Contre Marché de NOËL

Le Satellite et le collectif de recherche-action Rues Marchandes vous invitent au Non-marché de Noël

le 15 décembre de 11h à 18h

108 Rue des Cités 93300 Aubervilliers

Au programme : marché biffin, stands associatifs, repas et boissons à prix libre, artisanat DIY, ateliers de réflexion collective sur l’économie populaire, jam session… Une journée festive autour de rencontres et d’échanges ouvert à tou.te.s, à prix libre ou gratuits, pour faire émerger de nouvelles ressources sur un territoire partagé, sans attendre qu’on nous les impose ou qu’on nous les vende.

Parce que Noël est un moment de sur-consommation qui creuse les inégalités et les solitudes; parce que nous voulons créer d’autres ressources que celles des magasins et des produits neufs; parce qu’on peut faire la fête, donner et recevoir même si l’on n’a pas beaucoup d’argent ; parce que les lieux vides sont à tou.te.s et que le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas, nous vous invitons à rencontrer des acteur.rice.s de la récupération-revente, du squat en milieu urbain, de la recherche-action, de l’artisanat DIY, de la bouffe collective, de la musique inclusive… Et à en être vous-mêmes acteurs et actrices !

Rues marchandes est un collectif qui réunit chercheurs et acteurs autour de l’économie populaire, marchande et non marchande, sur les territoires franciliens.

Le Satellite est un lieu occupé et autogéré ouvert à Aubervilliers depuis huit mois. Il est porté par un collectif pluridisciplinaire réunissant des artistes, des étudiant.e.s, et des travailleur.se.s sociaux qui cherchent à faire vivre un espace d’entraide, de création et de convivialité, gratuit et ouvert à tous.

POUR L’ APPEL AUX DONS DE JOUETS
ET AUX INTERESSE-ES POUR TENIR UN STAND
CONTACTEZ CAMILLE AU 0635148068

Sous les tentatives de communismes immédiats

Sous les tentatives de communismes immédiats

Une analyse institutionnelle supervisée par Varvalia Lodenko

« Devant nous s’étend la terre des pauvres, dont les richesses appartiennent exclusivement aux riches, une planète de terre écorchée, de forêts saignées à cendre, une planète d’ordures, un champ d’ordures, des océans que seuls les riches traversent, des déserts pollués par les jouets et les erreurs des riches, nous avons devant nous les villes dont les multinationales mafieuses possèdent les clés, les cirques dont les riches contrôlent les pitres, les télévisions conçues pour leur distraction et notre assoupissement, nous avons devant nous leurs grands hommes juchés sur une grandeur qui est toujours un tonneau de sanglante sueur que les pauvres ont versée ou verseront, nous avons devant nous les brillantes vedettes et les célébrités doctorales dont pas une des opinions émises, dont pas une des dissidences spectaculaires n’entre en contradiction avec la stratégie à long terme des riches, nous avons devant nous leurs valeurs démocratiques conçues pour leur propre renouvellement éternel et pour notre éternelle torpeur, nous avons devant nous les machines démocratiques qui leur obéissent au doigt et à l’œil et interdisent aux pauvres toute victoire significative, nous avons devant nous les cibles qu’ils nous désignent pour nos haines, toujours d’une façon subtile, avec une intelligence qui dépasse notre entendement de pauvres et avec un art du double langage qui annihile notre culture de pauvres, nous avons devant nous leur lutte contre la pauvreté, leurs programmes d’assistance aux industries des pauvres, leurs programmes d’urgence et de sauvetage, nous avons devant nous leurs distributions gratuites de dollars pour que nous restions pauvres et eux riches, leurs théories économiques méprisantes et leur morale de l’effort et leur promesse pour plus tard d’une richesse universelle, pour dans vingt générations ou dans vingt mille ans, nous avons devant nous leurs organisations omniprésentes et leurs agents d’influence, leur propagandistes spontanés, leurs innombrables médias, leurs chefs de famille scrupuleusement attachés aux principes les plus lumineux de la justice sociale, pour peu que leurs enfants aient une place garantie du bon côté de la balance, nous avons devant nous un cynisme tellement bien huilé que le seul fait d’y faire allusion, même pas d’en démontrer les mécanismes, mais d’y faire simplement allusion, renvoie dans une marginalité indistincte, proche de la folie et loin de tout tambour et de tout soutien, je suis devant cela, en terrain découvert, exposée aux insultes et criminalisée à cause de mon discours, nous sommes en face de cela qui devrait donner naissance à une tempête généralisée, à un mouvement jusqu’au-boutiste et impitoyable, dix décennies au moins de réorganisation impitoyable et de reconstruction selon nos règles, loin de toutes les logiques religieuses ou financières des riches et en dehors de leurs philosophies politiques et sans prendre garde aux clameurs de leurs ultimes chiens de garde, nous sommes devant cela depuis des centaines d’années, et nous n’avons aujourd’hui pas compris comment faire pour que l’idée de l’insurrection égalitaire visite en même temps, à la même date, les milliards de pauvres qu’elle n’a pas visités encore, et pour qu’elle s’y enracine et pour qu’enfin elle y fleurisse. Trouvons donc comment faire, et faisons-le. » Discours de Varvalia Lodenko, un Des Anges Mineurs de Volodine.

