Ces fonctions sont habituellement attribuées aux corps intermédiaires éducatifs, militant, politique, etc. Ces corps sont malades, car leur gouvernance institutionnelle s’éloigne du modèle démocratique sous les pressions d’une économie déterritorialisée défendant ses propres intérêts oligarchiques au détriment du pouvoir citoyen de se constituer comme acteur historique.

Le propre de l’idéologie néo-libérale est de ne pas apparaître comme idéologie en présentant la marchandisation de tous les espaces comme seule alternative plausible sous le couvert de la fin de l’histoire et des rapports de classes (le fameux slogan « There is no alternative » de Margaret Thatcher). Cette fausse-vraie démocratie est appelée aussi « post-démocratie » pour décrire un état intermédiaire qui n’est plus vraiment la démocratie tout en gardant l’apparence où les élites sous la férule des lobbies ou des groupes d’intérêt ont appris à gérer et manipuler les exigences  de ses électeurs.

Une post-démocratie penche naturellement vers une dérive autoritaire. Elle est confirmée ici par l’alliance objective du 49.3 imposant la loi travail et l’institution de la plus longue durée d’une situation d’exception dans l’histoire moderne de la France. L’état d’urgence est moins une opposition au terrorisme qu’une adéquation à l’ultralibéralisme.

La stratégie du choc

Cette résolution par implosion de la société ressemble à une attitude suicidaire puisqu’elle sape ses propres fondements démocratiques tout en réprimant les mouvements sociaux susceptibles de porter une alternative à la crise. Mais le principe même du capitalisme n’est-il pas de prospérer sur le désastre ? C’est une stratégie du choc comme en témoigne le conflit en Afghanistan, puis en Irak, puis en Syrie dont est issu directement l’État Islamique. Cet échec cuisant de l’option militaire américaine incapable d’endiguer les vagues terroristes a permis le renforcement des pouvoirs politico-économiques aux États-Unis alors que les lois du Patriot Act depuis le 11 septembre 2001 ont consacré la diminution des droits civils n’empêchant en rien la multiplication des tueries de masse sur le sol américain.

De même, le défilé du 14 juillet dans un détournement des symboles républicains ne consacre plus la prise du pouvoir du « peuple », mais cette emprise marchande dont l’armée est l’instrument. La politique interventionniste en Afrique et au Moyen-Orient ne se mesure pas à la promotion démocratique dans ces pays, mais à l’économie de l’armement dont la France est le principal exportateur mondial. Alors que sur le plan intérieur, la « lacrymocratie » (gestion des mouvements par les gaz lacrymogènes) et la médiacratie (gouvernement par l’opinion) conduisent à la crise des institutions démocratique et confortent la concentration des pouvoirs financiers et médiatiques.

À quelques heures d’intervalles ce 14 juillet le président de la République peut indiquer le midi la fin de l’état d’urgence et suite à l’attentat de Nice le soir sa prolongation, confirmant à la fois l’inefficacité du dispositif déjà pointée dans un rapport parlementaire et sa vocation instrumentale au gré des surenchères électoralistes extrêmes-droitières piétinant allègrement l’État de droit et la Constitution.

Ce hold-up mental avait déjà été tenté après les attentats de novembre 2015. Il s’appuie toujours sur la même stratégie du choc comme manipulation des masses. Sous les effets conjugués et permanents de la sidération, de la peur et de la compassion commémorative, nous devenons obéissants, plus enclins à suivre les leaders qui prétendent garantir notre sécurité quitte à restreindre nos libertés. Cette manipulation des représentations symboliques de l’unité de la nation s’incarne dans la figure du chef d’État paternaliste et protecteur.

Quand le PS condamnait l’instrumentalisation de la peur du terrorisme à des fins politiques

Il est alors d’autant plus instructif de revoir cette interview de François Hollande le 14 janvier 2008 par l’excellent John Paul Lepers. Alors dans l’opposition l’ancien secrétaire du parti socialiste critiquait l’instrumentalisation de la peur terroriste à des fins politiques par le gouvernement sous Sarkozy.

Morceaux choisis :

  • JPL : Est-ce que vous trouvez dans notre pays vous François Hollande que nos libertés sont en danger ?
  • FH : Je crois qu’au nom d’une cause qui est juste et nécessaire, lutter contre le terrorisme, on est en train de faire des amalgames et des confusions. C’est-à-dire, celui qui n’est plus dans la norme, qui peut avoir un comportement déviant, qui peut parfois même être au-delà de la loi, peut être assimilé à un terroriste, ce qui est une atteinte grave aux libertés.
  • JPL : Pourquoi le pouvoir politique fait cela selon vous ?
  • FH : Je crois qu’il y a d’abord une espèce de mouvement politique, c’est-à-dire donner le sentiment qu’il y a une menace et que le pouvoir y répond. Donc il y a une intention politique…
  • JPL : Pourquoi il invente alors le pouvoir ?
  • FH : Peut-être pour montrer une efficacité qui sur d’autres terrains, notamment économiques et sociaux, n’est pas forcément au rendez-vous.
  • JPL : C’est grave quand même vos accusations Monsieur Hollande !
  • FH : Je pense que c’est grave de mettre en cause des hommes et des femmes, et privés de liberté, les accusés de terrorisme.

C’était à propos de l’« affaire Coupat » ou « affaire Tarnac ». L’insurrectionnalisme est-il un terrorisme ? Les publications de cette mouvance résurgente sont versées au procès comme pièces à conviction.t Après 8 ans de procédure, le dossier se dégonfle aujourd’hui comme une baudruche et perd sa qualification de terrorisme malgré la décision du parquet général de se pourvoir en cassation.

L’ironie veut que cette même rhétorique de l’ultragauche soit reprise par le gouvernement Valls et on se demande bien pourquoi François Hollande ne lui a pas répété le contenu de son interview… Tout cela pour justifier l’instrumentalisation de l’état d’urgence dans son application répressive des derniers mouvements sociaux (assignation préventive à résidence, interdiction de se déplacer dans certaines zones, mise en garde à vue et inculpations sur simples présomptions, débridage des violences policières en guise de dissuasion à manifester, etc.).

On peut imaginer que le nouvel état d’urgence, rallongé et durci, ne manquera pas d’étendre cette répression dès la rentrée sociale à toutes les formes de mobilisation, occupation, manifestation. La tendance est de passer de l’état d’urgence à l’État d’urgence (avec majuscule), c’est-à-dire d’une situation d’urgence avec ses dispositifs d’exception à un État d’exception de type autoritaire (ce basculement peut se produire sans coup d’État intérieur comme en Turquie, simplement à l’occasion des prochaines élections de 2017).

Les occupants des places publiques ont été traités de « zadistes », les manifestants de « casseurs », des suprêmes insultes sans doute dans la bouche des accusateurs qui voient selon eux proliférer toute la racaille gauchiste, populaire, marginale. Les renseignements généraux ont même cru apercevoir l’ombre de Julien Coupat hanter les réunions (que ne ferait-on pas sans lui !).

Cette stigmatisation d’un mouvement protestataire jugé trop radical voudrait attiser les peurs en amalgamant résistance politique et terrorisme. Et si au contraire c’était lui le meilleur rempart contre le terrorisme ? Sa nature éruptive et situationnelle n’est-elle pas la mieux à même de déconstruire le modèle djihadiste ? Ce n’est pas dans les ZAD et l’occupation des places que se forment les apprentis terroristes, mais dans les fans zones morbides d’une logorrhée mondialisée.

Idéologie par capillarité

Alors qu’une vague d’attentat frappe la France et l’Allemagne ces derniers jours, les modes explicatifs restent inchangés. La notion de « radicalisation » employée à profusion n’a pas grand lien avec la compréhension de la radicalité et des processus en cours.

Soutenir que ces assassins sont des forcenés ou encore les soldats fous d’une armée ennemie ne suffit plus à comprendre un phénomène avant tout idéologique. Et si la série de tueries de la fusillade de Columbine en 1999 aux États-Unis jusqu’aux 77 personnes tuées en Norvège en 2011 par Anders Breivik n’étaient que l’annonce d’un terrorisme suicidaire répandu aujourd’hui sous la bannière de l’État Islamique ? Il est important de comprendre comme le soutient le philosophe italien Franco « Bifo » Berardi en quoi ces courants autodestructeurs ne sont pas éloignés.

Chacun y va de son sociologisme ou de son psychologisme dont la seule pertinence démonstrative est de se répandre dans les médias. Ainsi sort-on du chapeau la « radicalisation rapide » reprise par le ministre de l’Intérieur en mal d’interprétation justificatrice. Bientôt viendra la « radicalisation immédiate » achevant de décrédibiliser ce mode explicatif. En miroir les propositions de « déradicalisation » ne peuvent gagner en pertinence.

Il n’est venu à personne d’accuser de « radicalisation » le co-pilote de la Germanwings qui a volontairement crashé le 24 mars 2015 dans les Alpes un avion de ligne avec ses 144 passagers et ses 6 membres d’équipage. Personne ne semble avoir fait le parallèle sans doute parce qu’il était allemand et non musulman. Comme le remarque un journaliste aux États-Unis « Les tireurs de couleur sont appelés terroristes et les tireurs blancs malades mentaux ».

Or, si nous nous situons uniquement sur le modus operandi, nous pourrions trouver des schémas concordant dans la construction de l’action du pilote de l’avion et du conducteur du camion du 14 juillet. Il est important de souligner qu’il s’agit toujours d’un suicide qui s’accompagne d’autres morts. Pour exercer leur violence, ils empruntent à un répertoire mental et comportemental disponible à une époque donnée.

Le débat qui s’est instauré au sujet du tireur « fou » de Munich le 22 juillet est aussi révélateur. Il est avéré qu’il a été fasciné par les tueries suicidaires et s’était inspiré d’un autre jeune allemand de 17 ans qui avait tué quinze personnes dans son ancien collège. Il n’a pas été possible d’établir un quelconque lien avec Daech ou une « radicalisation islamique ». En revanche toujours en Allemagne quelques jours plutôt le 18 juillet un jeune afghan attaquant à la hache les passagers d’un train s’est revendiqué « soldat de l’État Islamique ». De même, le 24 juillet toujours en Allemagne, un réfugié syrien meurt en provoquant une explosion devant un restaurant, le qualificatif d’attentat est retenu, son passé psychiatrique est proposé avant que l’on découvre qu’il a fait allégeance » au groupe djihadiste État islamique.

Nous voyons donc que la qualification de « terrorisme » n’est pas obligatoirement liée à la grandeur et la forme des crimes ni réductible à un enchainement de causalités lié au profil individuel de l’auteur, mais à la possibilité de raccrocher l’acte à une idéologie et une organisation.

À partir du moment où ce lien n’est pas avéré, il perd le qualificatif. On peut poser l’hypothèse inverse que toutes ces tueries suicidaires aient un lien avec une idéologie, qu’elles s’en revendiquent ou non ; seulement il existe différentes couches plus ou moins apparentes. La couche daechienne étant une surcouche, la plus visible et la plus communicative. Fluide, elle agit sur la surface par capillarité ayant trouvé « l’astuce » religieuse pour pénétrer des couches plus profondes sans lesquelles elle ne pourrait se diffuser. Paradoxalement ce n’est pas les idéologies les plus visibles qui sont les plus dangereuses.

Capitalisme absolu

Quand Nicolas Sarkozy dit en réaction au dernier attentat à Rouen le 26 juillet « notre ennemi n’a pas de tabou, pas de limite, pas de morale, pas de frontière », nous pourrions parfaitement l’appliquer à une définition du capitalisme absolu qui ne reconnait aucune loi. Lui n’a pas besoin de communiquer, son idéologie pénètre au plus profond des corps, ses forces de destruction n’ont pas d’équivalent avec le terrorisme de surface et cause directement ou indirectement bien plus de victimes. Le monde de la finance et des multinationales suicident en masse au point que cela « devienne une mode » comme le disait si cyniquement l’ancien président de France Télécom. Une mode sans doute le suicide par milliers des petits paysans indiens couverts de dette par l’achat de semences OGM  Monsanto, etc., etc. Cette emprise idéologie s’incarne dans une profonde désespérance dépossédant la personne de la maitrise de sa vie. Le nihilisme suicidaire en est sa face obscure. Comprendre ces tueries comme processus systémique, c’est donc engager une réponse politique.

Daech peut faire beaucoup de mal, mais il ne peut détruire une société si elle-même ne porte pas ses propres forces de destruction. Ce que provoque Daech, ce n’est pas une « conversion » dont on sait qu’elle n’a pas grand rapport avec la maîtrise du religieux, mais une « autorisation », au plus précisément le déblocage d’un registre à un autre sans en avoir nécessairement conscience. Il n’est donc pas étrange que ces « conversions » de personnes non religieuses soient plus nombreuses dans les dossiers antiterrorisme que l’appartenance d’origine à une religion. On peut même concevoir que plus la personne est religieuse, c’est-à-dire détentrice consciente d’une couche idéologique structurante, moins ce basculement s’effectue. Et si l’option du fondamentalisme participe à cette surcouche qui favorise la bascule, les fondamentalistes ne sont rarement ceux qui passent directement à l’acte.

Il n’est pas non plus étonnant que ces forcenées appartiennent essentiellement à la gent masculine. Face à la dépossession d’un statut, sans incorporation de sa frustration dans une lutte de classe, soumis à la compétitivité exaltée par le monde libéral d’être le gagnant, l’individu à l’opportunité de n’être plus un « fou isolé », il devient l’élément (sur)humain s’emboîtant à d’autres éléments, un point référentiel d’un ordre s’opposant à un autre ordre, une compétition à une autre compétition, une performance à une autre performance. Cette autorisation à tuer permet de changer de statut.

Jean Rostand exprima simplement dans une maxime ce jeu des légitimités : « On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu ». D’une manière plus prosaïque, les services secrets de tout temps ont utilisé ce jeu entre différentes couches idéologiques, retournant des individus « normalement intégrés » dans l’ordre établi pour en faire des espions dormants d’un ordre contre un autre. Ils leur offrent un répertoire d’action.

Ces registres de l’action structurés par couches sont aussi appelés en sociologie « pattern ». C’est par ce mode opératoire et non la biographie, la psychologie ou les croyances du personnage que l’on peut relier des actes apparemment sans rapports, se déroulant dans des zones socioculturelles éloignées. En revanche le fait qu’ils soient plutôt jeunes, voire très jeune est un indicateur de la perméabilité entre un horizon d’attente et la possibilité de s’approprier un kit idéologique clefs en main.

