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Pour la constitution d’un tiers espace de la recherche et de l’action

Invitation à la réunion pour la constitution d’un tiers espace de la recherche et de l’action

22 juin 17h30-19h30 – salle 412 Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord
20 av George Sand, 93210 Saint-Denis – M°12 Front populaire – RER B : La Plaine – Stade de France

L’objectif de cette réunion est de constituer un groupe pluriel identifié dans une démarche de recherche-action en rapport avec les territoires populaires qui subissent les inégalités territoriales et où s’inventent aussi de nouvelles approches du social et de l’économique. Nous appelons cet espace de travail « tiers espace », car il amène à une forme d’hybridation qui est plus que l’addition de la recherche et de l’action, mais la création d’une troisième composante originale.

Pourquoi ouvrir un espace spécifique ?

Bien que les équipes de chercheurs et d’acteurs soient de plus en plus nombreuses à se prévaloir d’une démarche de recherche-action ou d’une recherche en situation à visée transformatrice, il n’existe pas un espace référentiel permettant à ces personnes de collaborer de manière plus permanente au-delà du caractère événementiel de tel colloque ou action. Elles restent donc sectorisées dans leurs champs d’appartenance. Cet isolement nuit au changement des cadres de pensée et d’action. Il s’agit alors de favoriser une démarche transversale coopérative dans la production des savoirs en lien avec des stratégies collectives invitant les décideurs et les opérateurs à pérenniser l’expérimentation sociale. Cet espace incarne d’une certaine manière la ligne « recherche-action » présente comme axe sur la plate-forme de la MSH PN en essayant de répondre aux critères présentés ci-dessous.

Conditions pour l’ouverture d’un tiers espace de la recherche

  • Auto-saisissement : s’il existe déjà des consortiums entre chercheurs et acteurs pour répondre à des appels à projets, il est aussi important en dehors des formes institutionnelles que de « simples » citoyens comme des professionnels puissent se saisir des outils de la recherche, convoquer les compétences au service d’une proposition pour laquelle ils s’auto-missionnent alors que c’est actuellement impossible. En revanche l’espace instituant, d’un laboratoire social, par son accessibilité et son accueil inconditionnel permet à chacun de s’autoriser et de légitimer une pratique d’expertise et de production de savoirs.
  •  Croisement des savoirs : il existe peu d’espaces où le savoir pragmatique de l’acteur, technicien du professionnel, scientifique du chercheur se croisent et quand c’est le cas c’est rarement de manière égalitaire, car pris dans les logiques non autonomes. Ce qui explique que la « participation » soit comprise par les principaux intéressés comme une injonction paradoxale. La production d’un savoir conjugué permettrait l’émergence d’une intelligence sociale et d‘un chercheur collectif qui seraient pourtant les plus à même de répondre à la complexité contemporaine.
  • Droit à l’expérimentation : si l’expérimentation est mise en avant dans les programmes comme méthodologie de recherche, celle-ci est difficilement généralisée comme outil de développement approprié par les acteurs. Faire entrer l’expérimentation populaire dans une logique de droit permettrait à celle-ci d’être insérée ensuite dans les politiques publiques en reconnaissant le tiers espace comme maîtrise d’œuvre validée à partir d’une maîtrise d’usage.

Mise en œuvre d’un groupe de travail

Pour mettre en œuvre concrètement ce tiers espace de la recherche de l’action, nous proposons de nous donner quelques objectifs concrets :h

  • Animation d’un atelier trans-sectoriel et transdisciplinaire
  • Rédaction d’un écrit manifeste invitant à un débat public
  • Recherche d’un espace physique pour l’accueil de ces démarches et la mise en place d’un pôle ressource

Invitent à cette réunion…

Bien que cette proposition s’inscrive dans le cadre partenarial de la MSH PN, le tiers espace que nous voulons promouvoir est susceptible d’accueillir toutes démarches en partage sur cette base coopérative posant un référentiel au-delà de son implantation territoriale. Nous appelons dans ce sens toutes les personnes et structures intéressées à participer à cette première réunion de fondation.

  • Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action (LISRA),
  • Association pour la Recherche Coopérative,
  • Alternative Pour des Projets Urbains Ici et à l’International (APPUII),
  • Le LAVUE (UMR 7218 Cnrs)
  • Association Médiation Nomade
  • Unité Mixte de Recherche Innovation
  • …. liste non exhaustive

Inscription

 

 

 

 

Économies informelles en ville et reconfigurations de l’action publique

Journée de restitution publique et d’échanges de l’Atelier Campus Condorcet*

22 juin, de 09h15 à 17h00
Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord, salle 414
20 av. George Sand 93210 Saint-Denis, M°12 Front Populaire.

@crédits photos : A. Deboulet, 2017

9h30 Ouverture et introduction

Agnès DEBOULET (UMR Lavue, Université Paris 8) — Sébastien JACQUOT (Université Paris 1, EIREST)

SESSION 1. 10H – 11H : L’action publique au prisme des activités populaires et informelle

  • Flaminia PADDEU (Université Paris XIII, PLEIADE) : Cultiver les friches à Detroit. Le rôle des pratiques informelles d’agriculture urbaine en contexte de décroissance
  • Hélène BALAN (UMR ESO, sous réserve), Virginie MILLIOT (U. Paris X Nanterre, LESC) : La peur du capitaliste aux pieds nus

SESSION 2. 11h — 12h30 : Réguler la mécanique de rue ?

  • La mécanique populaire et de rue : enjeux transversaux en Ile de France, A. DEBOULET, S. JACQUOT, M. MORELLE (Paris 1, UMR PRODIG), A. NDIAYE (ARESS/FMSH-Paris).
  • Vers d’autres formes d’organisation et d’économie: l’association des mécanos de Plaine Commune et de mécaniciens en formation à l’Ecole des Projets

Modératrice : Pascale FROMENT (Université Paris 8, LADYSS)

12h30-14h : Buffet-repas

SESSION 3. 14h — 17h : Reconnaissance des savoirs locaux et formalisation des activités :retour d’expériences

(Présentations suivies d’une table ronde)

Recherche-action : deux expériences croisées

  • Hugues BAZIN (Laboratoire d’Innovation sociale), La recherche-action entre production de savoirs et transformation sociale avec les personnes en situation de précarité
  • Anne LESCIEUX-MACOU (Université Populaire et Citoyenne de Roubaix), Transition et quartier populaire : l’expérience de coopérative d’entraide

Initiatives de formalisation mises en regard

  • Dolores SCIORANS (UBA/EHESS, Boursier post-doctoral du CONICET- ICA-FFYL-UBA), L’organisation syndical des travailleurs de l’économie populaire en Argentine : le cas des travailleurs du textile Buenos Aires
  • Anne Claire GARCIA (ville de Saint-Denis), expériences de formalisation à Saint-Denis et Paris
  • Elise HAVARD DIT DUCLOS (collectif Rues Marchandes), une recherche-action avec les récupérateurs vendeurs de rue sur la question de l’économie populaire

Modérateur : Thomas AGUILERA (Sciences Po Rennes)

17.00 Conclusions — perspectives

Contact et inscription : deboulet@gmail.com – sebastien.jacquot@univ-paris1.fr

* Cet atelier vise à interroger les reconfigurations de l’action publique dans les quartiers populaires, induites par des formes d’informalisation et de dérégulation de l’économie, en considérant ensemble activités informelles précaires et activités issues de l’économie dite collaborative (Uber, AirBNB), dans plusieurs communes en banlieue parisienne (Saint-Denis, Aubervilliers, Stains). L’atelier constitue une étape dans la préfiguration d’un projet de recherches comparatiste et international

Économies informelles en ville et reconfigurations de l’action publique

Journée de restitution publique et d’échanges de l’Atelier Campus Condorcet*

22 juin, de 09h15 à 17h00
Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord, salle 414
20 av. George Sand  93210 Saint-Denis, M°12 Front Populaire.

@crédits photos : A. Deboulet, 2017

9h30 Ouverture et introduction

Agnès DEBOULET (UMR Lavue, Université Paris 8) — Sébastien JACQUOT (Université Paris 1, EIREST)

SESSION 1. 10H – 11H : L’action publique au prisme des activités populaires et informelle

  • Flaminia PADDEU (Université Paris XIII, PLEIADE) : Cultiver les friches à Detroit. Le rôle des pratiques informelles d’agriculture urbaine en contexte de décroissance
  • Hélène BALAN (UMR ESO, sous réserve), Virginie MILLIOT (U. Paris X Nanterre, LESC) : La peur du capitaliste aux pieds nus

SESSION 2. 11h — 12h30 : Réguler la mécanique de rue ?

