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Graffiti hip-hop, enjeu d’un art dans l’espace public

Qui est créateur d’espace ? Est-ce que le graffiti dégrade ? À qui appartient l’espace public ? Ici se jouent des luttes de pouvoir à travers le contrôle de l’espace et la production du savoir. Nous essaierons d’éclairer le sens d’un « art en espace public », profitant de la rencontre avec Jeax, Popay et Alex, artistes graffitis, peintres, muralistes, designer.

TWE Crew, fresque représentant une Marianne manifestante, 18 mai 2016, Paris Quay de Valmy, puis effacée par les autorités

Esthétique impure ou contrôle de l’espace ?

Il est reproché couramment au graffiti de détourner les supports muraux, de déranger de manière peu esthétique l’espace public. Inversement nous pourrions défendre le rôle de l’espace public d’être le forum-critique où s’expose un problème qui interroge la collectivité ?

À ce titre nous nous intéressons au graffiti hip-hop (tag, graff)[1] qui doit sa diffusion sur la planète aux réseaux métropolitains, lieux de brassage, de rencontres et d’expérimentation d’un « art en transit ». À travers des parcours biographiques originaux, la mobilité (du support, de l’artiste, du public) participe à l’œuvre et à la définition non patrimoniale de l’art et de la ville.

L’esthétique qui se dégage du graffiti hip-hop ne peut être séparée de la vie sociale. Le sens de cette totalité se construit en situation avec d’autres, et contribue à urbaniser l’espace en le rendant public. En cela, le tag appartient au même mouvement que le spray can art.

Jeax : Il y a toujours dans le graffiti cette ambiguïté entre être compris et échapper. Dans l’écriture, il y a une double dimension entre une image simple et des lettrages très compliqués ou encore des jeux de couleurs peu évidents. Il y a une envie de séduire, mais de ne pas être forcément lisible. Le tag est une écriture déformée, moins c’est compris, plus le tag à un style. Dans le graff, c’est le même principe, plus tu arrives à une image complexe et jolie en apparence, tu séduis tout en n’étant pas facile à saisir.

Il existe des codes et des validations propres au milieu, un langage esthétique, un vocabulaire (élémentaire et sophistiqué), une forme structurée, une histoire, des modes de transmission et d’intervention dans l’espace public.

Cette performance décale, elle « provoque » (non parce qu’elle est en soi provocante), mais parce qu’elle interroge le cadre de compréhension des espaces communs et de ce qui les relie, c’est-à-dire la ville. « L’urgence du geste, l’authenticité du propos et l’invention qui préside à sa traduction graphique deviennent des qualités quand la violence et la provocation accèdent au rang de valeur esthétique. »[2]

Une nouvelle grammaire visuelle ne s’appuie pas nécessairement sur un message direct et explicite, mais sur une relation à l’espace urbain en instaurant le principe même de la mobilité comme « relation publique généralisée. »[3]

Popay : Il y a une tension entre le côté « on veut se rendre lisible » et le côté « tag inaccessible destiné à une intelligentsia du mouvement qui arrive seule à décoder » : Les « persos » (personnages) qui sont facile à lire, style réaliste ou cartoon tape-à-l’œil, qui sont plus accessibles que les wild-style (lettrage déformé). C’est peut-être des pièges pour attirer le regard. Ensuite, la personne peut s’attarder plus sur le déchiffrage des lettres.

Seul l’espace public peut lier ainsi une forme structurée esthétiquement et structurante socialement comme le graffiti hip-hop et l’événement qu’il entraîne en tant que configuration de présence ici et maintenant. L’espace public prend alors un rôle médiateur dans « la constitution d’un monde commun et dans l’organisation de l’action collective. »[4]

Le souterrain métropolitain est occupé par de nombreuses personnes. Pour la société de transport, il s’agit d’usagers, pour l’afficheur publicitaire, de client et pour le graffeur, de public, pris non comme masse indifférenciée, mais comme ensemble d’individus dont l’attention est personnellement sollicitée des rencontres se produisent, des paroles s’échangent, un jugement s’exerce et un nouveau cadre commun de compréhension s’élabore.

Depuis les années 70, le spray can art (art aérosol) a pu ainsi jeter ses ancres flottantes dans les espaces interstitiels et s’inscrire durablement dans le paysage urbain. Mais aurait-il pu émerger aussi facilement aujourd’hui ?

Popay : cela peut être vu comme une réaction à la société de consommation, de la publicité qui mitraille. Bando disait que ce n’était même plus le sens di mot, mais le plaisir de dessiner la lettre. Est-ce une critique ou juste une répétition de la société esthétique et du pouvoir de l’apparence ? Peut-être c’est une réaction pour redonner du sens aux mots assujettis par des intérêts.

Il y a effectivement possibilité à percevoir directement des significations, une totalité, un mode d’organisation. Cette relation du sensible à l’intelligible génère un espace esthétique propre. La forme graffiti et le sens qu’il provoque par son apparition événementielle sont reliés par une certaine qualité communicationnelle, moins permanente, plus déliée du territoire. Mais le graff n’est pas la simple trace d’un passage, c’est une configuration de l’expérience et donc de l’espace.

C’est une inscription contemporaine qui est représentative de l’inscription des espaces sociaux dans la modernité et reprise en tant que telle. La rue n’est pas simplement là où l’on passe, mais là où il se passe quelque chose que l’on ne contrôle pas.

Nous dépassons la rue et la place classiques pour couvrir de nouveaux nœuds de communication (dalles commerciales, zones temporaires de transit, etc.). Dans cette ville intervalle,« le problème n’est pas la distance qui sépare que celui du lien qui unit dans la séparation. »[5]

Dire que le graffiti crée de l’espace ou au contraire le détériore, ce n’est pas seulement opposer deux visions esthétiques ou juridiques, c’est concevoir la ville dans la possibilité ou non d’être formée par l’espace public. « Certains prétendent que barbouiller des bâtiments augmente la crainte du crime tandis que d’autres le voient comme une interaction avec les espaces urbains qu’ils créent. »[6]

Dans les luttes pour savoir qui a la définition et donc le contrôle, la plus ou moins grande permissivité des espaces urbains constitue un baromètre démocratique pour la société civile (pas plus que la démocratie, l’espace public n’est quelque chose de naturel et qui va de soi).

L’espace est un produit social. « Il y a des rapports entre la production des choses et celle de l’espace. L’espace n’est pas un objet scientifique détourné par l’idéologie ou par la politique ; il a toujours été politique et stratégique. C’est une représentation littéralement peuplée d’idéologie. »[7]

Art social ou socialisation de l’art ?

L’émergence d’un art populaire n’est pas liée à une instrumentalisation de l’espace, mais à une création de nouveaux espaces. Cette force créative s’exerce en situation (interaction, appropriation), justement en réaction à l’imposition d’une standardisation commerciale. Il crée une véritable communauté d’intérêts, que l’on ne peut pas atteindre en consommant, mais en étant soi-même créatif. Cependant demeurent les enjeux publics de l’art, particulièrement d’un art en espace public. « Espère-t-on de ces écarts l’ouverture d’un espace critique ? Dans un espace public envahi par les intérêts privés, acheté par des sociétés pourvoyeuses de fonds pour vendre leur étiquette et pour soutenir les artistes qui brouillent la communication, n’est-il pas illusoire de prétendre pouvoir créer autre chose qu’une nouvelle version de l’art public, mais ne permet pas d’entrevoir ce que seraient les enjeux publics de l’art ? Y a-t-il un mode de représenter qui serait public ? »[8]

Jeax : Est-ce qu’il serait possible à l’intérieur du circuit d’image rentable de créer une image « non rentable ». Est-ce que l’on autorise une grande partie de la population d’utiliser l’espace public comme espace d’expression, dans quel cadre et comment ? Est-ce que la société peut être enfin le reflet de ce que l’on est, ou est-ce qu’elle va continuer à être le reflet du schéma de consommation ?

L’art en espace public propose une autre rationalité économique. C’est donc un art public (intervient dans l’espace public dans un certain rapport aux publics) qui participe à la création de l’espace qui lui-même le définit. Nous retrouvons ici les différentes acceptions de « public » : un mode d’intervention dans un espace physique ouvert, la visibilité d’une forme travaillée ‘ des personnes participantes à une situation commune dans un jeu d’interactions, la possibilité de mettre en débat et d’élaborer une critique.

Alors que l’espace public est vidé de toute interaction humaine non ordonnée, verrouillée par un système de contrôle, de surveillance et de savoir, de l’autre un peu de désordre, c’est-à-dire de la vie, est réintroduit de temps en temps par des manifestations réglementées (fêtes déambulatoires, art de la rue, raves autorisées, défilés carnavalesques et autres journées où il est décrété que l’on peut faire la fête).

Alex : On ne sait pas que la « Nuit Blanche » à Paris a été inspirée par le mouvement squat. L’initiative aurait dû partir de là. Les personnes des squats avaient l’habitude de faire des fêtes et ouvrir leurs portes. Nous avons demandé de se réunir avec les autres squats pour une journée collective. La mairie a dit non et maintenant, il débloque des millions d’euros pour faire une nuit dédiée à la fête, à la musique et à l’art.

Quand est-il du rapport spontané, libre, créatif et imaginatif en dehors de tout cadrage préétabli et rapport hiérarchique ? L’espace public est occupé par un dispositif de médiation, en particulier de médiation culturelle qui tire légitimité, pouvoir et financement de cette position.

D’autre part, l’art en l’espace public a trop souvent été réduit par une visée instrumentale principalement dirigée vers les quartiers populaires. Cette confusion entre art d’intention sociale (injonction) et socialisation de l’art (processus) ne peut que mener à l’impasse. Est-ce à la politique culturelle « d’œuvrer la ville » ou est-ce à l’espace public de provoquer des émergences culturelles ?

