Actualité

« Ma carte de pensée, une autre géographie sociale » – par Hugues Bazin

Pour cette première « feuille de chou », Hugues Bazin nous propose ses réflexions sur les mots et notions que nous avons évoqués lors du premier Atelier Biffin. Grâce à un logiciel de « mindmapping », il a établi de premières connexions entre les différentes notions qui nous permettront de visualiser le processus de pensée du travail de groupe.

Une carte de pensée est un peu une carte de l’imaginaire, c’est dire ce qui relie des mots dans notre tête, c’est aussi ce qui nous projette dans l’espace et transforme la réalité. Au lieu de partir de schémas préconçus, ce que nous imposent les formes instituées sur la manière de concevoir par exemple l’usage de l’espace urbain, de ce qui fait la ville, la rue marchande, la ville, l’économie, etc. Cet imaginaire là est bien pauvre ! À l’opposé de la logique technicienne prétendons qu’il existe d’autres formes efficaces pour agir. Attachons-nous à ce qui relie les mots dans nos têtes et dans l’espace concret et ainsi comment se définit une nouvelle géographie à la fois mentale et sociale qui nous permettrait d’envisager, concrétiser, transformer une autre réalité. La relation à l’objet chez les récupérateurs vendeurs est symptomatique de cette construction de l’espace : comment on le récupère, comment on le manipule, comment il sert d’objet de transactions entre le vendeur et l’acheteur comment il est disposé sur l’étal, comment l’étal décrit l’univers mental et social du biffin et participe à la construction de l’espace marchand. Cet objet prend vie, il relie d’autres éléments, c’est en cela qu’il fait écosystème : éléments économiques de la transaction, éléments sociaux de la sociabilité du marché, éléments culturels dans la nostalgie du pays et des marchés populaires de ce micro-monde qui constituent un Tout-Monde et se réunit ainsi dans les rues de Paris.

On expérimente à travers la carte de pensée l’idée que plus on est mobile dans l’espace, plus on est mobile dans notre tête et réciproquement plus on est mobile dans notre tête plus on est mobile dans l’espace, que l’on ne peut pas être acteur émancipé, libéré sans être acteur chercheur qui ne dissocie pas l’agencement des mots et l’agencement de notre expérience quotidienne. C’est par les mots que se formule notre expérience, et c’est par notre expérience que s’incarnent les mots.

C’est sans doute parce que les biffins ont un imaginaire fort qu’ils peuvent résister à des conditions de vie considérée par ailleurs comme inacceptable notamment à travers l’appareil répressif qui les pourchasse continuellement dans l’espace. Pourchasser dans l’espace c’est justement empêcher de penser autrement l’espace, c’est réduire l’imaginaire en considérant le marché aux biffins comme un marché aux voleurs. Inversement, développer l’imaginaire c’est trouver les outils à travers les mots pour répondre aux besoins de construire un espace autonome généré est géré par les principaux intéressés. Organiser les mots, c’est donc concrètement organiser l’espace de notre autonomie. Au-delà de décrire un imaginaire, la carte de pensée constitue alors les éléments de reconnaissance de validation des compétences collectives.

 

Feuilles de chou, retours sur les ateliers

A l’issue des différents Ateliers Biffins, les participants sont encouragés à rédiger ce que nous avons baptisé des « feuilles de chou ».

Le rôle de la feuille de chou est de servir de bulletin de liaison d’une expérience collective, c’est à dire des réflexions ou des impressions sur ce que nous sommes aussi en train de vivre à travers ces ateliers. Il est en effet important en termes de recherche-action de décrire le processus. Ce ne sont pas des compte-rendus ou des synthèses. Il s’agit de trouver une écriture libre.

Ces feuilles de chou permettront :

  • de décrire notre position, le fait que nous vivons ces Ateliers Biffins comme une expérience collective et non comme observateurs extérieurs.
  • de se mettre dans une posture réflexive, plutôt que d’attendre que les éléments de réponse viennent de l’extérieur, d’essayer de trouver des éléments de réponse dans sa propre recherche.

Action-recherche : Quelle place et quels outils pour les architectes aujourd’hui face à la question des migrations ?

Dans le cadre du Bendo Festival Rencontre sur « l’habiter et l’itinérance au XXIème siècle » aux Grands Voisins (Paris 14e), « Projet d’intervention curieuse » sur la proposition de  Simon Cobigo « Sharing Bubble » (projet d’architecture gonflable pour créer du lien social et interagir avec des populations marginalisées) avec l’association La Basse-Cour (organisatrice du Bendo Festival), et l’ensemble des acteurs du site des Grands Voisins,  les habitants du site (réfugiés, anciens sans-abris, associations diverses, artistes, etc.) et les visiteurs et festivaliers.

Grands Voisins, 82 avenue Denfert Rochereau 75014 Paris

Samedi 06 mai, 17h00

Table-ronde, discussion libre sur « Action-recherche : Quelle place et quels outils pour les architectes aujourd’hui face à la question des migrations ? » avec Hugues Bazin (LISRA) et Sébastien Thiérry (PEROU)

Présentation :

Quoi ?

Déployer une structure gonflable au cœur du site, qui sera pensée comme un lieu de rencontre, de partage et de dialogue. Produire un espace/temps pédagogique. Faire place et être un lieu-carrefour, qui questionne le site d’accueil. Créer le temps de deux journées, un espace d’échange critique sur le modèle proposé aux Grands Voisins. Présentation de la démarche du projet « Sharing Bubble », dont l’intervention prévue lors du Bendo Festival est une des étapes.

Quand ?

Les Samedi et Dimanche 06 et 07 mai 2017

Où ?

Chez les Grands Voisins, dans l’ancien hôpital Saint Vincent de Paul, 82 Avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris.

Comment ?

De manière légale, grâce à l’invitation de l’association La Basse-Cour. Cette intervention se veut être l’occasion de présenter ma démarche de projet tout en accueillant différents acteurs sociaux/politiques et autres, qui viendront présenter leurs différents travaux avec un angle d’approche commun, celui de « l’habiter et de l’itinérance », thématique d’ensemble du festival. La structure gonflable sera ici le réceptacle d’un cycle de 3 conférences, 1 table-ronde ouverte et une exposition/présentation du projet « Sharing Bubble ».

Pourquoi ?

Pour développer une démarche architecturale expérimentale et active qui se développe dans le cadre de l’action-recherche. Penser et faire, dans un même lieu, dans un même temps. J’envisage ce projet comme une démarche de rencontre, d’écoute, de transmission et de partage.

Programme complet

  • Samedi 06 mai, 14h30 : Conférence « Construire nos propres mondes, à propos de l’autonomie zapatiste » présentée par Jérôme Bachet
  • Samedi 06 mai, 17h00 : Table-ronde. Discussion libre sur « l’habiter et l’itinérance au XXIème siècle » + Table-ronde sur le thème de l’action-recherche : Quelle place et quels outils pour les architectes aujourd’hui face à la question des migrations ? // Avec Hugues Bazin et Sébastien Thiérry (PEROU)
  • Dimanche 07 mai, 14h30 : Présentation débat sur « Habiter au Kurdistan : Lutter contre la répression et construire l’autonomie » avec 4 intervenants-modérateurs.
  • Dimanche 07 mai, 17h00 : Conférence « Les Fabriques de la Commune » présentée par Josep Rafanel li Ora
  • Exposition de photographies : – Rose Lecat / Julien André-Mégoz

Médiation de la forme et de l’œuvre entre éducation populaire et action culturelle (Metz)

Conférence-débat dans le cadre des rencontres de la médiations
du Lorraine Réseau Art contemporain (LoRA)

vendredi 19 mai 2017 9h30
à la Maison de la Culture et des Loisirs, 36 rue Saint-Marcel-57000 Metz

MATINÉE

Réservation conseillée (contact@lora.fr/ 06 43 83 65 50)

9h30 – 10h : Accueil

10h – 11h : Introduction et conférence Pierre Waerckerlé – Directeur de la MCL

11h – 12h : Conférence et débat

Hugues Bazin – chercheur indépendant en sciences sociales, fondateur du Laboratoire d’In­novation Sociale par la Recherche-Action, chercheur associé à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord

« Tiers espace dans la médiation de la forme et de l’œuvre entre éducation populaire et action culturelle. Quel est le rapport entre culture et art dans une démarche d’émancipation et de transfor­mation ? Quels sont les espaces où s’articulent action culturelle et éducation populaire ? »

Performance au Palais de Tokyo du chorégraphe Hervé Sika

L’action culturelle rejoint l’éducation populaire dans son projet d’émancipation de la personne et de transfor­mation sociale par l’expérience esthétique et sensible. Si nous définissons la culture par la capacité de consti­tuer une ressource, une transmission et une symbolisation, alors ce « travail de la culture » ne se résume pas dans la relation à l’objet d’art.

L’art ne perd-il pas sa fonction médiatrice quand justement le processus de création est résumé à un objet évalué selon des critères d’excellence ? Qu’en est-il alors de la socialisation de l’art quand le champ artistique et le champ socioculturel se sont professionnalisés et institutionnalisés au risque de se couper des populations et des enjeux de société ? Cela renvoie au débat entre démocratisation culturelle, démocratie culturelle et droit culturel.

Quels sont les espaces où s’expérimente autrement cette relation entre art, culture et société, entre médiation de la forme (l’expérience esthétique) et médiation de l’œuvre (l’expérience artistique).

Nous sommes intéressés à des bricoleurs artistes et un art du bricolage qui privilégient ce caractère proces­suel de la création dans des espaces du commun où se croise une diversité. Il s’agit notamment des dispositifs d’ateliers, en résidence dans des quartiers populaires, dans une manière de se confronter aux matériaux ou encore dans des formes d’intervention dans l’espace public redistribuant les rôles entre artistes et publics.

APRÈS-MIDI / Réservée aux professionels de la médiation et concernés

14h – 18h : Ateliers

  • Formation : Le 33e Lieu. Outil de médiation transversal LoRA
  • Information : Réseau national des Professionels de la médiation
  • Préparation Rencontres de la médiation
  • Education Nationale : Partenariats et parcours DAAC

LoRA – Lorraine Réseau Art contemporain

14, avenue Foch, 57000 Metz
+33 (0)6 43 83 65 50
Retrouvez le réseau
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Liberté de penser, penser la liberté pour la créativité des territoires (Poitiers)

Table ronde au parc des expositions de Poitiers, 24 Mai 2017 à 14 h 30
Parc des expositions, 11 Rue Salvador Allende, 86000 Poitiers

Dans le cadre de la Foire-Exposition de Poitiers qui aura lieu du 20 au 28 mai 2017, l’Espace Mendès France organise une table-ronde Créativité et Territoires. Elle traitera le thème de la liberté de penser, quelles sont les conditions nécessaires à l’exercice indispensable de cette liberté de nos jours ?

Elle mobilisera différents intervenants philosophiques sur le thème de la liberté, et, ayant des pratiques de « vulgarisation philosophique » dans des espaces novateurs : Rando-Philo, Philo à l’école, Philo dans l’entreprise, Ciné-Philo, Philosophe en résidence, Rock and roll-Philo, origine antique de la philo…

Pour vous inscrire, remplissez le formulaire.

Cette table ronde sera animée par Pierre Pérot, sociologue urbaniste et conseiller scientifique à l’Espace Mendès France.

Avec l’intervention de :

Pour tous renseignements :
Jacky Denieul, conseiller Créativité et territoires
Espace Mendès France – Poitiers, CCSTI Nouvelle-Aquitaine
1 pl. de la Cathédrale – CS80964 – 86038 Poitiers
http://creativite-et-territoires.org
https://www.facebook.com/creativiteterritoires

Tel : 05 49 11 96 81 – fax 05 49 41 38 56 – Port : 06 81 54 62 24 – jacky.denieul@emf.ccsti.eu

Atelier recherche-action avec les récupérateurs-vendeurs

Nous avons le plaisir de vous convier au prochain atelier public avec les récupérateurs-vendeurs et les membres du collectif « Rues Marchandes »

dans le cadre du programme de recherche-action « La biffe comme écodéveloppement en milieu urbain »

Le jeudi 4 mai 2017 de 14h à 17h – salle 414

Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord – 20 avenue George Sand – 93210 La Plaine Saint-Denis – M° 12 Front populaire

À l’ordre du jour :

Introduction : retour sur la démarche et le fonctionnement collectif

Point des chantiers en cours

– Les ateliers Guide culturel
– La cartographie
– L’étude d’impact

Point sur les chantiers à venir

– Le forum/débat de novembre prochain
– L’événement MSH « Art et récup’ »
– Autres propositions et projets …

Pour le collectif Rues marchandes, Hugues Bazin et Mélanie Duclos

Rencontre-débat sur « le rapport au travail qui nous travaille » (Paris)

Rencontre-débat sur « le rapport au travail qui nous travaille »
dans le cadre des échanges du Centre de Ressources Interprofessionnel (CRI)*

Jeudi 4 mai 18h30
dans les locaux de Culture et Liberté, 5 Rue Saint-Vincent de Paul, 75010 Paris – M° Gare du Nord

Autour de l’expérience d’un atelier de recherche-action
« A quoi sert le cycle travail ? » conduit dans le Limousin.

Cet espace original par les situations abordées, la diversité des acteurs concernées, la démarche collective suscitée, la méthodologie employée. Un espace d’autoformation où l’on met en résonance, en débat, nos vécus du travail et nos recherches. C’est un temps où l’on s’alimente, où l’on s’outille pour mieux comprendre ce qu’il se joue dans nos entreprises, nos associations, nos collectivités, nos communautés… Tout l’enjeu est de créer un espace hors du temps de travail pour mieux le transformer. Provoquer une rencontre entre des milieux qui ont un rapport au travail différent (travailleurs, chômeurs, retraités…) et de les faire interagir, dans un autre lieu que celui de l’entreprise.

En présence de Nicolas Guerrier et Hugues Bazin, co-fondateurs du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action

Supports web en relation : http://autographie.org/cycletravail/https://recherche-action.fr/parcours-bruts/https://recherche-action.fr/labo-social/

* Le CRI se veut être un outil dans le champ du travail qui associe militants syndicaux, de l’éducation populaire, de la recherche et de la culture ; un outil au service de la solidarité, de la coopération, de l’entraide, de l’émancipation, de pratiques alternatives, de la mutualisation par et pour l’action collective. Le CRI est un projet utopiste et pragmatique dans la lignée des Bourses du Travail, celles d’hier, pas pour vivre dans le passé mais pour agir aujourd’hui et dans l’avenir.

Information / inscription : Gilles SERT <Gilles.Sert@cultureetliberte.org> – 01.84.83.05.76

Au(x) travers des élections

Quelques jours avant le scrutin du 23 avril 2017, nous avons ouvert un temps d’échange au sujet des élections présidentielles, en compagnie de résidents de Foyers Jeunes Travailleurs et de volontaires en service civique. Ce n’était ni un sondage, ni du prosélytisme républicain, mais plutôt une situation d’écoute des positionnements des uns et des autres vis à vis du fait électoral et de son contexte, comme une manière de mieux voir le monde qui se reflète dans l’expérience sensible que chacun en a. Comme un outil pour percevoir ce qu’il y a de vital et de vivant dans ces parcours et qui passe à travers le temps des élections, à travers les échéances cycliques imposées. Enfin, comme une façon de comprendre comment se construisent des postures politiques et pourquoi elles font mentir les représentations que l’on se fait de la jeunesse.

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Vos impressions sur les élections à venir ?

Benoit : La campagne est confuse. On se retrouve toujours avec la même chose, c’est à dire des promesses, et on ne sait pas s’ils vont les tenir.

Sarah : Jusqu’à présent Hollande a pas fait mieux, peut-être pas pire non plus. Mais on attend toujours quelque chose, qui n’est pas prêt d’arriver.

Thibault : je ne suis pas du tout pour le principe des élections, mais j’ai fini par regarder les meetings. Notamment de Mélenchon à Toulouse. Il m’a intéressé car il ne joue pas le même jeu, y’a de l’humour, il ne lit pas un texte par cœur.

Sarah : lui il a une expression différente, il va vers le public.

Thibault : on est vite pris rapidement par ce que Mélenchon dit, c’est plus intéressant à regarder puis il explique tout.

Benoit : Au quotidien, on n’a pas d’échange sur la politique, c’est pas essentiel à notre vie.

Garance : nous on en parle tout le temps, notamment en famille, c’est tout le temps depuis que je suis toute petite, ça occasionne beaucoup de dispute. Mais aujourd’hui les engueulades ont cessé, car tout le monde est d’accord, sur le fait que cette élection ne serve à rien, qu’on ne se retrouve plus dans le discours de nos dirigeants, et ça fait trop longtemps que les promesses ne sont pas tenues. De Gaulle, Mitterrand, ils ont déçu mes parents, mes grands parents, les gens n’en peuvent plus. La politique se transforme en politique-people. On parle de la crise sans cesse mais il ne se passe rien pour en sortir.

Thibault : parler de la crise, c’est pour attirer les votes.

Benoit : quand ils font les débats à 11, on oublie les propos des premiers qui ont parlé, ca sert à rien, y’a trop de monde.

Thibault : soit c’est la révolution, soit c’est la guerre mondiale. C’est coincé de partout. Si on met notre espoir dans une personne en particulier sur cette élection, je pense à Mélenchon, c’est la dernière chance. S’il ne le fait pas, c’est la dernière fois. Ça fait des années que ca traîne ces promesses non tenues et on n’en peut plus. Il n’y aura pas de seconde chance.