Théorie du drone

On aurait tort de réduire la toile internet et ses réseaux de sociaux à un support de prolifération. Ce n’est pas le web qui crée ces idéologies, ce sont ces idéologies qui épousent la forme réticulaire de la dématérialisation numérique. La restriction des espaces d’expression et les tentatives de contrôle ne peuvent que renforcer l’irradiation de la partie la plus obscure du web.

Qui va décider d’abaisser et selon quels critères le seuil de suspicion d’une dérive criminelle ? Les tentatives de profilage et de « dépistage précoce » non seulement se montrent inopérantes, mais particulièrement dangereuses pour les libertés individuelles, particulièrement si elles s’appuient sur des routines informatiques. La logique technicienne s’auto-alimente comme une force de production autonome, une entité spécifique découplée moralement de l’humain.

Comme un écran de fumée masquant l’idéologie profonde, répandre obsessionnellement la rhétorique du terrorisme n’est nullement un amalgame ou un dérapage verbal. Ce n’est pas une gradation supplémentaire sur l’échelle de la répression, mais une mise en condition d’un nouveau régime politique. Ce qui est nouveau, ce n’est pas la nature de l’ordre pénal, mais c’est de s’en passer.

C’est l’arbitraire technocratique de l’état d’urgence qui ne peut s’accomplir sans l’apport d’une logique technicien qui enlève tout libre arbitre aussi bien pour la victime que pour le bourreau. Les drones antiterroristes et les programmes fureteurs sur Internet obéissent aux mêmes algorithmes.

La théorie du drone décrit cette violence à distance, télécommandée, recomposant la notion de guerre en une « chasse à l’homme préventive ». Pour tuer ou faire consommer, il faut déterminer l’intention avant que l’acte soit commis en comparant votre comportement à un schéma type. Votre pattern virtuel vous colle à la peau de manière bien réelle.

Il s’agit bien des mêmes méthodes de schématisation qui gomment les aspérités et les singularités individuelles pour dresser des catégories qui deviennent des « publics cibles » au profit d’usages commerciaux ou sécuritaires.

Les ouvrages et les films d’anticipation ont été les mieux à même de décrire ce moment de suffocation où l’on découvre que notre réalité n’est pas la réalité, mais une construction de la technologie du pouvoir. Un peu comme une cage de verre où l’on pense être libre tant qu’on reste dans le périmètre attribué et contre laquelle on se cogne dès que l’on exprime quelque velléité d’une autonomie du mouvement.

Est-ce la radicalité qui nourrit le terrorisme ou au contraire une nouvelle forme de radicalité qui permettrait de le combattre en posant à la fois une rupture et un enracinement. Elle peut rompre avec cette phénoménologie du désespoir conduisant à la tuerie suicidaire, se déprendre du lien entre exploitation économique et système de répression qui affaiblit le corps social. Quant à l’enracinement dans des territoires autonomes d’expérimentation d’une nouvelle gouvernance, il serait la meilleure réponse à une virtualisation et une décorporalisation de l’individu économique globalisé qu’impose l’ultralibéralisme comme forme générale de la socialité.

Contre-espaces

Les partis politiques traditionnels se montrent incapables de capter et d’assimiler cette intelligence sociale des mouvements, intelligence qu’ils préfèrent sous-traitée auprès de think tanks défendant leurs propres intérêts de classe. Perdant leurs fonctions d’encadrement et de programmation, ils sont devenus de simples coquilles vides, écuries à candidat comme le dénonce certains démissionnaires.

Le pourvoir politique devrait accepter le frottement rugueux de ces contre-espaces. Une génération dans une autoformation réciproque expérimente des modes de gouvernance qui participent à une relégitimation de l’action politique.

Ces zones autonomes à géométrie variable, enracinées ou en rhizome, resserré ou en liens lâches, empruntent aux modes d’organisation et de propagation des réseaux déconcentrés horizontaux. Cette manière de faire archipel procède d’une culture transfrontalière. Pour cette raison ces acteurs sont les mieux armés pour répondre à la déstructuration implosive de notre époque dont se nourrissent aussi bien l’idéologie néolibérale que djihadiste. Pour cette raison également le logiciel nationaliste renvoie au passé et profite plus à la logique réactionnaire identitaire comme le démontre le Brexit qu’à la gauche radicale citoyenniste qui s’en inspire, de Mélenchon à Lordon. D’autre part, la notion de « peuple » cher aux populistes reste une catégorie unificatrice du pouvoir.

Ce sont dans les tous les cas des lignes de tension pour ne pas dire de fracture qui traversent les mouvements actuels. À la mondialisation du capital et de la terreur ne peut répondre qu’une forme à la fois transnationale et locale. C’est un dépassement des mouvements nationalistes et internationalistes du siècle dernier puisqu’il ne s’agit plus de compiler ou de fédérer les cadres existants, mais d’en construire de nouveaux entre globalisation de l’individu et implication territoriale.

La lutte des classes ne s’estompe pas, elle épouse de nouveaux contours. Ce qui se passe dans le monde numérique est un bon observatoire de cette lutte entre capitalisme cognitif, nihilisme fasciste et hacking libertaire.

On peut le transposer aux autres domaines de l’expérience humaine pour essayer de définir ce que serait une « politique de la multitude » renouvelant les traditions communistes et anarcho-syndicaliste révolutionariste. Les « lanceurs d’alerte » sont une autre expression moderne de cette dissidence. La résurgence de la notion des « communs » comme ressources partageables en accès libre entre l’économie privée et publique selon un modèle de gouvernance collective est aussi symptomatique de la recherche d’alternative.

MATIN MIDI SOIR

MATIN

Il est mort et je perçois la transformation de mon existence. Aucune tuile de peau n’a bougé d’un pouce. Aucun cil n’a levé le p’tit doigt.
La transformation est profonde et invisible. Maintenant le monde est un peu plus à moi, ou alors suis-je un peu plus au monde ?

 

cravatte G

 

 

 

Qui plus est, il n’est plus.

 

 

 

Je ne vois pas comment se dire: j’ vais penser la société et rompre avec les philosophies existentialistes.
Mon regard n’est jamais de glace, mon sang à 37 degrés. Une existence ça n’est pas juste une vie.

C’est parce qu’elle est courte que j’ai envie de la partager. C’est parce qu’elle est aujourd’hui que j’ai envie de la vivre.

Rien de moins que l’éblouissement.

Comment a-t-on réussi à se laisser convaincre que puisqu’elle était courte il fallait la garder pour soi ? Qu’il fallait la ramasser, la contenir et lui fabriquer un œuf ?

oeufs GPourtant.

«C’est dans les œufs qu’on aimerait le mieux découvrir des articulations.» Henri Michaux

Le petit mathématicien que nous sommes, mise sur une densité plutôt que sur une étendue. Nous sommes lourds.

Les blancs ne montent en neige que battus. Il y a dans l’agitation quelque chose de merveilleux. Mettons-nous en vie, en mouvement, en neige.

cravatte G1

La vie passe et nous passons notre vie à nous en inquiéter. Une immense partie de notre force est consacrée à une préservation impossible. Alors qu’il ne reste, à la fin, que le changement.

-La Révolution.
-Oui, mais… ça change rien.

Rien ne change rien tout de suite, même la mort ne change pas tout.

J’ai rarement éprouvé une telle solitude.
La solitude d’un malheur qui n’est plus à partager.
Tout le monde a un père, tout le monde le perdra.
Personne n’a le même père.

travelling compensé

La solitude semble statique mais comme l’effet du vertige Hitchcockien, la caméra recule en même temps qu’elle zoome. La solitude n’est pas immobile, c’est plutôt deux mouvements qui s’annulent. Je ne sais pas à quel point nous faisons partie de notre monde, mais la frontière doit être bien fine pour qu’il soit si troublant de sentir le paysage et notre cœur prendre distance.

cravatte G2

De l’homme de l’ouvrage à l’homme du commun

-Je sais pas comment tu fais… j’pourrais pas moi être comme ça tout le temps avec tout le monde.

Je ne suis pas vierge, je ne suis pas violée par la présence des autres. Je ne suis pas privée, mon intimité n’est pas une arrière-salle. Mon intimité affleure à chaque instant de la vie. Elle ne cherche pas à se rendre visible. Elle ne cherche pas à se dévoiler. Elle est déjà nue, et éternellement chez elle.

Nous avons plus de poids à plusieurs, et pourtant le sentiment de peser moins lourd.

Vivre, s’organiser ensemble, faire corps, faire tache, faire feu de tout bois, affronter, caresser, calmer, clamer, riposter, planter, penser, repenser, repasser, replacer, repenser, penser.

Le commun est aussi indistinct que ce que je suis. Être n’est pas un objet mais une action.

Ça n’est pas la pomme que tu me tends que nous partageons.
Ça n’est pas la pomme que nous partageons.
C’est quelque chose dans son pépin que je n’ai pas encore bien compris.

Plus tard la suite… car la vie continue

 

MIDI
Comprendre le pépin compris dans la pomme ou embrasser l’univers par la pensée.

cravatte G3

 

 

Le monde doit-il être solide ?

 

 

 

Le monde m’avait toujours semblé se tenir. Jusqu’au jour où il a disparu. Le monde brille par son absence. Le soleil brille sur un monde absent. Je n’ai pas perdu un souvenir par le trou d’une poche. J’ai trouvé quelque chose.

lapinmagie G

Il est dans l’ordre des choses d’apparaître et de disparaître.

C’est par nos actions que nous donnons corps au monde et le nôtre n’est emprunté qu’à cet effet.

Est-ce plus facile de mourir en Chine que sous nos pieds ?

Il est bon de nous sentir tous debout, même si toi tu t’es couché. Un soulèvement par vie, une vie de soulèvements rien de moins.

Nos aspirations encore informulées nous inspirent. Pourtant leur formulation n’est pas un but à atteindre. Juste un repère dans la nuit. Le soulèvement veille.

Peut-on rapporter la révolution à une vie, quand sa nature même est d’en déborder ?

L’image du ras le bol ne m’a jamais convaincue. Il ne s’agit pas d’une quantité, d’un contenant rempli, d’un espace saturé.

Ça n’est pas la goutte qui fait déborder, c’est la moindre goutte empoisonnée qui est crachée. C’est une purge par le crachat, une aspiration à la vérité.

Il reste le soleil. Et le monde existe là où ses rayons touchent ma peau.

 

 

 

 

 

barbematin G

Il reste le soleil, les étoiles nous ont été volées. Les stars ne nous font pas rêver. Les stars ne brillent pas, tout au plus une lampe de poche dans le trou du cul du monde.

Quand vous voyez quelqu’un de connu. Crachez lui au visage.

Le star system n’est pas une cosmogonie, c’est une forme de pornographie existentielle. N’est pas mauvais celui qui consomme de la pornographie. La vérité prend son temps. La vérité s’enterre comme une palourde. Il faut être fin pêcheur pour attraper le vrai sans son exhibition.

1G

Le vrai n’est pas caché sous le voile, comme il ne l’est pas sous la nudité.

Longtemps on a cherché à mettre à nu les femmes, elles ont raccourci leur jupe et cherché la vérité entre leurs jambes. Longtemps on a cherché à mettre à nu les œuvres, et rogner les os de leur concept, longtemps on a cherché la jouissance de la composition musicale dans la variation d’une seule note.

Ce longtemps n’est plus. Il prend enfin fin.

 

cravatte G2

 

 

Il est mort et je profite de ce départ pour quitter beaucoup d’autres choses.

 

 

 

SOIR

 

 

Le soir… Plus tard… car la vie continue

Maintenant la suite.

L’histoire du soir se raconte
pour éclairer la nuit à venir
ou
La fiction au service du vrai.

 

Il est mort et ce qui reste en est transformé. L’histoire a changé.
À l’instant même, son histoire s’est montrée autrement. Les mots ne voulaient plus dire la même chose qu’au moment prononcés.

La vie n’est pas indifférente aux histoires qu’on lui raconte.

Alors qu’on a voulu tout faire entrer en nous : le bien, le mal, le ciel, le destin, l’univers tout ça … alors que nous sommes devenus tout et son contraire, il nous faut fuir les enveloppes, pour mieux les habiter, car de fait nous ne sommes pas qu’à l’intérieur. L’époque a perdu sa nature et s’est réfugiée au-dedans des formes.clementineG

 

Nous ne sommes pas une quantité.
Nous ne sommes pas un nombre d’atomes déterminés.

Parti en m’en prenant quelques-uns ?

Nous ne sommes pas rien, nous ensemble, dedans et dehors, dans la vie et la mort.

 

clementine2G

Ah, il est si doux à l’âme d’être révolutionnaire. De porter en soi le sentiment de faire partie du changement.

 

 

 

 

Au cinéma, les personnages de méchants deviennent «humains». On les perce à jour, ils sont fragiles, profonds, sensibles. Des hommes malgré tout. Le mal n’habite pas leur cœur mais leur parcours.

Alors que cela remet en question les limites de nos «Je» et que l’on pourrait s’en croire libérés, voilà qu’on retourne le dehors contre nous !

Tu as mal si je te tape, mais je te tape parce que la vie m’a fait mal. C’est donc la vie qui te tape.

Nous ne serions donc pas le dehors, mais seulement sa victime?

On nous désactive, on nous angoisse.

Tout devient personnel. Le monopole de la subjectivité nous empêche de voir où l’on pourrait porter les coups. Quand tout est relatif, plus rien ne se pose. Tout est filtre. On ne peut plus affirmer car on ne peut plus remonter le cours du mauvais coton que l’on file. On tourne en rond autour de nous-mêmes. Rien n’est tout, donc rien n’est rien.

Là est un bout de l’histoire de notre génération.

Mort, tu es pour moi profondément bon. Le bien, au cœur des choses et aux pointes de leur rayonnement, est une forme de vie.
La vie ne nous fera jamais de mal, c’est la police qui tape.

Les histoires sont comme des chevaliers au service de causes qui s’affrontent, et j’ai une envie sexuelle de moyen âge.

Il y a les histoires qui font du bien et les histoires qui font du mal.

La célébrité, c’est comme une mort avant l’heure. La vie est déjà transformée en histoire. On fait mourir à l’avance des gens que l’on ne connait pas mais avec qui on s’invente les liens les plus intimes. Mort aux pulsions de «Célébrité» ! Nous ne serons célébrés qu’une fois mort.

L’existence ne peut pas s’incarner dans une personne, comme le politique ne peut pas exister en un Monsieur.

cravatte G4

 

 

Même s’il porte la cravate.