Chez Volodine, rares sont les passages sans ironie à propos du communisme. Une ironie légère qui floconne au dessus d’un monde lugubre et qui se joue de l’égalitarisme, du féminisme ou de l’univers concentrationnaire du communisme soviétique, sans les condamner ouvertement. Volodine présente les expériences communistes et leurs croyances comme si brutes et si froides – uniquement incarnées par des mort-vivants tri-centenaires – qu’elles en paraissent un peu ridicules. Ce discours de Varvalia Lodenko, pourtant elle-même cramée à l’os par les radiations depuis des siècles, est par l’ardeur au premier degré assez atypique du travail de Volodine. Comme une proclamation vivace qui perce le règne du doute et de la dérision. Un des rares passages où l’on dirait que l’auteur lui-même y croit. Et s’il n’y croit pas, tant pis, laissons-nous tomber dans le panneau, car rarement une phrase aussi longue et aussi belle que celle-ci ne s’est retrouvée dans un livre aussi noir. Une seule raillerie se glisse éventuellement sous la conclusion « Trouvons donc comment faire, et faisons-le. », par le contraste entre l’infini de la tâche et l’expéditif de l’injonction.

C’est de là que nous devons partir. Nous, c’est-à-dire certains de ceux qui se retrouvent à éprouver, tant bien que mal, des tentatives de communismes immédiats.

L’écart entre le discours de Varvalia (donné devant quelques brebis accompagnées d’une poignée de vieillardes) et notre quotidien tient au fait que nous sommes bien obligés de considérer immédiatement, sans tourner la page ni poireauter pendant plusieurs siècles, le « faisons-le ». Aussi mort-vivants que nous soyons, nous n’allons pas laisser filer notre existence à attendre que les élections, l’assemblée, la république, l’Etat, les aménageurs bétonniers et leurs collègues gestionnaires, les grands penseurs télévisuels ou même l’avant-garde révolutionnaire viennent arranger pour nous notre quotidien. L’immédiateté n’est pas uniquement une question temporelle d’impatience, elle requiert aussi de ne plus s’encombrer d’intermédiaires.

Mais la disposition dans laquelle nous nous trouvons est certainement moins évidente que celle de Varvalia Lodenko. Déjà, parce qu’immergés dans la pagaille des idées du moment, nous donnons l’air de chipoter sur la moindre nuance, alors qu’il s’agit de s’extraire du verbiage poisseux du pouvoir. Pour bricoler une voie juste, il nous arrive d’articuler des idées dont la nuance est décisive. Habités d’une profonde quête contre les dominations, nous refusons qu’un représentant la mène à notre place et nous détestons tout régime ou système égalitaires. Émerveillés par les possibilités de l’immédiateté et du présent, nous tentons de résister à la dictature de l’urgence des temps actuels. Obsédés par l’effondrement contemporain et les voies exaltantes qui s’y ouvrent, nous n’avons aucune illusion au sujet du grand soir et nous sommes dévastés de voir des camarades tomber dans la bataille. Nous expérimentons l’autonomie, mais nous savons que les liens avec l’ordre établi qui nous a vus naître sont encore tenaces en nous.

Nous avançons sur une ligne de crête friable qui se dévoile en cheminant. Assurer notre démarche demande de trouver un tempo qui nous est propre et de savoir s’envoler quand tout finit par s’effondrer. Et ça s’écroule à vue d’œil, déjà, mais ça peut durer infiniment comme ça. Car cette dégringolade n’est pas un événement futur dont il faudrait anticiper les méfaits, c’est un quotidien éreintant, rien d’autre qu’une modalité de fonctionnement extravagante et spectaculaire de l’ordre en place. Lors de nos tentatives qui sont bien de ce monde, c’est-à-dire dans les interstices de son régime orageux, il faut se garder de suivre le rythme des écroulements successifs, ceux de l’économie, de l’Etat, du service public, des anciennes solidarités nationales… Nous cherchons notre constance et notre consistance aussi. C’est une histoire de rythme, celui de notre recherche et celui de nos actions qui, pour s’emballer vers la transe, doivent se synchroniser en dehors de la grille temporelle souveraine d’un régime agité. Étrangement, ces tentatives révèlent en nous la grande stabilité intériorisée de cette société qui pourtant semble, de l’extérieur, s’écrouler immanquablement. Éprouver des communismes trahit la persistance des normes, régimes et polices que l’on incarne alors que plus personne n’y croit et n’en veut. C’est aussi de là que provient la rage de Varvalia Lodenko, de l’éternelle continuité d’un monde déjà mort.

L’immédiateté de la fougue contre l’éternité de l’ordre, donc. Mais pourquoi le communisme ? Surtout que celui décrit dans les livres de Volodine – le communisme de la troisième ou de la dix-millième Union Soviétique – est relativement irradié, disons-le comme ça.