Dans tous les cas, l’art ne peut pas résoudre les problèmes sociaux s’il n’y a pas d’espaces politiques pour les mettre en débat. Or, depuis une vingtaine d’années cette dimension populaire n’est pas perçue comme espace de redéfinition, mais comme enfermement territorial. Ainsi, les émergences culturelles deviennent paradoxalement le signe d’un « problème » (le ghetto) alors qu’elles portent en elles-mêmes la solution (ouverture d’un espace public, modes de socialisation et de transmission, etc.).

Jeax : Qu’est-ce que la fresque et la peinture dans l’espace public ? Elle vient d’une tradition mexicaine, c’est une démarche qui dit, notre peuple , depuis le temps où il a été opprimé, a besoin d’une identité. On prend des gens qui peuvent passer un message et qui peuvent renvoyer cette notion à travers un art qui appartiendrait à tout le monde en prenant la démarche de chacun. Ce n’est pas une instrumentalisation, les artistes ont le pouvoir de faire ou de ne pas faire, ils ont cette envie de passer à quelque chose de collectif et constructif. Est-ce que l’on a envie au début de la démarche d’avoir un art qui permette de créer au niveau public, est-ce que l’on veut cet outil.

Logiquement, la commande d’interventions artistiques ne peut créer d’espaces publics si l’on ne comprend pas en quoi l’espace public constitue d’abord le lieu privilégié de la socialisation de l’art.

Jeax : L’argent va dans de l’art événementiel. Mais il n’y a pas de soutien à de l’art qui se construit sur le long terme. Il y a une centaine de murs peints sur Paris. Ils ne savent plus quoi faire des murs. J’aimerais que ces murs deviennent des lieux, des lieux d’expressions qui puissent faire l’objet d’appels d’offres.

Des espaces « alternatifs » ?

Déjà, retenons cette notion d’expérience comme processus en devenir non réductible à des « projets », mais comme action structurée en situation, entre dimension personnelle et sociale, individuelle et collective, subjective et objective.

Nous y retrouvons le principe du « work in progress » qui met l’accent, d’une part, sur l’action plus que sur l’œuvre (work) et, d’autre part, sur ceux qui la réalisent plutôt que sur un auteur identifié. L’artiste n’impose pas une œuvre, bien au contraire, il la conçoit d’abord en fonction du site et ensuite avec ceux qui l’aident à la réaliser. C’est ainsi que l’élaboration en commun fait partie intégrante de l’œuvre.

De même, nous évoquons l’idée d’œuvre « open-source » et de « copyleft attitudes ». À la différence du « copyright », la copyleft est pour le partage de la propriété intellectuelle dans un but non marchand de développement des ressources par la coopération. La « free culture » s’oppose à l’industrie culturelle qui soumet l’exploitation de la propriété intellectuelle au seul usage du marchand, du diffuseur, d’un propriétaire unique. C’est le principe d’une « intelligence collective » qui est repris aussi derrière celui de « Licence Art Libre » : l’œuvre est alors véhiculée et utilisée par une communauté de personnes, de par les modifications qu’elles apportent à l’œuvre : une communauté d’auteurs/utilisateurs se forme autour de l’œuvre. À l’instar du réseau des Arts de la Rue[9], nous sommes renvoyés à ce qui fait commun dans la gestion d’une ressource culturelle partagée.[10]

Face à la légitimité basée sur une technologie du savoir s’oppose ici une autre légitimité basée sur une production en libre situation d’espaces populaires de création culturelle.[11]

La notion d’ « art participatif » rencontre aussi sa critique, car il continue à poser une distinction entre artistes et public, même si ce public est alternativement « acteur » et « regardeur ». Pas plus que les « ateliers-résidences », les « performances » et autres interventions n’offrent la panacée. L’art en l’espace public permet de mettre tout cela en question. En intervenant sur les conditions de réception et de transmission, il met en débat l’intention artistique, son cadre institutionnel et politique, tout en construisant sa propre grammaire en situation dans un décalage créatif. Voici quelques exemples d’espaces :

Les modes d’interventions directes :

Jeax : il y a des personnes qui viennent avec leur disque dur d’ordinateur et font de la projection d’image sur façade.

Popay : un mouvement d’action directe qui colle des affiches peintes 3×4 sur les emplacements d’affiches publicitaires.

Les lieux « alternatifs » :

Alex : Chacun a la possibilité de créer, c’est dans ce sens que j’ai ouvert des squats, organisé des free parties. À la différence des « friches », il y a cette liberté tout en apportant de l’énergie à un projet commun, une expo ou autre. Le point commun, c’est un but créatif. Montrer aux gens que c’est une richesse pour se connaître soi-même et par-là, avoir un rapport avec la société, beaucoup plus libre.

Jeax : j’ai une démarche de squat à la base. À 17 ans, j’ai appris beaucoup de choses dans le fonctionnement, dans la responsabilité des individus, dans la gestion des lieux, et cela, tu ne l’apprends pas dans une maison de quartier, tu ne l’apprends nulle part ailleurs. C’est à la fois très ambigu est c’est beaucoup de richesse dans les rapports humains. Dans les squats on trouve de tout : des artistes confirmés, des amateurs, des personnes « barrées », des personnes construites et c’est cette diversité qui est intéressante. Dans le mouvement squat, dans la démarche artistique, il y a une responsabilité qui pousse à un professionnalisme. On ne fait pas des règles pour faire fonctionner le projet, mais pour faire fonctionner l’humain, dans un respect de l’individu.

Et après, si l’individu se pose bien dans son espace, dans ce qu’il a à faire, cela fonctionne au niveau du projet. C’est une synergie, c’est une autre manière de fonctionner en collectif. C’est la différence avec les institutions, où on te donne un rôle à jouer par rapport à ton poste. Dans le squat tu as un rôle par rapport à toi-même et par-là, valoriser le collectif.

Les réseaux électroniques

Alex : Comment garder des espaces autonomes ? Est-il physique ou mental ? L’espace physique rencontre tout de suite des problèmes : comment tu vas le faire, qui va te donner un espace ? Pourquoi ne pas faire un réseau virtuel ! Il faut utiliser l’outil technologique internet. Chacun reste dans son individualité, mais travaille en groupe virtuel.

L’art numérique

Popay : Travailler en collectif sur une œuvre et obtenir une harmonie, cela reste un défi. Le pouvoir que nous avons sur les outils numériques, il est laissé aux mains de grosses sociétés qui ont besoin de vendre leurs produits. Je trouve dommage qu’il n’y ait pas de réelle proposition : se réapproprier dans l’espace au niveau d’échelle sur les murs, pour ce qu’on sait le faire et même, parce que nous avons un pouvoir d’adaptation, prendre les outils des publicitaires, faire des affiches 3×4 creees numériquement avant. En utilisant le 1 % réservé par le fond architectural pour une œuvre artistique. Il pourrait avoir une station qui serait « le Louvre du graffiti » ou d’autres expressions et qui pourrait être proposée en grand et permettrait à des artistes de trouver une notoriété et une émulation. On peut imaginer aussi un dispositif visuel grand format modifiable numériquement à volonté.

Le mot « alternatif » est peut-être impropre pour qualifier ces espaces de spontanéité et de créativité, il permet cependant de qualifier deux types de rapport à l’espace

  • La possibilité de créer là ce qui n’est pas possible ailleurs, sans moyen financier ou soutien des institutions, sans être assujetti à des lieux en termes de reconnaissance ou d’organisation,
  • La possibilité de jouer sur une alternance entre différents modes d’interventions et d’expériences entre une dimension « interstitielle » (non formalisée, mais structurante à travers des processus de création et de transmission) et une dimension intermédiaire (plate-forme de redéfinition socioprofessionnelle et d’interpellation publique).

Comment faire perdurer ces espaces collectifs en évitant de tomber dans une gestion de la précarité ? Lorsque ces espaces ne sont pas fermés, les idées qu’ils génèrent sont récupérées.

Comment faire en sorte que « l’alternative » dans le temps développe une production, garde trace d’une mémoire collective ? Pour que ces expérimentations se traduisent en termes de développement, elles doivent pouvoir renvoyer au questionnement d’intérêt public et d’interpellation des pouvoirs publics. Ces « zones autonomes temporaires »[12] constituent autant d’enjeux de connaissance et de transformation pour ce siècle.


Réf biblio : Hugues Bazin, « Graffiti hip-hop, enjeu d’un art dans l’espace public » in Médias et Contre-cultures, L’Harmattan, 2018, pp. 201-212


[1] Bazin H., La culture hip-hop, Desclée de Brouwer, 1995.

[2] Riout D., Qu’est-ce que l’art moderne ? Gallimard., Coll Folio/essai, 2000.

[3] George É., Du concept d’espace public à celui de relations publiques généralisées, sciences de la communication, Université du Québec-Montréal, 1999.

[4] Quere L., « L’espace public comme forme et comme événement », in Prendre place : Espace public et culture dramatique, Éd Recherches Plan Urbain, 1995, p. 93-110.

[5] Tassin E., « Espace commun ou espace public ? L’antagonisme de la communauté et de la publicité », in Hermes (No 10), Espaces publics, traditions et communautés, CNRS, 1992, p. 23-37.

[6] Scheepers 1., Graffiti And Urban Space, Honours Thesis – University of Sydney (Australia), 2004.

[7] Lefebvre H. Espace et politique : Le droit à la ville II, Paris : Anthropos, (ethno-sociologie ), 2000.

[8] Lamarche-Vade! G. De ville en ville, l’art au présent, Paris : Éd. de l’Aube, (Société et territoire), 2001, 172 p.

[9] Manifeste pour la création artistique dans l’espace public, Fédération nationale des arts de la rue, 2017.

[10] Maurel L., « Et si on repensait le Street Art comme un bien commun ? » blog S.I.Lex, 2018 – Pesta D., « Les communs urbains. L’invention du commun », Revue Tracés. 2016

[11] Bazin H, « Espaces populaires de création culturelle : enjeux d’une recherche-action situationnelle », INJEP, Cahiers de l’action, 2006.