Garance : mais oui, ces élections ne vont rien changer, y’aura 3 semaines bien et 5 ans nuls de promesses pas tenues. Si la révolution devait avoir lieu, ce serait déjà fait. Les candidats actuels ne sont pas nouveaux, il n’y a rien de révolutionnaire dans leurs idées, et les gens ne sont pas prêts, il y a un confort dans notre société actuelle qu’on ne veut pas remettre en question.

Thibault : la révolution je l’espère.

Garance : oui un réveil.

Thibault : que tous ceux qui sont en haut, tombent. Ça leur ferait ouvrir les yeux sur la réalité du monde de vivre comme les autres. Se faire marcher dessus, depuis tout en bas, comme nous, sans confort, sans job, c’est d’ici que l’on peut prendre de vraies décisions, quand on vit ça. Eux, ils sont déconnectés.

Victor : une personne aussi riche que Trump, je me demande si elle a été vraiment élue démocratiquement. La démocratie c’est le peuple qui vote. Lui il a acheté ses votes, c’est un des plus grands de la planète.

Thibault : la démocratie n’existe pas, c’est qu’un mot.

Victor : à l’époque on avait les rois, aujourd’hui on a les politiciens.

Thibault : la coupe du monde a permis de faire passer la loi travail en douce.

Il faudrait qu’ils nous écoutent vraiment, qu’on n’ait pas besoin d’aller dans la rue pour être entendus, mais on nous écoute pas, notre avis ne compte pas, ils sont tous dans leurs amphis conforts, y’en a 5 qui votent les lois qui nous concernent et tous les autres qui dorment. Il faut écouter la réalité de toutes les catégories sociales. Ils se défendent eux, et pas les gens dans la globalité.

Certains y croient, ça fait du bien d’y croire. J’aimerais bien y croire, en être sûr et que tout se passe bien…

Il faudrait que chaque catégorie sociale aient ses représentants. Et ces représentants devraient gouverner ensemble.

Océane : je pense que c’est des élections très compliquées, même les plus âgées que moi qui ont de l’expérience me disent ne pas savoir qui voter. Mon grand père pense qu’il n’y a que des guignols dans ces élections. Il a un sacré recul, et il ne sait pas pour qui voter. Même ma prof d’histoire géo, qui a un grand sens critique, elle me dit qu’elle est larguée.

Le premier tour me fait peur.

Le second tour je voterai contre Le Pen pour l’éliminer, mais pas par conviction pour son opposant.

Mais le premier tour je sais pas.

Novi : Je viens du Bangladesh, j’ai envie de rester en France, donc je vais voter dès que j’en aurai le droit.

Louise : ça m’intéresse d’entendre les autres, car je m’y suis vraiment intéressée et je trouve que c’est une connerie cette loi du plus fort. La nature humaine veut toujours avoir du pouvoir et c’est dans notre éducation. Les promesses qu’ils font, leurs partis, y’a rien derrière, on attend des choses depuis des années, c’est très décevant.

Y’a tellement de problèmes actuels, dont on ne se préoccupe pas autrement que dans des discours. On s’attarde sur des gouvernements et des élections, alors qu’il y a des gens qui meurent de faim.

L’environnement c’est fatal, on vit ici, il faut s’en occuper, oui c’est politique, mais c’est pas traité par les politiques. On fait encore la guerre à l’heure actuelle. Il y a des tonnes de billets qui circulent. Des pays restent pauvres alors qu’il n’y a jamais eu autant d’argent, il n’y a aucune égalité. Liberté fraternité égalité, c’est de la connerie.

Garance : on a oublié ce que veut dire politique, dans l’antiquité, c’est le bien de la cité. Mais on vit en guerre mondialisée, il y a une mondialisation commerciale, on s’habille avec des vêtements asiatiques, mais cette mondialisation n’est pas politique, on a mondialisé les guerres et les marchandises, et c’est tout. On n’a pas mondialisé la politique, on n’est pas dans le « bien » du monde, la politique s’est pas étendue en même temps que le commerce. On n’a peu d’intérêt pour le bien commun.

Thibault : c’est les médias qui nous rendent comme ça, c’est la télé. On regarde des super héros, mais on ne regarde pas Arte. C’est un média oui, mais sans embrigadement, ils ont un intérêt pour la vie, il n’y a pas de pub. Arte c’est une réalité filmée.

Garance : ce concept de réalité il est compliqué… L’argent la corruption la richesse le malheur la détresse, c’est aussi la réalité. Le monde des candidats, même éloigné de nous, c’est aussi la réalité. On ne peut pas séparer la réalité, il faut faire des ponts avec les mondes entre eux. Même les politiques corrompus font partis de notre réalité. On dit qu’ils sont dans une bulle, mais on est dans la même bulle, avec des positions différentes.

Louise : y’a 11 candidats mais c’est pas eux qui décident, c’est aussi les gens qui dorment dans l’assemblée. Ils veulent continuer dans leur lignée et dans leur intérêt, et nous, gentil peuple mouton dans notre société de consommation, on doit suivre.

Il y a énormément de problèmes, mais on nous dit qu’il n’y a pas de solution et pas d’argent. Les manifestations ne sont pas écoutées, le peuple souffle, les politiques profitent, et attendent que les plus révoltés se calment.

Sarah : est-ce que tu penses qu’un être humain, peut être aussi bien dans ses baskets avec tout ça, la crise, la pauvreté, même si c’est un politique ? Il doit culpabiliser, et peut être qu’on ne comprend pas que les politiques ont peu de pouvoir.

Louise: pour moi l’être humain peut être tellement vicieux et manipulateur. Si on avait voulu, on aurait changé les choses, c’est évident. Hollande a pas fait grand chose, et le voilà revenir en Corrèze pour s’acheter une villa et profiter de sa fortune. C’est pourri.

Thibault : on y pense tous à agir, au delà de ces élections, mais on se lance pas, car on n’a peur d’être seul, se lancer pour un monde meilleur. Il faudrait donc se diriger soi même sans diriger les autres. Connaître nos limites et s’arrêter là où commencent celles des autres. J’ai peur de commencer car j’ai peur de me retourner et d’être seul.

On croit tous en la beauté du monde, la vie elle est comme ça aussi, on est dans une belle fourmilière… Mais c’est pas évident d’agir pour ça si on est seul, et on sent bien que les élections risquent de ne pas changer grand chose

Louise : J’ai une amie qui revient d’un voyage et qui m’a parlé des gens en Colombie ou au Pérou, quand ils habitent en haut de leur montagne, assez isolé de leurs systèmes politiques et des grandes villes, ils n’ont pas de chef, pas de vote et vivent très bien. Pas de loi du plus fort, ils règlent les problèmes autrement. C’est plus petit, plus facile peut-être, nous on est dans un conditionnement depuis des siècles. On va voter mais désabusés, on est maintenus dans une sécurité, un cadrage, les élections sont confortables, toujours les mêmes démarches, toujours les mêmes choses.

Thibault : si tout le monde fait du local, ça va se propager.

Les lois c’est quand même bien qu’elles soient là, mais elles ne doivent pas nuire aux gens.

Puis les politiciens hors la loi ont des thunes et de supers avocats, ils s’en sortent toujours et il n’y a pas de justice, ceux qui ont les moyens, s’en sortent toujours mieux.

Mais il n’y a pas que des mauvaises choses dans l’Etat, on se concentre surtout sur ce qui ne va pas.

Ils devraient tous être au pouvoir sans y être.

Garance : on oublie souvent que les politiques sont des êtres humains qui discutent, vivent, parlent entre eux. Il y a pleins de débats, parfois sereins, plus calmes que ce que les médias disent. On se fixe sur l’idée qu’ils sont géants, mais c’est des hommes et des femmes.

Vous en êtes où par rapport au travail ?

Thibault : Par rapport au chômage, c’est pas facile de trouver du travail. C’est vachement basé sur l’apparence physique, l’habillement.

Benoit : les gens me côtoient pas à cause de ce que je suis, ce que j’écoute comme musique, ma manière de fonctionner. Au travail et surtout au niveau personnel, on me trouve anti-conformiste et le fait que je ne sois pas comme les autres ça les dérange.

Louise : mon copain il fait peur, il donne pas envie de l’embaucher. Il vient en entretien d’embauche avec une crête et des rangers… Mais dans son boulot ça s’est très bien passé et c’est difficile d’aller au delà de l’apparence pour trouver du taf. Mais c’est possible, en se pliant à certaines règles pour entrer dans ce milieu, mais une fois qu’on a notre boulot, tu t’en fous, tu fais ce que tu veux.

Garance : sur le travail ce qui m’inquiète, en rapport à la politique, c’est les suppressions de poste des enseignants. En sciences de l’éduc, je risque de me taper 5 ans d’études pour rien, même en étant bonne élève. Je risque de me retrouver avec un concours à passer et pas de poste ensuite. Car ils risquent de ne plus engager. Notre avenir dépend entièrement de ce que l’Etat décide de faire. Ça me fait flipper, car comme les autres, je n’ai pas confiance en l’Etat. Et on me traitera de feignante car j’ai fait des études et je vais être au chômage. Alors que mon avenir ne dépend que des décisions des hommes politiques.

Benoit : les retraités ne sont pas remplacés, ça pose un problème par rapport à la jeunesse pour trouver du travail, c’est juste impossible du coup.

Garance : j’essaye de trouver des portes de sortie pour gérer ce passage, j’ai fait des saisons dès 18 ans. J’entre dans un master, pas parce que ca me plait mais parce que c’est là où il y a le plus de débouchés. Je gère comme ça, ça oblige à être stratège.

Benoit : j’essaye de ne pas trop y penser pour l’instant.

Votre perception de ce temps d’échange ?

Océane : j’avais pour optique d’y voir plus clair dans ce brouhaha, me forger une conscience, donc c’est bien d’échanger.

Benoit : ca fait du bien de discuter même si on est pas d’accord.

Garance : J’aime bien le calme qu’il y a eu. Pas de dispute.

Victor : c’est la première fois que je fais une réunion comme ça, j’avais peur que ce soit la guerre dans les débats, ça permet d’ouvrir les yeux, c’est intéressant.

Thibault : je savais pas trop ce que ça allait donner, j’en parle jamais, j’ai pas envie d’en parler car ça me fait péter des câbles, et finalement c’était super intéressant, on a pu discuter calmement.

Sarah : même point de vue, c’est intéressant, on n’en parle pas souvent et surtout pas des gens qu’on ne connaît pas vraiment. C’est chouette.

Louise : c’est très sympa ça fait du bien de rencontrer des gens de son âge, en Corrèze on rencontre pas grand monde. J’en entends parler dans mon taf de la politique, mais ici il y a un vrai partage, sans point de vue trop rigide. Je suis arrivée en Corrèze il y a peu donc c’est compliqué ici de rencontrer des gens.

Novi : J’aime pas la politique.

Atelier Deuxième Vie des Objets – jeudi 4 mai EHESS-Paris

 

 

Nous avons le plaisir de vous inviter à la prochaine séance de l’Atelier « Deuxième Vie des Objets » intitulée « Lieux et territoires des déchets » qui se déroulera le jeudi 4 mai 2017, à l’EHESS-Paris, de 9h30 à 12h30.

Nous écouterons les interventions de :

Efrén SANDOVAL HERNANDEZ (Professeur, Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social – Mexique), « Les lieux, les réseaux et les processus dans la production de « pacas » de fripe à la frontière entre les États Unis et le Mexique »

Adeline PIERRAT (docteur en géographie, chercheure associée Prodig), « Territoires de la valorisation des déchets : enjeux et dynamiques dans trois villes d’Afrique »

Le séminaire est en accès libre.

Nous vous y attendons nombreuses et nombreux.

Plus d’information sur le programme 2016-2017 sur le site de l’Atelier : http://dvo.hypotheses.org/

contact : dvo.seminaire1@gmail.com

Le comité d’organisation : Fanny RASSAT (doctorante LADYSS, Université Diderot Paris VII), Jeanne Guien (doctorante CETCOPRA, Université Paris I Panthéon-Sorbonne), Élisabeth Anstett (Chargée de recherche CNRS, IRIS), Nathalie Ortar (Chargée de recherche MEEM, LAET).

Expo photo – Récupérateurs de déchets à Casablanca et Istanbul : une économie populaire

Une exposition de photographies réalisées par Pascal Garret du 2 au 31 mai 2017

Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord

Cette exposition présente des portraits photographiques de récupérateurs de déchets des villes de Casablanca (Maroc) et Istanbul (Turquie), travail ayant été réalisé en parallèle avec les travaux de la géographe Bénédicte FLORIN (Université de Tours).

 

Le “dernier échelon de l’échelle du travail“ ?

À cause de leurs activités liées aux déchets et à cause des caractéristiques de leurs espaces de vie, les communautés de récupérateurs de déchets sont aujourd’hui clairement exclues de la ville et de la société. Quand ils travaillent, ils sont souvent les victimes de violences de la part des autorités locales et parfois même d’autres habitants. Leurs espaces de vie et de travail, bidonvilles et autres quartiers informels, sont régulièrement démolis ou menacés par le développement immobilier ou par de grands projets de rénovation urbaine. Pire, les réformes de gestion des déchets actuellement mises en œuvre par les pouvoirs publics les excluent : la modernisation ne peut pas et ne veut pas prendre en compte ces “pauvres“, “sales“ et “archaïques“ récupérateurs de déchets.

Pourtant, ces récupérateurs font un travail plus qu’utile, évitant le rejet direct de grandes quantités de déchets tout en offrant à ces objets et matériaux une nouvelle vie. En outre, leur activité ne coûte rien à la société car ils sont auto-financés, contrairement aux multinationales qui sont largement subventionnées pour évacuer et enfouir les déchets sans vraie valorisation de ces derniers.

L’idée de ce travail photographique est de présenter des portraits de ces personnes dont le métier est de récupérer les déchets, avec la préoccupation de montrer qu’elles sont complètement membres d’une société dans laquelle elles devraient avoir aujourd’hui une place et un rôle essentiels, en particulier dans un contexte où les questions environnementales sont plus que jamais à l’ordre du jour : Qui est vraiment propre, qui est vraiment sale ?

Architecte et sociologue de formation, Pascal Garret pratique à titre indépendant la photographie dans le cadre de recherches en sciences sociales. Il consacre une partie de ses travaux à la question des « récupérateurs de déchets ».

Travail artistique pour quelle écologie des mobilités ? (Charleroi)

Séminaire Watch This Space 9 « ICI OÙ LÀ ? Ressources, usages et espaces de l’auteur

mardi 25 avril 2017, Plate-forme culturelle « Le Vecteur », Rue de Marcinelle 30, 6000 Charleroi, Belgique

Aujourd’hui, la mobilité permanente semble s’imposer. Entre local et global, comment l’artiste se positionne-t-il? Quel sont ses territoires d’investigations et d’opérations ?

Dans le cadre de la 9e édition du programme Watch This Space, 50° nord – Réseau transfrontalier d’art contemporain et ses membres invitent théoriciens des sciences humaines et sociales (philosophes, sociologues, historiens, etc.), artistes, étudiants en art, critiques et commissaires, à s’interroger sur les formes actuelles de pratiques et de développement du secteur des arts visuels. Car si la situation spatiale de l’artiste est bien sûr une donnée d’ordre géographique, elle a également un impact à la fois économique, sociologique et politique.  Entre mobilité et proximité, dans un monde aux réalités mixtes, l’artiste opère entre territoires tangibles et matières poétiques.

Inscriptions 50° nord : + 33(0)6.89.27.38.44 – contact@50degresnord.net

Programme

9H30 – 10H > accueil

10H – 10H15 > temps d’introduction et présentation du déroulé de la journée

Romain Voisin, coordinateur – Le Vecteur, Charleroi
Nathalie Poisson-Cogez, professeur d’enseignement artistique et coordinatrice recherche et professionnalisation à l’ESA du Nord-Pas de Calais Dunkerque-Tourcoing / membre du bureau de 50° nord

10H15 – 12H30 > débat d’idées / barcamp

modération
Anaïs Perrin, chargée de développement – CRP/
Centre Régional de Photographie, Douchy-les-Mines

Le laboratoire des hypothèses
performance/projection, en présence de Fabrice Gallis

Hugues Bazin, Travail artistique pour quelle écologie des mobilités ?

Les artistes sont de plus en plus convoqués (instrumentalisés ?) dans les programmes d’aménagement du territoire. La mobilité est un marqueur dans la façon d’envisager, pratiquer et transformer la ville.
Entre la marchabilité de proximité et les hubs de l’hypermobilité, cette conception néolibérale de la ville n’est pas obligatoirement celle des populations des territoires délaissés ou relégués qui s’inscrivent dans la mobilité des contre-espaces moins « douce », rapide et linéaire.
En ouvrant un imaginaire et en légitimant certaines pratiques d’espaces le travail artistique participe de cette géoconstruction de la réalité qui n’est pas sans impacte dans l’institutionnalisation de la société.