  • La mécanique populaire et de rue : enjeux transversaux en Ile de France, A. DEBOULET, S. JACQUOT, M. MORELLE (Paris 1, UMR PRODIG), A. NDIAYE (ARESS/FMSH-Paris).
  • Vers d’autres formes d’organisation et d’économie: l’association des mécanos de Plaine Commune et de mécaniciens en formation à l’Ecole des Projets

Modératrice : Pascale FROMENT (Université Paris 8, LADYSS)

12h30-14h : Buffet-repas

SESSION 3. 14h — 17h : Reconnaissance des savoirs locaux et formalisation des activités :retour d’expériences

(Présentations suivies d’une table ronde)

Recherche-action : deux expériences croisées

  • Hugues BAZIN (Laboratoire d’Innovation sociale), La recherche-action entre production de savoirs et transformation sociale avec les personnes en situation de précarité
  • Anne LESCIEUX-MACOU (Université Populaire et Citoyenne de Roubaix), Transition et quartier populaire : l’expérience de coopérative d’entraide

Initiatives de formalisation mises en regard

  • Dolores SCIORANS (UBA/EHESS, Boursier post-doctoral du CONICET- ICA-FFYL-UBA), L’organisation syndical des travailleurs de l’économie populaire en Argentine : le cas des travailleurs du textile Buenos Aires
  • Anne Claire GARCIA (ville de Saint-Denis), expériences de formalisation à Saint-Denis et Paris
  • Elise HAVARD DIT DUCLOS (collectif Rues Marchandes), une recherche-action avec les récupérateurs vendeurs de rue sur la question de l’économie populaire

Modérateur : Thomas AGUILERA (Sciences Po Rennes)

17.00 Conclusions — perspectives

Contact et inscription : deboulet@gmail.com – sebastien.jacquot@univ-paris1.fr

* Cet atelier vise à interroger les reconfigurations de l’action publique dans les quartiers populaires, induites par des formes d’informalisation et de dérégulation de l’économie, en considérant ensemble activités informelles précaires et activités issues de l’économie dite collaborative (Uber, AirBNB), dans plusieurs communes en banlieue parisienne (Saint-Denis, Aubervilliers, Stains). L’atelier constitue une étape dans la préfiguration d’un projet de recherches comparatiste et international

Cabanes périphériques

De vie, de fortune, de résistance… Les centralités périphériques
Plateau radio dans le cadre de la journée « cabanes périphériques »
le 10 juin de 16h30-18h environ retransmis sur radio station station
La Station – Gare des Mines – 29 avenue de la Porte d’Aubervilliers, 75018 Paris

Animatrice :

Jeanne Guien, doctorante en philosophie, travaillant notamment sur les modes de consommation alternatifs.

Invité.e.s :

  • Hugues Bazin, sociologue, travaillant notamment sur les tiers-espaces et lieux éphémères.
  • Tanguy Perron, réalisateur, travaillant notamment sur les bidonvilles de St Denis (à confirmer).
  • Clara Bombled, architecte travaillant notamment sur une exposition pédagogique sur les cabanes au parc de la Villette.
  • Benoît Sicat, artiste présentant l’exposition Camping Interdit à la Station.

Programme :

Alors même que de plus en plus de personnes remettent en question l’urbanisation à outrance, l’Etat français envoie des bulldozers et des tanks détruire les cabanes, fermes et champs autogérés des opposant.e.s aux grands projets inutiles et imposés, ou encore impose aux camions aménagés des conditions d’existence légale irréalistes et peu conformes avec l’idéal d’autonomie que ce mode de vie permet d’atteindre. Zadistes ou squatteurs ? Bidonville ou espace autogéré ? SDF ou nomade ? Face à ces contradictions qui révèlent, bien au-delà des querelles de mots, l’affrontement entre des modes de consommation et de gouvernance radicalement opposés, nous souhaitons nous intéresser à la forme, au pouvoir et à la beauté des cabanes et autres habitats éphémères. Quelle est leur valeur technique, politique, esthétique ? Pourquoi se battre pour un droit à habiter l’espace par soi-même, indépendamment des normes sociales d’hygiène, de sécurité et surtout de contrôle ?

Programme complet de la journée 

La centralité populaire des tiers espaces

Les tiers espaces relèvent de plusieurs dimensions (centralité, altérité, levier, bordure, milieu, diversité, écosystème, communs) qui constituent autant d’analyseurs pertinents des mutations actuelles. Nous préférons parler de tiers espaces[1] plutôt que de tiers lieux, afin de mieux cerner ces processus à la fois symboliques et physiques, intellectuels et stratégiques, notamment quand des acteurs mobilisent des ressources pour répondre à leurs besoins. L’espace comme le lieu peuvent être localisés, mais l’espace n’est pas prédéfini par une activité ou une fonction. En revanche une pratique des espaces peut s’immiscer dans n’importe quels lieux, voire changer la hiérarchie symbolique des lieux.

 

C’est le cas lorsque nous explorons les formes d’économie populaire[2] et d’innovation sociale dans les territoires délaissés ou sans emprise (friches industrielles, quartiers paupérisés urbains ou ruraux à l’écart des grands pôles d’activités régionaux.) En quoi ces formes d’auto-organisation, d’autoformation et d’autofabrication contribuent-elles à répondre aux besoins des populations concernées ? Pouvons-nous concevoir ces tiers espaces comme l’émergence d’une nouvelle « centralité populaire »[3] qui amènerait à renverser le rapport centre / périphérie mais aussi à légitimer une autre expérience sociale et économique dans la construction d’un système d’échanges ?

Une telle conception suggère d’accepter l’éruption de luttes se structurant autour d’une occupation populaire des espaces disputés aux classes dominantes et dont les mouvements sociaux actuels sont assez représentatifs. C’est s’opposer à une vision misérabiliste où le populaire est assimilé à la périphérie (péri-urbaine ou péri-rurale) pour prendre la connotation d’une relégation sociale et économique, alors que le terme populaire renvoie historiquement à la manière dont les acteurs se positionnent et agissent dans un rapport social, notamment dans un rapport de production (biens matériels, savoirs, etc.). Que devient-il lorsque le rapport au travail disparaît et que les populations des anciens bassins d’emplois sont considérées comme surnuméraires d’une activité économique mondialisée ? Le populaire se confond au populisme, une forme sociale chosifiée sous l’énoncé de la « France d’en bas ». Cette vision d’une « France périphérique » connaît un grand succès sous la plume d’éditorialistes, nourrissant parfois, sous des justifications scientifiques, des idéologies réactionnaires comme « l’insécurité culturelle ».

Zacharie Gaudrillot-Roy – http://www.zachariegaudrillot-roy.com

La société post-industrielle, de l’interconnexion et de l’hyper vitesse laisserait des pans entiers de la société en friche en dehors des grands pôles régionaux « créatifs, fluides et flexibles ». Cette sociologie de l’écroulement n’est pas, pour autant, contradictoire avec une sociologie de l’émergence. Les tiers espaces sont directement l’émanation des zones laissées vacantes et seraient symptomatiques non pas d’une transition, mais d’une métamorphose : il ne s’agit pas d’une adaptation du modèle d’un « capitalisme durable », nous sommes dans un changement de nature dans notre manière de faire société où se réinventent les modèles sociaux, économiques et de gouvernance.

Les tiers-espaces peuvent-ils prétendre dans ce cas à représenter ce tiers de la population « invisible », ce « Tiers État » s’extirpant de la réification identitaire pour entrer dans un processus de transformation sociale, pour ne pas dire révolutionnaire ? Les mots de l’abbé Siéyès (1748 – 1836) résonnent alors étrangement dans le climat actuel : « Qu’est-ce que le Tiers État ? – Tout – Quel rôle a-t-il joué jusqu’à présent ? – Aucun – Qu’aspire-t-il à devenir ? – Quelque chose ».

Les tiers espaces favorisent un horizon d’attente pour des dynamiques de résistance ou de créativité populaires. On pensera notamment aux contre-espaces des ZAD[4], du communalisme[5] ou de la politique des communs[6] cherchant à poser une alternative à la logique concurrentielle et productiviste.

On comprendra que cette révolution populaire n’est pas la révolution ultralibérale de la « start-up nation » dont parfois les tiers lieux sont devenus – à leur corps défendant – le symbole archétypal. Car, sur un autre plan, ces mêmes zones deviennent un objet de convoitise dans la forme néolibérale des « clusters » ou des « makers ». À la faveur de réhabilitations urbaines, sous le couvert d’une « reconquête des territoires » ou de « l’attractivité des territoires », des bataillons de techniciens concepteurs-designers sont convoqués pour justifier cette conception de l’aménagement. Ici, la notion de créativité sert plutôt les intérêts de catégories socioprofessionnelles intermédiaires, une « classe créative » qui maîtrise les clés de langage et apparaît comme légitime en matière de développement.

Nous pensons, de notre côté que ce sont les classes les plus démunies et ceux qui sont hors système qui sont le plus porteurs d’une créativité amenant à des solutions profitables pour tous en termes de recherche et développement. Les classes populaires ne font pas que subir, mais peuvent également choisir d’être dans un mouvement de retrait.