 

 

 

 

 

Quand il est mort j’ai dit :

Perdre une racine
perdre un pied
bien sûr ça va aller
bien sûr on va continuer

mais on va boiter.

chaussuresG

 

 

 

 

 

 

Là où la vie est amputée.
ou
Perchée sur ses talons, posée sur ses moignons

Ce qui se revendique aujourd’hui être le monde nous déteste. Et fait tout pour nous faire disparaître.

À la surface de la peau on lit parfois beaucoup de choses. Et c’est parce qu’il y a une histoire derrière, que les femmes coupées sont à la mode.

Jambes Plexi

 

 

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grindhouse

 

 

 

 

 

 

 

 

La morale progressiste semble prendre l’apparat d’une tolérance remarquable, d’un déplacement des lignes plein de noblesse. Le monde intérieur nous fait croire qu’il va dans le bon sens.

On nous dit : Vous êtes «quelque chose» même quand on en coupe un bout.

Mais.

Je ne veux pas qu’on m’accepte comme je suis. Je ne veux pas rester comme je suis, je veux qu’être avec les autres me change, comme je veux alimenter l’envie de changement des autres.

La plupart du temps nous sommes bien-pensants, pensant penser bien.

Je soupçonne ce qui prend l’apparence d’une morale plus « humaine », d’être animé d’une vilaine intention de préparer le terrain de notre propre disparition.

On veut nous faire passer d’un corps comme « la » raison d’être à un corps qui n’en a plus aucune. Nous sommes un produit et s’annonce la date de péremption. Après nous avoir fait acheter des crèmes régénératrices, on va nous vendre de l’état d’esprit.
Tadam !
Voilà le transhumanisme. On va nous montrer comment nous échapper de nous-même, et nous le facturer. Mise en scène de l’oppression qui se déguise en libération. De la mort en vie. Toujours… et de plus belle. Mise en scène de l’oppression qui se déguise en libération. Toujours… et de plus belle. Mise en scène de l’oppression qui se déguise en libération. Toujours… et de plus belle.

Sur le tapis rouge du festival des révélations, on découvre toujours que ce que l’on avait découvert avant n’était finalement qu’un mensonge.

La libération, c’est le moment où l’on prend la mesure d’une ampleur. N’ayons pas peur du monde, il n’est pas si grand que ça.
Ne fuyons pas nulle part, fuyons partout !

Vivante. Je me sens profondément morale et amorale, dans un équilibre jamais tranquille, jamais chez lui, mais qui cherche à être juste, qui se cherche et s’ajuste.

C’est un pied tout intérieur qui m’est coupé, et qui fait boiter le dedans. Mais au fond comme en l’air tout va bien et se libère.

oui, mais c’est pas réaliste …

Toute vision du futur est une hypothèse.
C’est le moment des histoires.
Place à la vie. La vie sur les places !

Notre-Dame des Landes l’ingouvernable

Les « semailles de la démocratie » étaient l’intitulé des deux journées de forums-débats concerts du rassemblement annuel à Notre-Dame des Landes, 9-10 juillet 2016.

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« Non à l’aéroport, Le ciel nous appartient ! », lâcher de lanternes en hommage à Rémi Fraisse, 21 ans, tué dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 par un gendarme, à Sivens.160710_ndl_10Déjà la convivialité et l’hospitalité d’un territoire autonome en démocratie réelle, le plaisir de venir à un rassemblement sans contrôle hormis l’aimable survol d’un hélicoptère de la gendarmerie.

160710_ndl_9Le « oui » à la pseudo consultation départementale n’a pas entamé les convictions, sans doute renforcées par l’apport des troupes blessées mais déterminées formées aux luttes contre la loi travail et confrontées à un arbitraire de même nature, celui du 49.3

160710_ndl_4Beaucoup de monde, beaucoup d’idées dans les forums et de paroles tendues sur la corde raide des chapiteaux.

160710_ndl_8Le sentiment qu’ici les bribes d’expériences et de luttes apparemment éparpillées participent sans l’obligation de la convergence d’un même récit collectif.

160710_ndl_3C’est quelque chose qui s’écrit, dont les auteurs anonymes deviennent les acteurs historiques d’un retournement du pouvoir et de ses appareils.160710_ndl_1Un petit coup de main au stand de l’association d’édition « A la criée »160710_ndl_7Le pouvoir régional et national qui rêve d’une évacuation musclée de la ZAD, avec recours à l’armée «comme au Mali» (dixit l’ancien président de région) devrait justement retenir la leçon du retour de bâton des zones occupées.

160710_ndl_5Même si la France à la fâcheuse habitude à l’intérieur comme à l’extérieur d’imposer la démocratie à la pointe des baïonnettes, les « semailles de la démocratie » poussent déjà. Il est trop tard, ces îlots font archipel, réduire une zone ne réduira pas le mouvement.

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Biffins, glaneurs, collecteurs … quelle place pour le secteur informel dans la gestion des déchets

Dans la cadre de la première édition du festival zerowaste France

Biffins, glaneurs, collecteurs … quelle place pour le secteur informel dans la gestion des déchets

Vendredi 1er Juillet 2016 de 10h30 à 11h45 zerowastefrance

Péniche – Salle de projection Amarrée à l’extérieur du Cabaret Sauvage, Parc de la Villette, Paris 19e

Regards croisés de différents acteurs (glâneurs, biffins, chercheurs, collectivités) sur la place du secteur informel dans la gestion des déchets. Comment intégrer ou non ces acteurs au système et pour quels bénéfices ?

Intervenants :

Parmi les thématiques abordées :

  • De la sécurité (contamination, danger de fouiller dans les poubelles, lieux de collecte à risque, risque de blessures, insécurités liées à la précarité etc.
  • Insertion par le travail, insertion par le nettoyage, insertion à la fois en termes culturels (migrants) mais aussi en termes de travail (reconnu ou non)
  • Quel travail avec la ville ? (marché des biffins ? quelles fins de marché ? quelles relations sur la fouille des poubelles ? (Biffe); que faire des déchets collectés ? Quelles relations sur la récupération d’invendus ?
  • Quels sont les freins observés ? les revendications ?

 

Projection-débat : les biffins d’ici et d’ailleurs

Samedi 2 juillet 2016 de 14h à 15h30

Péniche – Salle de projection Amarrée à l’extérieur du Cabaret Sauvage, Parc de la Villette, Paris 19e

Projection de court-métrages de présentation du travail et des combats de biffins à Paris et à Bogota suivie d’un débat en présence d’une géographe, de représentants d’associations de biffins et de biffins eux-mêmes.
Intervenants :
  • Samuel Le Coeur, Président et Co-fondateur, AMELIOR (Association des Marchés Economiques Locaux Individuels et Organisés du Recyclage)
  • Bénédicte Florin, Maître de conférences en géographie humaine, urbaine, régionale et en géographie du monde arabe à l’Université de Tours
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Atelier public de recherche-action – collectif Rues Marchandes

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Invitation à l’atelier public de recherche-action

« La biffe comme écodéveloppement en milieu urbain »

Le 16 juin 2016 de 14h à 18h – salle 410

MSH Paris Nord – 20 avenue George Sand – 93210 La Plaine Saint-Denis – M° 12 Front populaire

 

Bonjour à toutes et tous,

Vous êtes cordialement invités à participer au prochain atelier public de recherche-action de notre collectif Rues Marchandes avec le Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action en partenariat avec la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord.

Comme il a été convenu lors de notre précédent atelier du 7 avril, il s’agira, à cette occasion, de procéder à l’élaboration de nos trois outils méthodologiques – la cartographie participative, le guide culturel et le pôle ressources – à partir des différentes propositions de chacun.

Pour rappel :

  • La cartographie participative, élaborée conjointement avec l’ensemble des acteurs de la biffe (biffins, clients, concierges, etc.) permettrait de rendre visible la place de la biffe dans la ville.
  • Le guide culturel et juridique, écrit avec et par les biffins, relatif aux pratiques, savoirs et droits relatifs à la biffe, permettrait de participer à la revalorisation de l’activité.
  • Enfin, le pôle ressources, en recensant les différentes pratiques de la biffe, les dimensions de l’économie populaire, en France et à l’international, aurait pour but d’aider à mieux comprendre la situation locale et ses possibles solutions.

Par ailleurs, nous travaillerons avec Antoine Delaunay (Makesense) à l’élaboration de sa méthodologie visant à “mesurer les impacts économiques, écologiques et sociaux de la pratique du réemploi par les biffins”, en s’intéressant notamment à : “la provenance des objets, les moyens de stockage et de transport, les quantités vendues, données, gardées, abandonnées et les revenus générés”.

Afin de préparer au mieux cet atelier, nous vous invitons donc à réfléchir en amont à des pistes de travail en vue de l’élaboration de l’un ou l’autre ou de tous ces trois outils.

Au plaisir de bientôt nous revoir,

Pour le collectif Rues Marchandes, Hugues Bazin et Mélanie Duclos

 

Les « mains fragiles », mai 1968 – mai 2016

Deux films d’archives d’images documentaires à plusieurs décennies de distance mettent en résonance les années 1968 et 2016 et nous interrogent sur la place de l’histoire et de l’image dans l’émergence et la chute des utopies révolutionnaires. Le premier est d’un jeune réalisateur indépendant de 23 ans, avec le collectif Productions Nouvelles. Son montage « je n’invente rien, je redécouvre » de 4’23 met en relation des images vidéo des mouvements sociaux de 2016 et 2016.

Il s’est inspiré explicitement du film de Chris Marker « Le fond de l’air est rouge » (1977) dont il remonte quelques plans. Recycler un vieux film documentaire qui lui-même avait recyclé des archives est une manière de confirmer qu’une image n’est jamais un objet figé, elle peut se regarder à toutes les époques.

Ce film culte de trois heures de Chris Maker a été diffusé sur ARTE en 1996 en deux parties : sur la montée (« les mains fragiles« ) et la retombée (« les mains coupées« ) des mouvements révolutionnaires des années 60-70 sur le plan international à travers un enchaînement d’images dont le sens peu à peu se dévoile.

« On ne sait jamais ce qu’on filme » dit à un moment le commentaire, ce n’est que dans les après-coups que les images prennent sens.  Cette phase en terrible écho a été reprise pour titre du court film de Matthieu Bareyre et Thibaut Dufait à propos de violences policières sur manifestants menottés le 28 avril 2016 à Paris, Place de la République.

Le principe est que les images l’emportent sur le texte afin « de rendre au spectateur son commentaire, c’est-à-dire son pouvoir ». Le montage est en lui-même un commentaire à travers un collage kaléidoscopique. La voix-off en contraste, soutenue par un texte aiguisé nous engage dans cette narration. La mise en parallèle historique de ces deux films indique comment les luttes transforment les données politiques d’une époque. Déjà on peut remarquer d’étonnantes similitudes visuelles entre 1968 et 2016.

« L’histoire est comme Janus, elle a deux visages : qu’elle regarde le passé ou le présent, elle voit les mêmes choses » (Maxime Du Camp, Paris Tome 6, 1875). Est-ce que l’on doit comprendre que tout ce que « l’histoire pourra espérer de neuf se dévoilera n’être qu’une réalité depuis toujours présente ; et ce nouveau sera aussi peu capable de lui fournir une solution libératrice qu’une mode nouvelle l’est de renouveler la société » ? (Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle, 1939).

6 mai 1968 Quartier latin : « Il y a une double erreur dans ces situations-là. L’État révèle tout d’un coup sa face répressive. Celle qui est plus ou moins diluée dans la vie quotidienne ; diluée aussi selon le quartier que l’on habite est le métier que l’on exerce. Mais là il faut faire peur, on sort sa police avec de tout nouveaux affûtiaux qu’on lui ne connaissait même pas. Parfait. Le manifestant de son côté comprend que l’État lui est apparu comme Bernadette la Sainte Vierge. C’est aussi pour lui une révélation. Dans certains cas extrêmes, il y a quelqu’un qui a le droit de décider pour lui sur quel trottoir il doit marcher et qui, s’il choisit le mauvais, a le droit de l’empêcher à coups de lattes. Donc, cette chose qui m’empêche de traverser la rue, c’est l’État. Mais alors, si je la traverse, si je fais reculer la chose, c’est l’État qui recule (Chris Maker, Le fond de l’air est rouge, 1977).

Les époques et les sociétés ne sont pas les mêmes, les mouvements ne sont pas comparables dans ce sens, mais les processus de confrontation à la réalité amènent toujours à une prise consciences politique, notamment comme nous l’écrivions à travers le rapport entre violence légitime et illégitime.

Voilà donc une génération en cours de rattrapage accéléré à l’école de la rue comme « 1967 qui voit apparaître une race d’adolescents assez étrange, ils se ressemblaient tous : semblaient doués d’une connaissance muette et absolue de certaines actions de certaines questions. Et sur d’autres ne semblaient pas savoir. Les mains très habiles à coller des affiches à échanger des pavés, à écrire à la bombe des phrases courtes et mystérieuses qui restaient dans les mémoires et cherchant d’autres mains à qui transmettre un message qu’ils avaient reçu sans le déchiffrer. Les mains fragiles, c’était marqué sur les affiches. Elles ont laissé le signe de leur fragilité sur une banderole : « les ouvriers prendront les mains fragiles des étudiants le drapeau de la lutte… »

Ces « mains fragiles » seront-elles « coupées » comme dans l’écrasement ou l’institutionnalisation des révolutions d’après 68 selon la conclusion de Chris Maker ? « Le système capitaliste et socialiste, ces deux formes de société sont périmées. On assistera à des structures nouvelles. Libérales, évolution de ces deux tendances. La réintroduction du profit et de la concurrence. Le rêve communiste a implosé, le capitalisme a gagné une bataille sinon la guerre. Ces hommes de la nouvelle gauche ont été entraînés dans le même tourbillon. Les staliniens et leur opposition sont morts avec eux. Ils étaient liés comme le scorpion à la tortue ».

Peut-être faut-il prendre le travail historique non pas comme une construction rationnelle, mais par son versant sensible comme le suggère Sophie Wahnich dans « Les émotions, la Révolution française et le présent. Exercices pratiques de conscience historique » (2009). De même, notre travail de recherche-action est en décalage avec les présupposés classiques d’une scientificité qui imposerait une mise à distance des situations selon une froide objectivation alors que nous plongeons délibérément dans les situations humaines complexes laissant toute sa place à l’empathie et à l’intuition comme appréhension cognitive de la réalité.