« La question communiste ne revient pas : elle ne nous a jamais quittés. C’est l’homme occidental lui-même qui la porte partout, en portant partout sa folie d’appropriation. « Communisme » est le nom du possible qui s’ouvre chaque fois et en tout lieu où l’appropriation échoue – sur une grève sauvage, une planète ravagée ou un féminisme extatique. C’est dire si le sentiment de désastre qui nous hante naît d’abord de la difficulté que nous éprouvons à trouver le passage, à forger le langage, à embrasser le dénuement d’où nous parviendrons à saisir une tout autre possibilité d’existence. C’est dire si le communisme est peu affaire d’hypothèse ou d’Idée, mais une question terriblement pratique, essentiellement locale, parfaitement sensible ». Tiqqun, Tout a failli, vive le communisme.

Ce qui émerge sur tous les fronts, vers chez nous, mais chez vous sûrement aussi, ce sont des organes de mise en commun des savoirs, des sensations, du matériel, des visions, de l’argent, des gestes et des actions. Il s’agit d’abandons volontaires de propriétés foncières, argentées, techniques et idéologiques personnelles dont les groupes se saisissent pour les faire pousser ailleurs et autrement plus éclatantes. Dans les détails, ces initiatives se présentent sous la forme d’ateliers d’autonomisation (de la mécanique à la philosophie…), de caisses communes et de grèves, de productions vivrières collectives, de maisons retapées pour l’installation des migrants, de groupes autonomes d’entraide psychologique, de chantiers de charpentes entre amis… Puis le mélange subtil de tout ça aussi. La liste est longue et en les nommant ainsi à la suite et uniquement en tant qu’objets pratiques, nous courrons le risque de faire disparaître la substance de ce que l’on vit vraiment. D’autant plus que les « ateliers DIY », les « hacker spaces » et «  l’économie solidaire » sont devenus des labels qu’une start-up branchée pourrait utiliser pour son appel de fonds sur Twitter. L’apparat de la subversion est un faire-valoir qui rapporte, et ce serait bien ennuyeux que nos termes se confondent avec ceux des supermarchés. Voilà pourquoi nous appellerons plutôt tentatives de communismes immédiats les chemins que l’on essaye de se frayer dans le néant chaotique et communicant de l’époque. Notre utilisation du communisme irritera plus d’un social-démocrate – et ce serait vraiment s’abaisser que de lui expliquer en quoi tout ce que nous faisons diffère du communisme radioactif de l’Urss et du Parti. Au-delà du plaisir gratuit de secouer l’inconséquence sensationnelle de la pensée politique actuelle, dire LES communismes c’est donner de l’épaisseur et du sens à ce que l’on fait et qui va à l’encontre d’un monde où le commun est méticuleusement chassé.

Ces tentatives sont aussi communistes car il s’agit bien d’échapper à toute forme de domination. C’est-à-dire d’évacuer l’ordre propriétaire, sa milice gouvernementale et policière, sa culture de la concurrence et ses camps de travail – et tous ces cadres économiques dans lesquels nous ne voulons plus penser – pour tenter, selon des modalités sensibles au foisonnement de nos expériences, d’agréger nos moyens et rendre possible la vie qui jusqu’alors n’éclatait pas à la face du monde, faute de commun. En précipitant vers le commun tout ce qui est communisable, en mêlant à l’acte l’élaboration de notre propre langue pour que l’époque communicante ne nous pense pas à notre place, en organisant un contre service public qui anticipe la sortie du régime actuel, nous cultivons un terrain de jeu duquel tout peut se déchaîner. C’est depuis ce terrain commun que jaillissent de terre ces plans que les gens fomentent dans leur tête depuis tant d’années.

« La question est de savoir si nous préférons l’éventualité d’un danger inconnu à la certitude de la douleur présente. C’est-à-dire si nous voulons continuer à vivre et parler en accord (dissident certes, mais toujours en accord) avec ce qui s’est fait jusqu’ici, ou si nous voulons interroger la petite part de notre désir que la culture n’a pas encore infestée de son pesant bourbier, essayer – au nom d’un bonheur inédit – un chemin différent. » Tiqqun, Tout a failli, vive le communisme.

Oui nous fuyons et nous tentons de prendre un chemin différent. Peut-être moins au nom d’un bonheur inédit, qu’en vertu d’une implacable nécessité de fuir qui dans l’action s’avère bouleversante, avec une part de joie, mais une part seulement. Une grande dose de mélancolie, plus certainement. Ce que nous cherchons, ce ne sont pas des mots qui séduisent, comme venus d’un autre monde perché et qui, d’en haut, nous appellerait. Ce ne sont pas des slogans à scander pour mobiliser les foules ici bas – bien que nous en usions jusqu’à l’ennui. Nous voulons plutôt défricher des routes sauvages qui dans leur emballement nous laissent le temps d’élaborer des manières justes de décrire ce qui nous délivre et nous fait déjà rêver dans nos réalités. Cela dit, le pesant bourbier de la culture dominante ne va pas rester sur le pas de la porte quand nous lui demandons. On risque de le trimballer partout à trop s’en croire détachés. C’est pourquoi nous cherchons dans la fuite des façons de débusquer ce qui dans nos groupes, nos logiques et nos pratiques, persiste de l’institué. Nos tentatives semblent difficilement supporter le poids des habitus, d’où la nécessité d’une pratique sensible du délestage.