Il pourrait exister, pour reprendre notre exemple, des « clusters populaires » occupant les interstices urbains ou ruraux sans emprise fonctionnelle ou projet d’aménagement, tout en expérimentant d’autres formes d’organisation où se croisent des fonctionnements d’autosuffisance dictés par la survie et des explorations dans la recherche d’une autonomie : proposer un service pour le territoire, valider et reconnaître des formes économiques non instituées, réfléchir à un modèle de gouvernance du commun, aménager une diversité écosystémique d’interdépendance non contraignante, partir de la maîtrise d’usage du territoire et d’un rapport à l’espace public, créer des tiers-lieux non soumis à la logique productiviste concurrentielle, mais d’accueil inconditionnel, de croisements et de veille, miser sur la créativité, le « bricolage » et autres pratiques populaires, articuler ressources humaines du territoire, levier économique, partenariat.

Les tiers-espaces génèrent ainsi des « effets de bordures », c’est-à-dire des écosystèmes entre deux milieux (le travail formel et informel, l’espace public et l’espace privé, etc.), créant de cette manière des espaces de vie plus riches, plus divers, voire plus conflictuels que ceux qu’ils bordent. Nous retrouvons dans la défense de cette biodiversité, le manifeste de Gilles Clément pour le Tiers-Paysage[7].

Nous voyons que la prise en compte d’un développement endogène des territoires soucieux des personnes et de leur environnement se heurte à la difficulté de forger de nouveaux cadres de pensée et d’action susceptibles de prendre en compte ces processus. De nouveaux référentiels ne peuvent naître de cadres déjà construits conceptuels ou opérationnels. Il est nécessaire de provoquer des labos citoyens, un « tiers-espace scientifique »[8] au croisement des savoirs où les acteurs populaires s’autorisent à mobiliser les outils de la recherche comme support d’émancipation.

Bien que les notions de recherche participative, d’empowerment et de community organizing soient reprises aujourd’hui dans le lexique de l’action, parfois comme synonymes de la recherche-action, il existe toujours un fossé abyssal dans la prise en compte des pratiques sociales, notamment dans les territoires délaissés ou « sans emprise ». La mobilisation des ressources de ces acteurs comme production de savoirs si elle n’est pas reconnue, réduit la possibilité de se constituer comme minorités actives, contre-pouvoirs et contre-expertises.

Trois points d’appui sont nécessaires au levier comme force de transformation sociale. Ce chiffre « trois » est une façon de nommer l’accueil de l’Autre sans condition dans son altérité et la sortie de l’opposition binaire pour atteindre une complexité, celle des processus vivants. Il ne s’agit donc pas seulement de donner la parole, mais aussi d’engager des coopérations entre les acteurs qui conduisent à une transformation des pratiques et des fonctionnements. Ce sont ces transformations qui sont au cœur de la recherche-action[9]. Acteur-chercheur n’étant ni une profession ni un statut, il s’agit de négocier en permanence des espaces qui peuvent jouer le rôle d’interface et valider ces processus et les compétences mobilisées en situation dans des milieux socioprofessionnels qui n’obéissent pas aux mêmes spatialités et temporalités.

La démarche de laboratoire social[10] se loge dans des « rencontres interstices »[11] pour rendre visible cette cartographie sociale des espaces en invitant les acteurs d’un territoire à se « décentrer » et se « recentrer » selon une autre géographie existentielle. Ce « milieu » est à la fois le lieu du centre d’une activité et le milieu de l’environnement dans lequel nous vivons, d’où nous tirons nos propres enseignements comme le propose la pédagogie sociale[12].

C’est une manière de dire que nous ne sommes plus définis par nos « extrémités » dans une histoire linéaire entre un « début » et une « fin », mais par des « espaces qui poussent du milieu », des espaces intermédiaires de l’existence dont l’expérience mentale, sociale et spatiale n’entre pas dans les formes classiques de validation et de légitimation des acquis professionnels[13].

 

[1] Hugues Bazin, « Les figures du tiers-espace : contre-espace, tiers-paysage, tiers-lieu », in Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. Édifier le Commun, n°19, décembre 2015.

[2] Hugues Bazin, « L’économie populaire des récupérateurs vendeurs », Une Seule Planète / CRID, 2017 https://uneseuleplanete.org/L-economie-populaire-des-recuperateurs-vendeurs

[3] Collectif-Rosa-Bonheur, « Centralité populaire : un concept pour comprendre pratiques et territorialités des classes populaires d’une ville périphérique », in SociologieS, Penser l’espace en sociologie, 2016.

[4] Frédéric Barbe, « La « zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes ou l’habiter comme politique », Norois, vol. 238-239, no. 1, 2016, pp. 109-130.

[5] Paula Cossart. « Le communalisme comme « utopie réelle » », in Participations, vol. 19, no. 3, 2017, pp. 245-268.

[6] Pierre Sauvêtre, « Quelle politique du commun ? », in SociologieS, Dossier « Des communs au commun : un nouvel horizon sociologique ? », 2016.

[7] Gilles Clément, Manifeste pour le Tiers paysage, Paris, Éditions Sujet/Objet, 2004.

[8] Hugues Bazin, « Enjeux d’un tiers espace scientifique. Éléments méthodologiques et épistémologiques en recherche-action », document électronique, www.recherche-action.fr, 2014.

[9] Pour une idée des « espaces d’émancipation collectives et de transformation sociale », voir les blogs de la plate-forme recherche-action.fr, notamment le site http://recherche-action.fr/emancipation-transformation

[10] LISRA, « Laboratoire social au croisement des savoirs », www.recherche-action.fr/labo-social, 2018.

[11] Hugues Bazin  , « La marchabilité du citoyen arpenteur acteur chercheur. Écologie des mobilités et architecture fluide, Revue Aprpentages2, Lyon : Éd Scènes Obliques-La Fosse aux Ours, 2015, pp.139-151.

[12] Laurent Ott, Nicolas Murcier, Mélody Dababi , Des lieux pour habiter le monde : Pratiques en pédagogie sociale, Chronique Sociale, 2012.

[13] LISRA, De la formation du sujet aux démarches interdisciplinaires, journée d’étude INJEP-ACSE, 2008.

La Centralité Populaire Des Tiers Espaces
La Centralité Populaire Des Tiers Espaces
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Modèles économiques dans la production de savoirs et transformations sociales

Atelier du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action en partenariat avec la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord

Jeudi 31 mai 2018 – MSH Paris Nord- 20 Avenue George Sand, 93210 Saint-Denis
Métro 12 : Front populaire (sortie n°3 Maison des Sciences de l’Homme)
RER B : La Plaine – Stade de France puis bus 139 ou 239 (arrêt Métallurgie) ou 15-20 minutes à pieds depuis le RER B

En recherche-action, il n’existe pas d’un côté des chercheurs-acteurs précaires et de l’autre des recherches avec les populations en situation de précarité. L’analyse critique des chercheurs et la capacité d’agir des acteurs sont liées. Il s’agit d’un même continuum renvoyant à la question de l’autonomie économique dans les formes de production de savoir et de transformation sociale. Durant la matinée, nous aborderons les modèles économiques des associations de recherche. L’après-midi, nous aborderons les pratiques d’économie populaire.

Le but de cette rencontre est de :

  • Dresser des transversalités dans la production des savoirs au-delà de l’analyse sectorielle des pratiques et de valoriser la dimension écosystémique de l’économie de recherche d’un « tiers espace scientifique » et écosystème d’une économie populaire comme autres aménagements et développements des territoires
  • Élaborer des stratégies collectives permettant d’inclure la recherche citoyenne et le droit à l’expérimentation sociale comme modalité de la production de savoirs et d’action publique
  • Mettre en place une plate-forme ressource permettant d’assurer une collecte et un partage sur les travaux de recherche et sur les initiatives, projets et mobilisations touchant les populations et les problématiques concernées.

Nombre de places limitées, inscription obligatoire sur :
http://recherche-action.fr/emancipation-transformation/inscription/
Expérience en recherche-action conseillée, l’atelier sera basé sur l’expérience de chacun et une implication dans le processus collectif

Matinée 9h30-12h30 (salle 414) :les modèles économiques des associations de recherche

Animation / intervention Élodie Ros et Paul-Emile Geoffroy : Financer et organiser la recherche autrement : actualité de la recherche coopérative

Présentation : Nous proposerons successivement d’étudier les solutions de financement et d’organisation déployées par divers acteurs associatifs ou coopératifs en France afin d’étudier la possibilité pour les praticiens de la recherche-action de se diriger vers de tels modèles ou d’élaborer un modèle alternatif, ou hybride. Il sera notamment question des coopératives éphémères, du crédit impôt recherche et des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC). La présentation se basera sur une enquête menée auprès d’une dizaine de structures de recherche relevant de l’économie sociale et solidaire.