[12] Bey H. 1991, TAZ : Zone Autonome Temporaire, Éd. Autonomedia USA, L’éclat, 1997.

Graffiti Hip-hop, Enjeu D'un Art Dans L'espace Public
Graffiti Hip-hop, Enjeu D'un Art Dans L'espace Public
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Hip hop, paroles et corps en mouvement (Sevran-93)

Forum débat avec Hugues Bazin chercheur en sciences sociales et des artistes hip-hop sevranais

(sous réserve de confirmation) :  Manu Custom (graffeur), Ixzo (rappeur), Julien Raziah (danseur et rappeur tamil rap Paris City), Djamal (producteur karismatik), Relax (graffeur) Docks (rappeur) …

xzo – Killer Instinct-album L’ennemi

Jeudi 7 décembre de 19h à 21h – Maison de Quartier Rougemont
13 rue Pierre Brossolette 93270 SEVRAN
RER B Aulnay Sous-Bois – T4 Rougemont Chanteloup

 

Conférence – débat « L’importance des cultures hip-hop » (Grenoble)

Conférence – débat « L’importance des cultures hip-hop »: l’importance des cultures urbaines dans l’intégration des jeunes en milieu populaire et l’inscription sociale et urbaine de cette culture

dans le cadre du festival Demain C’est Bien – édition 2

Avec Hugues Bazin (sociologue)

Date : 8 novembre 2017 – 18h30

Lieu : MJC Parmentier – 17 Bis rue Daguerre et Niepce 38000 Grenoble

https://www.facebook.com/events/140056529950293/

 

Espaces d’émancipation et de transformation

L’éducation populaire réinterrogée par la recherche-action dans un travail de la culture

Où et comment s’incarne le projet émancipateur et transformateur ? Qui sont les acteurs populaires de ces mouvements ? Quels sont les dispositifs et les outils de ce processus ? Pourquoi ces acteurs ne se revendiquent pas nécessairement de l’héritage de l’éducation populaire, voire contestent cette notion ?

Une praxis sociale

Une transformation de la société ne peut se concevoir sans une émancipation individuelle et collective et réciproquement, des personnes autonomes ne peuvent s’affirmer comme minorité active sans un mouvement de transformation sociale qui les qualifie comme acteurs historiques.

Le projet de l’éducation populaire s’est renouvelé dans les luttes sociales du Front Populaire de 1936, puis la culture du maquis, de la désobéissance, de l’utopie combattante des années quarante d’où sont provenus les cadres émancipateurs de la France d’après-guerre à l’instar de Joffre Dumazedier[1] l’un des fondateurs de Peuple et Culture. Sur ce terreau s’expérimenta la pratique de « l’entraînement mental[2] » comme formation intellectuelle pratique des cadres militants de la vie associative, coopérative et syndicale s’inscrivant dans la tradition de Condorcet d’une éducation tout au long de la vie ou « l’art de s’instruire soi-même ».

Cette dynamique relève d’une « praxis sociale », selon laquelle la conscience de sa pratique d’acteur est inséparable d’une analyse critique des rapports sociaux. Il n’y aurait pas d’articulation entre émancipation et transformation si ne s’exerçait pas cette conscientisation qui est une autre manière de nommer un « travail de la culture ».

Quelle est l’importance de ce travail de la culture[3] ? Il se décrit déjà par la capacité de rassembler les éléments de la culture au quotidien[4] comme premières ressources mobilisables et structuration de résistance, notamment pour les personnes sans capital économique. La seconde dimension est une transmission en situation par autoformation réciproque et intergénérationnelle permettant de se réapproprier collectivement un savoir pragmatique en croisement avec d’autres savoirs (professionnels, scientifiques). Il se poursuit enfin par une symbolisation susceptible, notamment à travers l’art et la science, de permettre à ce processus d’être diffusé et assimilable par tous comme point de référence au-delà des langues et des cultures particulières.

Mais, dès les années soixante-dix ce processus commence à se dissoudre avec la notion même de culture vidant de sa substance le projet de l’éducation populaire qui se maintient plus que par ses institutions et ses activités professionnelles sectorielles suppléant à la crise de l’État social.

Pour réarticuler aujourd’hui émancipation et transformation par un travail de la culture, il nous faudrait dégager une nouvelle pensée politique de la culture à travers une analyse critique. C’est là où la démarche de recherche-action prend toute sa place.

Symptomatique de cette désarticulation, l’apologie de l’émancipation individuelle sans transformation de la société consacre la prédominance de l’idéologie néolibérale entrepreneuriale renvoyant l’individu à sa seule responsabilité, le précaire à sa solitude et les sciences sociales aux oubliettes. L’ubérisation de la société et la dérégulation sauvage n’en sont que les derniers avatars économiques.

Et inversement, la transformation sans l’émancipation sous l’argument de dépasser les blocages sociétaux confirme la prise de pouvoir technicienne d’opérateurs agissant du haut vers le bas et s’érigeant en nouvelle oligarchie derrière un vernis démocratique. Il est d’autant plus compliqué de cerner ce rapport de classe/castes qu’il se pare du discours de la « créativité » délégitimant celle émanant des couches populaires, enfumant les esprits d’une nova langue gorgée d’accents progressistes, chantre des nouvelles technologies et de la mondialisation, raflant les symboles révolutionnaires[5] pour mieux les dépouiller de leurs forces subversives.

Autre indicateur, le discours de la « participation » et du « pouvoir d’agir » (ou « empowerment ») convoqué dans toutes les strates de décision sous des inflexions « éducation populaire » cache mal une injonction paradoxale. De fait, la participation comprise comme modalité de gouvernance n’est pas là pour restaurer le lien entre émancipation et transformation, mais au contraire vérifier qu’il ne puisse pas s’établir en contre-pouvoir. Les promoteurs de la participation, surtout s’ils sont de bonne volonté, deviennent les meilleurs supports d’une aliénation vérifiant l’axiome que toute domination ne peut s’établir sans le consentement des dominés. On peut tout autant se poser la question si la thématique au goût du jour d’une « science participative » peut infléchir cette logique[6].

C’est bien au cœur de ce jeu que se situe l’enjeu à la fois humain et politique dans la possibilité d’émettre une analyse critique des mutations et produire de nouvelles connaissances ; de se constituer comme acteur et minorités actives orientant les choix de société, notamment par la reprise d’un récit collectif comme ressource ; d’apporter des éléments éthiques et méthodologiques d’une contre-expertise quant aux mécanismes de transition.

Désarticulation des années quatre-vingt

Le développement exponentiel de la société de consommation consacre la marchandisation généralisée du mode de vie, dépassant la sphère du travail pour occuper le champ du temps « libre ». C’est justement dans cet espace que l’éducation populaire des années soixante pensait porter son projet émancipatoire, espace dorénavant saturé par un capitalisme cognitif exploitant la matière existentielle au-delà de la simple force de travail. Ou plus précisément, c’est l’ensemble de la société civile qui est converti aux normes de l’entreprise s’imposant comme seul horizon acceptable et pensable.

Quelles sont les raisons pour lesquelles la culture n’a pas pu jouer ici son rôle politique ? Relevons trois facteurs principaux.

Constatons la perte d’autonomie des quartiers populaires qui s’inscrivaient dans un rapport de luttes sociales ne séparant le cadre de vie de celui du travail à l’instar des « banlieues rouges », des régies de quartier, des mouvements pour les droits des minorités revendiquant une citoyenneté culturelle, des fêtes populaires autogérées comme les concerts « Rock Against Police ». C’était il y a 35 ans, l’organisation autonome des quartiers… A partir de ces concerts gratuits et auto-organisés, l’idée est « de brancher des gens qui vivent dans la même merde, qui partagent les mêmes besoins, les mêmes envies », de créer des occasions de rencontres et de circulations à l’intérieur des cités, mais aussi entre différentes banlieues. Dans une conjoncture particulièrement tendue, face aux meurtres, au racisme et à l’occupation policière, l’enjeu est de se réapproprier « le territoire social » de la cité. Et donc, pour les « jeunes immigrés et prolétaires de banlieue », cible et bouc-émissaire principaux de l’idéologie sécuritaire, de s’affirmer et de prendre la parole de façon autonome, en dehors des cadres et des discours établis. A travers la recherche d’un imaginaire et d’une identité collective propres, il s’agit très concrètement d’arracher une possibilité d’existence, d’affirmer ses besoins et ses aspirations à une autre vie. Ces organisations solidaires dessinaient une géographie territoriale de leurs propres ressources susceptibles de constituer autant de pôles de résistance, notamment à travers un tissu associatif fort et autonome.

L’ « affaire Théo » à la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois le 2 février 2017[7], au-delà du grave préjudice physique et moral a soulevé autant l’indignation parce qu’elle synthétisait la désagrégation sociale et culturelle renforcée par une ségrégation territoriale et raciale de ces dernières décennies. Une quarantaine d’années plus tôt c’était une cité ouvrière dont les luttes dans l’industrie automobile servaient d’exemple [8]. Les quartiers populaires ont toujours été en lutte. Ce qui rend aujourd’hui le caractère répressif intolérable, c’est la déconstruction des organisations autonomes de résistance sans accorder aux révoltes émeutières le statut de luttes sociales[9].

La déperdition d’un travail de la culture s’est également opérée sous le double mouvement d’une mondialisation et d’une localisation de la culture lui enlevant son caractère processuel (ressources, transmission, symbolisation) pour la naturaliser comme objet : objet marchand standardisé d’une industrie culturelle et objet identitaire assigné à une forme ethnique ou territoriale. La montée des fondamentalistes est un marqueur politique de cette double emprise qui n’offre plus de prise autrement que dans une construction de la réalité de l’ordre de la croyance. Les nouvelles technologies n’offrent pas plus la raison d’une défense démocratique. En nous servant de béquille intellectuelle, elles atrophient l’exercice critique de vérification des faits dans la profusion du mensonge (Hoax, troll, fake news, canulars) au profit de groupes affinitaires confortant les obscurantismes et les conspirationnismes.