En soi, le mouvement de la fuite comprend tous les termes de l’ambivalence qui court sur nos chemins. L’action de fuir un monde et sa culture, pour enfin vivre, n’est jamais séparée de la longue macération sociale dans laquelle nous avons baigné avant de nous en exfiltrer par des pores que nous avons dû nous-mêmes forer.

Désigner nos tentatives de communistes est une manière de reconnaître, en des termes proches de la sociologie issue d’un certain marxisme, la présence de faits sociaux et la reproduction sociale. C’est une façon de ne pas faire semblant d’exister en dehors de toute hiérarchie et de relations de pouvoir, libres de toute détermination et de toute institution.




Se délester du travail, penser nos tendances travailleuses




Varvalia Lodenko fractura la serrure à la carabine et entra dans la chambre. Des poules caquetèrent, elles s’envolèrent au milieu d’une pluie de terre et de plumes et d’ustensiles et de bouteilles de plastique, car une étagère s’était rompue dans la pagaille, dans l’action, dans la pénombre lunaire, et déversait son contenu près du lit, où était étendu le dernier mafieux du capitalisme. La chambre empestait la volaille et la gangrène. Le dernier mafieux allongea le bras, alluma la lampe de chevet. Il avait la figure défaite, une expression de fatalisme anxieux se recomposa peu à peu sur son visage, ses lèvres se tordirent sur un mot inexistant. Sous la menace, il se débarrassa de la couverture et se plaça sur le flanc. Huit jours plus tôt, Varvalia Lodenko l’avait blessé au-dessus du genou, ce qui avait permis de le suivre à la trace jusqu’à sa tanière.

Il y a toutefois dans nos groupes des questions qui ne pourront pas se régler à coup de fusil, même si l’odeur de volaille et de gangrène nous est bien familière. Le mafieux capitaliste est l’une de ces figures théâtrales que l’on a apprise à jouer pour de vrai, pendant toute notre enfance, en famille et à l’école, pendant nos premières années au turbin, à l’usine et au bureau. La traque sera donc intestinale. L’habitus primaire du mafieux capitaliste s’est si bien incorporé en nous qu’on le croirait congénital, telle une maladie incurable qui nous poursuit jusque dans nos tentatives. L’école est redoutable pour cela. Combien de fois nous a-t-elle dit que, pour réussir plus tard, il fallait s’appliquer, apprendre, respecter l’autorité et ses règlements, et travailler, déjà. Nous avons tendance à balayer d’un revers de la main les effets profonds de cette école de l’ordre concurrentiel, ce sas avant le camp de travail.

« Le camp ne présente que des avantages pour la population qui s’y trouve rassemblée, et c’est pourquoi une large majorité des malheureux qui vivent encore à l’extérieur du camp essaie à tout prix d’y accéder, rêve en permanence du camp, et décousue reste leur argumentation en faveur des modes d’existence […] à l’extérieur des barbelés… » Matthias Boyol, non loin d’un Terminus radieux de Volodine.

Le camp de travail soviétique fermé ou celui aux apparences ouvertes et libres du capital, ont en commun d’insinuer efficacement en nous bon nombre d’habitus, dont celui du travailleur. Au point qu’il devient évident de dédier notre existence à la production, quand bien même elle serait pour le compte d’un autre indésirable. Le travail est un fait social total, généré et protégé par le corps social qui le défend bec et ongles. Et effectivement, le contre-argumentaire en est coriace à élaborer et à incarner.

Mafieux capitalistes, travailleurs des camps, nous pourrions ajouter à cette liste gênante d’habitus propres au théâtre économique, les personnages du manager – ce guide suprême de nos désirs de réalisation de soi –, celle du producteur dévoué et loyal, même « bio » si ça se trouve.

Dire qu’il est indispensable de s’échapper de ce théâtre-là est un euphémisme. Mais dire qu’il ne nous poursuit pas depuis l’intérieur serait une erreur. Il induit nos modes de vie, nos manières d’être en groupe, il vient parasiter le commun stellaire que nous tissons ensemble.

Nous n’avons pas de méthode universelle pour nous débarrasser de l’institué, notamment de notre rapport au travail. Nous n’avons pas non plus de technique exorciste pour détricoter les mailles de nos habitus primaires qui se sont entremêlées, au gré de l’expérience, dans les trames plus conscientes de croyances dissonantes. Nous sommes seulement devant cette nécessité impérieuse de mettre en chantier tous les faits sociaux qui nous criblent de leurs filiations sociales. Et ce chantier pourrait commencer par nos croyances immédiates. Sans leur opposer une prétendue rationalité quelconque, qui leur serait supérieure, mais plutôt en admettant qu’elles forment des tendances qui nous mobilisent jusqu’au sang. Commençons ici par mettre en culture les premières branches afin qu’un jour nous puissions vivre leur bourgeonnement et leur hybridation.