Pratique et stratégie ninjas
par Ann Guillaume, artiste-auteur

Frontières, mobilité et production technologique de l’espace
par Jean Cristofol, philosophe, ESA Aix, PRISM (AMU-CNRS), antiAtlas des frontières

12H30 – 13H45 > déjeuner et inscription aux ateliers

14H – 16H > ateliers répartis dans 3 salles

1- Quels dispositifs et outils pour la mobilité ?
invités : Marie Le Sourd, secrétaire générale – On The Move | Cultural
Mobility Information Network et
Tiny Domingos, artiste / directeur de rosalux.com / cofondateur du
Netzwerk Projektraueme Berlin
modération : Lissa Kinnaer, chargée des relations internationales pour les arts visuels au
Kunstenpunt / Flanders Arts Institute

2- La figure du sédentaire nomade : impacts du numérique dans nos usages aujourd’hui
invitée : Marie Lelouche, artiste-auteur
modération : Philippe Franck, directeur de Transcultures, Charleroi

3- Circulation : comment la mobilité génère-t-elle d’autres modes de pensée ?
invité : Armin Zoghi, artiste-auteur
modération : Nathalie Poisson-Cogez, professeur d’enseignement artistique et coordinatrice recherche et professionnalisation à l’ESA du Nord-Pas de Calais Dunkerque-Tourcoing / membre du bureau de 50° nord

16H – 16H30 > Temps de restitution – grande salle

16H30 – 16H45 > Conclusion et ouverture par Virginie Gautier, auteure et doctorante en recherche & création en littérature contemporaine

Soirée
Vernissage de l’exposition curatée par Richard Neyroud

Nightwood
avec
Gareth Cadwallader, Doris Lasch, Emma van der Put, Robin Vote.

L’exposition Nightwood expérimente une coexistence des œuvres des artistes avec un personnage du roman Le bois de la nuit de Djuna Barnes, auteure américaine mythique (1892-1982). Une histoire d’amour passionnelle rencontre le travail des artistes sur le terrain de la fiction et, ensemble, ils opèrent inexorablement un glissement du jour vers la nuit.

« – Avez-vous jamais pensé à la nuit ? demanda le docteur avec une pointe d’ironie.
Il était extrêmement désappointé, ayant attendu quelqu’un d’autre, bien que son thème favori et sur lequel il discourait chaque fois qu’il en avait l’occasion fût la nuit.
– Oui, dit Nora en s’asseyant sur l’unique chaise. J’y ai pensé, mais ça ne sert à rien de penser à une chose dont on ne sait rien. »
Extrait du roman de Djuna Barnes, Le bois de la nuit (1936).

Exposition visible du mercredi 26 avril au samedi 13 mai 2017
Ouverture le mercredi, vendredi et samedi de 13h à 17h – Entrée libre
Galerie V2 – Vecteur – 31 rue de Marcinelle à Charleroi

 

Le hip-hop comme pensée politique de la culture (38)

 

 

 

 

 

 

 

Dans le cade du cycle « Les Rencontre Sociétales » de la médiathèque Paul Elouard de Fontaine

Conférence d’Hugues  Bazin sur le hip-hop comme pensée politique de la culture

jeudi 27 avril 18h30, Médiathèque Paul Eluard
31 Avenue du Vercors, 38600 Fontaine

RENSEIGNEMENTS
Mairie de Fontaine
Service culturel. 04 76 28 75 44
Mail : service.culturel@ville-fontaine.fr &
médiathèque Paul Elouard  04 76 26 31 35

 

Siamo tutti stranieri

PLATEAU, TERRE D’ACCUEIL

« Siamo tutti stranieri »
nous sommes tous des étrangers

 « L’HISTOIRE AU COURS DES DERNIÈRES ANNÉES, NOUS ENSEIGNE QUE LA FERMETURE D’UNE ROUTE MIGRATOIRE NE RÉDUIT POINT LA MIGRATION, MAIS OUVRE DE NOUVELLES ROUTES QUI COMPORTENT UN BILAN HUMAIN ENCORE PLUS LOURD. LA CRIMINALISATION DES MIGRANTS DANS LES PAYS DE TRANSIT AUGMENTE AU CONTRAIRE LE NOMBRE DE VICTIMES, DE PERSONNES REFOULÉES DANS LE DÉSERT, DANS LES PAYS D’ORIGINE, OBLIGÉES D’EMPRUNTER DES ROUTES DE PLUS EN PLUS IMPRATICABLES. »
(ARCIASSOCIATION ITALIENNE QUI TRAVAILLE ENTRE AUTRES SUR LE DROIT DES RÉFUGIÉS.)

« Nous sommes les innombrables, redoublés à chaque case d’échiquier,
Nous pavons de squelettes votre mer pour marcher dessus.
Vous ne pouvez nous compter, une fois comptés nous augmentons, fils de l’horizon, qui nous déverse à seaux.
Nous sommes venus pieds nus, sans semelles, et n’avons senti ni épines, ni pierres, ni queues de scorpions.
Aucune police ne peut nous opprimer plus que nous n’avons déjà été blessés.
Nous serons vos serviteurs, les enfants que vous ne faites pas, nos vies seront vos livres d’aventures.
Nous apportons Homère et Dante, l’aveugle et le pèlerin, l’odeur que vous avez perdue, l’égalité que vous avez soumise. »
(Erri de Luca, Aller simple)

À travers les médias nationaux, les médias indépendants, les récits de camarades voyageurs, nous avons suivi les révolutions arabes, le soulèvement en Syrie, la dictature au Soudan, le massacre des Kurdes en Turquie… Toutes ces guerres et l’exil forcé de millions de personnes qu’elles engendrent.
Depuis notre plateau, impuissants, nous assistions à l’arrivée de tous ces gens bloqués aux portes de l’Europe, à ces milliers de naufragés morts en mer dans l’espoir de rejoindre nos terres et à toutes les horreurs perpétrées par les réseaux de trafics de migrants. Nous regardions se dresser les murs avec leurs hotspots à quelques kilomètres de chez nous pour contrôler les flux migratoires.
Plus de 200 000 personnes sont arrivées par la mer en 2016, dont plus de 5 000 y sont restées, mortes, englouties par les fonds marins. Ne sachant pas nager pour la plupart, sans gilet de sauvetage, entassés comme des bêtes sur des embarcations pourries. Comment pouvoir agir sur cette tragédie, semblable à tant d’autres depuis des siècles ? Se sentir tétanisé de ne pouvoir lier le quotidien avec la réalité des mouvements engendrés par les guerres et les politiques migratoires.
En 2015, l’arrivée d’exilés en France avec le premier démantèlement de la  jungle de Calais poussa le gouvernement à créer de nouveaux CADA (centres d’accueil de demandeurs d’asile) ; des CAO (centres d’accueil et d’orientation) et d’autres centres d’hébergements. Pour combler la dite « crise migratoire », le gouvernement lança un appel à des communes de France pour l’ouverture de ces nouvelles structures d’accueil.
De quelle « crise migratoire » parlons-nous ?
Le nombre de migrants désirant rejoindre la France depuis 2010 est ridicule par rapport aux milliers d’Italiens et d’Espagnols venus trouver refuge en France pendant la seconde guerre mondiale, ridicule par rapport aux Européens ayant quitté leur pays pendant la première guerre mondiale, ridicule par rapport à la population mondiale. Les personnes migrantes ne représentent en 2016 que 0,004 % de la population française, pourcentage invisible à l’œil nu sur un diagramme.

C’est quoi, vos origines ?
« Est-ce que vous avez des origines ? » demande un enfant de 8 ans d’une école primaire d’un quartier dit « difficile » de Nantes, lors d’une rencontre avec un groupe de musique. « On dirait que vous êtes Italiens. » Il lui avait été demandé de poser des questions sur le groupe, la musique, mais il lui semblait bien plus important de savoir l’origine des inconnus qu’il avait en face de lui. Tous les jours, la société lui rappelle, à cet enfant, qu’il a des origines, qu’il vient d’ailleurs.
Tout le monde a des origines, des traces des peuples déplacés, des mélanges de populations.
Les migrations sont aussi anciennes que l’humanité.
Les flux migratoires, le déplacement de populations, la circulation de pays en pays fait partie de l’histoire de notre planète, de la richesse de ses peuples et de ses cultures.
Les migrations écologiques, économiques, politiques, professionnelles, affectives, de survie dues à des persécutions, des guerres, des famines…
Des flux incessants depuis la nuit des temps
Les rapports étroits entre la France et le Maroc depuis le début du XIXe siècle transforme la langue française orale. Des mots et des expressions souvent déformés font partie du vocabulaire argotique et viennent de la langue arabe : toubib (médecin), kawa (café), klebs (chiens)…
Mélange des langues
Mélange des musiques, des chants, des goûts et des coutumes.
Les guerriers « huns» à la chute de l’Empire romain amenèrent la recette des choux fermentés en Europe. Ils sont devenus les fameux choux utilisés pour la choucroute labellisée « alsacienne » !
Les frontières
Dans les années 1990, les frontières de l’Europe s’ouvrent, deviennent des no man’s land, des bâtiments vides, des aires de covoiturage, des parkings. L’espace Schengen fonctionne comme un espace unique en matière de voyages internationaux et de contrôles frontaliers, sans contrôle des frontières internes.
Nous, Européens, pouvons circuler, partir pour un temps, revenir, aller dans de nombreux pays du monde.
Cependant, depuis les années 2000, l’Europe se braque, les frontières de l’espace Schengen reprennent leurs fonctions, deviennent infranchissables, encerclant l’Europe. L’Europe avec ses murs, ses barbelés, ses chiens et ses gardes-frontières, ses milices privées.
Les pays européens s’allient pour mieux contrôler les flux, ficher les populations, rapatrier les indésirables.
En 2004, l’Europe s’arme : elle crée Frontex, l’agence européenne pour la Gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne. Frontex a des moyens militaires colossaux pour lutter contre l’arrivée des migrants en Europe (des armes, des  bateaux, des hélicoptères, des lunettes infrarouge, des détecteurs de battement de cœur….).
Frontex contrôle les murs aux frontières, surveille les mers, organise les charters de rapatriement, trie les migrants à l’arrivée des bateaux, prend de force les empreintes digitales, avec gégène si besoin, s’occupe du démantèlement de Calais. Frontex laisse des milliers de réfugiés se noyer en mer, faisant le choix de ne pas les secourir. Frontex reçoit de l’Europe plus de 120 millions d’euros en 2016.

Des personnes fichées anarcho-autonomes se voient refuser leur visa pour les États-Unis au moment de l’investiture de Trump. Aucune raison ne leur sera donnée.
Est-ce juste pour le temps de la cérémonie ou pour toute la durée de la candidature de Trump ?
Trump refuse l’accès aux États-Unis à six pays musulmans. Nouveau décret pour maintenir hors des frontières les  « terroristes islamistes radicaux ».
Si la circulation était libre comme l’indique la Convention universelle des Droits de l’homme, les déplacements seraient fluides, les gens iraient, viendraient.

« ARTICLE 13
1. TOUTE PERSONNE A LE DROIT DE CIRCULER LIBREMENT ET DE CHOISIR SA RÉSIDENCE À L’INTÉRIEUR D’UN ÉTAT.
2. TOUTE PERSONNE A LE DROIT DE QUITTER TOUT PAYS, Y COMPRIS LE SIEN, ET DE REVENIR DANS SON PAYS. »

Il n’y a pas plus de crise migratoire que d’invasion. Mais bien un besoin de contrôler, de réprimer, de dominer.

Un centre d’accueil à  Peyrelevade, un jeu d’échecs dans un univers carcéral

Deux CADA ouvrirent leurs portes, un à Eymoutiers en 2014 et un à Peyrelevade en 2015. À Peyrelevade, 80 personnes vivent en permanence tassées dans l’ancienne maison de retraite du village. L’odeur, les tapisseries, le lino, tout dans ce lieu rappelle son ancienne affectation et donne un goût âpre aux perspectives de ses nouveaux résidents. Dans des chambres à peine grandes comme des cellules, les demandeurs d’asile se succèdent. Après un an, deux ans ou trois ans de calvaire administratif, 70% des demandeurs d’asile voient leurs demandes refusées et sont forcés de quitter le dispositif CADA. Ils se retrouvent à la rue, sans rien, ni revenu ni  droit au travail. Dès leur chambre libérée, celle-ci sera remplie par de nouveaux arrivants. Venus des quatre coins du monde, Guinée, Nigeria, Bosnie, Algérie, Afghanistan, Kosovo, Russie, Djibouti, Congo, Éthiopie, Soudan, Érythrée… des hommes seuls, des femmes seules, des enfants, des familles, défilent dans ces centres en attendant leur destin.
Suivre les directives européennes d’accueil des migrants, les quotas d’acceptation, telle est la devise des travailleurs sociaux en gérance de la plupart des structures d’accueil de migrants.
Ils jugent les résidents dès leur arrivée, ils jugent leur entourage, leur fréquentation, et surtout leur récit, leur histoire, seule chose qui leur appartient encore.

Notre mémoire se troue là où elle ne veut se souvenir.
Notre mémoire se forme, se transforme, devient notre réalité.
Notre réalité est faite de souvenirs, de cassures, de traumatismes…
Notre réalité est notre histoire.
Notre histoire est en mouvement, elle ne peut se figer.
Notre histoire n’est pas la même que celle de notre frère ou que celle de notre mère.
Le trauma fait oublier.
Une femme, enceinte suite à un viol, raconte à un médecin lors de son arrivée en Europe, après des mois de voyage, n’avoir jamais eu de rapport sexuel, être persuadée d’être vierge.
Notre mémoire laisse place à la survie.
Elle se troue, elle se bouche, elle se floute.
Il reste du flou, ou juste des odeurs, des couleurs, des mots, des lieux ou des visages dont on ne sait le nom.
Ces questions, cette mémoire, le récit de leur vie, pour les demandeurs d’asile, se fige le temps de la procédure.
Leur vie devient un récit froid, qui ne peut changer, comme si leur passé appartenait aux autorités.
Et les flash-back, et les oublis ?
Non, plus rien n’est possible.
Un récit écrit est un récit fini.
Ce récit est leur seule défense.
Défense face à la prose de l’OFPRA (office fédéral de Protection des réfugiés apatrides).
Une prose qui ressemble étrangement à la prose policière.
Prose bien loin de la réalité, fantasmant des relations inexistantes, réécrivant la vie des gens à leur sauce, en y mettant déjà un a priori, ou des fascinations qui sont celles de policiers ou d’autres fonctionnaires de l’État.
Une prose qui cherche le mensonge. Qui doute, qui enquête pour chercher la faille dans la vie des gens jusqu’à en faire douter les interrogés sur leur propre nom, ou sur la date de naissance de leur mère.
« Il y a une erreur dans votre nom. »
Je n’ai pas de papiers, on me les a volés pendant la traversée. Je ne peux prouver mon identité.
« Vous êtes enregistré mais sous un autre nom. »
Je ne porte pas seulement le nom de mes parents comme chez vous.
Mon nom comprend toute une histoire, celle d’un arbre généalogique.
J’ai le nom de tous ceux qui me composent, de mes ancêtres.
Je ne peux pas avoir qu’un seul nom mais trois ou quatre.
Avoir un seul nom serait arracher une partie de moi-même, de mes ancêtres.
« Écorché, tu te nommeras écorché. »
Tu te nommeras avec deux S et un H ou tu ne te nommeras pas car tu ne peux le prouver.
Et en plus vous n’avez pas d’empreintes.
« Vous êtes non identifiable. »
Être sans histoire, être sans papiers, sans nom, sans date de naissance.
Que reste-t-il ?
L’achat de récits tout faits, vendus par les trafiquants de vie, les voleurs d’humanité, les brûleurs d’empreintes. Avoir l’asile est un parcours du combattant. Dans le combat tout est possible, vendre son histoire, vendre son nom, perdre son identité.
Mon histoire, est-elle assez vraie, est-elle assez triste, est-elle assez horrible ?
Ai-je bien raconté, ai-je bien insisté sur les points cruciaux ?
Toute cette pression persiste tout le long de leur démarche.
Toute rencontre dans ce contexte est donc compliquée.
Comment peuvent-ils transmettre leur histoire, l’histoire de leur pays, en s’échappant de cette spirale infernale qui est leur « récit », le « récit » de leur vie, celui qu’ils ont raconté à l’administration française.
Apprendre à raconter.
Apprendre à se rencontrer.

Nous et le Plateau

Nous avions été accueillis les bras ouverts par Jean Plazanet il y a dix ans, nous avons été bercés depuis notre arrivée par l’histoire de la résistance et par la fameuse expression : « Plateau, terre d’accueil ». Pourtant l’accueil des réfugiés depuis l’ouverture des CADA, ne fut pas une évidence. Peur de l’inconnu, peur du vol du travail, peur de l’invasion. Nos régions ne proposent plus de travail depuis bien longtemps. L’économie vivote, les maisons se vident et les classes se ferment par manque d’effectifs. L’arrivée des « néo » il y a une dizaine d’années a redonné vie à cette région désertée mais sa population reste encore très faible.