Enfin, à partir des années soixante-dix et surtout à partir de l’extension de l’industrie culturelle dans les années quatre-vingt, la professionnalisation de ce travail de la culture conduit à la production d’une surcouche appelée « le culturel » constituer par ceux qui vivent de la médiation et de la diffusion culturelle. L’éducation populaire n’échappe à pas à cette professionnalisation et sectorisation des processus de solidarité, d’émancipation et de transformation. Tandis que les métiers traditionnels d’accompagnement du travail social sont en crise et s’inscrivent de plus en plus dans une logique de contrôle, de nouvelles professions apparaissent telle que l’animateur socioculturel, l’agent développement local ou le médiateur social et culturel. La marchandisation du secteur de la formation permanente change les cadres de l’éducation populaire en prestataires de services en direction des couches intermédiaires du secteur socioculturel sans toucher les populations qui souffrent le plus.

Cette couche technicienne et son idéologie techniciste, de l’ingénierie de projet au « design social », censée améliorer les conditions de vie à tendance à fétichiser l’outil d’intervention qui devient une finalité en soi plutôt que de s’appuyer sur les processus d’émancipation et de transformation.

Se réapproprier les espaces d’un travail de la culture

Si les décennies 1980-2000 conduisent à une forte désagrégation des formes de résistance dans et en dehors de la sphère du travail, où peut s’exercer de nouveau un travail de la culture ? Les acteurs de chaque époque sont pris dans les contradictions des relations de pouvoir où chacun s’affaire à la reproduction des structures et à leur subversion. Il est donc toujours possible de recréer ou investir des espaces pour que la société soit pensable autrement. C’est ainsi que l’occupation d’espaces délaissés se propage à partir des années 2000.

Le système hégémonique de l’économie néolibérale crée les conditions de sa propre faiblesse. La société postindustrielle de la mondialisation, du productivisme, de l’interconnexion et de l’hyper vitesse a laissé des pans entiers de la société en friche, notamment les anciennes zones industrielles, les quartiers populaires, les territoires ruraux et les villes de moyenne importance en dehors des grands pôles régionaux qui se présentent comme « créatifs, fluides et flexibles » à l’image du profil des employés subordonnés à cette économie.

Si le phénomène de zones d’abandon n’est pas nouveau dans les périodes de mutation, celui-ci est d’ampleur inégalée. Nous pourrions alors concevoir que dans les zones reléguées, voire dévastées, s’opèrent des reconfigurations à l’instar des tiers paysages[10] » dont la déprise de l’activité humaine favorise un nouvel équilibre écosystémique. Si le monde policé tenter à comparer les zones en friche à des contrées sauvages délabrées nous pourrions répondre que le côté sauvage est plutôt du côté du monde financier dérégulé et qu’au contraire peut-être que dans c’est tiers espace pourrait s’instaurer une créativité non marchandisée ? Il n’en demeure pas moins que ces indicateurs d’une transition ravivent les tensions politiques et que cette géographie sociale des territoires délaissés et des populations invisibilisées alimente des idéologies réactionnaires, néolibérales ou transformatrices suivant justement le rôle attribué à la culture.

Dans sa forme réactionnaire est évoquée une « France périphérique » en opposition aux centres urbains mondialisés. C’est une essentialisation culturelle des territoires délaissés selon des critères identitaires. Ce serait la France d’en bas qui voterait Front National et serait confrontée à l’insécurité culturelle. Le géographe Christophe Guilluy[11] a rendu célèbre cette thèse qui alimente un néoconservatisme xénophobe et nationaliste.

Dans sa forme néolibérale, ces espaces font l’objet de convoitise. Sous le couvert d’une « reconquête des territoires » ou de « l’attractivité des territoires », des bataillons d’artistes, d’architectes et autres consultants sont convoqués pour justifier cette conception de l’aménagement. Ici la notion de créativité est détournée non pour soutenir une autonomisation des plus défavorisés, mais pour servir les intérêts de catégories socioprofessionnelles intermédiaires qui maîtrisent les clés de langage et apparaissent comme légitimes en matière de développement.

Idéologies réactionnaires et néolibérales se recoupent dans une vision culturaliste rigidifiant toute articulation entre émancipation et transformation. Peut-on imaginer une troisième configuration où puisse se loger dans ces tiers espaces un véritable travail de la culture réinterrogeant le projet d’une éducation populaire ?

Face au resserrement d’une politique économique contrainte par des logiques gestionnaires et techniciennes où l’humain n’est qu’une variable d’ajustement, où l’ensemble de la société civile est converti aux normes de l’entreprise et que toutes les dimensions existentielles sont marchandisées, est-ce que d’autres formes d’entreprise peuvent se déployer dans des « contre-espaces » comme les soutiennent les ZAD et autres zones autonomes ?

Une respatialisation qui mise sur une créativité non productiviste, une créativité populaire revient à revendiquer et assumer un « art du bricolage » comme culture de résistance et d’autoformation réciproque[12]. Elle se caractérise par la capacité de prendre en compte des situations aléatoires contribuant à une culture de l’incertitude facilitant la revalorisation par le détournement des situations déclassées ou reléguées.

Cette architecture fluide selon une maîtrise d’usage des espaces se construit dans la confrontation avec les matériaux bruts à disposition ou à proximité. Elle contribue à une économie populaire[13] basée sur les ressources endogènes du territoire et une économie du commun[14] impliquant une autre manière de faire collectif. Le principe de processus est préféré à celui de « projet » dans une approche intuitive et réflexive. Sans exclure toute forme de professionnalisation, celle-ci emprunte des chemins braconniers où est valorisée sa propre façon d’organiser, de classer, de hiérarchiser ses modes de validation et de jugement, distincts de ceux de l’institution, de l’entreprise ou de l’école académique.

Ainsi les tiers espaces favorisent des formes hybrides d’une autre créativité. Relevons quelques exemples :

  • En Limousin s’organise un cycle sur le travail animé par l’association Medication Time et le concourt de Peuple et Culture, espace d’autoformation où l’on met en résonance, en débat, ses vécus du travail et ses recherches.
  • En région parisienne, le collectif Rues Marchandes travaille dans les espaces informels d’une économie populaire et organise des ateliers pour l’écriture d’un guide culturel des droits des récupérateurs vendeurs.
  • Le réseau tiers Lieu Nomade organise avec le labo social des lieux temporaires de croisement sur la question des tiers espaces et du territoire.
  • La ManuFabrik, notamment les activités de l’AmorçÂge ouvrent avec les acteurs du quartier populaire de l’Ariane à Nice l’espace de l’Utopie qui se décline sur le quartier en contre-espace les jours de marché, tiers-paysage de jardins partagés, locaux d’un tiers-lieu permanent, etc.
  • À Grenoble la Chimère Citoyenne a ouvert un espace de partage inédit, justement parce que c’est « un lieu qui ne propose rien, pour que tout soit possible », une des caractéristiques communes à toutes ces expériences.
  • Les squats comme celui du Clos Sauvage en banlieue de Paris sont des architectures écologiques qui questionnent le mode d’habitat et d’aménagement du territoire renvoyant à des modes de vies individualistes qui multiplient les dépenses matérielles selon un monde dominé par le chiffre et la pensée rationnelle.
  • Une démarche en pédagogie sociale portée par l’association Intermèdes expérimente dans les bidonvilles Rroms de nouvelles façons de vivre et travailler et éduquer ensemble hors institution, développant les potentiels de création et d’expression des enfants selon les principes d’inconditionnalité de l’accueil et de recherche de l’autonomie.
  • Les Parcours Numériques dans les Pays de la Loire proposent des croisements recherche-action autour de la culture numérique et l’éducation populaire, rejoignant l’expérience de fablabs quand ils prennent le sens d’autofabrication collective.
  • Des bricoleurs artistes se rebellent contrent les circuits de diffusion et de classification, retrouvent leurs « publics » dans une expérience en ateliers pour « faire des trucs ».
  • Le « mouvement des places » et le maillage en réseau de Nuit Debout en résonance avec les mouvements sociaux de mai 2016 sur la loi travail se perpétuent et s’infiltrent sous des espaces multiformes qui interrogent les modes d’organisation et de gouvernance entre horizontalité et verticalité.

À la vue de cette présentation, la question se pose si la notion de tiers espaces couvre une simple juxtaposition d’expériences artificiellement regroupée par une construction sociologique et idéologique ou si elles participent d’une approche de la complexité susceptible de comprendre les conditions d’une transition.

La diversité des parcours et des contextes de formation et leur éparpillement sur les territoires conduiraient à les considérer plutôt comme des îlots séparés. Ces expériences entrent difficilement sous des labels, passant et pour cause, sous les radars des observatoires institutionnels.

On peut y voir au contraire une concordance puisque ces situations au rez-de-chaussée des villes et des campagnes constituent la plus petite unité de l’échelle du commun à partir de laquelle s’élabore une commune politique.

Parce que ces situations n’émanent pas d’une volonté descendante, mais opèrent par processus émergeant, elles nous poussent à chercher s’il n’existe pas une trame sous-jacente qui ramifie ces îlots en archipel dans un autre rapport au développement et aux territoires, dans la constitution de minorités actives, dans l’autoformation de compétences collectives et dans un travail réflexif.

Un autre enjeu est celui d’un récit collectif où les acteurs de ces espaces ne se revendiquent généralement pas de l’histoire de l’éducation populaire[15] ou d’autres traditions militantes. S’il y a un récit des luttes, il est en train de s’écrire confirmant que nous sommes dans un travail de la culture permettant d’articuler processus d’émancipation et de transformations sociales où chacun peut se définir comme acteur social et producteur de connaissance dans la capacité à travailler sur sa propre expérience.