Le présent ainsi interrogé éclaire le passé. Ce sont les événements qui cristallisent des émotions en autant de matériaux d’un mouvement en construction dont nous pouvons présager la forme : insurrection, vitalités populaires, organisation éruptive, économie informelle, manifestations, expressions de la violence, espérance, solidarité spontanéité interclassique, formation réciproque, etc. L’histoire apparaît non plus linéaire, mais en de multiples ruptures, manière de déjouer la récupération des événements, l’accaparement mémoriel et le storytelling politique.

Cela offre la possibilité d’établir des correspondances inédites entre des faits éclatés dans le présent et le passé comme propose Damien Gurzynski dans sa compilation documentaire entre 1968 et 2016. C’est parce que justement il n’y a aucune logique historique à articuler ces deux événements éloignés, que précisément dans la juxtaposition, dans l’écart se loge un enseignement qu’aucun livre scolaire d’histoire ne divulguera.

Par ce chemin, se revitalisent des formes symboliques (le signifié) qui avaient été détachées de leurs forces transformatrices (le signifiant) sous l’emprise de la marchandisation des slogans et des images.
Espérons que cette initiative sera suivie d’autres comme l’a fait en son temps Chris Maker, travaillant sur ces « détritus » que sont les archives historiques qu’il a récupérées dans les poubelles des salles de montage, sur des bandes d’actualité, dans d’autres films, etc. C’est accepter et même revendiquer la constitution d’un corpus avec ses impuretés, ses raccourcis et ses lacunes.

Déjà, des groupes de recherche-action sont en train de se mettre en place au sein de Nuit Debout qui pourraient devenir autant d’espaces d’autoformation collective à travers la collecte de matériaux du passé et du présent, d’expérience vivante et de documents de façon à inventer des outils de réflexion et d’analyse critique dans une forme autonome vis-à-vis des modèles institués de production et de transmission de la connaissance.

2016_Les "Mains Fragiles", Mai 1968 - Mai 2016
2016_Les "Mains Fragiles", Mai 1968 - Mai 2016
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Les paradoxes de la Pédagogie sociale

Il n’y a rien d’évident dans la Pédagogie sociale et la voie qu’elle propose en termes d’intervention culturelle, sociale ou éducative ne vient jamais en premier.

En effet , un peu comme l’homéopathie qui propose de soigner un mal par le même mal , la démarche en Pédagogie sociale postule des modes d’intervention qui , dans un premier temps paraissent contradictoires.

Soigner le précaire par du fragile

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Nous avons peu de moyens, aucune certitude de durer et voilà que nous entreprenons des actions pérennes, cycliques et régulières, qui se donnent le luxe infini de s’affirmer permanentes et de viser la sécurité relationnelle et sociale.

Et, au fur et à mesure que nous travaillons, nous observons de curieux résultats:

Nos actions si fragiles durent et se développent là où les interventions  institutionnelles buttent sur mille obstacles: les empêchements institutionnels, la réorganisation des équipes, les redéploiements, les coupes budgétaires, les interruptions due au départ des gens et aux crises personnelles ou institutionnelles. Nous, nous durons, c’est déjà un acquis. Ce n’est pas un résultat, c’est une condition. C’est ainsi que se résout cet étrange paradoxe.

S’adapter à toutes les situations sans jamais se spécialiser

En Pédagogie sociale, l’éducation n’est pas spéciale; elle est globale, elle est générale. Elle a même une vision holistique de son cadre d’intervention et concerne toutes les dimensions de la vie.

Et pourtant nos actions s’adaptent à des problématiques sociales nouvelles et saillantes qui nécessiteraient ailleurs beaucoup de spécialité: équipe pluridisciplinaire , qualifications extraordinaires.

Notre équipe n’est spécialisée que dans son propre mode d’intervention. C’est pour cela qu’elle arrive à s’adapter, qu’elle arrive à contacter , à suivre et à retrouver toutes les situations incasables, qui mettent les institutions en échec.

Se sentir partout chez soi sans espace légitime

Nos actions n’ont aucun territoire qui leur serait propre dédié. Nous ne nous affirmons nulle part en spécialistes , ou en propriétaires des terrains où nous travaillons. Nous sommes des jardiniers ordinaires, des voisins parmi d’autres, des apiculteurs amateurs, des chanteurs et des danseurs de la vie quotidienne.

Mais partout nous faisons de ces terrains, du commun, du nôtre, c’est à dire du « pas à nous »; en tout cas du « pas à nous seul »; mais plutôt du « à nous tous: « AVEN SAVORE ! « 

L’effet de cette particularité est notre adaptabilité, notre mobilité dans le mobile, mais aussi notre capacité à faire repère directement dans tout lieu de vie.  Dès lors , nous pouvons « habiter » et non pas « utiliser » les espaces qui nous accueillent.

Affronter les départs, les ruptures avec la certitude d’une suite

Avec le temps , nous avons fini par percevoir cette étrange réalité: en Pédagogie sociale, ceux qui partent font de la place à ceux qui arrivent. L’aventure se poursuit, y compris pour ceux qui sont partis et que l’on re-croise sans arrêt avec des statuts différents.

Tel qu’on avait connu enfant sur nos tapis revient jeune adulte, stagiaire en formation, bénévole, service civique; ou bien nous l’employons.

Tel autre que nous avions croisé fugitivement avec la certitude que nos chemins devaient se croiser. Et cela ne manquera pas.  Car l’action de l’association, l’effet de ce travail si particulier  qui s’adresse au créateur et à l’auteur en chaque personne, donnent des résultats à long terme, ouvrent des espaces et des perspectives de vie, qui laissent à jamais un effet de manque ou d’appel.

Nous repérons ainsi comment la suite des histoires et des relations avec tel ou tel a du sens, de la logique, et que cette logique se déploie dans un temps long et certain.

Ainsi , pour ce dernier paradoxe, les départs, loin de signer des fins de quelque chose, ouvrent souvent d’autres perspectives:

  • immédiates, car le départ des uns  modifie l’investissement des autres et crée de nouveaux commencements,
  • lointaines, car ces départs ont toujours … une suite.

Dimanche 22 mai: Jardin

 

Ah! Que d’eau, que d’eau ! Se serait écrié Mac Mahon si il nous avait accompagné ce dimanche au Jardin. Et nous de lui répondre: « Allez Patoche, arrête de râler et viens nous aider à désherber les patates ! ».

Certes ce n’était pas les crues de la Garonne aujourd’hui mais quand même! Ça n’a pas empêcher la famille de Corinne, ainsi qu’Eddy de venir nous filer un coup de main pour désherber, arroser ( la serre hein !), allumer le feu,

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faire cuire les merguez,et bien sur les manger !

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On s’abrite donc sous la serre, pour déguster notre repas , accompagné d’un gâteau aimablement cuisiné par Corinne, et d’une tarte acheté par Abdel. Car aujourd’hui ce n’est pas un mais 2 anniversaires que nous fêtons, celui de Floriane la veille, et celui d’Abdel le lendemain.

La pluie ne nous laisse que très peu de répits, mais juste assez pour que Laurent, Hélène et Cassandra nous rejoigne avec quelques cuisses de poulet. On sort la débroussailleuse histoire de décapiter quelques mauvaises herbes, mais le temps empire à vue d’œil, et l’on décide de remettre a plus tard nos élans botanico-révolutionnaires pour se rentrer au chaud !

Samedi 21 mai 2016: Ballainvilliers

Nous sommes arrivés au camp, jour de fête des prénoms, nous avons été très bien accueillis avec la bonne humeur qui régnait sur le camp. Nous avons commencé par des jeux collectifs : un proposé par l’équipe (Jacques a dit) et un par les enfants (pays/pays on veut des prisonniers).

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Après nous avons bu un verre avec les familles présente sur le camp, puis nous avons installé les ateliers, avec le coin petite enfance, le coin peinture et le nettoyage du camion (qui s’est terminé en bataille d’eau).

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Nous avons remarqué des différences d’âge entre les ateliers, ainsi tout le monde a pu participer. En effet les adolescents ont aimé participer au nettoyage du camion et les parents avaient l’air heureux de participer aux ateliers avec leurs enfants. Après les ateliers nous avons fait un petit temps calme allongés au soleil.

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Puis les enfants ont servi le goûter et une maman a partagé avec nous un gâteau. A la fin beaucoup d’enfants nous ont aidé à ranger et à tout t’amener au camion.

Vendredi 20 mai 2016: Champlan

Sous un beau soleil nous partons sous le camp, avec Floriane, Elena, Laura Dusko, Domino et Héloïse. Lorsque nous sommes arrivés, une fête était en préparation c’était un baptême, il y avait de la musique. WP_20160520_16_22_58_Pro

Nous avons commencé l’atelier par une répétition d’Aven Savoren et nous avons fini par le goûter, un bon marbré.

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Jeudi 19 mai 2016: Massy

Avec Dusko, Domino, Héloïse, Loreleï, Laura et Floriane.

On commence cette journée en chassant les nuages et le soleil arrive quand on installe le barnum. On lance alors un foot avec Dusko et Domino et plusieurs garçons les rejoignent pour faire un match.

Sous le barnum, des mamans et des enfants sont très intéressés pour faire de la peinture avec Laura et Héloïse, puis on installe des jeux de sociétés et Loreleï des boites de perles pour faire des bracelets.

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Les enfants se sont bien défoulés sur le terrain et d’autres s’amusaient à bien faire des animaux avec leurs mains en mettant de la peinture dessus. Deux jeunes filles ont commencé le Dazibao en inscrivant «  Intermèdes- Robinson » sur les pancartes avec de jolies couleurs rose et violet.

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20160519_172618Beaucoup d’enfants étaient présents aujourd’hui et le temps est passé très vite en s’amusant !

On a tout rangé pour passer au goûter qui s’est très bien passé. Pour la prochaine fois, les enfants souhaitent faire eux-mêmes le goûter et qu’on puisse faire un plus grand match de foot avec des dossards et des cages de foot. Les filles voudraient faire de la pâte à modeler aussi.

On finit de ranger et on dit à la prochaine fois aux enfants !

 

Jeudi 19 mai 2016: Skate park

Aujourd’hui pour la réalisation de l’atelier SkatePark, était présent Abdel, Sana, Sandra, Juliette et Précilia.

WP_20160519_16_46_11_ProNous avons proposé aux jeunes divers activités, au programme, il y avait un atelier petite enfance mené par Juliette, des jeux de construction accompagnés par Abdel, un atelier de confection de bijoux réalisé par Sana et des jeux collectifs proposés par Sandra et Précilia.

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A cet atelier, il y avait une vingtaine d’enfants, tous étaient très heureux de participer aux activités proposés.

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Le goûter s’est très bien passé, et les ateliers aussi.

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Jeudi 19 mai 2016: Jardin

Aujourd’hui était présent au Jardin Sana, Précilia, Sandra, Juliette, Abdel, Jessica et Franck.

Pour commencer, nous avons planté des pieds de tomate. Par la suite, nous avons arrosé les pieds de tomate et les plantations de la serre.

Abdel a débroussaillé la moitié du terrain, puis a laissé Franck et Juliette faire le reste.

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Sandra, Sana, Juliette, Jessica et Précilia ont planté le reste des pieds de tomate et ont arraché les mauvaises herbes.

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Mercredi 18 mai: Répétition générale.

Ce mercredi, nous nous sommes donné rendez-vous à la maison Collucci pour la répétition de notre groupe de danse Aven Savore.

WP_20160518_15_28_20_ProNous nous retrouvons tous après avoir emmené les enfants des camps de Ballainvilliers et Bondoufle dans une petite salle prêtée par la mairie, et accompagnés de Dousko, Genica et Dominik, qui mènent la danse (au sens propre !), nous commençons le spectacle.

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WP_20160518_16_17_56_ProNous avons ramené pour l’occasion les foulards du spectacle, et les filles sont ravies de s’en parer pour danser. Nous enchainons les danses qui nous sont désormais familière, reprenons les quelques pas qui sont encore à travailler, et après un tonitruant final sur la chanson « Aven Savore », nous prenons une pause, ainsi qu’un gouter bien mérité.

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Après la pause, nous chantons « Jean petit qui danse » dont les enfants de Ballainvillers et Bondoufle sont familiers, puis Dominik Douchko et Madalin nous font une ambiance musicale orientale, pour permettre aux enfants de danser et se défouler avant le retour en camion.

 

 

 

 

 

 

 

 

Les biffins, acteurs du réemploi

19 Mai 2016 – 17H30 à 19H

Pavillon Circulaire – Place de l’Hôtel de Ville – Paris

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L’association AMELIOR (Association des Marchés Économiques Locaux Individuels et Organisés de la Récupération), en partenariat avec le collectif Rues Marchandes et le REFER (Réseau Francilien des Acteurs du Réemploi) vous invitent à un débat sur l’activité des biffins et leur impact écologique.

Programme:

  • Projection du film : « Raconte-moi Ta Rue Marchande», WOS/agence des Hypothèses/Claire Dehove et Julie Baillot-Savarin.
  • Approche sociologique de la biffe : Hugues Bazin, sociologue, chercheur au LISRA, cofondateur de Rues Marchandes.
  • Présentation de l’association AMELIOR : Samuel Lecoeur, Président co-fondateur de l’association AMELIOR
  • La biffe un revenu nécessaire : Samira Samiha, administratrice de l’association AMELIOR
  • Les manières et lieux de vente : Chantale May, administratrice de l’association AMELIOR
  • Impact écologique de la biffe : Roger Beaufort, administrateur de l’association AMELIOR, expert prévention et gestion des déchets.

 

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Mon ombre tzigane

Rien n’est plus mystérieux, plus difficile à comprendre que l’antitiziganisme. Voilà un racisme qui ne se base sur aucune croyance, aucune religion. Voilà une haine qui ne repose sur aucun désir de revanche, aucune humiliation subie, aucun reste de défaite cuisante.

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Il s’agit d’un peuple qui n’a même jamais fait la guerre.

Et pour irrationnelle qu’elle soit, quelle haine tenace , quel désir de destruction , quelle détestation aussi spontanée que répandue ne croise – t on pas constamment?

Voici que sans crier gare vous entendez dans la bouche de votre voisine des propos venimeux. Telle personne au sourire angélique et au caractère doux se met à prononcer des paroles assassines. C’est qu’on se lâche, c’est qu’on se perd, quand il s’agit des Rroms , des tziganes, des gypsies…

Comment comprendre une telle fixation irraisonnée, si on n’admet pas ceci: le tzigane n’est pas détesté pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il révèle de nous; il n’est pas haï par ce qu’il nous montre, mais par ce qu’on ne veut pas voir à travers lui.