Par exemple, il y a dans nos groupes une tendance forte et affirmée qui vise l’abolition du travail. Cette tendance abolitionniste se fonde sur une définition proche de celle que Lordon nous a jeté à la figure de manière péremptoire, un jour de janvier 2018 à la Bourse du Travail : « J’appelle travail, l’activité humaine ressaisie dans les rapports sociaux du capitalisme. Point. » Il a dit « point ». Et malgré la clôture abrupte de la formule, beaucoup d’entre nous utilisent ces mots et cette analyse pour nommer ce qu’ils ressentent comme allant de travers, depuis le début, entre eux et le travail. La pratique, les gestes, le vécu, et tout ce qui vibre entre l’ordre humain et les humains vient trouver dans ce raisonnement une signification littérale. L’idée de l’abolition du travail comme chemin à explorer dans le faire du quotidien devient rapidement un leitmotiv, une grille d’analyse, un filtre à tout, des lunettes, une seconde peau. Il faut dire que l’argumentaire est bien rodé.

« Le travail n’a rien à voir avec le fait que les hommes transforment la nature et sont en relation les uns avec les autres de manière active. Aussi longtemps qu’il y aura des hommes, ils construiront des maisons, confectionneront des vêtements […], jardineront, joueront de la musique, etc. Ce fait est banal et va de soi. Ce qui ne va pas de soi, c’est que l’activité humaine tout court, la simple « dépense de force de travail », sans aucun souci de son contenu, tout à fait indépendante des besoins et de la volonté des intéressés, soit érigée en principe abstrait qui régit les rapports sociaux ». Groupe Krisis, Manifeste contre le travail.

Pour cette tendance idéologique là, le travail et le capital ne sont pas opposés, au contraire, ils font partie de la même machine, irrationnelle et aliénante. Donc selon cette tendance la lutte des classes et les mouvements ouvriers confortent le capitalisme et la domination, dans la mesure où leurs revendications ne portent que sur l’amélioration des composantes propres au capitalisme, c’est-à-dire les salaires, les retraites, la création d’emplois… Le groupe Krisis affirme que la gauche politique a « mythifié le travail en l’érigeant en contre-principe du capital. Pour elle, ce n’était pas le travail qui était scandaleux, mais seulement son exploitation par le capital […]. C’est pourquoi le programme de tous les partis ouvriers a toujours été de libérer le travail, non de se libérer du travail ». La veine abolitionniste laisse périr le capital et le travail avec toutes les versions comptables et économiques de la vie, pour mieux se consacrer à une manière inédite et non marchande de faire du lien entre humains, et de faire, tout court.

Il faut bien comprendre que ces concepts là, aussi froids et décharnés qu’ils paraissent ici, prennent corps dans l’activité de ceux qui s’en réclament. Ils viennent changer la perception du geste, la manière de se représenter l’activité du groupe et de s’y tenir, la façon de prendre la parole et de sentir les relations, la lecture des événements qui surviennent et le rapport au quotidien. Tout le contenu des systèmes de croyances en est chamboulé. C’est une sorte de contre-habitus qui vient se lover autour du premier – celui du travailleur des camps ou du mafieux capitaliste – et qui lui est tout de même assez corrosif.

L’abolitionnisme du travail n’est pas à ériger en une nouvelle catégorie sociale en soi, mais simplement à penser comme une tendance opérationnelle dans nos organes. D’ailleurs, jusqu’ici nous parlons davantage de tendances que de personnes. Les tendances traversent, imprègnent, mettent en mouvement nos groupes. Alors que les personnes, elles, abritent dans leur constellation idéologique nébuleuse une foule de concepts hybridés dont aucune case ne saurait rendre compte, fort heureusement. Et si l’on part de ces courants qui nous irriguent, nous voyons bien qu’ils viennent s’éclater contre des chicanes et des barrages qui s’élèvent de partout. C’est le cas des tendances abolitionnistes, entravées de tous les côtés. Par affinité, les gens tout à fait terrestres, qui les incarnent, s’en trouvent personnellement empêchés, car trop porteurs d’une tendance dont il semble communément admis qu’elle est à combattre.

Comment peuvent-ils éprouver la destruction nette du travail quand celui-ci structure encore si pleinement l’environnement et quelques uns des autres camarades ? Il faut modifier l’environnement, et convaincre les camarades, ou bien l’inverse. Mais comme rien n’est mécanique dans nos groupes très attachés à l’organique et à la conjugaison sensible des sensibilités, on ne transforme personne au nom de commodités idéologiques. Or, contre ceux qui veulent dépasser le travail, le champ de force économique oppose déjà, en plus du désaccord de camarades, la pression de « gagner sa vie », synchronisée avec le chantage de la famille, de pôle emploi et de la police. Donc même dans nos groupes, la tendance abolitionniste du travail peut se sentir fragilisée, au point de devoir trouver en elle, et elle seule, les ressources pour vivre la fin du travail. Le résultat de l’opération n’est pas systématiquement un renoncement à l’abolition ou un écartèlement digne d’un supplice moyenâgeux. La conséquence est bien plus mélancolique que cela, dans le groupe entier et dans la tête de chacun. Ca ressemble à une perte de goût – qui va et qui vient – pour la tentative, car enserrée dans trop d’ambivalences et de forces contradictoires dont certaines, les plus cruelles, sont en surplomb. Ca prend l’allure d’un désespoir chancelant qui danse avec la ferveur, une langueur chronique qui joue avec le robinet de l’extase. Nous nous livrons à des retraits cycliques dans des arrière-mondes sublimes ou sublimement noirs, à des recherches esthétiques pour exprimer tout ce que les mots ne peuvent plus dire. C’est aussi pour cela, qu’en matière de communisme, nous lisons davantage Volodine que Marx.