Il ne s’agit pas de provoquer une nouvelle labellisation sous le prétexte de chercher une unification entre ces différentes expériences. Ce serait contribuer à la reproduction d’un rapport de domination, où nous avons vu comme combien il était facile d’instrumentaliser le rôle de la culture et détourner des notions d’innovation sociale. Nous avons notamment remarqué que les labels de « nouveautés et d’innovation » conduisent à transformer un processus en produit marchand dans un rapport docile au travail sous le couvert des nouvelles technologies, du coworking, des start-up et autres incubateurs de projets.

Mais rien n’empêche de défendre une autre conception de l’innovation sociale qui n’a pas obligatoirement un lien avec ces « nouveautés », mais cherche selon un principe de créativité populaire à répondre directement et durablement par des services aux populations qui en ont plus besoin en partant de ses propres ressources et capacités de mobilisation. Les tiers espaces seraient symptomatiques de cette recomposition d’un art de faire et d’être.

Réhabiliter la fonction des sciences sociales par la recherche-action

La recherche-action peut être une manière de répondre à ce paradoxe d’établir des correspondances sans imposer une unification, de reconnaître, valider et valoriser ces espaces tout en se refusant à une modélisation conduisant à une labellisation. Il s’agit donc moins de reproduire des dispositifs que d’établir des référentiels par une praxis des espaces, cette science des pratiques amenant à une analyse critique des rapports de production et de pouvoir.

La recherche-action vise à privilégier ce caractère processuel de la création dans des espaces du commun où se croise une diversité dans des dispositifs d’ateliers et d’autoformation, dans une manière de se confronter aux situations redistribuant les rôles socioprofessionnels.

À travers la rencontre de ces « espaces intermédiaires de l’existence »[16] et des acteurs qui les portent, s’est structuré pour nous de manière intuitive et non instituée une démarche de recherche-action depuis le début des années 2000 qui pris la forme d’un réseau appelé « espaces populaires de création culturelle »[17] puis d’un « Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action ».

Le statut d’« acteurs-chercheurs » caractérise une posture existentielle éthique qui n’est pas directement reliée à un statut professionnel et permet d’autant mieux de questionner ces statuts dans leur cœur de métier. Cela évite la prise de pouvoir d’un savoir sur un autre au profit d’un croisement des savoirs entre l’apport des métiers, de l’expérience pragmatique et de l’outillage conceptuel.

C’est en cela que la recherche-action permet d’ouvrir un imaginaire instituant et favoriser l’émergence de contre-espaces qui se caractérisent par la possibilité à la fois d’imaginer une autre manière de faire société tout en développant des compétences en matière de contre-expertise. Peut s’y réinventer des stratégies émancipatrices, formatrices, transformatrices, subversives constituant autant d’inscriptions des luttes dans le champ social.

La recherche-action en tant que science transdisciplinaire voir « indisciplinée » permet d’aborder un travail sur la complexité en favorisant des mises en relation inédite. Effectivement, les disciplines propres au savoir académique ont leur « forme épistémique » qui les porte vers une certaine vision du monde. En décryptant les modes de production de connaissance, on comprend comment les stratégies de savoir se rapportent aux idéologies qui s’expriment dans la manière d’organiser la connaissance. Cela permet d’analyser une certaine perte d’influence des sciences sociales sur l’éclairage des mouvements de transformation, quand elles ne sont pas explicitement assimilées au pouvoir dominant.

La recherche-action rappelle une des fonctions originelles des sciences de la société quand elle renoue avec la tradition d’un engagement où les chercheurs n’éludent pas leur responsabilité d’acteur en matière de changement et ne manquent pas de nous rendre visibles les enjeux d’une implication en faveur de la justice sociale, de l’égalité et de la démocratie. On peut dans ce sens considérer le dispositif en labo social comme la possibilité de la société civile de travailler sur elle-même : partir des processus plutôt que des dispositifs ; légitimer la posture de l’acteur-chercheur ; valider de nouveaux référentiels qui permettent une diffusion et une réappropriation de la connaissance dans un travail critique ; accompagner des expérimentations pour qu’elles ne restent pas seulement expérimentales et s’inscrivent de droit dans une maîtrise d’ouvrage d’un développement territorial.

Nous pouvons alors poser ce que seraient quelques-uns des référentiels des tiers espaces d’une transition :

Ce sont des espaces transfrontaliers de croisement où peut s’exprimer et se confronter une diversité, où peut être validé un savoir pragmatique, avec des parcours d’expériences hétérogènes permettant aux personnes d’élaborer une contre-expertise.

Ce sont des espaces hybrides dans le sens où il permet à chacun d’interroger son cœur de métier, sa posture socioprofessionnelle en faisant un « pas de côté », mélanger des compétences et des expériences dans le sens d’une intelligence collective ;

Ce sont des espaces de réflexivité et d’autoformation amenant chacun à s’interroger sur sa pratique et à comprendre en quoi la connaissance produite à partir de ses propres matériaux expérientiels alimente un processus de transformation individuelle et sociale ;

Ce sont des espaces écosystémiques d’interdépendance et de régulation entre des formes d’activités socio-économiques permettant de répondre aux besoins vitaux tout en expérimentant une autre manière de faire société.


Hugues Bazin, conférence dans le cycle « comprendre ce qui nous arrive » organisé par Peuple et Culture, Paris, 7 avril 2014.


[1] Pierre Bitoun, Les hommes Uriage, Paris : La Découverte, 1988.

[2] Isabelle Lévy, Dominique Païni, Pratique de l’entraînement mental, Peuple et Culture, 1979.

[3] Hugues Bazin, Les conditions-pour-une-pensee-politique-de-la-culture, rapport pour la fédération des Centres Sociaux et Culturels de Gironde, 2013

[4] Dans les tactiques du quotidien, on retrouve chez Michel de Certeau cette approche souple et heuristique en termes d’articulations, d’emplois et de réemplois de contenus et de faires. Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, 1. : Arts de faire et 2. : Habiter, cuisiner, Paris : Gallimard, 1980.

[5] Alors que l’idéal révolutionnaire s’était structuré dans la conscience de classe, notamment dans l’opposition droite / gauche, aujourd’hui c’est l’effacement de ce rapport qui es présenté comme « révolutionnaire » à l’instar du titre du livre d’Emmanuel Macron « Révolutions ».

[6] Laetitia Delhon, « La science participative peut-elle réenchanter la démocratie ? », TSA no 82, 2017, pp. 10-12.

[7] Le 2 février, dans la cité des 3000, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Théo L., 22 ans, est gravement blessé, violé par une matraque télescopique d’un policier.

[8] Les luttes sociales portaient autant sur le travail que sur le logement, les lois discriminatoires d’expulsion, les actes racistes. Les grèves sont l’occasion de libérer une parole muselée. Les quartiers populaires trouvent une certaine autonomie dans cette articulation entre luttes professionnelles et luttes des minorités.

[9] Hugues Bazin, Police des banlieues, contremaitre du néo capitalisme, www.recherche-action.fr, 2017

[10] Gilles Clément, Manifeste du tiers paysage,, 2004

[11] Christophe Guilluy, La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires, Paris : Flammarion, 2014

[12] Hugues Bazin, Contre-espaces d’une économie créative et populaire, recherche-action.fr, 2017

[13] L’économie populaire désigne l’ensemble des activités économiques et des pratiques sociales développées par les groupes populaires en vue de garantir, par l’utilisation de leur propre force de travail et des ressources disponibles, la satisfaction des besoins de base, matériels autant qu’immatériels.

[14] Ensemble des activités ne relevant ni du secteur public ni du secteur privé à but lucratif, et qui œuvrent à l’intérêt général. Un bien commun répond à des critères de de non-exclusion et de non-rivalité. : on ne peut exclure personne de son usage, et l’usage par un individu n’empêche pas celui d’un autre. Cela ouvre des droits : accès aux connaissances, droit culturel, droit à un environnement sain, droit aux ressources naturelles équitablement partagées, droit au patrimoine commun de l’humanité.

[15] Hugues Bazin, « Les enfants non reconnus de l’éducation populaire », revue Agora débats/jeunesses n° 44, L’Harmattan, 2007, pp.46-61.

[16] Hugues Bazin, « Les espaces intermédiaires de l’existence », revue Arpentages No 9, Scènes Obliques éditions, 2012, pp.33-45.

[17] Hugues Bazin, Espaces populaires de création culturelle : enjeux d’une recherche- action situationnelle, Éditions de l’INJEP, 2006, 91p, (Collection « Jeunesse/Éducation/Territoires : cahiers de l’action »).

Espaces De Transformation Et Emancipation
Espaces De Transformation Et Emancipation
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« Tiers-Espaces » comme support d’innovation sociale et citoyenne en quartiers populaires à travers l’expérience du quartier de l’Ariane à Nice

Rencontres recherche-action les 11 et 12 mai 2017 avec les acteurs du quartier de l’Ariane
sur l’invitation de la ManuFabrik,
notamment les activités de l’AmorçÂge et l’ouverture de l’espace de l’Utopie

« Tiers-Espaces »  comme support d’’innovation sociale et citoyenne en quartiers populaires
à travers l’’expérience du quartier de l’Ariane à Nice.

Les habitants acteurs du quartier (conseil citoyen, jury FPH, porteur de projets, acteurs/trice de théâtre forum ou d’improvisation…) sont invités à réfléchir et à écrire collectivement sur ce qu’ils sont en train de vivre à travers les nouveaux espaces qui s’ouvrent sur le quartier depuis plusieurs mois : contre-espace les jours de marché, tiers-paysage au jardin partagé, L’UTOPIE sorte de Tiers-lieu … mais aussi les espaces d’art social avec la colorisation de certaines entrées d’école, le mur Léon Jouhault …

Il nous paraît intéressant de nous attacher à un processus de transformation entre les personnes et les espaces selon un mode non institué, mais instituant construisant de nouveaux référentiels en matière d’éducation populaire, de développement économique et de modèle de gouvernance.