Le tzigane nous apprend aujourd’hui des vérités insoutenables non pas sur lui même ou sa propre histoire , mais sur la nôtre.

Et cette vérité est celle ci:

« Nous n’avons rien construit ».

A travers son expérience, nous expérimentons l’illusion de nos institutions fières et dominantes.

Qu’est ce que cette belle école qui se pare de tant d’affirmations? : républicaine, laïque, différenciées et même de … la réussite? Alors que nous voyons à travers l’expérience de l’enfant tzigane que c’est en fait une école del l’exclusion, de la sélection et de l’indifférence.

Qu’est ce que ce beau système de protection de l’enfance , de préoccupation pour son bien être de l’affirmation perpétuelle et en tout lieu de la supériorité de son intérêt?

On entend tant de choses; l’enfant au centre du système, l’enfant protégé de tout, l’enfant idéalisé et chéri des passions publiques et institutionnelles !

Pendant ce temps, l’enfant tzigane, lui nous montre une toute autre réalité. la cécité de nos services, l’incohérence de nos suivis , l’impuissance de nos moyens et de nos méthodes. Le désintérêt au fond et le découragement qui progresse chez les acteurs eux mêmes d’un système auquel ils ne croient plus.

Non nous n’avons rien bâti: ni des hôpitaux accueillants qui laissent dépérir et sans soin l’étranger malade, ni des écoles imposantes  que les enfants fuient et qui les rejettent.

Que dire aussi de notre démocratie qui s’accommode si bien du silence imposé à des millions de personnes, du déni politique de fractions de plus en plus grande de la population. Que dire d’une démocratie qui sait déjà où elle va, et qui décide qu’elle n’en a cure de ce que pensent font et vivent les gens?

Que dire d’une démocratie qui se passe du peuple?

Et grâce au peuple tzigane, le plus populaire de tous les peuple, avec effroi ou étonnement, nous voyons ainsi l’ombre de notre société, l’ombre de notre système.

Et d’un coup, la Ville devient ruine et les institutions deviennent déserts.

Tzigane, mon frère, on comprend que tu sois tant haï  Tu ne nous dis rien de toi, tu nous dis trop de nous mêmes.

Tziganes , nous vous aimons cependant , car sur les ruines vous dansez . Par vous viendra peut être l’énergie de reconstruire un jour. Par vous reviendra peut être le désir d’être et de vivre ensemble , à nouveau.

Lundi: démolition men

Il fallait le faire, alors nous sommes lancés. Et voici la cloison qui séparait deux petites salles de notre local qui a été abattue dans la joie.

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l’idée: réaliser une grande salle pour des soirées à ambiance « cabaret ».

Dimanche 15 mai 2016: Jardin

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RDV Dia à 10h45 pour faire les courses tous ensemble, nous nous sommes ensuite dirigé vers le jardin où nous avons retrouvé une famille. Iasmina chef du barbecue, nous a fait un super feu pendant que nous avons préparé le poulet et une bonne salade composé.

 

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Nous avons super bien mangé nous avons de la chance il fait super bon et une bonne ambiance est présente . Maintenant l’heure de se mettre à travailler en musique, désherbage, rangement et Timothée pour la première fois a utilisé la débroussailleuse, il c’est débrouillé comme un chef et nous a bien aidé c’était super. Les filles Najami et Héloïse ont planté les patates. En cours d’après-midi Laurent et sa famille nous on rejoint ainsi que Sophie. Après ce dur  après-midi  nous avons eu de bonnes crêpes faites par Carolina et Sarah-Loup trooop bonnnes. La fin de journée s’achève tout le monde rentre petit à petit.

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Samedi 14 mai 2016: Ballainvilliers

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Avec Laura, Dusko, Dominik, Pricilla, Mariam, Marie, Isabella, Maria et Isaline.

Arrivés sur les coups de 14h30, nous avons déchargé le matériel de musique.

Pour commencer, un petit jeu collectif : un cache-cache géant avant de débuter la répétition du spectacle « Aven Savore ». Il y avait environ une vingtaine d’enfants tous motivés. Nous avons distribué aux filles des foulards orientaux afin de faire plus de bruit. La répétition s’est très bien déroulée.

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Pour s’amuser tous ensemble, nous avons former un cercle afin qu’une fille et un garçon forment un couple pour danser au milieu du cercle, tour à tour. Il y avait une très bonne ambiance et même quelques adultes nous ont rejoint.

Toujours sur le thème de la musique, les enfants ont joué à la statue musicale, le but étant de ne plus bouger lorsque la musique s’arrête, toujours accompagnés par les adultes.

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Après tous ces efforts, c’est l’heure du goûter. Au menu, tartine de confiture à la fraise, chocolat chaud et sirop. Il est 16h30, c’est dejà l’heure de partir.

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A bientôt.

Samedi 14 mai 2016: Villa Saint Martin

 

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Les personnes présentes étaient Héloïse, Iasmina, Floriane, Marina, Lorelei, Jenica et Alison.

Une fois arrivé à la VSM, nous avons installé le coin petite enfance, les livres, les jeux de société et un coin couture. Nous avons également proposé des jeux collectifs.

Malgré le peu d’enfants présents nous avons pu partager des moments de jeux et avons pu mettre en place une partie de foot, à la demande des enfants.

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De plus, une petite fille a participé avec Lorelei, Héloïse et Floriane à l’atelier couture et elle semblait apprécier la création de pompons en laine.

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Le soleil n’était pas au rendez-vous mais nous avons fini par un conseil de quartier, où chaque enfants a pris la parole et un goûter, dans la joie et la bonne humeur.

Vendredi 13 mai 2016: Bondoufle

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Laura, Héloïse, Sana, Duchko, Zoé et Marina sommes arrivés avec le soleil !

Les enfants nous ont accueilli avec entrain comme toujours ! Le beau temps de départ  nous a permis de rester  au grand air durant les jeux et ateliers !

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Afin de tous nous réunir, nous avons débuté par un jeu où chacun a pu dire son prénom, puis Jacques-à-dit, Tomate-ketchup, et enfin le facteur.

Nous avons ensuite installé le coin petit enfance avec la dinette et les jeux d’empilement qui ont plu aux plus petits, et les kapla qui ont séduit les plus grands.

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Non loin de là, des mamans nous ont chaleureusement prêté 4 tables afin que les enfants puissent compléter leurs propres cahiers avec leurs exercices de mathématiques, d’écritures  et leurs coloriages, et en faire de nouveaux ce jour-ci.

La pluie se joignant à nous, nous sommes rentrés sous le hangar. Nous avons continué par un petit jeu « linguistique », où il fallait nommer des parties du corps en 3 langues (Français-Romani-Roumain), cela a fait rire les enfants ! Puis, nous avons chanté en cœur « mamonadara » !

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Enfin, nous avons pris le goûter tous ensemble autour de chocolat chaud et de pain avec de la confiture, quel délice !

A mercredi prochain !

Vendredi 13 mai 2016: Jardin

Un bel après-midi passé en compagnie des enfants du camp de Balainvilliers qui ont pu profiter d’une semaine de jardinage et des plantations au potager des Robinson. Avec plein d’énergies et d’envies on part au jardin pour deux heures de plantations de pommes de terre.

Dès lors les enfants savent ce qu’on a  faire car l’habitude des plantations ne leur manque pas et avec des soudeurs les ranges sont fait presque droit  par les enfants, finalement nous n’avons plus à arroser car les enfants l’ont fait.

Je remarque de nouveau l’envie et l’intérêt des enfants pour le jardin et pour un travail bien fait. On a pu planter 240 pieds de pommes de terre et les enfants ne sentaient plus de fatigue, ils avaient même envie de continuer.

Finalement nous arrivons au bout de nos forces et des plantations et nous allons maintenant se recharger les batteries avec du  frais sirop de fraise  et une tartine avec des abricots.

Ciaw !

Vendredi 13 mai 2016: La Rocade

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Avec Genika, Pricilla, Floriane, Hélène, Iasmina, Pierre et Isaline.

Nous sommes arrivés sur les coups de 14h30 et nous avons commencé par installer l’atelier cuisine. Au programme divers ateliers pour les enfants : dinette, création du journal intermèdes, atelier cuisine et jeux de société et pour finir jeux collectifs (jeux de raquette).

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Il y avait beaucoup d’enfants à la dinette avec Floriane, les enfants se sont véritablement organisé une petite société et tout le monde participaient. Pricilla et Isaline étaient chargées des crêpes, et certains habitants de la Rocade nous ont accompagné dans cet atelier et nous avons passé un bon moment autour d’un petit thé.

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Iasmina s’occupait du journal d’Intermèdes Robinson, le but étant de faire dessiner les enfants. Les enfants avaient aussi la possibilité de faire des jeux de raquette avec Genika.

Avant le goûter, nous organisons le fameux conseil de quartier où chaque enfant exprime ce qu’il a aimé ou non et ce qu’il veut faire la semaine prochaine.

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C’est parti pour la dégustation des crêpes/ confiture avec un verre de sirop. Hélas le temps ne nous a pas gâté et nous avons du ranger tout le matériel.

Jeudi 12 mai 2016: Skate Park

Participants : Abdel, Isaline, Alison, Héloïse, Dominik, Audrey

Aujourd’hui, lorsque nous sommes arrivés peu d’enfants étaient présents sous ce ciel gris mais très vite les activités proposées ont attiré les enfants.

Ils ont inventé des histoires en jouant avec les LEGO.

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Certains sont allés faire un foot et pendant ce temps d’autres ont préféré jouer avec la dinette.

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Une tour de Kapla a également été faite.

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Beaucoup de succès pour le puissance 4 et les cordes à sauter !

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La fin de l’atelier est déjà arrivée et malgré la pluie nous avons tout de même prit un bon goûter, pain avec du chocolat accompagné pour boisson de sirops.

A bientôt

Jeudi 12 mai 2016: Jardin

Participants : Claire, Nicolae, Dusko, Lorelei.

Nous sommes partis chercher les enfants de Balainvilliers avec le Daev.

Nous avons eu 5 enfants avec nous, et quand nous sommes arrivés au jardin, Eddy nous a rejoint.

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Eddy a pris plaisir à prendre des photos, et à nous filmer.

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Nicolae a expliqué aux enfants avec l’aide de Dusko comment planter des pommes de terre.

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Nous avons désherbé le terrain avec les enfants qui se sont bien investis.

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On a pris le goûter tous ensembles, il y avait  du chocolat chaud, et des gaufrettes choco noisettes.

Nous avons rangé le matériel avec les enfants, et on les a ramené à Balainvilliers. Les enfants paraissaient heureux de leur journée passée au jardin.

Jeudi 12 mai 2016: Massy

Les personnes présentes: Iasmina, Floriane, Precilia, Zoé, Sana et Marina. Aujourd’hui on n’est prêt pour aller avec un grand sourire à Massy.

Une fois arrivés on n’a installé les ateliers, surprise les enfants sont tous présents. Les enfants attendent les équipes des Robinson. On n’a fini d’ installé, il y avait petite enfance, jeux collectifs, le journal des Robinson et jeux de cartes.

Pour le journal Iasmina et Marina elles ont commencé avec une question très simple ( qu’est-ce que l’ on peu mettre dans le journal pour qui pourrait vous intéresser vous et les personnes qui liront journal).

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Chaque enfants a eu des idées très intéressantes, nous on n’étaient très fières des enfants. Bon le temps passe très vite donc on passent au conseil de quartier, les propositions des enfants: tennis, rubis, peinture et jeux collectifs.

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Pour le bon goûter on n’a du pain avec du chocolat si non confiture voilà pour aujourd’hui c’est pas mal.
A très vite. :):):):)

Mercredi 11 mai 2016: Jardin

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Brrr…..ouf… il pleut, il fait froid !

Mais tant pis, nous allons quand même au jardin mais tout d’abord on va passer voir qui comme enfants souhaiterait aller avec nous au jardin.

Avec l’espoir que la pluie va s’arrêtée, nous restons sous la serre avec les enfants, Sebi, Alex, Andrei et Gratiela qui ont très envie de faire les plantations avec nous mais aussi de retourner un peu la terre avant de le faire.

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Cette après-midi les enfants vont planté des Piments de Cayenne et des Poivrons, puis ramassé les radis qui restent encore sous la serre.

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Tout ça étant fait, nous allons maintenant prendre un bon verre de chocolat chaud avant de rentrée.

Ciaw !

Mercredi 11 mai 2016: Bondoufle

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Aujourd’hui nous avons été à Bondoufle, dans le groupe il y avait Laura, Sandra, Iasmina, Alison, Floriane et Précilia.

Malgré un temps pluvieux et un sol glissant nous avons effectué plusieurs activités.

On a commencé par des jeux collectifs (lucky luke, jacques à dit, chef d’orchestre) pour rassembler les enfants, puis on a divisé le groupe en deux: un atelier écriture et mathématiques et un atelier de petite enfance ( apprentissage des fruits et légumes, des chiffres jusqu’à 10).

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On a passé un agréable moment sans conflit, ce qui a permit une bonne participation de la part des nombreux enfants présents.

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Pour conclure, le goûter s’est très bien passé et nous avons permit aux enfants d’apprendre en un après-midi.

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Fin de programme

Le mouvement contre la loi travail a débordé sur les places, on a passé des « nuits debout », de toutes sortes de manières les places débordent sur la rue, et vice-versa. Par tous les moyens, on tente de sortir du programme, non sans peine.

Éternel mais dispensable retour des programmes

C’est dur de parler, de penser, a fortiori ensemble, quand ça fait si longtemps qu’on ne l’a plus fait. On hésite d’abord, puis on y va, on se lâche, puis on se contrôle, on nous contrôle, ça ne peut pas durer éternellement…

Ce drôle de mouvement nous a extrait de nos bulles quotidiennes (aussi « alternatives » soit-elles), et il nous gifle rudement en nous révélant l’ampleur sous-estimée du programme qui s’était installé en nous. L’air de rien, sous la couche superficielle des croyances révolutionnaires, nous avons laissé des formes pourtant classiques de pouvoir nous animer, en se convainquant du progrès -tout relatif- qu’elles apportaient. L’ « État-social » fait partie de ces oxymores qui nous aident à composer avec une réalité pourtant abjecte.

Et quand nous nous entendons parler ce langage magique, nous mesurons amèrement l’écart abyssal entre les mots que nous échappons au micro et la sensation d’écœurement qui nous a fait sortir dans la rue en premier lieu.