Repas « Auberge espagnole » (salle 413)

Chacun apporte quelque chose en partage pour le repas

Après-midi 14h-17h (salle 413) : Pratiques de l’économie populaire

Animation : Jeann Guien, Élise Havard dit Duclos

Présentation :Cet atelier propose de croiser, grâce à la rencontre de chercheur.e.s-acteur.e.s et des principaux intéressés, différentes pratiques d’économie populaire dans l’espace public. Invisibilisés et trop souvent individualisés par une gestion publique spatiale et superficielle, les vendeur.e.s ambulants, biffin.e.s ou mécanicien.ne.s de rue développent des systèmes socioéconomiques d’échanges inscrits dans la réalité des ressources et des besoins d’un territoire. Loin d’une simple économie de la survie, ces formes d’économie populaire s’inscrivent dans des réseaux structurés, dans une maîtrise d’usage individuelle et collective et dans des formes d’organisation innovantes qui dépassent les cadres institutionnels. Cette rencontre s’inscrit donc dans la volonté de partager ces différents savoirs pratiques et théoriques afin d’explorer les différentes pistes d’expérimentation en termes de reconnaissance de ces formes alternatives de travail et d’une possible formalisation.

Interventions

  • Étude avec les biffins récupérateurs-vendeurs, le marché de Montreuil (Élise Havard dit Duclos)
  • Les vendeurs ambulants du parvis de la Gare à Saint-Denis, l’informalité comme illégalisme ou comme écosystème ? (Emmanuelle Zelez accompagnée de Gabrièle, Mariam, Momo)
  • Les ateliers mécaniques de rues (Sébastien Jacquot)
  • Quand des initiatives citoyennes font économie populaire pour transformer l’Ariane, quartier Nord de Nice : récupération, friperie, échanges de savoirs, jardin partagé … » (Christophe Giroguy)
Les Modèles économiques Et Les Transformations Sociales
Les Modèles économiques Et Les Transformations Sociales
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Modèles économiques dans la production de savoirs et transformations sociales

Atelier du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action en partenariat avec la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord

Jeudi 31 mai 2018 – MSH Paris Nord- 20 Avenue George Sand, 93210 Saint-Denis
Métro 12 : Front populaire (sortie n°3 Maison des Sciences de l’Homme)
RER B : La Plaine – Stade de France puis bus 139 ou 239 (arrêt Métallurgie) ou 15-20 minutes à pieds depuis le RER B

En recherche-action, il n’existe pas d’un côté des chercheurs-acteurs précaires et de l’autre des recherches avec les populations en situation de précarité. L’analyse critique des chercheurs et la capacité d’agir des acteurs sont liées. Il s’agit d’un même continuum renvoyant à la question de l’autonomie économique dans les formes de production de savoir et de transformation sociale. Durant la matinée, nous aborderons les modèles économiques des associations de recherche. L’après-midi, nous aborderons les pratiques d’économie populaire.

Le but de cette rencontre est de :

  • Dresser des transversalités dans la production des savoirs au-delà de l’analyse sectorielle des pratiques et de valoriser la dimension écosystémique de l’économie de recherche d’un « tiers espace scientifique » et écosystème d’une économie populaire comme autres aménagements et développements des territoires
  • Élaborer des stratégies collectives permettant d’inclure la recherche citoyenne et le droit à l’expérimentation sociale comme modalité de la production de savoirs et d’action publique
  • Mettre en place une plate-forme ressource permettant d’assurer une collecte et un partage sur les travaux de recherche et sur les initiatives, projets et mobilisations touchant les populations et les problématiques concernées.

Nombre de places limitées, inscription obligatoire sur :
http://recherche-action.fr/emancipation-transformation/inscription/
Expérience en recherche-action conseillée, l’atelier sera basé sur l’expérience de chacun et une implication dans le processus collectif

Atelier d’autonomisation à la mécanique @medication time

Matinée 9h30-12h30 (salle 414) :les modèles économiques des associations de recherche

Animation / intervention Élodie Ros et Paul-Emile Geoffroy :  Financer et organiser la recherche autrement : actualité de la recherche coopérative

Présentation : Nous proposerons successivement d’étudier les solutions de financement et d’organisation déployées par divers acteurs associatifs ou coopératifs en France afin d’étudier la possibilité pour les praticiens de la recherche-action de se diriger vers de tels modèles ou d’élaborer un modèle alternatif, ou hybride. Il sera notamment question des coopératives éphémères, du crédit impôt recherche et des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC). La présentation se basera sur une enquête menée auprès d’une dizaine de structures de recherche relevant de l’économie sociale et solidaire.

Repas « Auberge espagnole » (salle 413)

Chacun apporte quelque chose en partage pour le repas

Après-midi 14h-17h (salle 413) : Pratiques de l’économie populaire

Animation :  Jeann Guien, Élise Havard dit Duclos

Présentation :Cet atelier propose de croiser, grâce à la rencontre de chercheur.e.s-acteur.e.s et des principaux intéressés, différentes pratiques d’économie populaire dans l’espace public. Invisibilisés et trop souvent individualisés par une gestion publique spatiale et superficielle, les vendeur.e.s ambulants, biffin.e.s ou mécanicien.ne.s de rue développent des systèmes socioéconomiques d’échanges inscrits dans la réalité des ressources et des besoins d’un territoire. Loin d’une simple économie de la survie, ces formes d’économie populaire s’inscrivent dans des réseaux structurés, dans une maîtrise d’usage individuelle et collective et dans des formes d’organisation innovantes qui dépassent les cadres institutionnels. Cette rencontre s’inscrit donc dans la volonté de partager ces différents savoirs pratiques et théoriques afin d’explorer les différentes pistes d’expérimentation en termes de reconnaissance de ces formes alternatives de travail et d’une possible formalisation.

Interventions

  • Étude avec les biffins récupérateurs-vendeurs, le marché de Montreuil (Élise Havard dit Duclos)
  • Les vendeurs ambulants du parvis de la Gare à Saint-Denis, l’informalité comme illégalisme ou comme écosystème ? (Emmanuelle Zelez accompagnée de Gabrièle, Mariam, Momo)
  • Les ateliers mécaniques de rues (Sébastien Jacquot)
  • Quand des initiatives citoyennes font économie populaire pour transformer l’Ariane, quartier Nord de Nice : récupération, friperie, échanges de savoirs, jardin partagé … » (Christophe Giroguy)

 

Sous les pavés le carburateur. La mécanique de rue en débat!

Centre SUD – Situations urbaines de développement et le Réseau Scientifique Thématique SUD – Pédagogies et Pratiques coopératives ont le plaisir de vous inviter à une soirée débat autour de :

Sous les pavés le carburateur. La mécanique de rue en débat!
Mardi 10 avril 2018,18h30-20h30, à l’ENSA Paris Val de Seine, 75013 Paris, Amphi 180

Cette soirée se déroulera autour de la présentation de plusieurs enquêtes qui s’intéresseront à cette activité encore méconnue alors qu’elle se déploie dans de nombreux quartiers populaires en France. Plusieurs intervenants présenteront cette activité et débattront principalement autour de cette question : faut-il comme certains pouvoirs publics le suggèrent, éradiquer la mécanique de rue ou faut-il (et comment) reconnaître cette activité dans ses dimensions économiques et spatiales?

Intervenants :

  • Sébastien Jacquot (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, EA EIREST)
  • Khedidja Mamou (ENSA Montpellier, UMR LAVUE)
  • Marie Morelle (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR PRODIG)
  • Abou Ndiaye (Sociologue, ARESS)
  • Discutante : Marion Tillous, (Université Paris 8, LEGS)

Khedidja Mamou pour Centre SUD et le réseau SUD-Pratiques et Pédagogies coopératives
Site internet : http://www.centre-sud.fr/
Contact SUD : secretariatcentresud@gmail.com

Sous les pavés le carburateur. La mécanique de rue en débat!

Centre SUD – Situations urbaines de développement et le Réseau Scientifique Thématique SUD – Pédagogies et Pratiques coopératives ont le plaisir de vous inviter à une soirée débat autour de :

Sous les pavés le carburateur. La mécanique de rue en débat!
Mardi 10 avril 2018,18h30-20h30, à l’ENSA Paris Val de Seine, 75013 Paris, Amphi 180

Cette soirée se déroulera autour de la présentation de plusieurs enquêtes qui s’intéresseront à cette activité encore méconnue alors qu’elle se déploie dans de nombreux quartiers populaires en France. Plusieurs intervenants présenteront cette activité et débattront principalement autour de cette question :  faut-il comme certains pouvoirs publics le suggèrent, éradiquer la mécanique de rue ou faut-il (et comment) reconnaître cette activité dans ses dimensions économiques et spatiales?