La peur est le mot d’ordre des sociétés capitalistes. Neutraliser les citoyens par la peur. Mettre en état de choc, à travers les médias, des populations entières, par des faits divers (viols collectifs, agressions, vols..) soi-disant commis par des migrants. Mettre en état de choc afin de faire passer des lois sécuritaires qui vont au-delà du contrôle des migrants. Certains Parisiens à la retraite, certains dits « de souche »  et habitant la Montagne limousine depuis plusieurs générations, des socialistes, des jeunes, des vieux… Beaucoup, matraqués par les médias, tremblent dans leurs chaumières.
Mais qu’est-ce que vous leur proposez, quel avenir pour eux, qu’est ce qu’ils vont faire ici sur le Plateau?
Se reposer, prendre un temps pour attendre, rencontrer des gens sur qui compter, à qui parler, des amis, l’amour, ou rien peut- être, ou seulement un peu de chaleur dans le froid du Plateau.
C’est à croire qu’ils en oublient leur passé, qu’ils en oublient l’histoire, l’histoire de notre monde. D’où venons-nous ? Ne sommes-nous pas tous de partout et d’ailleurs, d’ici et de nulle part ? SIAMO TUTTI STRANIERI
Pourquoi avoir si peur que nos villages désertés reprennent vie?

À notre arrivée, nous avions rencontré de vieux Espagnols. Ils nous ont conté leur vie, pas celle d’ici, celle de l’Espagne. Comme si leur vie avait pris fin une fois la frontière passée. On sentait entre nous une proximité, celle de se sentir étranger à ce monde, celle de vouloir se battre et dont la lutte est la vie.
Les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Kurdes, les esclaves des fermes, les enfants réunionnais, les néo et maintenant les milliers de personnes fuyant les guerres provoquées par les grandes puissances occidentales.
Nous traversons des territoires, nous apprenons à les aimer, à connaître leur rudesse et leur beauté, à rencontrer leurs habitants. Nous nous retrouvons ensemble, ici, pour tenter quelque chose, pour reprendre nos vies en main, parce que nous pensons qu’ensemble c’est plus facile que tout seul. Pour se battre contre les inégalités, pour être libres d’agir sur l’éducation de nos enfants, sur notre corps, sur notre santé, pour savoir ce qu’on mange, savoir produire, se réapproprier les moyens de subsistance, les moyens de construire nos maisons, et trouver la force de lutter contre ceux qui nous oppriment et qui veulent faire de ce monde un cimetière géant.

 «Les gouvernements ont choisi le camp de la mort, nous sommes du côté de la vie. Migrants,  bienvenue! » manifestation contre l’expulsion de la jungle de Calais en décembre 2016 à Tulle.

Ne pas perdre notre histoire, rencontrer celle des autres, lutter au jour le jour.
« Terre d’accueil » ne fait pas consensus sur notre territoire.
Un tag fraîchement peint qui disait « Accueil des migrants » a été modifié en « A. C  des migrants » (assez des migrants) puis en « virons les migrants » puis en « un migrant = 1 balle ». Ces slogans nous font froid dans le dos et nous rappellent une époque pas très lointaine.
Froid dans le dos, comme ce slogan scandé dans une manifestation de policiers en grève à Paris : « toute la racaille en prison ! ».
La montée du fascisme dans nos campagnes profondes s’accélère. Le fascisme, seule chose à laquelle les perdus de notre terre peuvent se rattacher dans ce chaos général.
Nous voulions creuser dans le passé de notre territoire, comprendre comment on en était arrivé là et comment avaient été réellement accueillis ces Italiens, Espagnols, Portugais, Kurdes, turcs, Réunionnais, néos… qui peuplent les terres du Limousin depuis des décennies.
Nous voulions en savoir plus…

Un peu d’histoire des migrations en Limousin 

Les italiens tailleurs de pierres
« Fano Delprato  a fui le fascisme pour venir faire un travail de bagnard dans le Limousin. Il n’est jamais retourné en Italie. Un jour, son fils Joël a réussi à décider son père de faire le voyage ensemble : les voilà partis en voiture. À l’approche de la frontière, il sent son père se crisper ; puis ça y est, ils sont en Italie. Moins de cinquante kilomètres après, Fano dit à son fils : « S’il te plaît, fais demi-tour… «  Joël a bien senti que ce n’était pas la peine d’insister, impossible de retourner là-bas. Ils sont revenus à Pontarion ; ils n’ont plus jamais reparlé de l’Italie. »

Dans les années 1920, le plateau de Millevaches accueille des Italiens par milliers fuyant pour la plupart le fascisme. Ceux-ci travaillent dans la taille de pierre, dans des conditions extrêmes. Ils ont bâti des maisons, des églises, des ponts et des trottoirs. Beaucoup de trottoirs. Ils ont taillé, beaucoup.
Taillé dans les blocs de granit immenses qu’ils pétaient à la dynamite.
Ces trottoirs qui nous paraissent si anodins, où les chiens déversent leurs excréments, sur lesquels on marche à longueur de journée…
Les « Macaronis » , voilà le surnom que ceux qui ne voulaient pas d’eux utilisaient pour les nommer !

Là où ils ont travaillé toute leur vie, là où ils ont grandi, là où ils sont morts, là où ils ont fait des enfants, là où ils habitent, ils sont toujours restés considérés comme des étrangers.

Les maquisards espagnols
À partir de 1936, des milliers d’Espagnols fuient le franquisme et atterrissent en France. Des camps de travail voient le jour un peu partout. Parqués comme des bêtes et surveillés par le régime de Vichy. Tout particulièrement ceux fichés « anarchistes » ou « communistes ».

Beaucoup d’Espagnols seront déportés et livrés aux Allemands par le régime de Vichy. Ils mourront, pour la plupart, dans les camps d’extermination allemands. D’autres seront renvoyés de force dans l’Espagne fasciste qu’ils avaient fui. Pour les Espagnols ayant réussit à fuir la déportation, nous retrouverons leur trace dans les maquis du Limousin, aux côtés des maquisards français participant à la Libération. Retrouvant enfin leur place et leurs marques, enseignant l’art de la guérilla aux maquisards français.

Nous étions en temps de guerre.

En état de guerre, nous le sommes encore, les containers de calais encerclés par des barbelés et surveillés par des gardes-mobiles, toutes les expulsions massives, l’entassement dans des camps aux frontières, les centres fermés, les viols, violences et assassinats perpétrés par la police.

Le 18 mars 2016, la Turquie et l’Union européenne ont convenu d’un plan global pour réduire la migration vers l’Europe. Le but de cet accord est de réduire le franchissement irrégulier des frontières, de renvoyer les migrants en situation irrégulière de force dans leur pays d’origine, de créer des camps dans les pays en guerre (Syrie…) et d’aider les dictateurs des pays d’où proviennent les réfugiés à contrôler leurs opposants.

« Coopérer pour mieux expulser »
Les migrants provenant de pays dictatoriaux ayant des accords avec l’Europe voient leur demande d’asile refusée, car ils sont considérés comme des migrants économiques et non politiques. Conséquence directe de cette stratégie européenne, des dictatures telles que l’Érythrée, le Soudan ou la Gambie utilisent le rôle de partenaire que l’Union européenne leur a attribué dans la lutte contre l’immigration, pour se réhabiliter face à l’opinion publique internationale, en tentant de faire passer au second plan les crimes qu’elles ont commis.

« CONCRÈTEMENT, L’UE VISE, EN PARTICULIER LE GOUVERNEMENT ITALIEN, À ESSAYER DE TRANSFÉRER NOS FRONTIÈRES EN AFRIQUE, OU MÊME DIRECTEMENT DANS LES PAYS D’ORIGINE, EN BLOQUANT DÈS LE DÉPART LES MIGRANTS « ÉCONOMIQUES » ET LES DEMANDEURS D’ASILE, C’EST-À-DIRE LES PERSONNES QUI FUIENT LA GUERRE ET LES PERSÉCUTIONS. DANS CE CAS, LES RELATIONS AVEC DES DICTATURES SONT ÉGALEMENT NORMALISÉES. L’UE EST MÊME PRÊTE À DIALOGUER AVEC LE DICTATEUR ÉRYTHRÉEN ISAIAS AFEWERKI, AU POUVOIR DEPUIS 1993 DANS UN PAYS D’OÙ PROVIENT UN DES GROUPES DE PERSONNES LE PLUS NOMBREUX À LA RECHERCHE DE PROTECTION, À CAUSE JUSTEMENT DU MANQUE TOTAL DU MOINDRE SEMBLANT DE DÉMOCRATIE ET DE RESPECT DES DROITS DE L’HOMME ; TOUT CELA MALGRÉ LES LOURDES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE ONUSIENNE SUR LES CRIMES COMMIS EN ÉRYTHRÉE. » (ARCI)

C’est également l’esprit du processus de Khartoum, signé le 28 novembre 2014 entre l’Union européenne et une vingtaine de pays africains, du Soudan à la Libye. L’Europe finance des formations de surveillance, renforce les contrôles aux frontières, établit des camps, vise à interrompre les flux de transit. Les services de renseignements des pays africains dictatoriaux travaillent de pair avec les polices européennes pour repérer, dans les camps, les gens fichés, les opposants.
Beaucoup étaient à Calais, sans procédure de demande d’asile, ils ne sont pas enregistrés en France, ils sont renvoyés de force sans laisser de trace.
Un fonctionnement qui nous rappelle des moments douloureux de l’histoire des dictatures d’Amérique latine, « l’opération condor ».
Dans les années 1970, les services secrets du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay et avec le soutien des États-Unis, travaillent ensemble pour poursuivre et assassiner des dissidents politiques. Ces services iront jusqu’en Europe et aux États-Unis.

Les pupilles de La Réunion : les enfants de la Creuse, une migration forcée
Danyel Waro – Banm Kalou Banm – YouTube

« Chicaud, ala in nafèr pou ou. Astèr fèrm out bous, tak ali pou touzour. »


En 1965, les élèves d’une école rurale de Lozère.

« J’ai souvenir d’un temps où le soleil irradiait nos moindres mouvements, où les éclats de rires accrochaient les étoiles dans nos regards d’enfants où l’innocence était encore un trésor dans nos cœurs ardents. J’ai souvenir d’un temps qui fut comme un rêve et comme un avant. » (Un enfant devenu pupille de l’État)

« Historien de l’enfance orpheline, j’ai rarement été confronté à tant de souffrancesDans les archives, on trouve des cas d’enfants de 12 ans qui font des tentatives de suicide, qui sont internés, tombent en dépression. On trouve des lettres désespérées qui supplient l’administration de rapatrier leurs auteurs à la Réunion.»

« Ce qui se passe en outre-mer dans les années 1960-1980 rend visible une nouvelle configuration de la société française que l’on peut  appeler « post-coloniale ». La Ve République réorganise, dans le contexte de la guerre d’Algérie, son espace post-colonial et, quelques années après l’indépendance de l’Algérie, introduit de nouveaux réaménagements dans les domaines économiques, politiques, sociaux et culturels dans les outre-mer…une nouvelle carte du territoire apparaît, distinguant ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas. » (Françoise Vergès, Le ventre des femmes)

À l’origine de cette affaire d’enfants déportés, il y a Michel Debré, alors député gaulliste de La Réunion et ministre de la Guerre. Confronté à la crise de l’île, marquée par la grande pauvreté et le chômage, Michel Debré préconise la ponction d’une partie de la jeunesse réunionnaise qu’il fait venir en métropole, surtout dans les zones rurales (Creuse, Lozère, Gers, Lot, etc.).
Michel Debré et son gouvernement gaulliste luttent contre le communisme et continuent sur les traces de la guerre d’Algérie, de mettre en place la contre-insurrection.
Ayant peur que cette jeunesse pauvre et livrée à elle-même ne se soulève, ils veulent contrer l’emprise du communisme sur cette population démunie.
«C’est dans la misère que naît le communisme. » (Michel Debré)
Entre 1963 et 1981, 1 615 enfants ont été transférés de la DDASS de La Réunion au foyer de Guéret en Creuse puis dispatchés dans toute la France.
Michel Debré donne des directives et engage une campagne de publicité pour persuader les familles.
« L’Eldorado c’est la France. »
Pour être transférés, les enfants, sélectionnés dans les orphelinats ou les quartiers les plus pauvres de l’île, doivent être immatriculés comme «pupille d’État», c’est-à-dire que leurs parents –lorsqu’ils existent– doivent renoncer à tout droit sur eux. Ces enfants appartiennent à l’État français qui pourra faire d’eux ce qu’il veut.
Des centaines de parents illettrés signent des procès-verbaux d’abandon qu’ils ne peuvent pas déchiffrer.
On promettait aux parents un avenir de médecin et d’avocat pour leurs enfants, et surtout un retour de ceux-ci pour les vacances.
Ils furent escroqués car jamais ils ne revirent leurs enfants.
Pour les choisir, des assistantes sociales enquêtent dans les bidonsvilles de La Réunion puis émettent des rapports ignobles.
« Ils vivent comme des bêtes. »
« Ce sont des sauvages. »,
« Les enfants sont en danger, les parents sont des ivrognes. »
La plupart des familles seront forcées.
Ces bébés, ces enfants, ces adolescents seront endormis pendant le trajet en avion.
Ils ne se rappellent que de l’atterrissage en France.
À leur arrivée à Guéret, ils seront triés par âge et désinfectés.
L’esclavagisme sera le destin de ces enfants.
Les plus âgés seront envoyés dans des fermes, travaillant comme des esclaves, maltraités, mal nourris et pour certains violés.
D’autres resteront dans des centres fermés, eux aussi violés, maltraités, et faisant l’objet d’un lavage de cerveau quotidien sur les bienfaits de la France.
Des fillettes seront envoyées au couvent, ou placées comme bonnes dans des familles.
Certains ont eu un peu plus de chance et ont été placés en familles d’accueil ou adoptés.
Ils perdirent jusqu’à leurs vrais noms et furent rebaptisés par leurs camarades de classe, leur patron ou leur surveillant « Chocolat », « Mousse », « Petit noiraud ».
Aucun impact démographique n’aura eu lieu ni à la Réunion ni dans les régions de France où ils furent déportés.
Cette histoire reste secrète, l’État n’a jamais voulu reconnaître l’atrocité de ses gestes.

Les Kurdes en Corrèze
« Peyrelavade, la difficile intégration de 56 Kurdes »
« Ces réfugiés font un effort pour s’intégrer, les jeunes filles ne portent plus le foulard traditionnel, la vie dans les gîtes passe par l’observation de règles explicitées par les autorités locales. »  (extrait d’un quotidien de l’époque)
Le Kurdistan s’étend sur trois pays : le sud de la Turquie, le nord de la  Syrie et l’Irak. Dans les années 1980, des Kurdes, réfugiés politiques, fuient les régimes turc et irakien. Les Kurdes naissent apatrides, le régime turc ne leur donne pas de papiers, pas d’état civil.
Naître apatride dans son propre pays.
N’avoir aucun droit, même pas celui de vivre, de parler de politique sans être surveillé, torturé, massacré, persécuté.
De nombreux Kurdes ne pouvant supporter de rester en Turquie en subissant le régime, en restant la tête baissée, ont décidé de prendre les armes.
Après des années de lutte face à la répression grandissante, certains sont forcés de fuir dans d’autres pays et d’y poursuivre leur combat, de lutter pour leur peuple au-delà des frontières.
En 1989, plus de 300 Kurdes, fuyant les exactions dont ils sont victimes en Irak, arrivent en Auvergne. Après deux mois passés au camp militaire de Bourg-Lastic, dans le Puy-de-Dôme, une soixantaine d’entre eux « débarquent » à Peyrelevade, au cœur de la Montagne limousine, pendant que d’autres sont accueillis en Creuse, à Mainsat, ou encore dans le Puy-de-Dôme ou en Ariège. La plupart partiront vers les villes une fois leur demande d’asile acceptée.

Et bien d’autres histoires
La France a accueilli sans problème 128 531 Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens dans les années 1980. Et maintenant elle s’effraie d’accueillir à peine 30 000 réfugiés.
Bien d’autres histoires se sont passées sur notre territoire mais nous ne pouvons toutes les conter.
Il faut savoir se rappeler. Savoir laisser des traces.
Savoir transmettre tel un ménestrel les musiques qui nous ont bercés, les gens qui nous ont précédés, les choses qui se sont passées, les choses qui sont restées cachées.
Apprendre du passé nourrit notre présent.
Le perpétuel recommencement laisse sans voix.

«Vogliono rimandarci, chiedono dove stavo prima, quale posto lasciato alle spalle.
 Ils veulent nous renvoyer, ils demandent où j’étais avant,
quel lieu laissé derrière moi.

Mi giro di schiena, questo è tutto l’ indietro che mi resta, si offendono, per loro on è la seconda faccia
Je tourne le dos, c’est tout l’arrière qu’il me reste.
Ils se vexent,  pour eux ce n’est pas une deuxième face.

Noi onoriamo la nuca, da dove si precipita il futuro che non sta davanti, ma arriva da dietro e scavalca.
Nous, nous honorons la nuque, d’où s’élance l’avenir
qui n’est pas devant, mais qui arrive par-derrière et enjambe.

Devi tornare a casa. Ne avessi une, estavo.
Nemmemo gli assassini ci rivogliono.
Tu dois rentrer à la maison. Si j’en avais une, je serais resté.
Même les assassins ne veulent plus de nous.

Rimetteteci sopra la barca, scacciateci da uomini,
non  siamo bagagli da spedire e tu nord non sei degno di te stesso.
Remettez-nous dans le bateau, chassez-nous en hommes,
nous ne sommes pas des bagages à expédier et toi, Nord, tu n’es pas digne de toi-même.

La nostra terra inghiottita non esiste sotto i piedi, nostra patria  una barca, un guscio aperto.
Notre terre engloutie n’existe pas sous nos pieds,
notre patrie est un bateau, une coquille ouverte.