Faute de pouvoir décrire pleinement ce qui se passe ces jours-ci, on reproduit ce que l’on peut, on prend comme un sésame quelques solutions toute faites portées à notre connaissance par des mouvements récents… Puis il ne manque jamais d’animateurs « bien intentionnés », pour nous souffler la suite, quand les mots ou les formes nous manquent. C’est ainsi que l’on voit ressurgir, comme sous l’effet de la « spontanéité » des agrégations nocturnes, des notions qui ont la peau dure et qui n’ont que l’air de la nouveauté.

Nous voilà à peine rassemblés à quelques-uns au beau milieu d’une place que certains se piquent, avant toute autre chose, de « ré-écrire la constitution ». Dix, vingt, mille, deux-mille, dix mille personnes, un peu partout, retrouvent tout juste le chemin de la parole publique, et voilà qu’il faudrait qu’elles s’asseyent déjà pour ré-écrire la constitution, revendiquer un revenu garanti pour tous, fonder un nouveau parti, reconstruire la gauche…

Au fil des dernières années, certains d’entre nous se sont égayés dans divers maquis à bricoler dans leur coin des manières de s’en sortir à quelques-uns, de s’extirper de l’économie, de l’emploi, de la course à la reconnaissance. Et ces histoires de « Constitution » là, ça nous coupe un peu la chique. On goûte à peine à la joie de reprendre la rue, de parler aux inconnus, de festoyer au milieu des places, de rendre les coups, d’interrompre le programme, qu’une force obscure nous en prépare déjà un autre, de programme.

L’histoire récente est pourtant jonchée de cadavres constitutionnels, partisans et programmatiques. Il n’a pas fallu deux ans à Podemos pour avoir raison de la vitalité du mouvement des places en Espagne en se posant, avec force communication, comme son débouché politique naturel. Il en avait fallu un peu plus à Syriza pour capter l’essentiel de l’énergie du mouvement révolutionnaire grec et la diriger vers une nouvelle déception électorale. Combien de semaines d’autres apprentis bureaucrates mettront-ils, ici, pour serrer le collet à la vitalité en marche ? Combien de temps sommes-nous capables de résister à cette volonté enracinée dans nos imaginaires de tout programmer ?

Partout, sous des gestes parfois semblables, la manifestation, l’occupation de place, l’occupation de lieux administratifs, il y a des idées du bonheur aux antipodes les unes des autres qui cherchent leur chemin. Nous nous attachons à la vitalité propre des places, à leur brouhaha, à l’énergie nouvelle des manifestations qui sortent partout du cadre admis, qui se trouvent de nouvelles cibles. Nous ne cherchons donc pas à marquer les désaccords, juste à ce qu’ils trouvent le moyen de s’éclairer mutuellement, de se penser.

Sur les places, la plus grande part de la joie palpable, vient d’une capacité soudaine à s’organiser, à reprendre un espace public vidé de toute vie, à répondre à nos besoins propres (se retrouver, se nourrir, se parler, jouer…) avec nos propres moyens, sans, pour une fois, rien demander à personne. Beaucoup se précipitent pourtant pour traduire tout cela en « revendications », en « Constitution », en « projet de société », autant de choses qui nous éloignent de notre force présente, immédiate, prometteuse. Ces mauvais réflexes, impliquent toujours un interlocuteur plus grand que nous, un grand ensemble « social » dont nous ne serions que le petit rouage interchangeable. Et pour être interchangeables, compatibles, transparents (j’affiche mes émotions, mes accords et mes désaccords sur « mon mur » ou sur ma face, les mains en l’air ou les bras en croix), il faut bien des formes reproductibles partout, identiquement : la gestuelle altermondialiste, des slogans suffisamment vides pour être rassembleurs, un wiki coopératif constituant, des adresses IP bien identifiables, bref, des formes, des dispositifs en lieu et place de sens. Des systèmes et des économies à la place de la vie.

On nous a voulus individus jusqu’au bout des ongles, et c’est en tant que tels que nous nous retrouvons sur ces places. Notre vision d’un progrès radical se borne à demander une amélioration de notre condition d’individus isolés : un « revenu garanti » pour tous ou plutôt pour chacun. Résultat, nous passons sans détour de l’autonomie comme puissance d’agir (qui frémit sur les places), à l’autonomie réduite à un « pouvoir d’achat » garanti à chacun, octroyé par on ne sait quelle forme de grand ensemble englobant, neutre, désintéressé, automatique. Le même grand système surplombant, qui devrait garantir, mesurer et comptabiliser l’égalité parfaite de la contribution des uns et des autres à l’effort pacifié, de rédaction d’une « nouvelle Constitution ». Cette propension maladive à apaiser tous les rapports sociaux a pourtant quelque chose de profondément pourri et désarmant.Tout juste après avoir pris des bombes législatives sur la gueule de la part des dirigeants (Loi Travail, Etat d’Urgence, Loi sur le renseignement…), après s’être faits désarticuler les bras et crever les yeux par leurs CRS, après s’être épuisés dans des jobs absurdes et des usines esclavagistes, après s’être couchés sous la morale de la CAF et de Pole Emploi, comment pouvons-nous souhaiter avec autant de précipitation, ré-échafauder de semblables institutions?

Occuper les déserts

De lutte, de combat, et de communauté, il semble à l’inverse difficile de parler sur certaines places (alors même que c’est visiblement cela qui sourd dans tus les coins, en dessous des discours). L’air du temps est au réseau, à la production « collaborative » douce, à la Scop sexy et aux coopératives d’auto-entrepreneur 2.0. Autant de phantasmes technologiques qui derrière leur façade collective masquent une réalité atomisée, où chacun est tenu pour responsable de sa propre misère, de ses propres échecs. Il y a peu de chance que le revenu de base réduise cette division sociale là, puisqu’il n’abolit pas l’obligation plus ou moins implicite de « s’efforcer à réussir », seul de préférence. D’autant plus que notre époque nous a contraints à la débrouille ; version euphémisée de « marche-ou-crève ». Nous sommes acculés. Et le comble de notre aliénation est de ne plus parvenir à nous ériger en « communauté de débrouillards » ou en « communards de la débrouille », autrement dit, en classe sociale. Pourtant, notre tâche est bien là, faire en sorte que nos séparations groupusculaires ne soient plus uniquement une réaction de replis face à la violence du monde, mais une force qui fasse sens collectivement, et qui produise tout ce qu’il faut pour la vie de ceux qui brûlent de faire sécession. Faire « service public » là où l’actuel est en pleine déliquescence. Là-même où il a largué la réponse aux besoins de tous pour l’obsession du contrôle de chacun. Voilà tout l’enjeu du mouvement en cours. Si nous ne franchissons pas ce cap, nous serons dilués dans un futur Podemos, franchouillard qui plus est.

Pris dans nos boulots toujours plus insatisfaisants, au mieux, nous bredouillons quelques vieux tics de langage pour décrire la source de notre malheur (« c’est la faute du capitalisme, de la finance »), comme pour se figurer une nouvelle fois un ennemi abstrait dont nous ne reconnaissions plus le visage. Bien sûr, le capitalisme et la finance nous ont dévastés. Ces structures qui nous plient sont effectivement incarnées par des formes et des représentants identifiables ; banques, assurances, holdings, médias, actionnaires, et leurs collègues de classe (sociale et scolaire), qui assurent leur santé en « occupant les places » dans les gouvernements. Mais ils semblent tellement à l’abri derrière leur plafond de verre qu’on se demande bien comment entrer en conflit direct avec eux. Nous n’avons le plus souvent à faire qu’à leurs flics et leur mobilier urbain. A défaut, nous nous tournons vers nos chefferies locales, nos banques de village et nos élus de quartier sans pouvoir. Dans leurs lieux, nous ne rencontrons que du petit personnel politique affairé sur des questions subsidiaires, des voisins de pallier employés là, les pères et mères de nos amis d’enfance dans leurs bureaux, et il arrive que nos amis eux-mêmes tiennent le guichet. En somme, des gens qui ont plus ou moins l’air aussi démunis que nous. A l’usine, dans les bureaux, nos cadres et nos contremaîtres, ressemblent presque autant que nous à des pantins. Ce qui par ailleurs aurait dû les vacciner définitivement contre les coups de cravache qu’ils continuent de nous infliger. Il y a comme un grand brassage des rôles, un brouillage des lignes, qui bien loin de supprimer les violences de classe, les a rendus innommables. A l’évidence, ces collusions sensibles et humaines ne sont qu’un leurre, mais en avoir conscience n’empêche pas cet « à quoi bon ? » qui nous habite toujours un peu plus. Le capitalisme et ses structures sociales, la finance et ses actionnaires, sont certainement pour partie responsables de nos plaies béantes, mais leur déclinaisons dans le quotidien ont été rendue si peu tangibles, si brouillées, que nous en avons perdu nos cibles et nous nous rongeons nous-mêmes. Nos localités sont désormais faites de ce vide que les super-structures ont laissé derrière elles. Alors occupons d’abord ce désert qui nous est donné là. Jouissons de la liberté offerte par cet espace public abandonné. Et si le croquemitaine se dévoile, se rue sur nous, il aura enfin un visage.

Du haut de nos croyances au caractère exceptionnel de nos individualités, nous refusons de nous envisager comme les produits tous frais de ce monde, ses jouets et ses variables d’ajustement. Cette illusion de libre-arbitre nous limite dans notre capacité à nous arracher hors des programmes et risque bien ne nous faire éternellement réinventer l’eau chaude. C’est là toute la force de ce régime aux apparences libérales, qui nous a dépossédés des moyens de débusquer et de perturber les phénomènes de reproduction. Tout nous paraît moderne et providentiel. A tel point que nous ne voyons même plus comment la République ou la Constitution nous ont si parfaitement domestiqués pendant tant d’années. Si nous sommes incapables de comprendre en quoi les structures actuelles nous enfantent, il est logique que nous nous précipitions à en fabriquer de semblables plutôt que de nous rendre imprévisibles, incontrôlables. Si toute notre action perturbatrice doit se conclure par une assemblée constituante, une République sociale et un revenu garanti, c’est que l’on nous aura définitivement enlevé le sens du rêve.

Comme une vie

La question de la souveraineté du peuple ne cesse de monopoliser les assemblées spontanées. Sa redondance n’est que le signe d’une dépossession extrême du pouvoir d’organiser nos vies. Car en réalité, sa question est bien mal posée. Nous avons une fâcheuse tendance à rechercher prématurément les bonnes modalités d’organisation de la souveraineté politique des individus, comme si nos conditions de vie exécrables nous permettaient d’attendre. Preuve en est, l’inflation actuelle de propositions autour du « tirage aux sorts des représentants » ou de la « révocabilité des mandats ». Et nous laisserions, en vertu de cette logique programmatique, le soin à ces futures institutions républicaines d’organiser pour nous la satisfaction de nos besoins, aussi égalitaire qu’elle puisse être. Or ce programme là, nous courrons après depuis tant d’années et tant de régimes successifs, sans réussite. Notons d’ailleurs que les « grandes avancées sociales » du siècle dernier ont davantage été arrachées aux représentants de la République qu’elles n’en n’ont été les fruits.

Nous proposons donc d’envisager le pouvoir d’organiser nos vies comme un début inévitable. Nous sommes capables, et nous ne partons pas de zéro, d’aller vers une autonomisation dans un maximum de domaines vitaux, de la nourriture au déplacement, en passant par l’habitat ou l’éducation. Jusqu’alors, nous avons été dépossédés de ces savoirs-faire par l’expertise technologique propriétaire et la division du travail. A nous d’utiliser la technique à notre avantage, en faveur d’un quotidien qui fait sens, et d’une forme de luxe vital pour tous et toutes. Pas une égalité comptable qui serait là pour nous pacifier en nous abreuvant d’un égal pouvoir d’achat, mais un partage dispendieux de nos moyens, de nos possibilités d’autonomie collective, de nos richesses diverses, qui annulerait tout besoin de calcul. Si devait persister une notion telle que la « souveraineté du peuple », elle passerait probablement moins par son enfermement dans des corps administratifs et constitutionnels que par notre autonomisation collective, et par notre capacité à élaborer nos interdépendances et la mise en pratique(s) de notre tenace passion égalitaire… là où nous sommes et avec ceux avec qui il nous est donné de nous rencontrer, de nous lier, d’où qu’ils viennent. Ceci ne peut-être programmé, commandé, calculé, ou même revendiqué. Mais seulement mis en route dès maintenant. Nous aurons tout loisir, au terme de quelques avancées, de décider si nous avons besoin d’une Constitution et si oui laquelle.

Dans la situation présente, nous sentons bien un manque de structuration, un flottement, des aléas, que les plus ordonnés d’entre-nous voudraient réguler. Nous devrions plutôt suspecter le retour des techniques de management édulcorées, l’utilisation à outrance des savoirs universitaires, des compétences gestionnaires, des élans de planification, des représentants et des écritures de programmes. Plus généralement, nous aurions intérêt à prendre nos distances avec ces pensées toutes faites, qui rampent sur la toile et que l’on nous somme d’adopter. Elles vont si bien à cette société en plein écroulement… Cela ne veut pas dire qu’il faille abandonner tous les outils. Mais que nous aimerions d’abord -et avant tout le reste- nous laisser le temps de vivre ce moment et de nous mettre à l’épreuve.

Car nous n’avions pas vu situation si prometteuse depuis longtemps. Quand bien même nous fabriquions des organisations collectives, elles n’étaient que des outils nécessaires à notre survie. Alors que notre insatisfaction profonde nous soufflait à l’oreille les mots du désordre, du chamboulement, nous nous contentions de pis-aller. Or ce « mouvement », de manifs ensauvagées en Nuits Debout agitées, a tout du débordement, de l’échappement, de la perte de contrôle et c’est bien là toute sa force.

Sur les places, quand nous prenons la parole, nous sommes comme nus, dépouillés de nos histoires, de nos bandes, et seuls nos mondes séparés semblent compter (1 plus 1, plus 1, plus 1…). Mais enfin, nous ne sommes pas « un, plus un », nous sommes plusieurs, nous avons des histoires à raconter, des tentatives, des trucs à partager, une expérience en marche qui a besoin de se confronter, de te rencontrer, de le rencontrer lui aussi, et cette bande de potes là aussi, cette famille, ces collègues, ces camarades là… ce que nous cherchons c’est joindre nos forces, toutes diverses qu’elles sont, pour rouvrir l’espace du choix, les pages de l’histoire.

Non il n’y a pas ici que des individus éthérés, des solitudes numériques, il y a de la vie qui a besoin de prendre sa place, d’exprimer toute son hétérogénéité, de faire tomber des murs, de mettre des pieds dans la porte, de serrer quelques arrogantes cravates, de retourner contre ceux qui les produisent quotidiennement les sentiments de tristesse et d’impuissance.