Intervenants :

  • Sébastien Jacquot (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, EA EIREST)
  • Khedidja Mamou (ENSA Montpellier, UMR LAVUE)
  • Marie Morelle (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR PRODIG)
  • Abou Ndiaye (Sociologue, ARESS)
  • Discutante : Marion Tillous, (Université Paris 8, LEGS)

Khedidja Mamou pour Centre SUD et le réseau SUD-Pratiques et Pédagogies coopératives
Site internet : http://www.centre-sud.fr/
Contact SUD : secretariatcentresud@gmail.com

Laboratoire social au croisement des savoirs

Présentation de la démarche en laboratoire social

Le Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action est actuellement composé d’une trentaine d’acteurs-chercheurs et de chercheurs-acteurs porteurs d’expérimentations sociales dans différentes régions (principalement : Pays de la Loire, Rhône-Alpes, Limousin, Île-de-France, PACA)

Il s’est constitué progressivement à partir des années 2000 dans la rencontre avec ces acteurs désireux d’ouvrir un espace de réflexivité à partir de leur vécu, de prendre leur propre expérience comme matériau de recherche afin de dégager de nouvelles perspectives dans leur rapport au travail, au territoire, aux modes de gouvernance. Ils sont en cela symptomatiques d’une transition de la société à la recherche d’alternatives au modèle de développement et d’engagement social.

La singularité de notre approche derrière la notion de « labo social » est de mettre ces acteurs en position de commanditaires de la recherche, renversant ainsi la proposition leur permettant de n’être pas objets, mais bien sujets de la recherche.

Les opportunités de mise en place d’un laboratoire social sont variées. Il n’émerge pas d’une commande qui vient du haut vers le bas, mais d’une mise en situation collective autour d’une pratique, d’un enjeu, d’une lutte. Ce sont des espaces « instituants » puisqu’ils créent leurs propres normes pour définir leur cadre d’expérience.
Nous cherchons à ce que ces espaces de nature précaire et éphémère s’inscrivent dans une certaine pérennité avec quelques soutiens en provoquant des interfaces avec le milieu institutionnel, notamment à travers des recherches collaboratives (lieu de croisement entre différents acteurs et partenaires de la recherche). L’espace interstitiel n’a donc pas pour vocation de rester en marge, mais de s’inscrire au centre d’une analyse des structures elles-mêmes qu’il s’agisse d’opérateurs comme les structures socioculturelles et d’éducation populaire, de laboratoire universitaire ou des pouvoirs publics. Ce rôle d’interface vise à instaurer un lieu de croisement des savoirs, de rencontres humaines et de légitimation des processus de recherche-action en invitant tous les acteurs concernés à développer une analyse critique des rapports sociaux dans lesquels ils s’inscrivent. C’est ainsi que nous développons actuellement des partenariats avec l’INJEP et la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord.

Le passage du LISRA au statut association 1901 après une décennie de travail en réseau interrégional correspond à cette volonté de poser des passerelles tout en gardant la spécificité d’une approche horizontale décentralisée où chaque acteur-chercheur constitue un point nodal d’accueil, de propositions et de construction. Bien souvent cet acteur-chercheur est lui-même responsable associatif et animateur d’un réseau sur son territoire.

1. Valoriser et légitimer la posture d’acteur chercheur

Nous essayons de faire en sorte que les acteurs trouvent les moyens et la liberté d’ouvrir là où ils sont dans leur cadre professionnel ou militant l’espace d’une réflexivité. Nous avons créé depuis 2002 une plate-forme ressources www.recherche–action.fr incitant à une mise en écriture de ces récits individuels et collectifs. Bien que l’écriture ne soit pas le seul support, elle reste le moyen privilégié pour nourrir ce processus qui se concrétise par des ateliers de recherche-action sur les lieux d’engagement. À côté des plates-formes numériques, nous publions également régulièrement dans des revues sociales ou scientifiques. Nous utilisons tous les supports qui facilitent un travail réflexif et une mise en dialogue entre les expériences. Nous pourrions ainsi parler d’une science de la reliance.

Acteur-chercheur n’étant ni une profession ni un statut, il s’agit de négocier en permanence des espaces qui peuvent jouer le rôle d’interface et valider ces processus et les compétences mobilisées en situation dans des milieux socioprofessionnels qui n’obéissent aux mêmes spatialités et temporalités. Cette interface prend le plus souvent la forme de collectifs autour de problématiques communes et parfois de programme de recherche-action négociés avec les institutions.

Le but est que cette confiance et cette légitimité acquise par les acteurs-chercheurs leur donnent autorité pour négocier au sein de leur engagement socioprofessionnel des espaces de recherche-action invitant leur structure à entrer dans ce processus réflexif et de transformation sociale.

2. Dégager des problématiques susceptibles de poser de nouveaux référentiels sur les mutations actuelles

Tout comme la notion de laboratoire social, les notions de tiers espace, d’espace intermédiaire et d’économie populaire font partie des problématiques forgées dans le creuset des processus de recherche-action. Si ces notions sont reprises par une « classe créative », nous pensons de notre côté que ce sont les classes les plus démunies et ceux qui sont hors système qui sont le plus porteurs d’une créativité amenant à des solutions alternatives profitables pour tous en termes de recherche et développement. Nous sommes vigilants dans ce sens à ce que les plus concernés soient bien au cœur comme co-auteurs du processus.
La production de référentiels communs se vérifie lorsque des acteurs de telle ou telle région que nous ne connaissons pas nous sollicitent parce qu’ils trouvent un lien avec leur propre expérience dans les savoirs issus de la recherche-action. Ils peuvent ainsi utiliser leurs propres mots, construire leur propre vocabulaire, qualifier ou requalifier leurs acquis d’expérience. Il n’y a pas ici d’opposition entre le « local » et le « global » mais transposition par ramification autour de savoirs et de référentiels communs.

Cette manière de procéder en laboratoire social facilite le croisement et la rencontre de profils sociaux et professionnels très différents : diplômés et sans diplôme, ruraux ou urbains, salariés ou indépendants précaires de milieux professionnels variés (artistes, travailleurs sociaux, architectes, animateurs de l’éducation populaire, militants en collectif et autres acteurs non affiliés). Les espaces qui accueillent une telle diversité ne sont pas si fréquents, et cette dimension trans-sectorielle et trans-disciplinaire facilite une approche en termes d’écosystème et de complexité au plus proche de la réalité de la vie sociale contemporaine.

3. Placer la recherche en sciences sociales au cœur de la société comme un des modes d’engagement citoyen

Les savoirs techniciens sectoriels propres aux champs professionnels, académiques ou universitaires ont, par leur approche disciplinaire, du mal à aborder la complexité des situations que nous évoquons, par le fait même de leur division verticale et des enjeux catégoriels internes aux institutions qui les portent.

Nous n’opposons pas ces savoirs, mais cherchons plutôt à les croiser avec le savoir issu des pratiques sociales en indiquant à travers la dimension de laboratoire social que les praticiens de la recherche-action sont eux aussi en mesure de produire un savoir de type scientifique même s’ils n’empruntent pas la voie académique. Peuvent ainsi se croiser de manière fructueuse différentes logiques comme la logique hypothético-déductive (construire son objet pour vérifier ces « hypothèses » sur un terrain) et inductive partant des situations d’implication pour ensuite faciliter une montée en généralité par une problématisation.

Nous avons été amenés à développer dans ce sens des partenariats de recherche avec le groupe « Croisement des savoirs avec les personnes en situation de pauvreté » animé par le mouvement ATD Quart-Monde en partenariat avec le CNAM, le CNRS, le GIS « Démocratie et Participation ». Nous essayons également de créer une plate-forme pour une recherche citoyenne avec les équipes de la MSH Paris Nord, l’INJEP et l’Alliance Sciences Société (ALLISS).

Cependant, bien que les notions de recherche participative, d’empowerment et de community organizing soient reprises aujourd’hui dans le lexique de l’action, parfois comme synonymes de la recherche-action, il existe toujours un fossé abyssal dans la prise en compte des pratiques sociales, notamment dans les territoires délaissés ou « sans emprise ». La mobilisation des ressources de ces acteurs comme production de savoirs si elle n’est pas reconnue, réduit la possibilité de se constituer comme minorités actives, contre-pouvoirs et contre-expertises.

Les principaux champs d’engagement de notre recherche-action

Tous les champs d’implication humaine sont susceptibles d’accueillir un dispositif en laboratoire social. Nous regroupons ici quelques problématiques transversales qui ont constitué des terreaux d’expérimentation.

1. Croisement avec le champ culturel : la créativité populaire

Le travail de la culture est un processus d’émancipation et de transformation structurant en recherche-action. Il ouvre des espaces d’hybridation. Ce n’est donc pas un hasard si des acteurs culturels et artistiques ont contribué fortement à l’expérimentation comme ceux de la culture hip-hop et d’autres pratiques urbaines. Nous avons ainsi participé à une université populaire des cultures urbaines avec l’association Métissage (banlieue parisienne) ou la mise en réflexivité d’un réseau d’acteurs autour de la question des lieux culturels.