Potete respingere, non riportare indietro,
è cenere dispersa la partenza, noi siamo solo andata.
Vous pouvez nous repousser, non pas ramener,
le départ n’est  que cendre dispersée, nous sommes des aller simples »

Erri de Luca, « Aller simple »

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Les tiers-lieux, espaces d’émergence et de créativité

Article rédigé par Christine Balaï, dans le cadre de l’étude réalisée par le Laboratoire LISE du CNAM pour la ville de Paris, « Pratiques culturelles à l’horizon 2030 », 2012

Au croisement du territoire réel et du virtuel, de nouveaux lieux émergent ou d’anciens lieux sont réinvestis. Ces lieux tiers en facilitant la rencontre, le partage, la collaboration, la fertilisation croisée entre  différents publics, sont des vecteurs potentiels de créativité, d’émergence de nouveaux possibles et d’innovation. Ils supposent la mise en place de nouvelles médiations adaptées.

La notion de tiers-lieux

C’est le sociologue Americain Ray Oldenburg qui a introduit en 1989 la notion de tiers-lieux. Oldenburg s’intéressait à la naissance de nouveaux lieux, intermédiaires entre le domicile et le travail et adaptés à un style de vie urbain, individualisé et mobile. « Les « tiers-lieux » se développent dans le monde entier. Ni privés, ni publics, ils composent une solution hybride entre espace personnel et espace ouvert, domicile et travail, convivialité et concentration. Les tiers-lieux réunissent un certain nombre de conditions permettant les rencontres informelles et favorisant la créativité des interactions sociales, notamment à travers l’ouverture, la flexibilité, la viabilité, la convivialité et l’accessibilité. Les amis occasionnels, les habitants d’un quartier, les professionnels d’un secteur, peuvent s’y retrouver et en faire le noyau de leur communauté. Parmi les utilisateurs réguliers, la conversation est le centre des activités et l’humeur est détendue. Les rencontres informelles et familières dans ces lieux n’ont pas à être planifiées entre les individus qui s’y croisent et s’y retrouvent. Ce sont des lieux dits « de passage » qui attribuent un sens nouveau à l’espace et à la culture à travers les communautés qui se forment et se rassemblent, des réseaux qui se tissent et grandissent autour des usages que l’on en fait.

Dans ce cadre, le « café du coin », le bar connecté, le squat d’artiste ou le centre culturel en tant qu’espaces publics servant de point informel de rencontre, peuvent devenir des tiers-lieux selon l’usage qu’en font les individus qui les animent, occupent et visitent. Plus qu’une simple caractéristique spatiale, les tiers-lieux sont donc en grande partie le produit des relations humaines, des interactions créatives et des modes d’organisation sociale et professionnelle dominant les sociétés contemporaines.

Chaque «tiers-lieu» a sa spécificité, son fonctionnement, son mode de financement, mais tous favorisent la créativité, l’initiative et le partage » (Design des politiques publiques, La 27e Région, p77). On assiste actuellement à l’émergence d’un nombre croissant de ces tiers-lieux. Leur fonction se formalise, se professionnalise et parfois se spécialise.

Ainsi les espaces de coworking destinés aux travailleurs nomades et aux entrepreneurs en quête d’un bureau occasionnel ou d’un lieu de rencontre répondent-ils à cette logique.
« Les co-working space » sont des tiers lieux spécifiques. S’inscrivant dans la «mythologie» californienne, ils permettent, selon des modalités diverses, aux acteurs du numérique, mais pas uniquement, d’évoluer professionnellement dans un cadre stabilisé au carrefour des compétences, des savoir-faire et des communautés de pratique. C’est à travers quatre dimensions principales que la notion de « co-working space » peut se définir :

  1. Economique, une capacité à générer du revenu,
  2. Socioprofessionnelle, un lieu de référence où les professionnels d’un même domaine peuvent se rencontrer, échanger et travailler,
  3. Culturelle, un lieu où certains principes et certaines valeurs d’ouverture, de partage sont mis en avant. Un lieu qui produit un mouvement, ayant une aura dépassant ses propres frontières de pouvoir d’action,
  4. Territoriale et spatiale, un lieu inscrit sur un territoire, connecté à son tissu qui encadre, encourage et accélère les processus dit de «sérendipité» en favorisant les rencontres hasardeuses et non-linéaires.

Le brassage de compétences, de sensibilités et de point de vue différents que permettent ces espaces constitue un terreau propice à la naissance d’idées nouvelles. La classe créative est attirée par ces lieux de vie favorables au phénomène d’émergence dont elle renforce le dynamisme et l’attractivité créant ainsi un cercle vertueux favorable à l’innovation, aux partenariats et aux synergies. De la même manière les membres des réseaux sociaux retrouvent dans ces lieux physiques un pendant naturel à leur espace virtuel.

A Paris, la Cantine a fait office de pionnière en proposant au début 2008 un espace de travail collaboratif en réseau. Elle a pour vocation de créer un environnement propice au fourmillement d’idées dans une atmosphère de liberté et de créativité. Ouvert début 2008 dans le 2° arrondissement à Paris par l’association Silicon Sentier, associée à la Fing, cet espace d’innovation, de travail et de rencontres ne désemplit pas depuis. 15582 visites, 600 personnes uniques par semaine, plus de 500 événements, 318 coworkers, au moins 30 000 cafés, 35 personnes uniques par m2/an… Entrepreneurs, développeurs, freelance, seniors et jeunes de startup, chercheurs, politiques, artistes, tous habitants temporaires, ont investi cet espace. . On cherche ici à favoriser le développement de projets, de logiciels, de blogs et de toute innovation liée aux technologies du numérique en faisant se croiser des mondes différents travaillant dans des lieux éclatés. La Cantine est à la fois un lieu de réseautage, d’apprentissage, de débats et de “frottement” permettant de créer des dynamiques collectives, de structurer des communautés, en agrégeant divers acteurs sur des projets communs et collaboratifs, de créer de la valeur. Comme l’indique Stéphane Vincent, responsable du programme de la 27° Région hébergé à la Cantine, “ce qui marche dans la fabrique de l’innovation, c’est tout ce qui relève de la créativité, de l’irrationnel, du désir et de l’interdisciplinarité. La Cantine est un espace à faire de l’imprévu, qui ne touche pas seulement la filière numérique, mais est aussi un lieu d’innovation sociale”. Et pour Denis Pansu, animateur du Carrefour des Possibles, “la culture d’innovation doit être partagée. Au moment où les modèles économiques s’effondrent, le développement économique doit se faire avec les citoyens, les consommateurs”. Ces nouvelles manières d’envisager l’innovation et la créativité constituent une tendance de fond venue des États-Unis et qui se propage en Europe.

Les tiers-lieux ne sont pas cependant limités aux créatifs imprégnés de nouvelles technologies. Ils se développent aussi dans d’autres milieux : professionnels, sociaux, culturels…

La Ruche est une initiative parisienne comparable à la Cantine mais dont l’activité est centrée sur le développement durable et l’entrepreneuriat social. Cet espace de coworking met en avant la collaboration et l’échange d’idées, de problèmes et de solutions autour de l’innovation sociale et environnementale. La Ruche est ouverte à toute personne proposant une réponse innovante à un défi social ou écologique, sa vision étant de concilier économie et développement humain.

Toujours à Paris, le secteur culturel a aussi ses tiers lieux. Patrick Genoux cite le 104 dans son article sur les tiers lieux. « Ouvert à tous les arts, cet espace (de création et de production artistique dans le 19°arrdt) compose un ensemble architectural inédit où l’art vient à la rencontre de ses différents publics. Cette orientation forte impulse des modes de fabrication, de production et de visibilité résolument nouveaux. Le 104 accueille également une pépinière de jeunes entreprises qui situent leur action au carrefour de l’innovation technologique et de la création », www.incubateur104.org. Plus résolument innovant que le 104 qui a notamment du mal à s’inscrire dans le quartier, le 100, dans le 12° arrondissement, est un lieu ouvert dédié aux arts plastiques (mais pas uniquement) et ouvert à tous, professionnels et amateurs, pour un coût très modeste. L’ambition de ses directeurs est d’essaimer, chaque arrondissement devant, selon eux, disposer d’un lieu de ce type au même titre que d’une piscine ou d’une bibliothèque municipale.

Dans le domaine social, le programme « Plus longue la vie », engagé par la Fondation Internet Nouvelle génération (Fing) sur le vieillissement de la population et les relations intergénérationnelles à l’heure du numérique, a été appelé à retenir la notion de Tiers lieu : lieu de discussion, de socialisation, de découverte où les gens peuvent se rencontrer, ou se développent des animations locales en fonction des besoins des personnes, qui favorise les rencontres intergénérationnelles et valorise les personnes âgées, en mettant en avant la créativité des seniors. La Maison ouverte, ouverte en 2003 et 2009 dans le 14e puis dans le 12e arrondissement parisien en est une illustration type. La Maison ouverte se veut un nouveau lieu de vivre ensemble, qui lutte contre la stigmatisation des personnes âgées. Mise en application du design dans le domaine social, elle développe autour des personnes âgées et leurs proches une dynamique collective et sociale entre les générations tous en développant la dimension culturelle et en favorisant l’épanouissement et la créativité individuelle des personnes. Lieu ouvert sans fonctionnement préétabli, il choisit d’ancrer son action à l’échelle du quartier, par l’intermédiaire d’espaces d’accueil et d’activités ouverts à tous les publics et non seulement aux personnes âgées. Fermé provisoirement en l’absence de modèle économique, l’espace à venir intègrera la dimension des nouvelles technologies.

En France les tiers-lieux se développent également en province comme les Cafés de Pays de l’Yonne, Les Salles dans la Loire ou la Bo[a]te à Marseille. La profusion de ces tiers-lieux a été si importante ces dernières années que l’association Bureauwiki a décidé de créer un guide mondial des espaces de coworking (en cours d’élaboration de façon coopérative).

Les problématiques soulevées

Lieux ouverts, marqués par une culture d’échange, de partage et la convivialité, les tiers lieux favorisent la créativité, la culture de l’innovation et le vivre ensemble selon leur spécificité (co-working place, lieux culturels, « Maisons »). Ils ont une dimension culturelle forte à la fois numérique, sociale et d’innovation. Cette culture reste toutefois aujourd’hui inégalement partagée. Dès lors, l’enjeu est de créer les conditions de développement et de maillage de ces lieux sur l’ensemble du territoire, et leur accès par l’ensemble de la population.

L’esprit de partage, d’échange, de convivialité et de vie communautaire » caractérise le mouvement des coworking space. « Le co-working est considéré (…) comme un mouvement socioculturel dans lequel la collaboration est le lien structurant de la communauté. Une notion d’intelligence collective apparait dans ces espaces, la communauté des coworkers formant des petites équipes d’indépendants se réunissant autour d’un projet collaboratif. Ainsi la collaboration n’est pas uniquement une fin en soi mais un mode d’organisation intrinsèquement lié à ces types de lieu. L’aspect culturel se manifeste dans les espaces de co-working aussi par l’influence des communautés de l’open source et par l’assimilation de la « culture du libre » par les nouvelles générations ». Nouveau type de lieu cristallisant et rendant visible les valeurs de la « culture digitale », La Cantine est empreinte d’une dimension culturelle technologique forte sans pour autant réserver son accès aux seuls «technophiles». Comme l’indique Stéphane Vincent, responsable du programme de la 27° Région hébergé à la Cantine, “ce qui marche dans la fabrique de l’innovation, c’est tout ce qui relève de la créativité, de l’irrationnel, du désir et de l’interdisciplinarité. La Cantine est un espace à faire de l’imprévu, qui ne touche pas seulement la filière numérique, mais est aussi un lieu d’innovation sociale”.

L’animation sous-jacente au lieu est fondamentale. Elle s’appuie sur une équipe d’animation dédiée et une diversité de formats d’animation (conférence, ateliers de travail, Barcamp, petit-déjeuner débat, etc.). Ces modes d’animation doivent favoriser la transversalité des acteurs, le brassage des réseaux et des communautés d’acteurs, de filières professionnelles, l’identification des innovations et tendances technologiques, la rencontre avec les « end– users », etc.), un accompagnement personnalisé des porteurs de projet, une programmation de contenus de qualité.

Des lieux comme la Cantine, s’ils sont ouverts à toute population, concernent avant tout les couches créatives mais seulement marginalement les autres couches de la population. La culture numérique mise au service de l’innovation sociale et du vivre ensemble reste peu développée.

Comme l’indique Hubert Guillaud, d’Internet Actu, « La fracture numérique se réduit au niveau des populations les plus réfractaires. On parle beaucoup des « Digital Native », mais les jeunes utilisent l’internet sans vraiment le maîtriser. La question de l’alphabétisation par rapport au numérique reste entière. Il n’y a plus de fracture numérique avec le mobile. Avec les smartphones demain, les gens auront une connexion permanente au web, mais les outils ne feront pas tout, la différenciation se fera sur le contenu. Les fractures sociales sous-jacentes perdureront s’il n’y a pas d’action. Cela pose la question de la politique culturelle : Où est la politique culturelle, la politique publique numérique ? En France, on privilégie l’économie numérique, mais on ne voit pas la ligne de fond. Le dernier plan numérique d’éducation concerne l’informatisation des collèges ».
« La question de la médiation est essentielle, cela est loin d’être facile » rappelle Hubert Guillaud. « C’est une question d’Education populaire. Le numérique est un levier supplémentaire pour l’éducation populaire, un outil prétexte, une façon de dépasser les choses ancrées ».

Cela redonne toute sa place pour réinvestir d’anciens lieux dans une dynamique de tiers lieux (ou en créer de nouveaux) : espaces publics numériques (EPN), bibliothèques, centres culturels, espaces sociaux, maisons de quartiers, cybercafés sociaux, etc. constituent des lieux de rencontres, d’éducation populaire, de projets pour inventer de nouvelles pratiques, permettre la fertilisation croisée au service de l’innovation et/ou du vivre ensemble, en s’appuyant sur le numérique comme vecteur de connaissance et de collaboration.

La Maison Populaire de Montreuil s’inscrit dans une telle dynamique. Pour Jocelyne Quélaud responsable multimédia « La Maison pop de Montreuil, c’est une association d’éducation populaire, au sens originel du terme. C’est un lieu où on va retrouver la pluridisciplinarité, avec plus d’une centaine d’ateliers annuels ». Il y a également de la diffusion culturelle : des arts visuels, cela fonctionne comme un laboratoire avec un commissaire différent chaque année qui fait trois propositions. Cela permet parfois aux artistes de créer des œuvres spécifiques » ou encore de la musique avec des concerts, des rencontres. « Vendredi il y a eu une soirée superbe qui mêlait des professionnels et des amateurs avec un croisement des disciplines. C’était intergénérationnel, ça s’est clôturé par un concert avec des jeunes de 11-13 ans. Avant il y avait des ateliers d’ukulélé, de chants du monde. On travaille vraiment sur cette notion d’intergénérationnel et de croisement de cultures. C’est de la trans-culture ». Le multimédia a toujours fait partie de l’association. Ce principe a toujours été présent. Il y a eu des débats autour de quelles sont les images de demain ? En 1998, Annie Agopian a monté un dossier pour ouvrir l’espace multimédia dans cet esprit : arriver à croiser des choses pour susciter des désirs. Le dossier a été accepté et c’est là que je suis arrivée. La Maison Pop à la base, c’est de la transdisciplinarité. Beaucoup d’enseignants se plaignent de ne pas avoir de lieu pluridisciplinaire, ne serait-ce qu’au niveau des universités qui sont spécialisées. Comment générer des croisements ? » « Le potentiel est donc bien non seulement dans le numérique mais dans la rencontre et l’action. Dans ce contexte, l’enjeu est d’une part de garantir un lieu d’échange dédié au lien social entre habitants et acteurs de la société civile, et d’autre part de marier la dimension numérique avec la capacité de se rencontrer vraiment pour produire du « vivre ensemble ». affirme ainsi Hugues Aubin, chargé de mission TIC à la Ville de Rennes.

Pour François Seyden de l’association Parlez Cité, « Il y a un concept que j’ai envie de développer : le cybercafé citoyen. L’idée, c’est qu’on est dans un lieu de rencontre mais on peut aussi produire du contenu parce qu’on a tous les outils. C’est le principe d’une équipe de rédaction dans un lieu citoyen. Dans les café philos, les gens viennent écouter. Moi, je propose un lieu où on vient débattre et diffuser quelque chose à partir du débat ».

Pour Maurice Benhayoun, responsable de la Délégation aux usages de l’internet,  « Le prochain défi est de traiter correctement le rapport avec la banlieue. Si on veut montrer qu’on est à la pointe de la question, c’est le grand pari du Paris à venir. On peut le traiter en repensant la fertilité des banlieues ». Et de préconiser un certain nombre de pistes : « notamment reconstruire le réseau de MJC, lieu toujours ouvert où on peut toujours entrer. Aujourd’hui, les problèmes se cristallisent sur les cages d’escalier, parce que les jeunes n’ont pas de lieu où aller, pas de salle de jeu, pas de lieu de rencontre légitime. Les salles de sport sont efficaces, elles sont d’abord un lieu de rencontre. A Champigny, le commissariat est au centre de la Cité ».