Hugues Bazin, ancien professionnel du champ social en prévention spécialisée et directeur de la revue Paroles Et Pratiques Sociales dans les années 1980, puis diplômé de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales en anthropologie et sociologie, en devenant chercheur indépendant il synthétise dans son parcours ces deux dimensions, sociale et scientifique. Cette articulation s’illustre le mieux dans une démarche de recherche-action auprès de populations et d’espaces sociaux dont les problématiques restent bien souvent dans l’angle mort de la connaissance, viendra sur le quartier de l’Ariane :

Jeudi 11 mai 2017 de 10h à 17h  à L’UTOPIE pour construire un débat avec les habitants-acteurs + partenaires associatifs pour commencer l’écrit collectif : confirmer ou infirmer un processus et quel processus ?, développer une démarche…mettre en débat notre rapport au territoire, au travail…
sous forme d’un plateau radio ?

Vendredi 12 mai 2017 à partir de 10 h : visite du quartier depuis l’espace du marché vers le jardin partagé de La Panpa, les écoles et où vous aurez envie de l’accompagner.

Vendredi 12 mai 2017 de 14h00 à 16h00 à L’UTOPIE : débat avec les technicien(ne)s des institutions et les travailleurs sociaux du quartier. Quel regard ? Quel positionnement dans une démarche de transformation sociale ?

Contact

Christophe Giroguy – 06 64 30 23 74 – lamorcage@lamanufabrik.net

L’Utopie, rue des Eglantines, l’Ariane, Nice, 06300

Facebook : L’AmorçÂge Nice

 

Le corps politique de la danse hip-hop

©Thomas-Bohl, Danse des guerriers de la ville

Le corps est l’endroit où s’enchevêtrent l’intime et le politique entre l’expression des sentiments et l’incorporation des oppressions. Le « dedans » est une opération du « dehors ». Dans ces plis se logent les conditions sociales de production de la personne. S’il y a bien un espace où cette confrontation peut avoir lieu entre art et pouvoir, c’est l’espace public.

 

Entre ceux qui pratiquent l’espace et ceux qui veulent contrôler son caractère sauvage, inorganisé, improbable, ingouverné, non fonctionnalisé. Il n’y a pas de définition préétablie de l’espace public, sinon dans la manière de jouer sur le curseur entre liberté et contrôle.

Soumis au formatage de la convocation et de l’événementiel, plus les cultures urbaines, le street art  et autre art de la rue sont encensés dans le discours officiel, plus ils sont inféodés à l’idéologie consensuelle de l’« attractivité » et de la « reconquête » des territoires interstitiels ou délaissés, c’est-à-dire à la fermeture des derniers espaces de respirations de la ville, « à la grande entreprise d’uniformisation urbaine, de cadrage des usages dans l’espace public et de gentrification de quartiers populaires »[1].

Comprendre les enjeux actuels, c’est comprendre comment le corps réagit dans l’espace public. Est-il régi par lui ou au contraire ouvre-t-il un espace en se déployant à travers lui ? Cette immersion dans l’espace provoque une poussée politique d’une force esthétique dirigée de bas en haut égale au poids du volume déplacé. Ce théorème d’Archimède appliqué à tous arts publics, appelons-le poussée de « l’art à l’état vif »[2].

Une technologie du pouvoir s’est instaurée pour évacuer les indésirables, les gueux, les marginaux, les migrants, les révoltés, pour les rendre invisibles, pour les mettre hors de portée, hors société, pour exclure savamment et méthodiquement le corps de l’espace et infliger aux corps les contraintes de la servitude. L’exploitation économique commence par une coercition des corps. C’est une manipulation calculée de ses éléments, de ses gestes, de ses comportements. La discipline fabrique des corps soumis et exercés, des corps « dociles » ; elle majore les forces du corps en termes économiques d’utilité et diminue ces mêmes forces en termes politiques d’obéissance[3].

Un jeune noir ou arabe dans les rues françaises apprend très tôt à ne pas courir devant les forces de l’ordre sous peine d’injures et de poursuites, car si l’on court c’est que l’on fuit et si l’on fuit c’est que l’on est coupable. Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois sont morts d’avoir couru[4].

« Ne jamais courir, surtout la nuit, pas de mouvements brusques, pas de capuchon sur la tête, pas d’objet à la main, surtout brillant, ne jamais attendre des amis à un coin de rue, au risque d’être pris pour un dealeur, garder ses distances avec ceux qui pourraient vous juger dangereux sous peine de se mettre soi-même en danger[5] ». Ce sont des règles universelles de résistance dans tous les territoires ségrégationnistes de la planète[6].

La marche comme proto mouvement d’un état du monde traduit directement ce rapport politique. Une pensée du corps dans l’espace ouvre cette voie réflexive d’interroger son expérience en constituant le contre espace d’un labo in vivo des repliements et dépliements d’une forme corporelle et sociale.

« Pendant l’entre-deux-guerres des artistes afro-américains propose de nouvelles formes de danse cherchant à s’éloigner des claquettes des danses de revue, il commence à penser la danse comme un lieu de revendications sociales et raciales, de métissage, de mémoire culturelle et de représentation de la diaspora »[7] qui fit écho quelques années plus tard à la lutte pour les droits civiques, le mouvement Black Power et les luttes des minorités.

Tout processus d’oppression génère sa culture de résistance. Les luttes sociales se réinventent à l’aune du changement radical des rapports de production. Un acte libre et gratuit ne peut qu’interroger de par sa simple existence les conditions politiques d’émergence d’un espace public. C’est une manière de réaffirmer le caractère non-propriétaire comme espace du commun partageable. Un système à prétention totalitaire possède ses propres failles. La rue avec ses espaces insoumis et ses murs révoltés est une de ces failles spatio-temporelles. Par le fait même d’être à la fois le début et la fin d’un processus de marchandisation, elle provoque des tensions où se logent des pratiques spontanées et brutes d’hacking urbain selon les méthodes créatives de détournement et de la récupération à l’instar du graffiti[8] et du parkour[9].

La danse devient elle-même politique en dépassant l’emprise de la peur, en retournant ce par quoi la ville se refuse à la rencontre et à l’expression. Et tout d’un coup, ce corps invisible, refoulé, replié, relégué aux périphéries rythme le cœur des places. Cet acte fondamental d’appropriation de son espace vital recompose l’unicité de son parcours de vie.

La danse hip-hop est politique parce qu’elle restaure cette fonction critique dans la tension entre le proto mouvement du corps contraint et le méta mouvement des luttes d’émancipation. Elle se distingue en cela de la danse contemporaine dans sa forme instituée labellisée par le monde de l’art qui a perdu sa promesse émancipatrice, « un projet dont la faillite accompagne la fin des avant-gardes historiques et l’échec du projet révolutionnaire »[10]. Seul peut se dire contemporain celui qui ne se laisse pas aveugler par les lumières du spectacle. « Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps »[11].

Au rez-de-chaussée des villes, au plus bas des dalles et des halls, en tâtant la dureté des textures le mouvement tire sa force des matériaux disponibles, le béton prenant ici le rôle de la terre mère africaine. « En Afrique, la danse n’est pas séparée, elle fait partie intégrante du complexe vivant »[12].

Cette capacité à relier la terre battue et le bitume participe d’une médiation de la forme (l’expérience esthétique) avant une médiation de l’œuvre (l’expérience artistique). C’est ce qui a facilité la traversée des océans entre Afrique et Amérique, Amérique et Europe, Europe et Afrique. C’est ce qui a permis de transcender les cultures en dépassant la séparation entre un art de vivre et vivre l’art entre culture populaire et culture savante.

Ce n’est pas un objet d’art statufié qui prend sens dans le regard du public averti de « La » culture, mais des situations en mouvement d’un imaginaire instituant entre les hommes et le monde. Autrement dit, il ne peut avoir transformation sans relation entre forme et sens, matériaux et symboles. Sans l’irruption créatrice de cet imaginaire, la société n’existe plus dans ce qui fonde notre manière de vivre ensemble.

« En matière de création artistique, il importe essentiellement que l’imagination échappe à toute contrainte, ne se laisse sous aucun prétexte imposer de filière. Loin de notre pensée de vouloir ressusciter un soi-disant art « pur » qui d’ordinaire sert les buts plus qu’impurs de la réaction. Nous estimons que la· tâche suprême de l’art à notre époque est de participer consciemment et activement à la préparation de la révolution. L’artiste ne peut servir la lutte émancipatrice que s’il s’est pénétré subjectivement de son contenu social et individuel, que s’il en a fait passer le sens et le drame dans ses nerfs et que s’il cherche librement à donner une incarnation artistique à son monde intérieur »[13].

Mais une fois décrétée objet d’art, l’œuvre perd cette force médiatrice. Retrouver l’énergie salvatrice s’opère dans la confrontation aux matériaux. Se cogner au ciment cimente. C’est dans cette force structurante que naissent une conscience et des collectifs, un mouvement indiscipliné, sauvage qui s’invente lui-même ; c’est dans ce mouvement que s’exprime un désir irrépressible et spontané surgi de l’expérience innommable, intolérable des rapports de domination. Si les cultures urbaines sont nées du croisement entre l’art et le peuple alors elles ne peuvent exister que comme formes autonomes et subversives.

Elles perdent leur autonomie là où commence la définition de l’art et du peuple comme objet économique et sociologique. Existent-ils vraiment ? Certains disent les avoir rencontrés. Ne les croyez pas ou plutôt croyez en l’illusion de la réalité du peuple que procure l’art. « L’art est un mensonge qui dit la vérité en nous délivrant de l’illusion du réel »[14].

La folie de Charlie Chaplin disparaît lorsque le cinéma parlant devenu une industrie s’est mis à prétendre décrire le réel alors que le cinéma muet finissait en objet de curiosité et d’analyse. Sa force était ces zones d’ombre, le caractère irréel de ses personnages. Comme le déplorait Chaplin, « de nos jours on n’en sait trop sur les gens, il n’y a plus de place pour l’imagination, pour la poésie inhérente aux figures mythiques »[15]. Ces personnages n’existaient pas dans la vraie vie et pour cela pouvait dénoncer férocement les conditions de vie, jouer le facteur de chaos à l’intérieur de l’ordre établi, réussissant à créer leurs propres dynamiques auxquelles pouvaient s’associer les gens.