Dans nos tentatives il est devenu coutumier de se moquer des plus réfractaires au travail qui « œuvrent » ou sont « actifs » à raison de 80 heures par semaine au service du groupe. Ils sont si saturés de responsabilités et d’objectifs intenables qu’ils rôdent toujours à la lisière d’un burn-out digne d’un employé du Crédit Agricole. Remplacer dans le langage le terme de travail par celui « d’activité », et « travailler » par « faire » ou « œuvrer », ne suffit pas en substance à ne pas travailler, au sens abolitionniste. Car le choix de faire ou non, de participer à une activité ou non, de produire ou non, est toujours soumis à des formes euphémisées de coercition, qui sans communes mesures avec celles d’une multinationale, et sans se référer à un règlement intérieur, un organigramme ou un carnet de commande, restent les composantes persistantes d’un régime de contraintes. Nos propres « causes » opèrent parfois comme des forces en surplomb, certes bien plus désirables que de devoir gagner sa vie avec de l’argent et un statut social, mais pas moins cruelles et déterminantes dès lors qu’on les embrasse.

« Il a été dit qu’il y avait dans le sillage de cette femme une longue traîne de sang capitaliste […] Après le passage de Varvalia Lodenko, on était donc enfin de nouveau à l’aise pour vivoter fraternellement et bâtir sans honte de nouvelles ruines, ou, du moins, pour habiter sans honte les débris de tout. »

L’abolitionnisme du travail nous laisse errer mentalement parmi les débris d’une époque dont on fait table rase selon des croyances autant fraternelles que ruineuses. Ceci dit, nous construisons beaucoup et nous avons la phobie du sang. Sur le chantier d’une cabane en bois entre camarades, derrière les marmites du mois d’août dans lesquelles cuisent les confitures de l’année, autour d’une discussion qui vise à sortir notre argent des banques pour le mettre dans une caisse commune, les fidèles lecteurs du manifeste contre le travail et abolitionnistes mélancoliques partagent l’espace, la cause, les outils, l’air et tout ce qui fait nos liens communs que l’on ne saurait nommer ici, avec des partisans du travail libéré, ou de la gauche ouvrière – pour la dire en des termes abolitionnistes. Plutôt qu’une traîne de sang, il y a derrière nous l’épreuve permanente de cohabitations précautionneuses.

On pourrait tout à fait se dire à ce stade que nous refusons de distinguer les tendances partisanes qui nous habitent, et que nous cherchons plutôt à penser leur commun qui nous arrache de toutes sortes de tendances, ce commun transcendant qui constituerait Notre Parti. Mais comme ces tendances produisent des effets notables dans les groupes, précisément du fait de leur distinction et de leur obstination, nous devons nous coltiner la compréhension de ce qui les anime. Non pas pour penser leur synthèse moribonde, mais leur agencement fulgurant.

Ce qui finalement va contre l’agencement, c’est la persistance de cette logique qui tend à placer d’un côté les idéologies venues « d’en haut », c’est-à-dire d’un ciel désincarné en vertu duquel on prendrait toujours des positions doctrinaires hors sol, et de l’autre la pratique et le vécu « d’en bas », qui seraient source de vérités absolues, pures et sacrées. Or ce que nous expérimentons semble bien loin de cette binarité-là. Pourquoi s’épuiser à séparer un prétendu ciel d’idées politiciennes d’une soi-disant terre de savoirs empiriques ? Alors que nos faits et gestes, nos pratiques et nos liens, nos convictions et tendances poussent sur le même terrain de jeu et s’entremêlent dans nos situations. Nos tendances n’ont rien d’idéologique au sens d’un détachement du réel. Elles sont une des raisons d’être de nos gestes, autant qu’elles en sont les fruits. Elles nous mobilisent, aussi livresques et théoriques quelles soient.