Au-delà de la multiplication des lieux favorisant la rencontre et la créativité c’est bien la création d’un nouveau « vivre ensemble » dont il s’agit. Les « tiers lieux » apparaissent alors comme des dispositifs clé en complémentarité avec les réseaux sociaux de proximité afin de favoriser la solidarité de proximité.

Inaugurée par Xavier Darcos, Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville, la Maison des Voisins, implantée dans le 17ème arrondissement de Paris, est le premier espace dédié au développement des solidarités de voisinage et à l’amélioration du climat social dans les immeubles ou les lotissements. Lieu de rencontre, la Maison des Voisins doit permettre de créer une dynamique positive entre les habitants, qui deviennent acteurs à part entière de tous les projets du quartier.  » Avec la Maison des Voisins, nous voulons stimuler les solidarités de proximité en mettant à la disposition des habitants des outils simples et efficaces pour développer des liens de proximité, se former, partager des idées d’action, des expériences… » déclare Atanase Périfan, Président de l’association « Voisins Solidaires » et créateur de la Fête des Voisins. La première maison-pilote a ouvert ses portes au 1bis, rue Descombes 75017 Paris. L’association Voisins Solidaires prévoit d’ouvrir 10 nouvelles Maisons des Voisins d’ici fin 2010 un peu partout en France en partenariat avec les mairies, les bailleurs sociaux… Elle envisage par ailleurs de croiser les maisons des voisins avec les réseaux sociaux de mise en relation entre habitants. Des contacts sont en cours avec Charles Verdugo, responsable de ma-residence.fr, et avec Nathan Stern, fondateur de Peuplade et de Voisin’Age.

Dans une vision prospective imaginée dans le cadre du programme « Plus longue la vie », le scénario du MAGASIN redonne aux espaces de grande distribution, la chaleur et la convivialité des marchés, en imaginant un espace coopératif entre grande distribution et ressources locales. Le MAGASIN est un espace dédié au ravitaillement sous toutes ses formes : services de portage de repas, associations de cuisiniers amateurs, wiki territorial des producteurs locaux, locaux disponibles pour une serre agricole partagée… Qu’il soit positionné à la périphérie des villes, ou en milieu rural, le dispositif crée un « éco-système », dynamisant la vie sociale, recréant du lien et une éthique solidaire et durable autour des activités de consommation. Le dispositif FIL D’ARIANE propose un réseau de ressources matérielles et humaines pour favoriser le maintien à domicile et les opportunités d’entraides entre les habitants. On y retrouve les patients, mais aussi leurs proches (les « personnes relais »), les soignants à domicile, les associations, les groupes bénévoles. Au centre du dispositif Fil d’Ariane (cité pour les réseaux sociaux) une ANNEXE héberge les professionnels de santé et favorise l’échange de paroles et la coordination des acteurs en évitant le piège d’une relation de soin déshumanisée.

Le renouveau des Espaces publics numériques

Nés il y a presque 15 ans pour lutter en faveur de l’e-inclusion, les lieux d’accès public à Internet sont aujourd’hui plusieurs milliers sur toute la France.

En Ile-de-France, Sur les huit départements qui constituent le territoire régional, deux d’entre eux ont mis en place une politique volontariste de développement d’espaces publics numériques sur leur territoire : Paris et l’Essonne et de façon moindre les Yvelines. Une dizaine de collectivités locales ont une coordination territoriale et, à ces personnes, viennent s’ajouter les réseaux nationaux ou métiers qui ont également une coordination et animation régionale. Il s’agit aujourd’hui principalement des Cyber-base animé par la Caisse des Dépôts et Consignations, des Point Cyb initiés par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, ou encore de réseaux comme celui de la Fédération des Centres Sociaux Parisiens… 435 espaces publics numériques (EPN) ont été recensés sur le territoire francilien par Artesi Ile-de-France. La plupart des EPN sont désormais intégrés dans une structure existante ayant ses propres activités et publics, comme des bibliothèques ou médiathèques, des centres sociaux ou maisons de quartier… L’objectif pour Artesi-Ile-de France « est de travailler à un maillage territorial cohérent avec une visée d’équité territoriale pour l’accès accompagné à Internet et au multimédia ».

En France, la ville de Brest a poussé le plus loin cette politique en créant un maillage terrritorial dense de PAPI (point d’accès public à internet) intégrés dans des lieux ordinaires de proximité et impliquant les acteurs de la cité dans l’accompagnement des usages.
Une résidence, concernant l’avenir des espaces publics numériques, menée en Région PACA dans le cadre du programme de la 27° Région (laboratoire d’innovation publique des Régions de France), a montré que l’EPN incarne aujourd’hui une approche moderne de la médiation et de l’espace public « nouvelle génération ». Il peut s’y produire des choses qu’on ne voit pas forcément dans les espaces publics traditionnels, à l’accueil des mairies, au sein des organismes de formation. Comme le dit Michel Briand, maire-adjoint à Brest en charge du numérique « nous ne sommes plus seulement dans un équipement destiné à réduire les écarts, mais dans la palette des usages inventés par un ensemble d’habitants et d’acteurs du quartier, dès lors que les animateurs ont su développer une attitude d’attention aux personnes et aux usages potentiels ».

La résidence menée dans le cadre de la 27° Région a permis de révéler, que les EPN ont depuis longtemps franchi le stade de simples lieux d’accès pour devenir des espaces de production et d’invention ; des lieux ouverts où se construisent des pratiques de médiation nouvelles, et où s’inventent des réponses concrètes à la recherche d’emploi et au développement d’activités. Il est sans doute possible d’encourager les EPN non seulement à inventer des services, mais à les co-concevoir avec les utilisateurs, les EPN jouant le rôle de laboratoire de nouveaux services.

 Des tiers lieux au service de l’innovation sociale et culturelle

A Nantes, l’association PiNG préfigure ce type de lieu, au service de l’innovation sociale et culturelle pour tous : association-ressource et pépinière de projets innovants, PiNG conseille, accompagne et impulse des initiatives qui permettent d’identifier, d’expérimenter et d’évaluer les usages sociaux et culturels liés au multimédia. A travers ses activités PING  valorise la dimension culturelle des pratiques numériques, à la fois comme outils d’accès à la culture et aux savoirs, outils d’expression et de création, outils de mutualisation et de coopération.

Pour Maurice Benhayoun, il faut aller plus loin : « Il faut créer des lieux de réflexion à l’intérieur de la Cité, créer des microsociétés sur des bases politiques qu’on connaît. Créer des lieux où les habitants ont une vraie raison de se situer où on les aide à créer leur futur, développer des activités. Créer des pôles de développement urbain. Rester ouvert. La réponse n’est pas dans l’industrie. Si la question sociale est prioritaire, l’industrie est secondaire. Il faut faire des pôles d’innovation sociale, à l’exemple des pôles de compétitivité. Susceptible de générer un vrai savoir et une vraie richesse. Il faut créer un pôle de compétitivité d’innovation sociale. Il y a des besoins, un potentiel de mise en œuvre, il faut donner aux gens les moyens de construire ce dont ils ont besoin ».

Longtemps considérée de façon marginale et avec des moyens chichement accordés, l’innovation sociale retrouve quelques lettres de noblesse avec le numérique dans un contexte de crise qui appelle à la réinvention sociale. C’est dans cette perspective qu’il faut considérer le projet Liens. Une façon d’impliquer activement la population et les structures associatives et de quartier dans la construction du « vivre ensemble » pourrait être d’encourager le développement d’universités populaires, tout en favorisant le croisement entre culture populaire et culture numérique.

Depuis Janvier 2009 un groupe de recherche composé d’habitants de la ville de Ris-Orangis s’est constitué pour réfléchir au concept d’université populaire. Réunie à la MJC de Ris-Orangis, la démarche est accompagnée depuis le commencement par un philosophe, Miguel Benasayag, qui a une expérience intéressante de création d’université populaire depuis une vingtaine d’années dans différents pays (France, Argentine, Italie, Belgique, Bolivie, etc.). Afin de redonner aux femmes et aux hommes de la puissance d’agir dans un monde envahi par le négatif, l’objectif des « Université populaire-laboratoire social » (UPLS) est de construire des savoirs concrets qui émergent de situations concrètes vécues par les personnes rencontrées (travail, école, transport, hôpital, prisons, luttes de sans papiers, etc.) et de recueillir, en un territoire donné, ce que Foucault a nommé les « savoirs assujettis », savoirs locaux et territorialisés à partir desquels les personnes concernées pourront formuler des hypothèses théoriques et pratiques afin de se réapproprier leur vie. Le dispositif des UPLS permet ainsi de rechercher et de proposer des réponses collectives et pratiques aux dysfonctionnements d’une société trop marquée par l’idéologie néolibérale. Cette université est dite « populaire » parce qu’elle a vocation à être la plus large possible, à développer son champ d’action dans un grand périmètre, celui des habitants d’un quartier, par exemple, comme c’est le cas dans l’expérience qui commence à être menée par la MJC de Ris-Orangis.

Quelle place pour les recycleurs de rue au Brésil et en France ?

Projection débat à la Mutinerie, 29 rue de Meaux, 75019 Paris (Métro Jaurès), le 26 avril à partir de 18h30

Documenter des alternatives citoyennes, c’est le pari que s’est donné le programme Une Seule Planète depuis maintenant plus de deux ans. Une Seule Planète vous invite à la première de son film documentaire « Catadores, recycleurs de rue au Brésil, transformer les déchets en citoyenneté ».

Ce documentaire produit par Une Seule Planète a été réalisé par Sonia Ben Messaoud et Laetitia Martin, membres d’ Echo’via, une association engagée autour de la production et la réalisation de projets audiovisuels et plurimédias à caractère social, écologique et solidaire. Longtemps marginalisés et stigmatisés, certains recycleurs de rues brésiliens, les catadores , se sont progressivement organisés pour la reconnaissance de leurs droits et de leur profession.

C’est ainsi que ce pays a vu naître sur son territoire des centaines de coopératives et associations de catadores. Ces travailleurs contribuent à construire une économie populaire, dont la finalité n’est pas uniquement monétaire, mais aussi sociale et environnementale.

En France, la situation est très différente. Interdits par la plupart des municipalités et méconnus du public, les biffins renvoient trop souvent à des situations d’extrême pauvreté qu’ils permettent pourtant de combattre. C’est pour une reconnaissance comme travailleur à part entière qu’ils militent.

La projection sera suivie d’un débat, qui sera l’occasion de revenir sur le contexte brésilien qui a vu naître le mouvement des catadores, tout en interrogeant la situation des biffins en France.

Programme :
– 18h30 : accueil
– 19h00 : projection du film « Catadores, recycleurs de rue au Brésil, transformer les déchets en citoyenneté » (32 min.)
– 19h30 : Débat
– 20h00 : Pôt de l’amitié

Intervenants :
-Marcelo Negrao (Ancien salarié de France Libertés, doctorant sur les catadores)
-Mireille Alphonse (Conseillère municipale EELV à Montreuil en charge du commerce et de la promotion territoriale)
-Samuel Le Cœur (Président d’Amélior, association pour la promotion des marchés biffins en Ile de France)

Animation : Henri Lefebvre, coordinateur du programme Une Seule Planète

Les places étant limitées, merci de confirmer votre présence en vous inscrivant ici.

 

Autres rendez-vous concernant les biffins en Ile de France :

 

Comment peut-on reinterroger l’éducation populaire à travers la recherche-action ?

Comment peut-on reinterroger l’éducation populaire et répondre aux enjeux actuels à travers une démarche de recherche-action ? L’expérience du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action Vendredi 7 avril 2017 à 19h, dans les locaux de Peuple et Culture, 108/100 rue Saint-Maur, 75011 Paris Dans le cadre du cycle culturel « Comprendre ce qui nous arrive […]

Reinterroger l’éducation populaire à travers la recherche-action (Paris)

Comment peut-on reinterroger l’éducation populaire et répondre aux enjeux actuels à travers
une démarche de recherche-action ?
L’expérience du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action

Vendredi 7 avril 2017 à 19h, dans les locaux de Peuple et Culture

Dans le cadre du cycle culturel « Comprendre ce qui nous arrive » Rencontre débat avec Hugues Bazin
chercheur indépendant en Sciences Sociales, coordinateur du laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action, chercheur associé à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord et à l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire

Où et comment s’incarne le projet émancipateur et transformateur ? Qui sont les acteurs populaires de ces mouvements ? Quels sont les dispositifs et les outils de ce processus ? Pourquoi ces acteurs ne se revendiquent pas nécessairement de l’héritage de l’éducation populaire, voire contestent cette notion ?

Depuis les années 2000, un réseau d’acteurs s’est constitué et a pris la forme d’une association sous l’énoncé « Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action ». La manière dont s’est constitué ce réseau, le profil des acteurs et de leurs expériences caractérise un processus qui s’est développé hors des formes instituées, dans des espaces interstitiels ou des territoires délaissés, bien souvent dans l’angle mort de la connaissance académique.

Entrée libre
Réservation obligatoire par mail union@peuple-et-culture.org ou téléphone – 01 49 29 42 80

Union d’éducation populaire
108/100 rue Saint-Maur, 75011 Paris
www.peuple-et-culture.org

Le corps politique de la danse hip-hop

©Thomas-Bohl, Danse des guerriers de la ville

Le corps est l’endroit où s’enchevêtrent l’intime et le politique entre l’expression des sentiments et l’incorporation des oppressions. Le « dedans » est une opération du « dehors ». Dans ces plis se logent les conditions sociales de production de la personne. S’il y a bien un espace où cette confrontation peut avoir lieu entre art et pouvoir, c’est l’espace public.

 

Entre ceux qui pratiquent l’espace et ceux qui veulent contrôler son caractère sauvage, inorganisé, improbable, ingouverné, non fonctionnalisé. Il n’y a pas de définition préétablie de l’espace public, sinon dans la manière de jouer sur le curseur entre liberté et contrôle.

Soumis au formatage de la convocation et de l’événementiel, plus les cultures urbaines, le street art et autre art de la rue sont encensés dans le discours officiel, plus ils sont inféodés à l’idéologie consensuelle de l’« attractivité » et de la « reconquête » des territoires interstitiels ou délaissés, c’est-à-dire à la fermeture des derniers espaces de respirations de la ville, « à la grande entreprise d’uniformisation urbaine, de cadrage des usages dans l’espace public et de gentrification de quartiers populaires »[1].

Comprendre les enjeux actuels, c’est comprendre comment le corps réagit dans l’espace public. Est-il régi par lui ou au contraire ouvre-t-il un espace en se déployant à travers lui ? Cette immersion dans l’espace provoque une poussée politique d’une force esthétique dirigée de bas en haut égale au poids du volume déplacé. Ce théorème d’Archimède appliqué à tous arts publics, appelons-le poussée de « l’art à l’état vif »[2].

Une technologie du pouvoir s’est instaurée pour évacuer les indésirables, les gueux, les marginaux, les migrants, les révoltés, pour les rendre invisibles, pour les mettre hors de portée, hors société, pour exclure savamment et méthodiquement le corps de l’espace et infliger aux corps les contraintes de la servitude. L’exploitation économique commence par une coercition des corps. C’est une manipulation calculée de ses éléments, de ses gestes, de ses comportements. La discipline fabrique des corps soumis et exercés, des corps « dociles » ; elle majore les forces du corps en termes économiques d’utilité et diminue ces mêmes forces en termes politiques d’obéissance[3].

Un jeune noir ou arabe dans les rues françaises apprend très tôt à ne pas courir devant les forces de l’ordre sous peine d’injures et de poursuites, car si l’on court c’est que l’on fuit et si l’on fuit c’est que l’on est coupable. Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois sont morts d’avoir couru[4].

« Ne jamais courir, surtout la nuit, pas de mouvements brusques, pas de capuchon sur la tête, pas d’objet à la main, surtout brillant, ne jamais attendre des amis à un coin de rue, au risque d’être pris pour un dealeur, garder ses distances avec ceux qui pourraient vous juger dangereux sous peine de se mettre soi-même en danger[5] ». Ce sont des règles universelles de résistance dans tous les territoires ségrégationnistes de la planète[6].

La marche comme proto mouvement d’un état du monde traduit directement ce rapport politique. Une pensée du corps dans l’espace ouvre cette voie réflexive d’interroger son expérience en constituant le contre espace d’un labo in vivo des repliements et dépliements d’une forme corporelle et sociale.

« Pendant l’entre-deux-guerres des artistes afro-américains propose de nouvelles formes de danse cherchant à s’éloigner des claquettes des danses de revue, il commence à penser la danse comme un lieu de revendications sociales et raciales, de métissage, de mémoire culturelle et de représentation de la diaspora »[7] qui fit écho quelques années plus tard à la lutte pour les droits civiques, le mouvement Black Power et les luttes des minorités.

Tout processus d’oppression génère sa culture de résistance. Les luttes sociales se réinventent à l’aune du changement radical des rapports de production. Un acte libre et gratuit ne peut qu’interroger de par sa simple existence les conditions politiques d’émergence d’un espace public. C’est une manière de réaffirmer le caractère non-propriétaire comme espace du commun partageable. Un système à prétention totalitaire possède ses propres failles. La rue avec ses espaces insoumis et ses murs révoltés est une de ces failles spatio-temporelles. Par le fait même d’être à la fois le début et la fin d’un processus de marchandisation, elle provoque des tensions où se logent des pratiques spontanées et brutes d’hacking urbain selon les méthodes créatives de détournement et de la récupération à l’instar du graffiti[8] et du parkour[9].