Alors, doutons lorsqu’on prétend décrire un peuple et un art hip-hop. Attachons-nous à une recherche qui se déjoue des représentations chosifiant le vivant pour mieux toucher la vérité d’un mouvement d’émancipation et de création, là où la danse de rue retourne l’enveloppe de la ville permettant à chaque passant pauvre ou non de projeter dans le clochard céleste l’âme révolutionnaire.

Que nous dit le danseur hip-hop ? « Puisque tu n’as rien, tu vas faire quelque chose de magnifique. L’art est au coin de la rue, il suffit d’avoir des yeux de poète »[16]. Ne croyez pas les commentaires paternalistes qui disent d’un ton condescendant qu’un chorégraphe est « issu du » hip-hop ou « issu de » la rue lorsqu’il accède au Saint Graal des scènes contemporaines. Le hip-hop serait digne d’intérêt non dans sa force éruptive, mais comme volcan éteint, esthétiquement domestiqué, policé une fois éliminé tout danger subversif.

« La danse est la danse. Un chorégraphe noir qui chorégraphie des ballets classiques sur des thèmes empruntés à l’Antiquité grecque n’est pas moi artiste qu’un chorégraphe noir dont le travail s’inspire du ghetto »[17]. « Issu de » rappelle constamment l’injonction faite aux arts considérés comme mineurs et a-historiques – puisqu’enfermés dans un passé dénué d’avenir – de s’ouvrir à l’art, le vrai, celui qui s’inscrit dans l’histoire et le récit national. Comme il est toujours rappelé aux jeunes « issus de » l’immigration trois générations après qu’ils ne seront jamais totalement français, qu’ils n’appartiendront jamais au récit collectif et doivent toujours faire la preuve de leur intégration comme manifestation de leur docilité.

Michel De Certeau appelait cela la « beauté du mort » où les arts et les cultures populaires deviennent attractifs qu’une fois éteints[18]. Chris Marker le confirme notamment à propos du pillage de l’art africain : « quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art. Cette botanique de la mort, c’est ce que nous appelons la culture »[19].

Mais l’émergence de formes brutes et singulières nous indique qu’« il se peut que, sur les ruines de la culture, une création d’art renaisse, orpheline, populaire, étrangère à tout circuit institué et à toute définition sociale, foncièrement anarchiste, intense, éphémère, dégrevée de toute idée de génie personnel, de prestige, de spécialisation, d’appartenance ou d’exclusion, de clivage entre la production et la consommation. Ce serait l’avènement d’un homme sans modèles, radicalement irrespectueux et par conséquent créateur »[20].

De l’art et du peuple lequel finalement manque le plus à l’autre ? Il est de bon ton, et plus confortable moralement, de prétendre que l’art manque au peuple. C’est ainsi que s’érige l’idéologie néo coloniale envoyant les artistes comme missionnaires civilisateurs au nom de la reconquête des territoires populaires. « On peut penser aussi que c’est le peuple qui manque à l’art, et c’est aux artistes alors de nous le rappeler, eux qui ont recours à son énergie, à sa créativité et à ses ressources, pour renouveler leur inspiration »[21].

La danse hip-hop reçoit l’injonction de s’ouvrir. « En distinguant art majeur et art mineur, la politique culturelle de l’État a contribué à maintenir les ségrégations culturelles. Elle a établi des échelles normatives de valeur fondées sur la notion vague d’« excellence », dont on peut se demander si elle relève du goût, nécessairement subjectif, ou d’un critère construit par l’esthétique et/ou l’histoire de l’art »[22].

Pourtant, loin d’enfermer l’art, le hip-hop et autre art populaire le libèrent du carcan qui le sépare de la vie. Ainsi la danse ne devient pas « art » une fois qu’elle monte sur la scène des théâtres contemporains, l’art existait dès les premières secondes de sueur jetée sur l’asphalte. Elle sera vivante tant qu’elle continuera d’introduire le corps pensant dans l’espace public.

Ce corps acrobate tel un Buster Keaton prend des risques. Parfois maltraité, parfois briser, « il est projeté avec fulgurance au travers des structures sociales, des mécaniques et des machinations de la société. C’est un corps jeté au monde, et dans le mouvement de sa projection il va précipiter, emballer le monde à l’échelle des grands espaces, de la ville entière »[23].

Dans le cercle hip-hop, dans ce jeu continuel d’appel réponse propre à toute forme populaire, le corps du spectateur est mobilisé, il est transporté, il devient lui aussi acteur de ces liaisons et déliaison sensorimotrice, il est projeté dans cette danse avec le monde.

En créant un nouveau cadre de réception, la danse hip-hop crée un environnement qui ouvre un champ de possibilités sans pouvoir présager de la forme d’apparition et de production des événements, rarement répertoriés dans les lieux dédiés à la culture qui qualifient l’œuvre en fonction des critères d’excellence artistique.

Mais comme le rappelle Jean Dubuffet « L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle ».

Échapper à la catégorisation de la forme esthétique c’est d’une autre manière revendiquer l’expérience esthétique comme faisant partie du processus artistique et l’art lui-même comme bricolage assumé. C’est comprendre avant tout l’œuvre comme un principe d’accomplissement de ce mouvement. Ce n’est pas refuser une professionnalisation, mais indiquer que les modes de création, de transmission et de diffusion peuvent emprunter des chemins braconniers et, par conséquent, sa propre façon d’organiser, de classer, de hiérarchiser ses modes de validation et de jugement, distincts de ceux du monde de l’art.

Après tout on veut bien accepter de l’art contemporain qu’il développe des œuvres comme processus d’emprunts collages, réappropriation, transformation, rupture, renversement… Alors, la prise en compte de l’aléatoire dans l’œuvre, le dialogue ou la confrontation avec les matériaux bruts, la préférence du processus intuitif à l’ingénierie de projets, l’absence d’appartenance à une école, la revalorisation par le détournement des situations déclassées ou reléguées devraient être des critères tout aussi acceptables d’une mise en œuvre artistique que celle du milieu académique ou institutionnel.

Et si l’on refuse à cet art indiscipliné une autonomie, ce n’est pas pour des critères artistiques, mais politiques couvrant d’autres raisons économiques. Le refus de considérer l’art catégorisé comme mineur, minoritaire, voire communautaire, c’est lui refuser de se constituer comme forme sociale et culturelle totale, un « Tout-Monde »[24] dans sa diversité et son universalité.

À la brutalité du monde et des hommes ­répond l’art porté à mains nues comme une arme. Le collectif de femmes du New Dance Group affirmait dans les années 30 « dance is a weapon », la danse est une arme contre les puissants, une arme pour les dominés, une ­arme pour l’émancipation des masses. « Alors on va dans les usines, dans les bureaux, dans les rues, on enseigne l’art du mouvement ­libre, de l’improvisation aux danseurs professionnels comme aux amateurs, ­enfants, ouvriers ou secrétaires »[25].

Le corps politique de la danse et autre art dans l’espace public sont une guérilla en faveur d’un libre accès à l’espace et la culture. « Il est grand temps pour nous, dans la grande tradition de la désobéissance civile, de manifester haut et fort notre opposition à la confiscation de la culture publique par les organismes privés »[26]. Il nous faut nous emparer du savoir et tous autres matériaux utiles là où ils sont, les diffuser et les partager avec le reste du monde.


Hugues Bazin, Intervention à la conférence dansée, « Danse contemporaine, questions d’Afrique », 18 mars 2017, Morsang-sur-Orge (91) sous les auspices des Rencontres Essonne Danse et du centre de développement chorégraphique La Briqueterie (Val-de-Marne)


[1] Anne Gonon, « La ville a-t-elle définitivement dompté ses artistes urbains ? », in revue Nectart No 1, 2015.

[2] Richard Shusterman, L’art à l’état vif, La pensée pragmatiste et l’esthétique populaire, Ed de Minuit, 1992, Col Le sens commun.

[3] Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975

[4] À l’origine des émeutes de 2005

[5] Garnette Cadogan, « Être Noir dans la ville », Le Monde du 19/01/2017

[6] Sur l’humiliation et l’incorporation du pouvoir par le corps : Hugues Bazin, « Police des banlieues, contremaître du néo capitalisme », recherche-action.fr, 2017

[7] Claire Rousier, « Avant-propos » in Danses noires, blanche Amérique, Centre National de la Danse, 2008, p.5.

[8] Hugues Bazin,  « L’art d’intervenir dans l’espace public » in Territoires No 457, Adels, 2005, p.10-12

[9] Hugues Bazin, « Les arpenteurs ouvreurs d’espaces », revue Arpentages, 2013

[10] Thierry de Duve, « Fonction critique de l’art ? Examen d’une question », in C. Bouchindhomme et R. Rochlitz (dir.), L’Art sans compas. Redéfinitions de l’esthétique, Paris, Le Cerf, 1992

[11] Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris, Rivages, 2008

[12] Ric Estrada, « Three leading negro artists and how they feel about dance in the community » in Dance Magazine, vol 42, no11, 1968, p.60.

[13] André Breton, Diego Rivera, Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant, Mexico 25 juillet 1938

[14] Pablo Picasso, Cité par Florent Fels dans « Propos d’artistes », Bulletin de la vie artistique, juin 1923.

[15] Simon Backès, Chaplin/Keaton, le clochard milliardaire et le funambule déchu, 52’, MK2 TV, 2015

[16]  Bodan Litnianski, cité in Olivier Olivier Thiebaut, Bonjour aux promeneurs ! Sur les chemins de l’art brut, Editions Alternatives, Paris, 1996.