À travers les organisations en réseau, il s’agit de légitimer la production de savoirs une « pensée politique de la culture » susceptible d’influencer les politiques publiques. C’est en cela que nous rejoignons et accompagnons des dispositifs à la croisée de l’éducation populaire et de l’action culturelle comme les ateliers résidences : atelier d’écriture de Peuple et Culture à Montpellier, atelier artistique dans les foyers d’Emmaüs, atelier résidences dans les quartiers populaires à Strasbourg, Bordeaux, Amiens, Dunkerque… Rôle de la culture avec les centres sociaux et culturels de Gironde, etc.. Ces recherches-actions interrogent aussi bien les notions de lieux interstitiels comme les friches et les squats, l’instauration de modes de création et de diffusion indépendants renforçant le positon de co-auteur des acteurs, les logiques de développement culturel aussi bien dans les zones à forte densité urbaine comme la Goutte d’Or à Paris que dans la chaîne montagneuse de Belledonne entre Grenoble et Chambéry[2]…

2. Croisement avec le champ de l’éducation populaire : les espaces intermédiaires de l’existence

Les outils de la recherche-action en laboratoire social sont particulièrement pertinents pour mettre en visibilité les trames d’expérience dont les parcours de vie échappent à la validation ou à la codification institutionnelle du milieu des études ou du travail. Le LISRA n’est pas un réseau de projets ou de structures, c’est d’abord cette trame qui s’est tissée dans les espaces de rencontre que nous appelons « tiers espaces ». Un programme appelé « Les enjeux d’une recherche-action situationnelle » en partenariat avec l’Injep de 2002 à 2006 a permis de mettre en récit cette expérience collective et a été édité en 2005 dans un dossier de la revue des Cahiers de l’Action. Il s’est poursuivi par de 2007 à 2009 le programme « Nouvelles professionnalités des acteurs populaires associatifs, les espaces intermédiaires d’innovation sociale » toujours en partenariat avec l’Injep et aussi l’Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Égalité des Chances. Il continua en 2010 et 2011 sous l’intitulé « Pratiques des espaces et innovation sociale » en partenariat cette fois-ci avec la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord.

Nous préfigurions dès le début des années 2000 dans une société en mutation la nécessité de reconnaître des « espaces intermédiaires de l’existence » qui questionnent notre rapport au travail et repositionne notre implication socioprofessionnelle. Nous disions également que c’est dans la pratique d’espaces « interstitiels » ou de « tiers espaces » que se dégage une force « instituante » amenant à penser la réalité autrement et par conséquent agir sur elle : structurer et reconfigurer nos manières de faire collectif, de faire territoire, partager et gérer des ressources du commun, développer une analyse critique des rapports sociaux et de concevoir autrement un développement, etc.

Nous poursuivons toujours aujourd’hui l’exploration de ces espaces qui pour certains ont pris le label « tiers lieux », tandis que d’autres préfèrent garder leur indépendance vis-à-vis de ces formes de catégorisation en s’affirmant dans une logique de tiers espace comme la « Chimère citoyenne » à Grenoble, ou le lieu de « L’Utopie » dans les quartiers nord de Nice, ou encore se croisent avec des mouvements comme celui de la pédagogie sociale portée par l’association Intermèdes en milieu ouvert aux pieds des immeubles ou dans les bidonvilles Roms dans la région parisienne. L’organisation d’un forum à la MSH Paris Nord en octobre 2017 sur « les espaces d’émancipation collective et de transformation sociale » regroupant une quinzaine d’expériences autour du réseau recherche-action alimentera un nouveau numéro des Cahiers de l’action de l’Injep bouclant ainsi ce cycle d’une quinzaine d’années.

3. Croisement avec le champ socio-économique : l’économie populaire et les modèles économiques alternatifs

La question du rapport au travail et des alternatives économiques dans ces espaces de créativité populaire confrontée à la précarité est devenue une préoccupation centrale dans nos démarches en recherche-action. Cette question porte à la fois sur le domaine d’un développement endogène des territoires et sur les modèles économiques de structuration des acteurs.

C’est ainsi que nous développons depuis quatre ans une recherche-action autour des récupérateurs vendeurs de rue que nous élargissons à travers un collectif appelé « Rues Marchandes » à d’autres pratiques d’une économie qui ne se limite pas à la survie, mais pose la question de la mobilisation des acteurs puisant dans les ressources d’un territoire pour répondre par des services aux besoins du territoire. Nous appelons ce développement endogène « économie populaire », une notion très peu développée dans les pays du Nord, mais beaucoup plus avancée en termes de réflexion et d’expérimentation dans les pays du Sud, notamment en Amérique latine. Nous aimerions ainsi expérimenter le principe de « clusters populaires » qui questionnent selon une autre cohérence partant du « bas », d’une maîtrise d’usage vers une maîtrise d’ouvrage, le domaine de l’économie sociale, de l’entreprenariat social ou de l’innovation sociale.

De même nous interrogeons suivant le même procédé les logiques d’auto-formation et d’auto-fabrication de production des savoirs et des modèles économiques qui en sont porteurs (associations, coopératives d’activités, communalisme, etc.) et allons organiser en mai 2018 un atelier de recherche-action à la Maison des Sciences de l’Homme sur ce thème. Cela rejoint la préoccupation de nombreux acteurs-chercheurs dont certains sont engagés dans des études supérieures de ne pas opter pour une carrière catégorielle classique, mais de s’inscrire dans une démarche de recherche-action utile à la société tout en trouvant un modèle économique indépendant des logiques institutionnelles ou productivistes marchandes.

Laboratoire social au croisement des savoirs

Présentation de la démarche en laboratoire social Le Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action est actuellement composé d’une trentaine d’acteurs-chercheurs et de chercheurs-acteurs porteurs d’expérimentations sociales dans différentes régions (principalement : Pays de la Loire, Rhône-Alpes, Limousin, Île-de-France, PACA) Il s’est constitué progressivement à partir des années 2000 dans la rencontre avec ces acteurs désireux d’ouvrir [...]

Appel à proposition de recherche

La mise en ligne sur le présent site web de la revue de travailleurs sociaux PEPS (Paroles Et Pratiques Sociales) qui a produit une cinquantaine de numéros sur les décennies 1980-90 pourrait servir de matériau de recherche . Effectivement, il serait intéressant de ne pas laisser tomber dans l’oubli ce témoignage unique d’un regard des […]

Recherche-action avec les récupérateurs-vendeurs de rue

Nous relatons dans ce texte l’expérience collective d’une recherche-action avec les récupérateurs vendeurs de rue dans la région parisienne, aussi appelés biffins. Nous reprenons le principe du laboratoire social développé par le réseau du LISRA à travers la mise en place d’un collectif appelé « Rues Marchandes ». Nous décrivons ici des conditions de la mise en place de ce processus. Les récupérateurs-vendeurs, comme le précise leur nom, récupèrent les objets usagés principalement dans la rue, dans les poubelles ou sur les marchés, pour les revendre aussi dans la rue. Ils sont donc à distinguer des brocanteurs, ou des particuliers qui vendent occasionnellement sur les vide-greniers.

Les récupérateurs vendeurs, une situation complexe à appréhender

Les biffins, parmi lesquels on compte de nombreux immigrés et personnes marginalisées, sont confrontés à de nombreuses difficultés : le manque de marchés susceptibles de leur laisser une place pour vendre leurs biens ; la répression violente et fréquente dans le cas des ventes en dehors de ces espaces définis, amenant souvent à la confiscation, voire à la destruction des biens ; la non-reconnaissance de leur activité de réemploi ; leur statut informel qui les place systématiquement dans une situation d’illégalité face à la vente ; enfin la pauvreté et la précarité de leur activité, qui n’ouvre aucun droit et ne permet pas une visibilité sur le long terme à celui ou celle qui la pratique. À cela s’ajoutent aussi des problèmes d’intégration sociale et de communication liés à la langue.

Les chiffonniers d’antan bénéficiaient d’un imaginaire fort dans la société française, grâce à leur organisation et à une abondante production littéraire et picturale jusqu’au début du XXe siècle (Compagnon, 2017). Cet imaginaire collectif n’était généralement pas très positif associés à la nuit, à la misère, à la saleté, etc. Mais cela participait d’un récit collectif au cœur de la cité. Ce n’est plus présent pour les récupérateurs-vendeurs d’aujourd’hui, bien que leurs gestes héritent de cette tradition. Invisibilisés, ils ne sont pas compris comme agents de fonctionnement, encore moins de modernisation, de la société. Les récupérateurs-vendeurs de rue d’aujourd’hui ne sont plus considérés comme un corps de métier classique organisé et hiérarchisé en fonction d’une répartition du travail au sein de la société. Pourtant nous sommes bien en face d’un « métier » (savoir-faire, organisation sociale, relations économiques), celui de « récupérateurs des déchets », mais cette activité généralement sans statut est soumise à des conditions d’une très grande précarité et invisibilité.

Par conséquent, il est particulièrement compliqué de constituer un corpus commun de connaissances et d’action autour de cette question. Comme nous le verrons, la résurgence de lutte au milieu des années 2000 a permis à travers la réappropriation du terme « biffin », de réintroduire un débat quant à la présence dans l’espace public de ce métier ancestral expulsé des préoccupations politiques. Cependant, en l’absence de récits fédérateurs portés par les principaux intéressés, ceux-ci sont nommés, voire discriminés selon des points de vue socioprofessionnels plus ou moins contradictoires.