La danse devient elle-même politique en dépassant l’emprise de la peur, en retournant ce par quoi la ville se refuse à la rencontre et à l’expression. Et tout d’un coup, ce corps invisible, refoulé, replié, relégué aux périphéries rythme le cœur des places. Cet acte fondamental d’appropriation de son espace vital recompose l’unicité de son parcours de vie.

La danse hip-hop est politique parce qu’elle restaure cette fonction critique dans la tension entre le proto mouvement du corps contraint et le méta mouvement des luttes d’émancipation. Elle se distingue en cela de la danse contemporaine dans sa forme instituée labellisée par le monde de l’art qui a perdu sa promesse émancipatrice, « un projet dont la faillite accompagne la fin des avant-gardes historiques et l’échec du projet révolutionnaire »[10]. Seul peut se dire contemporain celui qui ne se laisse pas aveugler par les lumières du spectacle. « Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps »[11].

Au rez-de-chaussée des villes, au plus bas des dalles et des halls, en tâtant la dureté des textures le mouvement tire sa force des matériaux disponibles, le béton prenant ici le rôle de la terre mère africaine. « En Afrique, la danse n’est pas séparée, elle fait partie intégrante du complexe vivant »[12].

Cette capacité à relier la terre battue et le bitume participe d’une médiation de la forme (l’expérience esthétique) avant une médiation de l’œuvre (l’expérience artistique). C’est ce qui a facilité la traversée des océans entre Afrique et Amérique, Amérique et Europe, Europe et Afrique. C’est ce qui a permis de transcender les cultures en dépassant la séparation entre un art de vivre et vivre l’art entre culture populaire et culture savante.

Ce n’est pas un objet d’art statufié qui prend sens dans le regard du public averti de « La » culture, mais des situations en mouvement d’un imaginaire instituant entre les hommes et le monde. Autrement dit, il ne peut avoir transformation sans relation entre forme et sens, matériaux et symboles. Sans l’irruption créatrice de cet imaginaire, la société n’existe plus dans ce qui fonde notre manière de vivre ensemble.

« En matière de création artistique, il importe essentiellement que l’imagination échappe à toute contrainte, ne se laisse sous aucun prétexte imposer de filière. Loin de notre pensée de vouloir ressusciter un soi-disant art « pur » qui d’ordinaire sert les buts plus qu’impurs de la réaction. Nous estimons que la· tâche suprême de l’art à notre époque est de participer consciemment et activement à la préparation de la révolution. L’artiste ne peut servir la lutte émancipatrice que s’il s’est pénétré subjectivement de son contenu social et individuel, que s’il en a fait passer le sens et le drame dans ses nerfs et que s’il cherche librement à donner une incarnation artistique à son monde intérieur »[13].

Mais une fois décrétée objet d’art, l’œuvre perd cette force médiatrice. Retrouver l’énergie salvatrice s’opère dans la confrontation aux matériaux. Se cogner au ciment cimente. C’est dans cette force structurante que naissent une conscience et des collectifs, un mouvement indiscipliné, sauvage qui s’invente lui-même ; c’est dans ce mouvement que s’exprime un désir irrépressible et spontané surgi de l’expérience innommable, intolérable des rapports de domination. Si les cultures urbaines sont nées du croisement entre l’art et le peuple alors elles ne peuvent exister que comme formes autonomes et subversives.

Elles perdent leur autonomie là où commence la définition de l’art et du peuple comme objet économique et sociologique. Existent-ils vraiment ? Certains disent les avoir rencontrés. Ne les croyez pas ou plutôt croyez en l’illusion de la réalité du peuple que procure l’art. « L’art est un mensonge qui dit la vérité en nous délivrant de l’illusion du réel »[14].

La folie de Charlie Chaplin disparaît lorsque le cinéma parlant devenu une industrie s’est mis à prétendre décrire le réel alors que le cinéma muet finissait en objet de curiosité et d’analyse. Sa force était ces zones d’ombre, le caractère irréel de ses personnages. Comme le déplorait Chaplin, « de nos jours on n’en sait trop sur les gens, il n’y a plus de place pour l’imagination, pour la poésie inhérente aux figures mythiques »[15]. Ces personnages n’existaient pas dans la vraie vie et pour cela pouvait dénoncer férocement les conditions de vie, jouer le facteur de chaos à l’intérieur de l’ordre établi, réussissant à créer leurs propres dynamiques auxquelles pouvaient s’associer les gens.

Alors, doutons lorsqu’on prétend décrire un peuple et un art hip-hop. Attachons-nous à une recherche qui se déjoue des représentations chosifiant le vivant pour mieux toucher la vérité d’un mouvement d’émancipation et de création, là où la danse de rue retourne l’enveloppe de la ville permettant à chaque passant pauvre ou non de projeter dans le clochard céleste l’âme révolutionnaire.

Que nous dit le danseur hip-hop ? « Puisque tu n’as rien, tu vas faire quelque chose de magnifique. L’art est au coin de la rue, il suffit d’avoir des yeux de poète »[16]. Ne croyez pas les commentaires paternalistes qui disent d’un ton condescendant qu’un chorégraphe est « issu du » hip-hop ou « issu de » la rue lorsqu’il accède au Saint Graal des scènes contemporaines. Le hip-hop serait digne d’intérêt non dans sa force éruptive, mais comme volcan éteint, esthétiquement domestiqué, policé une fois éliminé tout danger subversif.

« La danse est la danse. Un chorégraphe noir qui chorégraphie des ballets classiques sur des thèmes empruntés à l’Antiquité grecque n’est pas moi artiste qu’un chorégraphe noir dont le travail s’inspire du ghetto »[17]. « Issu de » rappelle constamment l’injonction faite aux arts considérés comme mineurs et a-historiques – puisqu’enfermés dans un passé dénué d’avenir – de s’ouvrir à l’art, le vrai, celui qui s’inscrit dans l’histoire et le récit national. Comme il est toujours rappelé aux jeunes « issus de » l’immigration trois générations après qu’ils ne seront jamais totalement français, qu’ils n’appartiendront jamais au récit collectif et doivent toujours faire la preuve de leur intégration comme manifestation de leur docilité.

Michel De Certeau appelait cela la « beauté du mort » où les arts et les cultures populaires deviennent attractifs qu’une fois éteints[18]. Chris Marker le confirme notamment à propos du pillage de l’art africain : « quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art. Cette botanique de la mort, c’est ce que nous appelons la culture »[19].

Mais l’émergence de formes brutes et singulières nous indique qu’« il se peut que, sur les ruines de la culture, une création d’art renaisse, orpheline, populaire, étrangère à tout circuit institué et à toute définition sociale, foncièrement anarchiste, intense, éphémère, dégrevée de toute idée de génie personnel, de prestige, de spécialisation, d’appartenance ou d’exclusion, de clivage entre la production et la consommation. Ce serait l’avènement d’un homme sans modèles, radicalement irrespectueux et par conséquent créateur »[20].

De l’art et du peuple lequel finalement manque le plus à l’autre ? Il est de bon ton, et plus confortable moralement, de prétendre que l’art manque au peuple. C’est ainsi que s’érige l’idéologie néo coloniale envoyant les artistes comme missionnaires civilisateurs au nom de la reconquête des territoires populaires. « On peut penser aussi que c’est le peuple qui manque à l’art, et c’est aux artistes alors de nous le rappeler, eux qui ont recours à son énergie, à sa créativité et à ses ressources, pour renouveler leur inspiration »[21].

La danse hip-hop reçoit l’injonction de s’ouvrir. « En distinguant art majeur et art mineur, la politique culturelle de l’État a contribué à maintenir les ségrégations culturelles. Elle a établi des échelles normatives de valeur fondées sur la notion vague d’« excellence », dont on peut se demander si elle relève du goût, nécessairement subjectif, ou d’un critère construit par l’esthétique et/ou l’histoire de l’art »[22].

Pourtant, loin d’enfermer l’art, le hip-hop et autre art populaire le libèrent du carcan qui le sépare de la vie. Ainsi la danse ne devient pas « art » une fois qu’elle monte sur la scène des théâtres contemporains, l’art existait dès les premières secondes de sueur jetée sur l’asphalte. Elle sera vivante tant qu’elle continuera d’introduire le corps pensant dans l’espace public.

Ce corps acrobate tel un Buster Keaton prend des risques. Parfois maltraité, parfois briser, « il est projeté avec fulgurance au travers des structures sociales, des mécaniques et des machinations de la société. C’est un corps jeté au monde, et dans le mouvement de sa projection il va précipiter, emballer le monde à l’échelle des grands espaces, de la ville entière »[23].

Dans le cercle hip-hop, dans ce jeu continuel d’appel réponse propre à toute forme populaire, le corps du spectateur est mobilisé, il est transporté, il devient lui aussi acteur de ces liaisons et déliaison sensorimotrice, il est projeté dans cette danse avec le monde.

En créant un nouveau cadre de réception, la danse hip-hop crée un environnement qui ouvre un champ de possibilités sans pouvoir présager de la forme d’apparition et de production des événements, rarement répertoriés dans les lieux dédiés à la culture qui qualifient l’œuvre en fonction des critères d’excellence artistique.

Mais comme le rappelle Jean Dubuffet « L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle ».

Échapper à la catégorisation de la forme esthétique c’est d’une autre manière revendiquer l’expérience esthétique comme faisant partie du processus artistique et l’art lui-même comme bricolage assumé. C’est comprendre avant tout l’œuvre comme un principe d’accomplissement de ce mouvement. Ce n’est pas refuser une professionnalisation, mais indiquer que les modes de création, de transmission et de diffusion peuvent emprunter des chemins braconniers et, par conséquent, sa propre façon d’organiser, de classer, de hiérarchiser ses modes de validation et de jugement, distincts de ceux du monde de l’art.

Après tout on veut bien accepter de l’art contemporain qu’il développe des œuvres comme processus d’emprunts collages, réappropriation, transformation, rupture, renversement… Alors, la prise en compte de l’aléatoire dans l’œuvre, le dialogue ou la confrontation avec les matériaux bruts, la préférence du processus intuitif à l’ingénierie de projets, l’absence d’appartenance à une école, la revalorisation par le détournement des situations déclassées ou reléguées devraient être des critères tout aussi acceptables d’une mise en œuvre artistique que celle du milieu académique ou institutionnel.

Et si l’on refuse à cet art indiscipliné une autonomie, ce n’est pas pour des critères artistiques, mais politiques couvrant d’autres raisons économiques. Le refus de considérer l’art catégorisé comme mineur, minoritaire, voire communautaire, c’est lui refuser de se constituer comme forme sociale et culturelle totale, un « Tout-Monde »[24] dans sa diversité et son universalité.

À la brutalité du monde et des hommes ­répond l’art porté à mains nues comme une arme. Le collectif de femmes du New Dance Group affirmait dans les années 30 « dance is a weapon », la danse est une arme contre les puissants, une arme pour les dominés, une ­arme pour l’émancipation des masses. « Alors on va dans les usines, dans les bureaux, dans les rues, on enseigne l’art du mouvement ­libre, de l’improvisation aux danseurs professionnels comme aux amateurs, ­enfants, ouvriers ou secrétaires »[25].

Le corps politique de la danse et autre art dans l’espace public sont une guérilla en faveur d’un libre accès à l’espace et la culture. « Il est grand temps pour nous, dans la grande tradition de la désobéissance civile, de manifester haut et fort notre opposition à la confiscation de la culture publique par les organismes privés »[26]. Il nous faut nous emparer du savoir et tous autres matériaux utiles là où ils sont, les diffuser et les partager avec le reste du monde.


Hugues Bazin, Intervention à la conférence dansée, « Danse contemporaine, questions d’Afrique », 18 mars 2017, Morsang-sur-Orge (91) sous les auspices des Rencontres Essonne Danse et du centre de développement chorégraphique La Briqueterie (Val-de-Marne)


[1] Anne Gonon, « La ville a-t-elle définitivement dompté ses artistes urbains ? », in revue Nectart No 1, 2015.

[2] Richard Shusterman, L’art à l’état vif, La pensée pragmatiste et l’esthétique populaire, Ed de Minuit, 1992, Col Le sens commun.

[3] Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975

[4] À l’origine des émeutes de 2005

[5] Garnette Cadogan, « Être Noir dans la ville », Le Monde du 19/01/2017

[6] Sur l’humiliation et l’incorporation du pouvoir par le corps : Hugues Bazin, « Police des banlieues, contremaître du néo capitalisme », recherche-action.fr, 2017

[7] Claire Rousier, « Avant-propos » in Danses noires, blanche Amérique, Centre National de la Danse, 2008, p.5.

[8] Hugues Bazin, « L’art d’intervenir dans l’espace public » in Territoires No 457, Adels, 2005, p.10-12

[9] Hugues Bazin, « Les arpenteurs ouvreurs d’espaces », revue Arpentages, 2013

[10] Thierry de Duve, « Fonction critique de l’art ? Examen d’une question », in C. Bouchindhomme et R. Rochlitz (dir.), L’Art sans compas. Redéfinitions de l’esthétique, Paris, Le Cerf, 1992

[11] Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris, Rivages, 2008

[12] Ric Estrada, « Three leading negro artists and how they feel about dance in the community » in Dance Magazine, vol 42, no11, 1968, p.60.

[13] André Breton, Diego Rivera, Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant, Mexico 25 juillet 1938

[14] Pablo Picasso, Cité par Florent Fels dans « Propos d’artistes », Bulletin de la vie artistique, juin 1923.

[15] Simon Backès, Chaplin/Keaton, le clochard milliardaire et le funambule déchu, 52’, MK2 TV, 2015

[16] Bodan Litnianski, cité in Olivier Olivier Thiebaut, Bonjour aux promeneurs ! Sur les chemins de l’art brut, Editions Alternatives, Paris, 1996.

[17] Julinda Lewis William, « Black dance : adiverse unité », Dance Scope, vol14, no2, 1980, p.58

[18] Michel de Certeau, « La beauté du mort » in La culture au pluriel, Paris, Christian Bourgeois, 1974, (Points Essais), 1993.

[19] Chris Makher , Commentaires, Paris, Seuil, 1961

[20] Michel Thévoz, L’Art Brut [1975], Genève, Albert Skira, 1995.

[21] Jean Olivier Majastre, L’art, le corps, le désir. Cheminement anthropologique, Paris l’Harmattan 2008

[22] Jean Caune, « Culture administrée ? Art instrumentalisé ! », Revue Nectart No 4, 2017

[23] Simon Backès, Chaplin/Keaton, le clochard milliardaire et le funambule déchu, 52’, MK2 TV, 2015

[24] Hugues Bazin « Art du bricolage, bricoleurs d’art » in Les cahiers d’Artes « L’art à l’épreuve du social », Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, pp 95-113.

[25] Victoria Phillips Geduld, Dance is a weapon : le New Dance Group, 1932-1955, Centre National de la Danse, 2008.

[26] Aaron Swartz, Manifeste pour une guérilla en faveur du libre accès, Juillet 2008, Eremo, Italie

Le corps politique de la danse hip-hop

©Thomas-Bohl, Danse des guerriers de la ville

Le corps est l’endroit où s’enchevêtrent l’intime et le politique entre l’expression des sentiments et l’incorporation des oppressions. Le « dedans » est une opération du « dehors ». Dans ces plis se logent les conditions sociales de production de la personne. S’il y a bien un espace où cette confrontation peut avoir lieu entre art et pouvoir, c’est l’espace public.

 

Entre ceux qui pratiquent l’espace et ceux qui veulent contrôler son caractère sauvage, inorganisé, improbable, ingouverné, non fonctionnalisé. Il n’y a pas de définition préétablie de l’espace public, sinon dans la manière de jouer sur le curseur entre liberté et contrôle.

Soumis au formatage de la convocation et de l’événementiel, plus les cultures urbaines, le street art  et autre art de la rue sont encensés dans le discours officiel, plus ils sont inféodés à l’idéologie consensuelle de l’« attractivité » et de la « reconquête » des territoires interstitiels ou délaissés, c’est-à-dire à la fermeture des derniers espaces de respirations de la ville, « à la grande entreprise d’uniformisation urbaine, de cadrage des usages dans l’espace public et de gentrification de quartiers populaires »[1].

Comprendre les enjeux actuels, c’est comprendre comment le corps réagit dans l’espace public. Est-il régi par lui ou au contraire ouvre-t-il un espace en se déployant à travers lui ? Cette immersion dans l’espace provoque une poussée politique d’une force esthétique dirigée de bas en haut égale au poids du volume déplacé. Ce théorème d’Archimède appliqué à tous arts publics, appelons-le poussée de « l’art à l’état vif »[2].

Une technologie du pouvoir s’est instaurée pour évacuer les indésirables, les gueux, les marginaux, les migrants, les révoltés, pour les rendre invisibles, pour les mettre hors de portée, hors société, pour exclure savamment et méthodiquement le corps de l’espace et infliger aux corps les contraintes de la servitude. L’exploitation économique commence par une coercition des corps. C’est une manipulation calculée de ses éléments, de ses gestes, de ses comportements. La discipline fabrique des corps soumis et exercés, des corps « dociles » ; elle majore les forces du corps en termes économiques d’utilité et diminue ces mêmes forces en termes politiques d’obéissance[3].