Dans notre constellation de tendances, il y a évidemment celle décriée par l’abolitionnisme du travail, celle du travail libéré et libérateur. Elle prend corps, entre autres, dans le réseau salariat et les lectures de Friot. D’une manière beaucoup plus immédiate et à notre portée, elle s’expérimente dans les coopératives intégrales Toulousaine et Catalane. Ces formes de communes gardent de cette société l’argent, le marché et le travail, mais les organisent de telle manière qu’un nouveau plan d’auto-administration du territoire apparaît pour libérer l’agir et le temps des gens qui y participent. Ces tentatives-là dessinent un plan auto-gestionnaire qui vient recouvrir et déborder les circonscriptions administratives légales, pour constituer la cartographie populaire d’un terrain où les gens ont prise sur leur quotidien et les lieux qu’ils habitent. Nous ne parlerons pas ici des versions libérales à visée de contrôle social du revenu universel, de base ou citoyen. Cette arnaque-là, cette réforme, on est tous d’accord pour la réduire à néant.

La tendance du travail libéré est en partie abolitionniste au sens où elle compte éradiquer le travail abstrait (la vente de la force de travail à autrui, donc l’emploi), mais conserve le travail concret, c’est-à-dire l’activité qu’elle continue sciemment d’appeler travail et qu’elle souhaite libérer des institutions du capitalisme. Dans la culture du réseau salariat, on sent bien que le remplacement du terme travail par « activité » ou « œuvre » est perçu comme un tour de passe-passe des libertaires pour s’arranger avec leur conscience et pour masquer l’inévitable lien entre la nature et l’humain, que serait le travail. D’ailleurs dans ce réseau, le travail n’est pas ce tripalium instrument de torture par essence laborieux et aliénant. Il est surtout « travel », c’est-à-dire un voyage, comme le temps suspendu d’une réalisation de soi et de notre commun sur terre, et un « trabajo » en tant que tension qui se dirige vers un but mais qui connaît une résistance. De la même manière chez Friot, le marché n’a pas toujours été une institution capitaliste, il était aussi une forme d’émancipation des plus asservis aux prélèvements censitaires des seigneurs. Même contre-lecture pour l’argent qui ne serait pas un souci en soi s’il en restait à sa fonction d’échange, le problème c’est le crédit qui le produit, le banquier qui le capitalise, les politiques qui l’organisent. Les luttes sociales n’ont pas été trahisons du prolétariat, mais victoires communes contre la mainmise du capital sur la classe salariale. Il en découle un souhait de « poursuivre la pratique communiste du travail déjà-là » dans la sécurité sociale, les retraites, l’intermittence du spectacle et le fonctionnariat, qui sont des expériences éprouvées hors de la maîtrise du capital. Dans cette forme de révolution, il faut garder de ce monde les institutions déjà non-capitalistes. C’est donc une version complètement différente de l’histoire qui est proposée, pourtant aussi communiste que celle de l’abolitionnisme du travail.

« Sortir le travail du carcan capitaliste est la condition d’une souveraineté populaire sur la production sans laquelle il est impossible de construire pour chacun un projet de vie. […] A la place de la pratique capitaliste de la valeur qui ôte toute responsabilité économique aux personnes, tout en les culpabilisant et les sanctionnant à l’envi, sa pratique communiste par des personnes libres et égales en droits économiques sortira enfin de l’arbitraire les obligations et sanctions. » Bernard Friot, Vaincre Macron.

L’anarchisme littéraire, qui n’est pas à un classicisme près, renvoie machinalement bouler les attirances pour ce versant des tendances communistes qui laisse place à une certaine idée de système, de citoyenneté, de droit, d’économie, et d’égalité. Autrement dit d’universel, avec ce qu’il porte de colonisateur, d’ethnocentré et de liberticide aux yeux de la branche anarchiste. Il faut bien admettre que remplacer les sanctions et obligations arbitraires par des sanctions et obligations citoyennes ne fait pas rêver une seconde. L’ironie de Volodine ne dirait pas mieux, si elle disait quelque chose. Mais peut-être que nous pouvons lire cette proposition autrement qu’avec des lunettes libertaires. Ce que nous dit Friot, aux entournures, c’est que peu importe le régime et que même sous le régime du non-régime, persisteront des obligations et des sanctions. C’est-à-dire un assemblage institutionnel. Nous y reviendrons.

Cette tendance du travail libéré confère à l’Etat un rôle stratégique, quand bien même elle appellerait à son dépérissement. Et si ce n’est pas de l’Etat tel qu’on le connaît en tant que monstre froid sécuritaire au service du capital, la tendance poursuit l’institution de régulations supra-locales, telles que les coopératives ouvrières, les caisses de retraite et de santé autogérées. Cette tendance n’a pas de mal à se dire de « gauche », mais s’il lui arrive de fréquenter les urnes, c’est toujours en se pinçant les lèvres. Elle est aussi très critique envers les mots d’ordre réformistes de la CGT ou du PCF, car elle ne croit pas à une répartition plus égalitaire des richesses, mais à la fin de la propriété capitaliste et du pouvoir du capital d’employer la force de travail de la classe salariale. Visée radicale que les syndicats et les partis trop connivents du pouvoir ne savent pas assumer. Visée révolutionnaire que l‘abolitionnisme ne fait souvent pas l’effort de distinguer dans la tendance du travail libéré. Il est vrai que la nuance est subtile, car même si la CGT et le PC n’ont en pratique plus aucune force subversive, la tendance du travail libéré continue de leur attribuer un rôle historique majeur dans l’organisation de la classe salariale. Et si le syndicat et le Parti ne sont plus en capacité d’honorer ce rôle, ce n’est en aucun cas sur ces ambulances-là qu’il faut tirer. Notamment du fait qu’au sein même de ces organisations aux apparences de mort-vivant volodinien, il y a encore des franges révolutionnaires vivaces, organisées, puissantes, en lutte avec leur direction sociale-démocrate. Le réseau salariat lui-même vise à inspirer cette classe salariale selon ses propres termes, pour ne pas perdre de sa vigueur dans la bureaucratie et les petits compromis des cols blancs du PC et de la CGT.