L’Etat lui-même, cet appareil technique à qui nous présentions jadis nos revendications respectueuses comme s’il était vivant, est si éclaté dans sa fonction moribonde de gestion et de contrôle au service de l’ordre économique, qu’il perd totalement sa capacité à influer sur notre quotidien. En conséquence, prenons acte que nous n’avons plus rien à lui demander.

Au dessous du Volcan

Nous avons en tête cette folle épopée en cours depuis près de 20 ans au Mexique. Cette aventure qui a commencé par le soulèvement des indigènes zapatistes du Chiapas contre la mise en place de l’espace de libre échange des Amériques, en 1994. Cette irruption locale de ceux qu’on attendait plus, a trouvé tout un tas de prolongements localement, à l’échelle du pays, à l’échelle du monde. De là sont nés à la fois le mouvement anti-globalisation et, au Mexique, un autre processus plus rampant, plus tenace aussi, qui s’est nommé un temps « La otra campana ».

Cette « autre campagne », avait prit le prétexte d’une élection présidentielle mexicaine pour agréger, pan par pan, toutes les forces distinctes pour lesquelles il était impossible de se projeter, une nouvelle fois, dans un tel numéro d’illusionnisme électoral. Communautés indigènes en lutte, syndicats enseignants, usines occupées, comités de quartiers, bandes de jeunes émeutiers, villages ruraux, écoles agraires, radios locales, journaux, centres sociaux occupés, collectifs divers se sont mis à s’inventer un plan de bascule commun. Ce qui s’est formé alors, au fil des mois puis des années, c’est un mouvement discontinu, hétérogène, illimité, de sécessions d’avec le champ irrespirable de la politique des partis et de la représentation. Une façon de déposer le cadre, sans prétendre le refaire. Ne pas laisser qui que ce soit prétendre le refaire, c’est d’emblée penser les plans de coopération, d’alliances, de stratégies communes entre tous ceux qui ne veulent plus être contenus dans quelque cadre (national) que ce soit, fusse-t-il a priori « bienveillant ».

Le moment étant venu d’imaginer l’étape d’après des manifestations et de l’occupation des places, nous ne pouvons plus nous contenter de reproduire de places en places les dernières trouvailles issues de la place de la République. Chaque localité pourrait trouver son propre tempo, sa propre texture, revisiter les lieux qu’elle occupe d’un regard neuf et trouver en elle les ressorts du dépassement que tout le monde appelle de ses vœux . Ce dépassement est une mise en commun et un déploiement de nos puissances d’agir propres à notre classe débrouillarde. Que nous soyons sortis de l’emploi en prenant les baffes moralisatrices de ceux qui aimeraient nous voir souffrir au travail, ou que nous y trimions encore, contraints par dépendance aux revenus qu’il nous concède et forcés par son organisation de plus en plus démente, il y a là une multitude inattendue de groupes qui commencent à se constituer et à prendre vie sur les places.

Ce débordement de vie collective n’entre pas dans les cases des prêts-à-porter militants. « La Commune », elle même, est peut-être moins un nom emblématique pour notre désir actuel de dépassement, qu’un des rendez-vous avec le passé et son inaccompli. Sortir du programme, va sans doute nous amener à transcender nos localités, nos communes, avec ou sans « c » majuscule. Ainsi ces vies collectives, tout en s’autonomisant, auraient depuis leurs situations singulières, et en miroir les unes des autres, à penser de fond en comble les problèmes dont elles se saisissent et les plans sur lesquelles elles peuvent communiquer entre elles, construire des objectifs communs. Un de ces plans, en écho à cette expérience mexicaine, et dans le but d’en finir avec ce qui nous programme, ne pourrait-il pas être d’envisager que les élections présidentielles de 2017- à l’idée desquelles tout le monde suffoque déjà- n’aient tout simplement pas lieu. Car les laisser advenir « normalement », c’est s’assurer qu’elles auront sur le soulèvement naissant, l’effet d’un bon vieux Tour de France bien commode, qui tous les ans trahit les promesses du printemps, mais pour bien plus longtemps.

Ne plus se contenir, ouvrir les vannes

La perspective de l’absence d’élections présidentielles comme emblème de tout ce qui nous programme, ouvrirait un champ de possibles et de déclinaisons pratiques :

Comment constituer un véritable espace public sous l’espace médiatique et institutionnel? Faire surgir notre propre agenda ?

Comment arracher un maximum de lieux à l’emprise du rouleau compresseur électoral (qu’ils ne trouvent plus nulle part ou aller serrer des mains tranquillement) ? Comment perturber les canaux par lesquels il s’impose à tous ?

Et depuis là, faire ce nous avons à faire pour construire nos forces et dévier le cours du temps. Car du temps il nous en faudra bien plus que celui qu’est prêt à nous concéder l’éternel parti de l’urgence et son Etat. Faisons disparaître cette échéance de l’horizon et en lieu et place de ce mauvais spectacle déployons nos expérimentations, diverses, parfois même antagoniques… ouverture de lieux de convergence et d’organisation, grèves, occupations illimitées de places, enquêtes, déploiement de nos services publics libres (seuls à même d’entraîner avec nous tous ceux qui nous entourent), transversalité des expériences et des savoirs. Prendre enfin le temps de ne pas suivre la course folle de ce monde qui ne court qu’après son effondrement toujours imminent.

Arrêter les pendules, déchirer le calendrier. A chacun de décliner ce non-programme comme il lui paraîtra juste, et d’emplir ce vide de la vie qu’il mérite..

Nous sommes nombreux .

Nous sommes insatisfaits.

Nous sommes (à) la fin du programme.

On arrive.

 

ARTICLE COLLECTIF AUTOGRAPHIE

La Vie est plus grande que l’institution

Au fur et à mesure que les années passent, nous constatons que notre action éducative et sociale aussi précaires soit-elle, subsiste, se développe; au fur et à mesure que les années passent, nous voyons les institutions et les structures sociales se craqueler de partout , malgré les moyens considérables qu’elles continuent de monopoliser …

Progressivement nous constatons que  ceux qui sont désignés comme « usagers », « publics »,, « bénéficiaires » décrochent des structures censées les parquer et les orienter; sous l’effet d’une précarisation constante de la société, le sens même des normes s’estompe et que les modèles classiques d’intégration et de participation sociale et urbaine doivent se réinventer…

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Progressivement, nous  mettons en évidence les effets du travail en Pédagogie sociale: effets souterrains dans un premier temps, mais qui impactent véritablement et durablement les parcours de vie,…

Progressivement,  nous voyons se matérialiser sous nos yeux des intuitions  qu’il y a quelques années encore on qualifierait « d’utopistes » comme le fait que nos pédagogues sociaux rroms et vivant en bidonvilles, encadrent et accompagnent des travailleurs sociaux en formation, que ce sont les enfants eux mêmes sur nos ateliers qui sont garants de la continuité de nos démarches et de notre identité collective, ..

Alors résonnent autrement en nous les positions incroyablement avant gardistes d’un Freinet qui pouvait déclarer  en 1946:

« Lire, écrire, compter deviennent des acquisitions mineures. Non pas que les hommes n’aient plus à savoir lire, écrire, compter, mais l’École n’aura pas même commencé sa tâche si elle s’en est tenue à ces acquisitions : la vie aujourd’hui apprend bien plus vite et bien plus sûrement à maîtriser les disciplines et on se demandera un jour prochain pour quoi l’École est encore tellement hypnotisée par ces acquisitions, qui ne sont plus des acquisitions-clés. »

Et nous l’exprimons autrement aujourd’hui:

Ce sont  les acquisitions sociales  qui sont aujourd’hui essentielles. Elles sont les compétences urgentes et fondamentales dont notre époque a besoin et c’est ce dont il s’agit dans toutes les actions que nous mettons en oeuvre.

Simplement apprendre à se connaître, à se comprendre et à s’aimer assez pour vivre ensemble , dans les deux sens de la proposition « se« : entre tous, et en soi même.

Nous avons besoin d’une éducation à la politique , à la  sensibilité et à l’action collective. Et c’est  ce dont il s’agit tous les jours dans nos spectacles, sur nos ateliers, dans la simple performance d’être ensemble, un collectif aussi improbable,  dans un environnement pourtant hostile.

« Vous êtes utopistes », entend t on assez souvent dire , en guise de critique lors des nombreux exposés dans les centres de formation, ou auprès des professionnels.  « Utopistes », certainement pas, tellement le travail éducatif et social inconditionnel que nous prônons est le seul à pouvoir s’adapter aux formes nouvelles de la précarité et de la perte d’influence des institutions.

Ce ne sont certainement pas le réalisme et la réalité qui constituent des obstacles à notre travail et à notre entreprise. Au contraire, la réalité les commandent et les rendent indispensable.

Non ce qui s’oppose à la valorisation et à la reconnaissance de nos pratiques, c’est bien plutôt, l’idéologie, cette petite voix envahissante et colonisatrice qui nous fait dire à tout propos « que ce n’est pas possible », « qu’on n’a pas le droit », « qu’on ne peut pas », qu’il convient d’avoir peur, de se protéger , de se retirer, de s’enfermer, de renoncer à ses libertés….

C’est l’idéologie qui empêche les pratiques sociales de se réinventer et de faire éclore de nouveaux horizons. C’est l’idéologie qui use et désespère les professionnels; c’est l’idéologie qui rejette les publics et les groupes désignés comme « usagers » dans la marge et la désespérance.

C’est l’idéologie qui décourage toute action, d’entreprendre . C’est l’idéologie qui réclame et qui exige l’obéissance, la soumission , et une loyauté imposée vis à vis des institutions et de leur morale en faillite.

C’est l’idéologie qui affirme que rien d’autre n’est possible qu’elle même et qui pousse aux désespérances les plus banales (dépression sociale) ou les plus spectaculaires (martyr) .

En Pédagogie sociale, nous affirmons que les chose sont possibles puisque nous les faisons déjà; nous démontrons que la seule position réaliste consiste à remettre en question tout ce qui nous paraissait tellement évident que nous ne savons plus rien faire quand ça ne marche pas:  l’éducation punitive par la répression, le culte de la morale des repères et des cadres à tenir ou reconstruire coûte que coûte, la contractualisation qui ne passe pas par la confiance préalable, l’idéologie du projet qui inhibe toute passion, etc…

A toutes ses morales tristes nous répliquons par « l’invariant N°30 », de Freinet:

« Il y a un invariant aussi qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action: c’est l’optimiste espoir en la vie. »

Vendredi Samedi et Dimanche: AVEN SAVORE (« Venez, tout le monde ! »)

Et ils sont venus !

Nous l’attendions depuis tellement de temps, nous le préparions de mois , et c’est arrivé!

Jeudi soir nous avons su que les Kesaj étaient partis en fin d’après midi, de Kezmarok, pour nous rejoindre, à 25 dans le bus.

Vendredi

Vendredi après midi alors qu’ils arrivaient de leur côté à Buno, nous avons organisé une dernière répétition de notre partie du spectacle, « Aven Savore », au quartier à la Rocade, à plus de 40… dont  13 enfants de 4 bidonvilles différents.

Vendredi soir, on rejoint les Kesaj , avec 35 personnes et là, après les retrouvailles, les présentations, les reprises de contact,  nous avons fait une répétition générale et pédagogique, sous la conduite d’Ivan quia  duré presque 2 heures.

Nous avons mesuré le chemin parcouru ; comment ces enfants avec lesquels nous travaillons parfois depuis des années, au plus près de leur vie et souvent dans la rue, sont devenues des enfants  capables de réaliser une telle performance. NOUS SOMMES FIERS ET IL Y A DE QUOI. Car ce n’est pas la réussite ‘une institution ou d’un prof: c’est la leur.

Tout au long du week end 14 Robinsons sont restés en résidence avec les KESAJ à  Buno. Une expérience qui a touché les limites du château: il a fallu sortir les tentes.

SAMEDI: FOLIE GENERALE

C’est tous les Robinsons qui se sont rendus pour passer toute la journée jusqu’à presque minuit , à la MJC d’IGNY qui avait la gentillesse de nous recevoir.

Tout le monde avait répondu présent depuis la MJC de Chilly, en passant par les hôtels, les camps, le quartier. Les Robinsons et les Kesaj représentaient à eux seuls plus de 70 personnes.

Nous avons commencé par un pique nique, puis les Kesaj avec nos Robinsons résidents sont arrivés et on a commencé réglages et filages.

Mais le plus souvent, le spectacle était déjà là dans le champ autour de la MJC: chants, danses spontanées et musique tout le temps.

En milieu d’après midi la compagnie TMT (Ta mère en tongue) , est venue nous rejoindre , avec un bus plein de leurs enfants , pour une rencontre fracassante. Leurs enfants avaient une énergie extraordinaire et ils ont pu intégrer notre spectacle avec une scène de « racisme anti tzigane » qui , dans les circonstances, a  pris une très grosse intensité dramatique.

Puis est enfin venu le temps de la représentation. Grosse ambiance et enfilage des costumes. On était prêts , c’était le moment.

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La représentation était à la hauteur des préparations; Les murs de la MJC en tremblent encore… et ils en trembleront longtemps.

Vendredi: Atelier de Champlan

Aujourd’hui nous nous sommes rendus à Champlan, l’équipe était composée de Iasmina, Floriane, Sandra, Précilia, Marina et Alison.

Il y avait douze enfants de tout âges et nous avons pu jouer au jeu de la bombe tous ensemble, sous le soleil.

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Les règles du jeu étaient simple, nous avions un ballon et un enfant se mettait au milieu d’un cercle en disant fort « tic-tac » ,« boom » à la fin. L’enfant qui possédait le ballon à ce moment, se mettait au milieu à son tour. Les enfants semblaient aimer ce jeu car ils rigolaient et prenaient plaisir à jouer.

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Ensuite nous sommes passés aux exercices d’écritures et de mathématiques. Certains enfants avaient du mal, d’autres plus de facilité mais tous ont participé.

Nous avons pris le goûter (pain au lait, chocolat et sirop) sur les tapis dans la joie et la bonne humeur.

 

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Vendredi: Atelier de la Rocade

 

Aujourd’hui nous arrivons à la permanence de la rocade sous un grand soleil. Nous nous installons et mettons vite en place un atelier peinture à doigts pour faire des animaux, ainsi qu’un atelier cuisine où nous allons faire des crêpes pour le goùter. Les enfants arrivent vite et s’installent à la peinture et trois garçons nous ont bien aidé pour faire la pate à crêpe.