Le premier point de vue est le point de vue sécuritaire et hygiéniste, qui considère cette activité non formalisée comme sauvage et nuisible à l’ordre public. Cet argumentaire s’appuie sur un amalgame classique entre saleté et insécurité (Vigarello, 1985). Il justifie les politiques de répression qui prévalent généralement sur Paris et sa banlieue dès que se manifeste l’intention d’exposer et de vendre des objets sur la place publique. Le terme d’économie souterraine est employé dans une confusion avec ce qui serait une économie mafieuse, sous-entendant que cette activité est avant tout de nature illicite, sinon délinquante. On parlera de « marché illégal », « sauvage », ou encore de « marché aux voleurs ». Cette politique s’inscrit dans une logique technicienne qui a prévalu avec l’instauration par le Préfet Poubelle à la fin du XIXe siècle de ces conteneurs de collecte des déchets par l’enfermement. La mécanisation progressive de la collecte a, quant à elle, conduit à l’exclusion des chiffonniers hors des murs de Paris sans pour autant résoudre le problème du tri.

Un autre point de vue, généralement partagé par les structures d’insertion sociale, est de considérer avant tout cette activité comme émanant d’une population pauvre. Ce qui est une réalité sociologique indéniable, puisque les récupérateurs-vendeurs cherchent avant tout à trouver dans la biffe un complément de ressources leur assurant une subsistance ; pour certains, c’est même leur principale ressource. On parlera alors de « marché aux pauvres » ou de « marché de la misère ». Cependant, cette approche tend à réduire cette activité l’économie à la seule survie. Or, si l’entrée dans le circuit de la récupération est souvent liée à une rupture sociale ou économique, les parcours sont variés. Pour certains, ce n’est pas simplement un passage, cela devient un capital social et culturel. N’y voir que des problèmes à résoudre ou des personnes à insérer dans un accompagnement individuel mène souvent un échec, notamment parce que les récupérateurs vendeurs n’entrent pas dans un profil d’insertion sociale normative ; parfois, ils souhaitent expressément rester en dehors de ce système socio-économique qui les a exclus. Les associations qui occupent ce créneau, se trouvent aujourd’hui en difficulté. C’est le cas d’u Carré des biffins de la Porte Montmartre, marché d’une centaine de places pour les récupérateurs vendeurs, géré par l’association Aurore qui a obtenu une convention avec la mairie du 18e arrondissement en contrepartie d’un accompagnement d’insertion.

Le point de vue ouvriériste et syndicaliste considère, de son côté, que cette activité est d’abord un travail, même s’il demeure non reconnu ou sans statut. Ici, les récupérateurs vendeurs ne sont pas des « pauvres à insérer », mais des sous-prolétaires à intégrer dans le circuit du travail, une main-d’œuvre qu’il s’agit d’organiser pour qu’elle passe de l’informel au formel, acquiert un statut, notamment à travers la création de coopératives. Ce point de vue a l’intérêt de poser la nécessité des luttes sociales et de la reconnaissance des compétences. Des luttes se sont ainsi formées au milieu des années 2000 sur quelques points névralgiques de la récupération-revente, notamment à la porte Montmartre dans le 18e arrondissement où les récupérateurs vendeurs se sont approprié le terme « biffins » comme porte-drapeau de leurs revendications. Ce terme reste d’ailleurs circonscrit à cette mobilisation très parisienne, qui ne recoupe pas l’ensemble de la population des récupérateurs-vendeurs sur la région Île-de-France. Elle a permis cependant l’émergence d’associations de solidarités comme « Sauve Qui peut » et « Amelior ». Mais, comme pour l’insertion sociale, l’approche militante ouvriériste n’interroge pas le modèle économique dominant.

L’approche socio-anthropologique va s’intéresser aux ressources culturelles comme principal capital à la disposition des récupérateurs-vendeurs. Autrement dit, le capital social et culturel sont la richesse des gens sans capital économique. De fait cette activité appartient à une culture du geste historique, celui du tri, de la récupération-revente, de la négociation dans l’espace public, mais également de la capacité à faire réseau, à organiser l’espace social. Cette approche a le mérite de considérer la dimension communautaire comme un processus de structuration d’un groupe social difficilement pris en compte en France. À titre d’exemple, la cellule familiale constitue, chez les Roms, un noyau de résistance face aux agressions extérieures telles que les expulsions régulières de leurs habitations. C’est dans cette démarche, qui consiste à considérer l’environnement comme ressource et mode d’apprentissage, que l’association Intermède située dans la banlieue sud de Paris travaille auprès des Roms, dont un grand nombre sont récupérateurs-vendeurs. Si cette approche socio-anthropologique reconnaît des communautés au sein des récupérateurs-vendeurs, elle ne permet pas la formation de minorité active à travers les luttes sociales et politiques.

L’approche écologique va surtout s’attarder sur la question du tri des déchets et de l’utilité sociale de cette activité, mettant en exergue l’inefficacité du tri où les objets partent à la déchetterie puis à l’incinérateur. Il s’inscrit dans une conception globale des circuits courts économiques et de l’importance de l’empreinte écologique. Le paradoxe, c’est que les récupérateurs-vendeurs sont bien souvent exclus de ce débat d’une écologie politique qui a été appropriée par d’autres acteurs de la ville, sans se référer ou s’appuyer sur les couches sociales les plus défavorisées. Ainsi, Paris a vu naître un certain nombre de ressourceries ou recycleries qui se sont appuyées initialement sur leurs activités et leurs luttes (ou d’autres luttes comme celles des squats), mais qui ne touchent pas toujours les plus démunis. Cela dépend du modèle économique de la ressourcerie, des tarifs pratiqués, de son ouverture sur le quartier et de l’intégration des habitants dans son mode de fonctionnement, etc.

Si ces activités de réemploi des objets peuvent également permettre l’emploi de certaines personnes, cela reste très limité quantitativement et ne s’inscrit dans aucun mouvement social. Il n’en demeure pas moins que ce sont des lieux de création de lien social, tout comme les marchés biffins. L’intérêt de cette approche est de rappeler la dimension du territoire qui se construit à travers une maîtrise d’usage susceptible de répondre aux besoins de ses habitants.

« Rues Marchandes », un processus de recherche-action

Toutes ces approches possèdent leurs qualités, mais aussi leurs limites. L’intérêt d’avoir créé le collectif Rues Marchandes est d’essayer de les croiser, en mettant en commun les compétences professionnelles, les parcours d’expérience, les cultures des uns et des autres sur une base situationnelle, interactionniste et écosystémique (sur l’approche en laboratoire social : www.recherche-action.fr). Nous pouvons dire autrement que notre approche est convoquée avant tout par les situations que provoquent les récupérateurs-vendeurs et qui amènent les différents acteurs à se poser la question de faire un pas de côté pour concevoir autrement leur implication socioprofessionnelle.

Le programme développé ne peut donc être lié à une commande institutionnelle normative, mais s’élabore à travers un auto-missionnement des personnes concernées. C’est le principe de laboratoire social qui se base sur des situations pour accompagner des expérimentations portées par des acteurs en recherche. C’est ainsi que le collectif a été amené à soutenir la revendication des récupérateurs vendeurs dans leur droit d’ouvrir des espaces marchands.

Le fonctionnement du collectif s’inscrit dans une logique non marchande, open source où nous décidons des biens communs à gérer ensemble. Nous avons mis en ligne une plate-forme ressources[1], où il est possible de télécharger des documents et où sont exposées les différentes productions de connaissance issues des rencontres, des ateliers, des séminaires, des études. C’est ainsi que nous avons pensé la mise en place d’une cartographie représentant autrement les couches d’expérience et de mobilité des récupérateurs-vendeurs. De même, a été amorcée une étude d’impact de la récupération des déchets pour mesurer l’intérêt de cette activité sur le plan écologique.

Nous travaillons donc dans une logique transdisciplinaire inscrite dans une charte collaborative à laquelle l’adhésion est la seule condition d’admission. Le collectif Rues Marchandes regroupe ainsi des chercheurs en sciences sociales, des associations qui ont pour rôle d’organiser des marchés et de soutenir les récupérateurs-vendeurs dans leurs démarches, des récupérateurs-vendeurs eux-mêmes, des professionnels ou des particuliers souhaitant s’impliquer dans la reconnaissance de ce métier, ou encore d’autres collectifs se focalisant sur les questions d’appropriation de l’espace, sur la gestion des déchets, etc.

C’est donc un espace d’accueil inconditionnel. Ce qui n’empêche pas de porter une exigence où chacun est invité à éclaircir sa propre position en tant que personne et son implication socioprofessionnelle.