Un jeune noir ou arabe dans les rues françaises apprend très tôt à ne pas courir devant les forces de l’ordre sous peine d’injures et de poursuites, car si l’on court c’est que l’on fuit et si l’on fuit c’est que l’on est coupable. Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois sont morts d’avoir couru[4].

« Ne jamais courir, surtout la nuit, pas de mouvements brusques, pas de capuchon sur la tête, pas d’objet à la main, surtout brillant, ne jamais attendre des amis à un coin de rue, au risque d’être pris pour un dealeur, garder ses distances avec ceux qui pourraient vous juger dangereux sous peine de se mettre soi-même en danger[5] ». Ce sont des règles universelles de résistance dans tous les territoires ségrégationnistes de la planète[6].

La marche comme proto mouvement d’un état du monde traduit directement ce rapport politique. Une pensée du corps dans l’espace ouvre cette voie réflexive d’interroger son expérience en constituant le contre espace d’un labo in vivo des repliements et dépliements d’une forme corporelle et sociale.

« Pendant l’entre-deux-guerres des artistes afro-américains propose de nouvelles formes de danse cherchant à s’éloigner des claquettes des danses de revue, il commence à penser la danse comme un lieu de revendications sociales et raciales, de métissage, de mémoire culturelle et de représentation de la diaspora »[7] qui fit écho quelques années plus tard à la lutte pour les droits civiques, le mouvement Black Power et les luttes des minorités.

Tout processus d’oppression génère sa culture de résistance. Les luttes sociales se réinventent à l’aune du changement radical des rapports de production. Un acte libre et gratuit ne peut qu’interroger de par sa simple existence les conditions politiques d’émergence d’un espace public. C’est une manière de réaffirmer le caractère non-propriétaire comme espace du commun partageable. Un système à prétention totalitaire possède ses propres failles. La rue avec ses espaces insoumis et ses murs révoltés est une de ces failles spatio-temporelles. Par le fait même d’être à la fois le début et la fin d’un processus de marchandisation, elle provoque des tensions où se logent des pratiques spontanées et brutes d’hacking urbain selon les méthodes créatives de détournement et de la récupération à l’instar du graffiti[8] et du parkour[9].

La danse devient elle-même politique en dépassant l’emprise de la peur, en retournant ce par quoi la ville se refuse à la rencontre et à l’expression. Et tout d’un coup, ce corps invisible, refoulé, replié, relégué aux périphéries rythme le cœur des places. Cet acte fondamental d’appropriation de son espace vital recompose l’unicité de son parcours de vie.

La danse hip-hop est politique parce qu’elle restaure cette fonction critique dans la tension entre le proto mouvement du corps contraint et le méta mouvement des luttes d’émancipation. Elle se distingue en cela de la danse contemporaine dans sa forme instituée labellisée par le monde de l’art qui a perdu sa promesse émancipatrice, « un projet dont la faillite accompagne la fin des avant-gardes historiques et l’échec du projet révolutionnaire »[10]. Seul peut se dire contemporain celui qui ne se laisse pas aveugler par les lumières du spectacle. « Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps »[11].

Au rez-de-chaussée des villes, au plus bas des dalles et des halls, en tâtant la dureté des textures le mouvement tire sa force des matériaux disponibles, le béton prenant ici le rôle de la terre mère africaine. « En Afrique, la danse n’est pas séparée, elle fait partie intégrante du complexe vivant »[12].

Cette capacité à relier la terre battue et le bitume participe d’une médiation de la forme (l’expérience esthétique) avant une médiation de l’œuvre (l’expérience artistique). C’est ce qui a facilité la traversée des océans entre Afrique et Amérique, Amérique et Europe, Europe et Afrique. C’est ce qui a permis de transcender les cultures en dépassant la séparation entre un art de vivre et vivre l’art entre culture populaire et culture savante.

Ce n’est pas un objet d’art statufié qui prend sens dans le regard du public averti de « La » culture, mais des situations en mouvement d’un imaginaire instituant entre les hommes et le monde. Autrement dit, il ne peut avoir transformation sans relation entre forme et sens, matériaux et symboles. Sans l’irruption créatrice de cet imaginaire, la société n’existe plus dans ce qui fonde notre manière de vivre ensemble.

« En matière de création artistique, il importe essentiellement que l’imagination échappe à toute contrainte, ne se laisse sous aucun prétexte imposer de filière. Loin de notre pensée de vouloir ressusciter un soi-disant art « pur » qui d’ordinaire sert les buts plus qu’impurs de la réaction. Nous estimons que la· tâche suprême de l’art à notre époque est de participer consciemment et activement à la préparation de la révolution. L’artiste ne peut servir la lutte émancipatrice que s’il s’est pénétré subjectivement de son contenu social et individuel, que s’il en a fait passer le sens et le drame dans ses nerfs et que s’il cherche librement à donner une incarnation artistique à son monde intérieur »[13].

Mais une fois décrétée objet d’art, l’œuvre perd cette force médiatrice. Retrouver l’énergie salvatrice s’opère dans la confrontation aux matériaux. Se cogner au ciment cimente. C’est dans cette force structurante que naissent une conscience et des collectifs, un mouvement indiscipliné, sauvage qui s’invente lui-même ; c’est dans ce mouvement que s’exprime un désir irrépressible et spontané surgi de l’expérience innommable, intolérable des rapports de domination. Si les cultures urbaines sont nées du croisement entre l’art et le peuple alors elles ne peuvent exister que comme formes autonomes et subversives.

Elles perdent leur autonomie là où commence la définition de l’art et du peuple comme objet économique et sociologique. Existent-ils vraiment ? Certains disent les avoir rencontrés. Ne les croyez pas ou plutôt croyez en l’illusion de la réalité du peuple que procure l’art. « L’art est un mensonge qui dit la vérité en nous délivrant de l’illusion du réel »[14].

La folie de Charlie Chaplin disparaît lorsque le cinéma parlant devenu une industrie s’est mis à prétendre décrire le réel alors que le cinéma muet finissait en objet de curiosité et d’analyse. Sa force était ces zones d’ombre, le caractère irréel de ses personnages. Comme le déplorait Chaplin, « de nos jours on n’en sait trop sur les gens, il n’y a plus de place pour l’imagination, pour la poésie inhérente aux figures mythiques »[15]. Ces personnages n’existaient pas dans la vraie vie et pour cela pouvait dénoncer férocement les conditions de vie, jouer le facteur de chaos à l’intérieur de l’ordre établi, réussissant à créer leurs propres dynamiques auxquelles pouvaient s’associer les gens.

Alors, doutons lorsqu’on prétend décrire un peuple et un art hip-hop. Attachons-nous à une recherche qui se déjoue des représentations chosifiant le vivant pour mieux toucher la vérité d’un mouvement d’émancipation et de création, là où la danse de rue retourne l’enveloppe de la ville permettant à chaque passant pauvre ou non de projeter dans le clochard céleste l’âme révolutionnaire.

Que nous dit le danseur hip-hop ? « Puisque tu n’as rien, tu vas faire quelque chose de magnifique. L’art est au coin de la rue, il suffit d’avoir des yeux de poète »[16]. Ne croyez pas les commentaires paternalistes qui disent d’un ton condescendant qu’un chorégraphe est « issu du » hip-hop ou « issu de » la rue lorsqu’il accède au Saint Graal des scènes contemporaines. Le hip-hop serait digne d’intérêt non dans sa force éruptive, mais comme volcan éteint, esthétiquement domestiqué, policé une fois éliminé tout danger subversif.

« La danse est la danse. Un chorégraphe noir qui chorégraphie des ballets classiques sur des thèmes empruntés à l’Antiquité grecque n’est pas moi artiste qu’un chorégraphe noir dont le travail s’inspire du ghetto »[17]. « Issu de » rappelle constamment l’injonction faite aux arts considérés comme mineurs et a-historiques – puisqu’enfermés dans un passé dénué d’avenir – de s’ouvrir à l’art, le vrai, celui qui s’inscrit dans l’histoire et le récit national. Comme il est toujours rappelé aux jeunes « issus de » l’immigration trois générations après qu’ils ne seront jamais totalement français, qu’ils n’appartiendront jamais au récit collectif et doivent toujours faire la preuve de leur intégration comme manifestation de leur docilité.

Michel De Certeau appelait cela la « beauté du mort » où les arts et les cultures populaires deviennent attractifs qu’une fois éteints[18]. Chris Marker le confirme notamment à propos du pillage de l’art africain : « quand les hommes sont morts, ils entrent dans l’histoire. Quand les statues sont mortes, elles entrent dans l’art. Cette botanique de la mort, c’est ce que nous appelons la culture »[19].

Mais l’émergence de formes brutes et singulières nous indique qu’« il se peut que, sur les ruines de la culture, une création d’art renaisse, orpheline, populaire, étrangère à tout circuit institué et à toute définition sociale, foncièrement anarchiste, intense, éphémère, dégrevée de toute idée de génie personnel, de prestige, de spécialisation, d’appartenance ou d’exclusion, de clivage entre la production et la consommation. Ce serait l’avènement d’un homme sans modèles, radicalement irrespectueux et par conséquent créateur »[20].

De l’art et du peuple lequel finalement manque le plus à l’autre ? Il est de bon ton, et plus confortable moralement, de prétendre que l’art manque au peuple. C’est ainsi que s’érige l’idéologie néo coloniale envoyant les artistes comme missionnaires civilisateurs au nom de la reconquête des territoires populaires. « On peut penser aussi que c’est le peuple qui manque à l’art, et c’est aux artistes alors de nous le rappeler, eux qui ont recours à son énergie, à sa créativité et à ses ressources, pour renouveler leur inspiration »[21].

La danse hip-hop reçoit l’injonction de s’ouvrir. « En distinguant art majeur et art mineur, la politique culturelle de l’État a contribué à maintenir les ségrégations culturelles. Elle a établi des échelles normatives de valeur fondées sur la notion vague d’« excellence », dont on peut se demander si elle relève du goût, nécessairement subjectif, ou d’un critère construit par l’esthétique et/ou l’histoire de l’art »[22].

Pourtant, loin d’enfermer l’art, le hip-hop et autre art populaire le libèrent du carcan qui le sépare de la vie. Ainsi la danse ne devient pas « art » une fois qu’elle monte sur la scène des théâtres contemporains, l’art existait dès les premières secondes de sueur jetée sur l’asphalte. Elle sera vivante tant qu’elle continuera d’introduire le corps pensant dans l’espace public.

Ce corps acrobate tel un Buster Keaton prend des risques. Parfois maltraité, parfois briser, « il est projeté avec fulgurance au travers des structures sociales, des mécaniques et des machinations de la société. C’est un corps jeté au monde, et dans le mouvement de sa projection il va précipiter, emballer le monde à l’échelle des grands espaces, de la ville entière »[23].

Dans le cercle hip-hop, dans ce jeu continuel d’appel réponse propre à toute forme populaire, le corps du spectateur est mobilisé, il est transporté, il devient lui aussi acteur de ces liaisons et déliaison sensorimotrice, il est projeté dans cette danse avec le monde.

En créant un nouveau cadre de réception, la danse hip-hop crée un environnement qui ouvre un champ de possibilités sans pouvoir présager de la forme d’apparition et de production des événements, rarement répertoriés dans les lieux dédiés à la culture qui qualifient l’œuvre en fonction des critères d’excellence artistique.

Mais comme le rappelle Jean Dubuffet « L’art ne vient pas coucher dans les lits qu’on a faits pour lui ; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom : ce qu’il aime c’est l’incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle ».

Échapper à la catégorisation de la forme esthétique c’est d’une autre manière revendiquer l’expérience esthétique comme faisant partie du processus artistique et l’art lui-même comme bricolage assumé. C’est comprendre avant tout l’œuvre comme un principe d’accomplissement de ce mouvement. Ce n’est pas refuser une professionnalisation, mais indiquer que les modes de création, de transmission et de diffusion peuvent emprunter des chemins braconniers et, par conséquent, sa propre façon d’organiser, de classer, de hiérarchiser ses modes de validation et de jugement, distincts de ceux du monde de l’art.

Après tout on veut bien accepter de l’art contemporain qu’il développe des œuvres comme processus d’emprunts collages, réappropriation, transformation, rupture, renversement… Alors, la prise en compte de l’aléatoire dans l’œuvre, le dialogue ou la confrontation avec les matériaux bruts, la préférence du processus intuitif à l’ingénierie de projets, l’absence d’appartenance à une école, la revalorisation par le détournement des situations déclassées ou reléguées devraient être des critères tout aussi acceptables d’une mise en œuvre artistique que celle du milieu académique ou institutionnel.

Et si l’on refuse à cet art indiscipliné une autonomie, ce n’est pas pour des critères artistiques, mais politiques couvrant d’autres raisons économiques. Le refus de considérer l’art catégorisé comme mineur, minoritaire, voire communautaire, c’est lui refuser de se constituer comme forme sociale et culturelle totale, un « Tout-Monde »[24] dans sa diversité et son universalité.

À la brutalité du monde et des hommes ­répond l’art porté à mains nues comme une arme. Le collectif de femmes du New Dance Group affirmait dans les années 30 « dance is a weapon », la danse est une arme contre les puissants, une arme pour les dominés, une ­arme pour l’émancipation des masses. « Alors on va dans les usines, dans les bureaux, dans les rues, on enseigne l’art du mouvement ­libre, de l’improvisation aux danseurs professionnels comme aux amateurs, ­enfants, ouvriers ou secrétaires »[25].

Le corps politique de la danse et autre art dans l’espace public sont une guérilla en faveur d’un libre accès à l’espace et la culture. « Il est grand temps pour nous, dans la grande tradition de la désobéissance civile, de manifester haut et fort notre opposition à la confiscation de la culture publique par les organismes privés »[26]. Il nous faut nous emparer du savoir et tous autres matériaux utiles là où ils sont, les diffuser et les partager avec le reste du monde.


Hugues Bazin, Intervention à la conférence dansée, « Danse contemporaine, questions d’Afrique », 18 mars 2017, Morsang-sur-Orge (91) sous les auspices des Rencontres Essonne Danse et du centre de développement chorégraphique La Briqueterie (Val-de-Marne)


[1] Anne Gonon, « La ville a-t-elle définitivement dompté ses artistes urbains ? », in revue Nectart No 1, 2015.

[2] Richard Shusterman, L’art à l’état vif, La pensée pragmatiste et l’esthétique populaire, Ed de Minuit, 1992, Col Le sens commun.

[3] Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975

[4] À l’origine des émeutes de 2005

[5] Garnette Cadogan, « Être Noir dans la ville », Le Monde du 19/01/2017

[6] Sur l’humiliation et l’incorporation du pouvoir par le corps : Hugues Bazin, « Police des banlieues, contremaître du néo capitalisme », recherche-action.fr, 2017

[7] Claire Rousier, « Avant-propos » in Danses noires, blanche Amérique, Centre National de la Danse, 2008, p.5.

[8] Hugues Bazin,  « L’art d’intervenir dans l’espace public » in Territoires No 457, Adels, 2005, p.10-12

[9] Hugues Bazin, « Les arpenteurs ouvreurs d’espaces », revue Arpentages, 2013

[10] Thierry de Duve, « Fonction critique de l’art ? Examen d’une question », in C. Bouchindhomme et R. Rochlitz (dir.), L’Art sans compas. Redéfinitions de l’esthétique, Paris, Le Cerf, 1992

[11] Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris, Rivages, 2008

[12] Ric Estrada, « Three leading negro artists and how they feel about dance in the community » in Dance Magazine, vol 42, no11, 1968, p.60.

[13] André Breton, Diego Rivera, Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant, Mexico 25 juillet 1938

[14] Pablo Picasso, Cité par Florent Fels dans « Propos d’artistes », Bulletin de la vie artistique, juin 1923.

[15] Simon Backès, Chaplin/Keaton, le clochard milliardaire et le funambule déchu, 52’, MK2 TV, 2015

[16]  Bodan Litnianski, cité in Olivier Olivier Thiebaut, Bonjour aux promeneurs ! Sur les chemins de l’art brut, Editions Alternatives, Paris, 1996.

[17] Julinda Lewis William, « Black dance : adiverse unité », Dance Scope, vol14, no2, 1980, p.58

[18] Michel de Certeau, « La beauté du mort » in La culture au pluriel, Paris, Christian Bourgeois, 1974, (Points Essais), 1993.

[19] Chris Makher , Commentaires, Paris, Seuil, 1961

[20] Michel Thévoz, L’Art Brut [1975], Genève, Albert Skira, 1995.

[21] Jean Olivier Majastre, L’art, le corps, le désir. Cheminement anthropologique, Paris l’Harmattan 2008

[22] Jean Caune, « Culture administrée ? Art instrumentalisé ! », Revue Nectart No 4, 2017

[23]  Simon Backès, Chaplin/Keaton, le clochard milliardaire et le funambule déchu, 52’, MK2 TV, 2015

[24] Hugues Bazin « Art du bricolage, bricoleurs d’art » in Les cahiers d’Artes « L’art à l’épreuve du social », Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, pp 95-113.

[25] Victoria Phillips Geduld, Dance is a weapon : le New Dance Group, 1932-1955, Centre National de la Danse, 2008.

[26] Aaron Swartz, Manifeste pour une guérilla en faveur du libre accès, Juillet 2008, Eremo, Italie