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Puis le reste de l’équipe nous rejoint avec les enfants de Champlan, de Grigny, de Chilly ainsi qu’avec les Kesaj pour l’ultime répétition avant le week-end de spectacle.

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Nous commençons la répétition sous un soleil de plomb, pendant que quelques enfants nous aident à faire cuire les crêpes. Tout le monde se donne à fond. Les filles mettent de joli foulard à clochettes sur les hanches, pendant que Dusko chante chante chante et chante encore…

Après cette belle répétition, nous nous installons enfin sur les tapis pour nous désaltérer et manger les crêpes !!!! MIAM !!!!!

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Tout le monde met la main à la patte pour ranger et nous repartons avec les enfants qui dormiront à Buno en vu des spectacles du week end.

 

Vendredi : Atelier du Jardin

 

Une après-midi un peu plus chaleureuse aujourd’hui pour les Robinson, et nous sommes de retour sur le terrain de Saulx avec Jessica, Franck, Eric et Nicolae.

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Une séance d’arrosage générale s’impose aujourd’hui car sous la serre il fait très chaud et nos plants ont besoin de respirer et de boire un peu. On voit aussi que les semis de tomates pousse bien sous la serre et bientôt il sera temps de les planter en pleine terre.

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Dans les bâches aussi les fleurs et d’autres ont pu sortir leur tête de la terre pour dire »Bonjour » au Soleil à l’horizon.

La journée s’achève et nous allons prendre le goûter avant de partir et ranger notre matériel dans la petite cabane au jardin !

Ciaw

 

Jeudi: C’est Férié !

 

Mercredi: Atelier de Bondoufle

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On commence cette belle semaine sous le soleil de Bondoufle ! On retrouve tous les enfants contents de nous revoir. C’est pour eux le retour de Pâques, de la fête, certains ont une nouvelle couleur de cheveux.

On se met tous en cercle pour commencer à se présenter en français chacun son tour. On continue par un Jack-à-dit, les enfants ont bien compris ce jeu et l’aime beaucoup. On fait aussi le jeu de « tête épaule genou pied », Laura fait des mouvements pour montrer les différentes parties du corps et les enfants doivent les montrer aussi, s’ils montrent par exemple les genoux alors qu’elle dit «  la tête », alors ce n’est pas bon. On finit ces petits jeu par une « tomate ketchup », les enfants aiment bien car c’est comme le facteur et quand on se fait toucher on se retrouve dans la soupe au milieu du cercle !

Après s’être bien défoulé, place à la réflexion à la découverte et à la créativité avec l’atelier d’écriture et de peinture ! Pendant ce temps, Jenica et Marina sont sur les tapis avec la petite enfance, ils font des constructions de super grands châteaux !

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Pour l’écriture on a mixé un peu de calcul d’abord puis des jeux où ils doivent replacer des mots ensemble ou assembler des syllabes.

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Au niveau des tables, on avait de plein de peinture partout ! Les enfants découvraient la manière de réaliser des animaux en laissant leur trace de main. Cela a donné de jolis flamands roses, des araignées, des girafes, des poissons, de toutes les couleurs ! Très intrigués et intéressés par cet atelier, beaucoup d’enfants ont participé mais aussi les grandes sœurs ou leurs parents qui peignaient avec nous.

Après un grand rangement de la peinture et de l’écriture, on s’est installés sur les tapis pour prendre le goûter et discuter de la fête de Dimanche.

La journée est finie, on remballe tout et on dit Ciao aux enfants !

 

Mercredi: Atelier de Saint-Elois

 

Nous sommes arrivés avec différents ateliers à proposer aux enfants

_ Jeux de sociétés avec Hélene et Sana

_Puissance 4 et peinture avec Lorelei

_ Peinture avec Sandra

_Construction voiture avec Kenzy

 

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Aprés installation du puissance 4 que les enfants ont pris d ‘assaut nous nous sommes concentrés sur la mise en place des autres activités, le soleil étant au rendez vous les enfants avaient trés soif et nous leur avons donnés de l’eau afin qu’ils puisses s’hydrater. Quelques enfants se sont intéressés à la réalisation de la voiture et se sont mit avec enthousiasme au bricolage car une gentille maman nous a permis d ‘avoir accès à l’électricité.

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Les jeux de sociétés se sont fait dans la bonne humeur et dans le calme. A la peinture nous avons realisés quelques oeuvres sur les animaux et les fleurs ainsi qu’un magnifique portail magigue inspiré par une jeune fille et Sandra.

Aprés toute cette creativité et cette bonne humeur vient alors l’heure de la fin des ateliers, de l’assemblée des présents et du goûter. L’assemblée des présents ce passent bien et les idées se partagent (peinture, catch, bijoux élastiques, foot, voiture, pâte à modeler et le très demandé uno)

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Au goûter nous avons eu le droit d’avoir du sirop, des cookies, des pommes et des pains au lait.

Une fois finie nous rangeons tout avec l’aide des enfants, ce qui nous permets de terminer le rangement rapidement.

 

Mercredi: Atelier du Jardin

 

Lors de ce bel après-midi, l’équipe des Robinson composé de Nicolae, Eric, Madalin et Geoffroy est allée au jardin avec des enfants de Ballainvilliers.

Nous avons débroussaillé les hautes herbes, rangé la cabane à outils et fait le tri dans le matériel.

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Tout le monde, muni d’un arrosoir, a donné de l’eau à tous les petits plants qui commencent à émerger.

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Nous avons également commencé à poser une étagère dans la cabane à outils, les enfants ont pu utiliser une scie et un marteau.

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Ensuite nous avons pris le goûter tous ensemble, au menu: cookies fais maison, sirop et fruits (pommes, oranges).

Les enfants étaient content de cet après-midi, ils étaient souriant et ont pu jouer avec l’eau du puits.

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A la semaine prochaine pour la suite!

Le rapport entre violence légitime et illégitime, ferment d’une conscience collective

Dans ce rapport entre violence légitime et illégitime se joue la possibilité de quatre composantes d’une mobilisation sociale de faire leur jonction ou non : la classe ouvrière, les quartiers populaires, les couches moyennes précarisées et la gauche radicale. Cette jonction est apparue jusqu’à maintenant improbable, car ne s’appuyant pas sur un rapport social commun, notamment le rapport au travail.

Le but de la violence légitime est de faire apparaître comme illégitime toute opposition à sa violence. Ceux qui sont dépositaires de cette violence légitime sont les corps constitués de l’État, en l’occurrence la police et l’armée.

Ce qui s’est passé ce 1er mai à Paris est un exemple de l’utilisation de la violence légitime de manière illégitime.
Le rapport était à peu près d’un policier pour cinq manifestants pour le défilé du 1er mai de Bastille à Nation. Même si on peut discuter de la proportion de ce rapport, il n’en demeure pas moins que le dispositif mis en place n’était pas celui d’un maintien de l’ordre discret d’une manifestation, mais d’une militarisation de l’espace public. Entendons par « militarisation » non seulement la disproportion entre la partie armée et la partie civile, mais par le fait que la société civile dans son ensemble est considérée d’emblée comme hostile.

À partir de ce principe, l’objectif n’est pas de garantir la paix, mais d’organiser la violence. Avant même le départ de la manifestation à la place de la Bastille les policiers suréquipés étaient directement en contact avec les manifestants et verrouiller déjà toutes les rues adjacentes. Certaines de ces rues étaient occupées par des groupes spécialisés comme la BAC facilement reconnaissable bien qu’habillée en civil et qui étaient déjà prête à l’action.

La question n’était donc plus de savoir si l’affrontement allait avoir lieu, mais de déterminer le lieu de l’affrontement. La tactique est un moment donné de détacher la tête du corps de la manifestation, ceci pour en extraire les éléments les plus violents. Pour créer cette émulsion, la gent casquée montre ces apparats de manière ostensible comme pour mieux agiter un chiffon rouge dans un champ de taureaux. Il ne suffit alors de pas grand-chose pour déclencher l’étincelle. Une fois les premiers heurts constatés, les forces de l’ordre par les rues adjacentes coupent la manifestation en deux. C’était ici au niveau du métro Reuilly – Diderot à 400 m de l’arrivée à la Place de la Nation.
Comme pour un filet de pêcheurs, une nasse se constitue. Il s’agit alors de « traiter » cette zone qui dans le langage fleuri militaire veut dire écraser, annihiler en utilisant à profusion gazage et matraquage. Cette hyper violence doit apparaître comme la résultante d’une première violence. Dans un enchaînement imparable, la contre-réaction à cette violence permet ensuite des interpellations sous différents libellés qu’il sera ensuite difficile de contester.

Cependant ici ce dispositif n’a pas vraiment fonctionné pour deux raisons. La première est que le 1er mai est aussi une fête familiale et comme en témoigne la photo, le profil de ces « casseurs » peut être très étendu, des enfants aux vieillards… D’autre part et surtout cette fois-ci les syndicats officiels, sans doute au regard du contexte politique, n’ont pas accepté de dérouter le corps de la manifestation pour laisser fonctionner la nasse. Après un statu quo très tendu d’une heure où les manifestants criaient « libérez nos camarades » indiquant également par là une solidarité avec tous les manifestants quel que soit le degré d’expression violente, finalement les forces de l’ordre ont cédé et ont laissé rejoindre les deux parties où ces retrouvailles ont donné lieu à une scène de liesse étonnante. La manifestation a pu ainsi se dérouler jusqu’au bout à la place de la Nation. Ce qui n’a pas empêché quelques projectiles de voler à droite et à gauche.

A été déployé le soir pour boucler la place de la République le même scénario programmé. Un des prétextes fut la dégradation de la vitrine d’un magasin de sport. Cette fois-ci malgré l’intervention des conciliateurs de Nuit Debout le rapport de force était défavorable. Le dispositif était encore plus vicieux d’une certaine manière puisque les personnes se sont laissées refouler dans le métro pour ensuite être gazées et matraquées jusqu’à l’intérieur des couloirs. Sans doute cette nuit va représenter un point de bascule d’une manière ou d’une autre dans la poursuite de l’occupation de la Place et des stratégies à déployer.

Cette dérive sécuritaire est directement cautionnée par l’état d’urgence qui se pare d’un dispositif technique et juridique. Le pouvoir en place comme les partis politiques d’opposition usent et abusent de cet argument. Mais sa légitimation initiale liée à l’effroi des attentats s’effrite de plus en plus. Dès les premiers jours de l’état d’urgence, nous soupçonnions ses dérives (« Quand le terrorisme devient le meilleur allié du capitalisme »).

Sans doute la délégitimation de la violence d’État n’aurait pas suffi à donner aux différentes formes de mobilisation leur caractère éruptif quasi insurrectionnel si elles ne rejoignaient pas l’opposition à une autre violence plus profonde et insupportable, celle socio-économique dont la « loi travail » a réussi à symboliser toute l’arrogance oligarchique.
La militarisation du territoire, les quartiers populaires n’ont pas attendu l’état d’urgence pour se confronter à cette violence. De même les classes laborieuses n’ont pas attendu la loi El Khomri pour subir l’oppression des rapports économiques de subordination. Ce n’est pas non plus d’hier que la gauche radicale dénonce les rapports de domination. Enfin, les étudiants, les travailleurs intellectuels, artistiques et autres indépendants savent au quotidien ce que la précarisation induit.

Cependant, chacune de ces composantes ne peut à elle seule changer le rapport de force, étant séparée dans leur manière de vivre et de répondre à leurs conditions de vie. Paradoxalement, la double conjonction d’une délégitimation de la violence d’État et d’une violence économique, notamment à travers ces points de focalisation dans l’espace public peut constituer le ferment d’une conscience collective. C’est en cela que les « casseurs » ne peuvent être séparés sociologiquement du reste du mouvement quoi qu’en disent les médias mainstream et des intellectuels qui préfèrent préserver leur position dominante que d’assumer leur fonction critique. La manière dont cette rage pourra être réorientée en stratégie aura une incidence déterminante sur la suite du mouvement (« Agir en primitif et prévoir en stratège ») en offrant un point de référence entre les différentes luttes qui n’ont pas réussi jusqu’à maintenant à trouver leur traduction politique.

Nous n’en sommes pas encore à former ces fameux « Communs » (définis par Edwy Plenel et d’autres) qui pourraient structurer une nouvelle organisation économique et politique. Effectivement, ces Communs ne pourront pas se penser à partir d’une seule catégorie au risque de reproduire un schéma ethnocentré qui réduirait une transformation de la société à une lutte de champs tels qu’ont pu se laisser enfermer les corps intermédiaires (syndicats, partis politiques, associations, universités, etc.). C’est ainsi qu’ont pu prospérer les « penseurs » néoconservateurs et réactionnaires sur le terreau de décomposition de la gauche dont ils sont issus (Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Pascal Bruckner, Pierre-André Taguieff, Alexandre Adler, Max Gallo, Philippe Val, Élisabeth Badinter, etc.) érigeant en guise de pensée politique l’éthnicisation des rapports sociaux et ses dérives identitaires les plus inacceptables.

On ne peut s’opposer à cette contre-révolution intellectuelle que par une autre révolution. Elle ne s’obtiendra pas simplement en réunissant Nuit Debout avec les mouvements syndicaux ou les associations militantes de banlieue où les minorités actives basées sur la défense des droits : LGBT, genre, migrants, « sans ». Elle viendra dans la possibilité de chacune de ces composantes de se penser de l’extérieur dans sa capacité à être ou redevenir une forme instituante de la société. Bien qu’on puisse tout à fait la développer sans s’y référer, cette démarche d’auto-analyse n’est pas sans rappeler les courants de la sociologie radicale tels que l’analyse institutionnelle et certaines formes de recherche-action. C’est aussi une manière d’indiquer qu’un mouvement transversal se structure à travers une intelligence collective qui dépasse les disciplines et croise les savoirs.

Les situations éruptives permettent de déconstruire les formes constituées, mais les formes constituées permettent de structurer les situations transversales sans organisation. C’est bien dans la tension entre les deux processus, dans le mouvement des luttes que se forgera cette conscience collective.

Dans le jeu entre légitimation et délégitimations de la violence, la balance ne penche pas toujours du côté de ceux qui possèdent le bras armé comme en témoigne la révolution tunisienne. À la vitesse où se reconstitue une culture politique auprès de ceux qui étaient réputés n’en avoir aucune, le pouvoir en place aurait tort de miser sur une dégradation des relations sociales pour se maintenir, même s’il valide de fait aux prochaines échéances électorales le renforcement d’un pouvoir autoritaire.