Cette praxis propre à la recherche-action permet de construire au sein du groupe des relations qui sont basées avant tout sur une posture réflexive et non sur un statut social. Les relations au sein d’un groupe sont rarement égalitaires, ne serait-ce que par la façon de prendre la parole et de se sentir légitime d’orienter l’action. Certains vont se présenter plus légitime que d’autres ou parler « au nom de ». D’autres seront dans des stratégies socioprofessionnelles individuelles ou collectives ne voyant dans la recherche-action qu’un caractère instrumental, etc.  Sans gommer ces inégalités et ces différences spatiotemporelles dans les modes d’implication, la démarche de recherche-action facilite les synergies dans un croisement des savoirs (pragmatiques, techniques, scientifiques), en permettant à chacun d’apporter des éléments au processus.

Ce mode de gouvernance est donc inséparable la posture de l’acteur-chercheur s’inscrivant dans une sorte de formation-action ou d’autoformation réciproque et continuelle. C’est ainsi que nous avons été amenés à développer des ateliers avec les récupérateurs-vendeurs.

Des ateliers avec les récupérateurs-vendeurs

À l’origine, l’objectif était de produire un guide[2] dans lequel les récupérateurs-vendeurs trouveraient des informations sur leurs droits, sur les modèles de marchés, sur l’auto-organisation, ainsi que sur les statuts auxquels ils peuvent prétendre dans le cas où ils souhaiteraient rendre formelle leur activité.

En même temps, le guide était pensé comme un support pour discuter auprès des élus et des instances publiques, pour faciliter la négociation, la mise en place de marchés de récupérateurs vendeurs et la reconnaissance de leurs droits et de leur métier. Il devait fournir une connaissance pointue des modes de vie, des cultures des récupérateurs-vendeurs et de leurs apports pour la collectivité (lien social, réemploi, accessibilité grâce aux prix très bas).

Ce guide serait donc l’aboutissement d’une démarche de recherche-action où les récupérateurs-vendeurs prendraient part à toutes les étapes. Il s’agissait de créer les conditions pour que la parole se libère et pour que les récupérateurs-vendeurs parlent eux-mêmes d’eux-mêmes, pour que nous produisions tous, ensemble, les matériaux sur lesquels discuter et élaborer le guide.

À partir des éléments évoqués en ateliers[3], des personnes extérieures au collectif sont intervenues pour éclairer certaines thématiques. À titre d’exemple, suite à un atelier où la discussion tournait autour de la légalité et du statut informel de la biffe, une intervenante extérieure est venue présenter les différents statuts entrepreneuriaux existants afin que les récupérateurs-vendeurs décident eux-mêmes de choisir celui qui serait susceptible, le cas échéant, de leur convenir.

Le choix des thématiques, des intervenants vient ainsi après un travail en commun, où nous partons des matériaux pour réfléchir ensemble. Lors de notre premier atelier, nous avions choisi de partir d’une interview filmée réalisée en amont avec une biffine. Nous en avons projeté des extraits dans la salle. Elle y évoquait la recherche des marchandises, le rapport qu’elle entretenait avec les objets, ses techniques de vente, la répression policière, etc. Après chaque extrait, les personnes présentes dans la salle intervenaient, donnaient leur vision des choses, partageaient ou non celle de la biffine interviewée. Nous avons recueilli, au cours de l’atelier, tous les mots et thématiques évoqués, les liens qu’ils avaient entre eux, constituant ainsi, sur le vif, un nuage de mot. C’est ce nuage qui a servi de base pour l’atelier suivant. Nous avons creusé les thématiques et la question de la mobilisation des récupérateurs-vendeurs pour défendre leurs droits a alors pu émerger. Martine a raconté son expérience auprès du collectif Sauve-qui-peut et nous a parlé de la difficulté de mobiliser à nouveau pour acquérir davantage de places, de reconnaissance et d’autonomie lorsque des marchés sont finalement autorisés, mais gérés par des tiers.

Conditions difficiles d’une recherche collaborative

Le dispositif de laboratoire social est complété par une recherche collaborative, dans le but de créer un partenariat avec les institutions de recherche et les différents opérateurs des territoires concernés. Cela correspond à un double enjeu :

  • Faire entrer dans le droit commun la possibilité de mettre en place des laboratoires sociaux citoyens et plus largement une recherche participative de la société sur elle-même.
  • Développer des stratégies à géométrie variable, incluant sous une forme collaborative tous les partenaires concernés, dans une logique de développement endogène des territoires.

Le collectif Rues Marchandes joue alors le rôle d’interface entre des espaces de travail instituant créant leurs propres référentiels et développant une contre-expertise par rapport à leur expérience (exemple des ateliers avec les biffins) et des espaces de travail institué prenant la forme de colloque, de séminaires, de commissions susceptibles de prendre en compte ce processus et de le traduire en termes d’aménagement et d’orientation politique d’une part ; de valider et diffuser des productions de connaissance d’autre part.

C’est ainsi que notre laboratoire social (LISRA) a développé un partenariat avec la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord en 2016 et 2017, offrant un cadre de visibilité et de débat public sur ces questions[4].

La notion d’économie populaire correspond à l’une de ces problématiques qui permet d’articuler ces espaces instituants et institués. Elle correspond à des situations de mobilisation d’une force de travail utilisant les matériaux disponibles ; c’est le cas des récupérateurs-vendeurs et de leurs espaces marchands. Elle correspond également à un schéma de développement endogène du territoire répondant aux besoins des populations dans une économie du commun.

L’articulation entre recherche-action et recherche collaborative, entre le dispositif de laboratoire social tel que Rues Marchandes et des dispositifs institués de recherche et d’opérationnalité, devrait permettre de diffuser cette connaissance et d’en dégager les modalités concrètes.

Cependant nous n’y sommes pas encore arrivés pour différentes raisons. La principale est la difficulté à dépasser l’addition des intérêts particuliers, le programme de recherche-action n’étant pas en mesure de trouver une autonomie suffisante faute de moyens financiers. C’est la limite des logiques d’auto-saisissement. Comment passer d’un espace interstitiel à un espace intermédiaire ? C’est-à-dire d’un espace de croisement et d’échange à la possibilité de faire levier au sein même des institutions ? Cette articulation entre production de connaissance et transformation sociale est le fondement de toute recherche-action.

Le bilan de ces trois années est donc loin d’être négatif par la richesse des expériences vécues, des échanges et des expérimentations. Néanmoins, ne pas pouvoir faire entrer l’expérimentation sociale et la recherche-action dans le droit commun (ligne politique et budgétaire en dehors des appels à projets) d’un développement dans la durée rend fragile et précaire ce processus, qui repose alors sur la volonté de quelques individus.

Une autre difficulté est de créer de nouveaux référentiels susceptibles de penser la société de demain alors que les paradigmes de recherche et d’action ne changent pas ou très peu. Pour cette raison, nous poursuivrons ce cheminement sur les prochaines années, élargissant la problématique de récupérateurs-vendeurs à celle de l’économie populaire, touchant d’autres activités.

La base des Rues Marchandes est ainsi de se positionner comme une forme écosystémique touchant à la fois la question du rapport au travail, du rapport au territoire, à l’espace public et aux minorités actives.

Bazin Hugues, Cappello Maëlle, Guien Jeanne, décembre 2017, article à paraître dans la revue Les Cahiers de l’Action au printemps 2018.

[1] http://recherche-action.fr/ruesmarchandes
[2] http://recherche-action.fr/ruesmarchandes/download/etude_sur_les_biffins_en_ile_de_france/Guide-biffins-edition-A4.pdf
[3]  http://recherche-action.fr/ateliersbiffins
[4] Des ateliers trimestriels se sont déroulés à la MSH PN ainsi que des forums publics les 2 novembres 2016 («  les biffins récupérateurs-vendeurs, acteurs de la ville et du réemploi) et le 21 novembre 2017 (« Économie populaire, sous-capitalisme ou alternative socio-économique ? »)

Éléments documentaires

  • BAZIN Hugues, RULLAC Stéphane, Étude qualitative portant sur les conditions de vie des biffins en Ile-de-France, Association Aurore/BUC Ressources/CERA, 2012 (http://recherche-action.fr/ruesmarchandes/download/etude_sur_les_biffins_en_ile_de_france/Les-biffins-etude-qualitative.pdf).
  • COMPAGNON Antoine, Les chiffonniers de Paris, Gallimard, 2017, (Bibliothèque illustrée des histoires)
  • CORTEEL Delphine et LE LAY Stéphane, Les travailleurs des déchets, Toulouse, Editions Erès, 2011
  • DOUMIC Laurence, ZELEZ Emmanuelle (réal.), 2016. Les tribus de la récup´. France THM Productions, 52 minutes.
  • GRIMALDI Yvan, CHOUATRA Pascale, De seconde main. Vendeurs de rue et travailleurs sociaux face à face dans la crise, L’Harmatta, 2014.
  • MILLOT Virginie, « Avec les biffins ? Engagements ethnographiques en cascades », in acte du colloque GIS Démocratie et Participation, 2015.
  • VIGARELLO Georges, Le Propre et le sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Age. — Seuil, 1985, (L’Univers historique).

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