[17] Julinda Lewis William, « Black dance : adiverse unité », Dance Scope, vol14, no2, 1980, p.58

[18] Michel de Certeau, « La beauté du mort » in La culture au pluriel, Paris, Christian Bourgeois, 1974, (Points Essais), 1993.

[19] Chris Makher , Commentaires, Paris, Seuil, 1961

[20] Michel Thévoz, L’Art Brut [1975], Genève, Albert Skira, 1995.

[21] Jean Olivier Majastre, L’art, le corps, le désir. Cheminement anthropologique, Paris l’Harmattan 2008

[22] Jean Caune, « Culture administrée ? Art instrumentalisé ! », Revue Nectart No 4, 2017

[23]  Simon Backès, Chaplin/Keaton, le clochard milliardaire et le funambule déchu, 52’, MK2 TV, 2015

[24] Hugues Bazin « Art du bricolage, bricoleurs d’art » in Les cahiers d’Artes « L’art à l’épreuve du social », Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, pp 95-113.

[25] Victoria Phillips Geduld, Dance is a weapon : le New Dance Group, 1932-1955, Centre National de la Danse, 2008.

[26] Aaron Swartz, Manifeste pour une guérilla en faveur du libre accès, Juillet 2008, Eremo, Italie

Pour une Éducation Populaire Engagée (Arras)

Nous proposons cette rencontre, essentiellement, suite à trois constats que nous sommes un certain nombre à partager :

  • Les actrices et acteurs se revendiquant de l’Éducation Populaire ne souhaitent pas toutes et tous transformer la société ;
  • Pour peser, il faut œuvrer collectivement ;
  • Il y a urgence à regrouper celles et ceux qui s’engagent et qui souhaitent s’engager en ce sens.

Nous ne nous pensons ni précurseurs, ni plus légitimes que d’autres. Modestement, nous nous sommes dit, au regard de la situation, qu’il fallait agir collectivement sans attendre.

Le système actuel, fruit de la pensée dominante, légitime le pouvoir et le profit pour une minorité, accroît les inégalités et la précarité, confisque la parole et la démocratie. Il s’appuie sur la peur, la division, le consentement et le découragement. Isolés, nous risquons l’étouffement.

Pourtant nous sommes nombreuses et nombreux à refuser cette société mortifère de marchandisation, de concurrence, de rejet de l’autre et d’autoritarisme. Ensemble revendiquons d’être utopistes, de faire de la politique, de faire le choix de l’émancipation, de la coopération, de la solidarité, du bien commun, de l’implication de toutes et tous. Affirmons et renforçons notre capacité à participer à changer cette société. Faisons mentir Warren Buffett et consorts. Leur classe n’a pas définitivement gagné.
Mobilisés, nous serons plus forts pour agir et peser globalement et localement.

Pour nous donner de l’air, pour échanger et partager, pour décider des modes d’organisation et de coordination, des outils et des ac¬tions qui nous permettront de repartir plus forts…

Des envies, des volontés et des expériences existent, retrouvons-noclus pour agir et peser, avec :

  • Nos espoirs, nos envies, nos rêves.
  • Nos questions, nos doutes, nos propositions.
  • Nos amis, nos complices et nos alliés.

Invitation aux militantes et militants de collectifs et organisations associatives et coopératives, à toutes celles et ceux qui veulent se mobiliser. Cette convergence sera celle des femmes et des hommes qui s’y engageront.

Culture et Liberté organise une seconde édition des Rencontre(s) d’Arras « Pour une Education Populaire Engagée »

Les 19 et 20 novembre 2016 Pour œuvrer en commun ! Faire front !

Maison St Vaast – 103, rue d’Amiens – 62000 Arras

contact : rencontresarras2016@culture-et-liberte.asso.fr – Tél. 06 21 16 91 73

SAMEDI 19 NOVEMBRE
11h-14h : Accueil des participants
12h30 : Déjeuner en commun
14h15 : Introduction
14h30 : Mettons en commun : nos questions, nos attentes, nos espoirs, nos craintes
16h30 : Ça veut dire quoi, faire front ? – conférence populaire
18h30 : Apéro convivial
19h : Dîner en commun
20h30 : Élaborons collectivement les ateliers du lendemain

DIMANCHE 20 NOVEMBRE
9h : Concrétisons : ateliers décidés la veille et ceux proposés par des participant-e-s en amont
12h : Apéro convivial
12h30 : Déjeuner en commun
14h : Fin des travaux

Ciné Débat « Cultures populaires ou espaces populaires pour la culture ? » (Paris)

Mercredi 12 octobre à l’atelier Varan 6 impasse MontLouis – 75011 Paris

quartiers-en-cultures

  • 19h15, projection en avant-première du film Quartiers en Cultures, réalisé par Wilfried Jude (www.quartiersencultures.com)
  • 20h00, d’un débat sur  Cultures populaires ou espaces populaires pour la culture ? Les centres sociaux comme tiers-lieux culturels en présence d’Hugues Bazin, sociologue
  • 21h00 Cocktail

Inscription Obligatoire

Contact : David BILZIC – 01 44 64 74 69/01 44 64 81 57 – Fédération des centres sociaux et socioculturels de Paris

 

Trajectoires politiques du XXIe siècle, Démocratie, Citoyenneté, Participation (Dunkerque-59)

A une époque où la politique n’a plus bonne presse, où la défiance a pris le pas sur la confiance et où le divorce entre la société et la classe politique est consommé, il est urgent de dégager des pistes de Capturerenouvellement des expériences démocratiques au sein de nos territoires.
Démocratie, citoyenneté, participation… ces termes ne sont plus que les étendards malheureux d’un monde en bout de course. Pour s’en convaincre : le nombre de personnes à déserter les bureaux de vote, à partager le sentiment de ne plus être écoutés et à estimer ne plus rien avoir à attendre de la politique.
Cependant, ce défaut de démocratie masque mal les alternatives, les mobilisations et les résistances citoyennes qui foisonnent un peu partout dans les territoires (zones à défendre, habitats coopératifs, comités des indignés, etc.). Ces quelques conférences seront l’occasion de dessiner ensemble les conditions et les contours d’une révolution à venir dont il faudra bien un jour se décider à prendre la mesure…

1.     De quoi la démocratie est-elle le nom ? (20 février 2016 – 14h 30)

Alors que certains ont tendance à se replier sur eux-mêmes, d’autres explorent les chemins d’une démocratie plus directe où le peuple (au sens fort du terme) serait au cœur de l’exercice du pouvoir. Eléments d’éclaircissements à l’occasion de cette première conférence.
Avec Ali KEBIR, philosophe, doctorant à l’université de Rennes 1, auteur de « Sortir de la démocratie » (l’Harmattan, 2015).

2.    Vous avez dit éducation populaire ? (19 mars 2016 – 14h 30)

Qu’on se le dise, la révolution démocratique ne tombera pas du ciel … Et sans doute est-il utile pour cela de renouer avec une éducation populaire digne de ce nom visant à la transformation sociale et à l’émancipation collective. Tour et détour de l’histoire de l’éducation populaire en France et ailleurs.
Avec Hugues BAZIN, chercheur indépendant en sciences sociales, coordinateur du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action et Joackim REBECCA, sociologue et ancien membre de la SCOP d’Education populaire Le Pavé.

3.    Pourquoi faire participer les habitants ? (23 avril 2016 – 14h 30)

Les démarches de « mise en mouvement » des citoyens se sont hissées depuis quelques années au centre de toutes les actions publiques territoriales (débats publics, conseils citoyens, budgets participatifs). Aussi utiles qu’elles puissent apparaître, elles permettent aussi souvent de contourner la question du partage de pouvoir de délibération et de décision entre les décideurs et la société civile.
Avec Patrick NORYNBERG, cadre territorial, enseignant formateur et essayiste.et Guillaume FABUREL, géographe, professeur à l’Université Lumière Lyon II.

4.    Changer la ville pour changer la vie ? (21 mai 2016 – 14h 30)

Dix ans après les émeutes urbaines, la banlieue reste un sujet à risque pour les politiques. Les fractures raciales, sociales et territoriales ne cessent de se creuser sans que les rénovations urbaines successives ne parviennent à les résorber. La forme de la ville change, certes, mais la pauvreté des populations demeure tout comme le sentiment d’abandon et de stigmatisation dont elles font l’objet.
Avec Hacène BELMESSOUS, chercheur indépendant et essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur les questions urbaines dont récemment « Le Grand Paris du séparatisme social » (Post Editions, 2015).

5.    Trajectoires révolutionnaires (18 juin 2016 – 14h 30)

Squatteurs, zadistes, grévistes, hackeurs… expérimentent aujourd’hui à la marge des institutions de nouvelles constructions sociales plus humaines, solidaires et collectives. Comment interpréter le foisonnement de ces révolutions sinon comme le signe d’imaginaires politiques nouveaux en ces temps de crises où nous en aurions grandement besoin. Rencontre avec celles et ceux qui ont fait de l’engagement politique un principe de vie.
Avec le Collectif Mauvaise Troupe, auteurs de « Constellations : trajectoires révolutionnaires du jeune XXIe siècle » (L’Eclat, 2014).

Organisation

Learning center de la Halle aux sucres est un équipement de la Communauté Urbaine de Dunkerque et qui s’inscrit dans le réseau régional des Learning Centers du Nord-Pas de Calais. Il est le point central du projet de création d’un pôle de ressources et d’expertises entièrement dédié à l’écologie des villes et des territoires urbanisés. Organisé autour d’espaces de muséographie, d’un centre de ressources et d’une programmation scientifique et culturelle,

Coordination scientifique
Richard Pereira de Moura
03.28.29.40.97
richard.pereira@cud.fr

Lieu

Halle aux sucreshallesauxsucres
9003, Route du quai Freycinet 3
59140 Dunkerque
Entrée et activités gratuites (dans la limite des places disponibles)
Renseignements au 03.28.64.60.49
http://halleauxsucres.fr/