Voilà pourquoi, quand en manifestation, le service d’ordre de la CGT aide la police à briser le cortège autonome, les abolitionnistes y voient une confirmation de la traîtrise profonde de la gauche ouvrière, là où la tendance du travail libéré voit simplement une corruption de la frange réformiste du syndicat, devenue contre-révolutionnaire au contact de la classe dirigeante. Une frange dont il faut se débarrasser, sans abandonner le principe du Parti et du syndicat. Imaginez simplement comment se déroule une préparation de manifestation, toutes tendances confondues. Imaginez le bilan commun après les faits. Imaginez l’état dudit « commun »…

Pourtant, les tendances abolitionnistes tout autant que celles du travail libéré se basent sur les mêmes écrits de Marx (les fameux Manuscrits de 1844), pour en conclure des acceptions viscéralement opposées. C’en est presque drôle. On aurait pu croire à une chamaillerie de rats de bibliothèque. Mais quand on est sur le chantier de charpente à 8 m de haut, que la panne faîtière de 50 kg et 6 m de long est tenue à un bout par un funambule abolitionniste et à l’autre par un équilibriste du travail libéré, étrangement, il n’y a pas l’ombre d’une chamaillerie. La distinction s’évapore dans la nécessité de l’ouvrage. Au départ du moins. Et tant mieux, car dans les chantiers entre nous, il n’y a ni casques ni cordes ni mousquetons… Mais dans le temps, tout se brouille.

Ce serait une illusion de croire que cet état de transcendance et de dépassement des tendances par le commun et l’épaisseur charnelle de la vie effacent à tout jamais les tendances du travail et, par rebond, du rapport à l’Etat, aux organismes sociaux, à l’école, à l’argent, à la propriété… Car au delà du chantier commun entre amis, à force de réunions, d’écrits, de prises de position (verbales ou non, dans le groupe mais aussi publiques et au nom de tous), d’élaborations prolifères de tentatives manifestes et d’expériences communes face à l’ennemi commun (la police, les politiciens, les patrons…), les tendances réapparaissent au point de créer dans nos groupes une impossibilité de faire ensemble. C’est précisément au moment d’éprouver le commun que les tendances surgissent, et dévoilent des filiations distinctes que l’affinité jusqu’alors masquait. Notre commun est extrêmement vulnérable aux tendances. Il les alimente au moins autant qu’il les dissipe. Jusqu’à ce que l’affinité à son tour vacille.

« C’était un sacré rêve, quand même. Les stations orbitales, l’immortalité, quitter les caves, rogner les tours – dégager de la planète, en fait. Et lancer les usines de décontamination air-terre-eau, tous les chantiers écologiques, on ne parlait que de ça. Ressortir les vieux ADN des labos, et relâcher des Lapins et des Oiseaux. Libérer la Terre, s’installer là-haut et La regarder refleurir pendant des siècles. On y a cru. Pourtant, la défonce était mauvaise, à l’époque, n’est-ce-pas ? Mais on y a cru. Dans le noir, nous n’avions pas grand-chose d’autre à faire. » Deletion, manager crapuleux et céleste du groupe de Marquis, Outrage et Rébellion, Catherine Dufour.

Nous venons seulement d’extraire deux de ces tendances du noir. Il faudrait maintenant imaginer leur multitude fourmillante, leurs imbrications et leur incarnation plus ou moins consciente dans une même tête. Se dire qu’elles ne s’expriment jamais comme telles. Qu’elles s’échappent à chaque fois que l’on tente de les débusquer. Pourtant ce sont elles qui tirent les ficelles en dernier ressort. Le fait de les expliciter ici, dans nos groupes et dans l’action de nos tentatives de communismes immédiats, c’est pour mieux s’en délester. Nos tendances fonctionnent comme des écrans qui nous empêchent de voir ce qui nous attend derrière. Elles bouchent complètement l’horizon, même si elles nous donnent la sensation de nous guider. Tout devient impossible quand on ne jure plus que par elles et qu’on les mécanise, qu’on tente de les appliquer comme dans le texte. Elles renvoient chacun à sa case froide et dure, elles crispent les positions. Voilà tout le jeu le plus appauvri des tendances. Les expliciter ici et en partie, c’est une manière de les faire dialoguer, pour qu’elles détendent leurs voiles et nous laissent regarder derrière. Penser leurs agencements fulgurants et leur compréhension mutuelle nous permettrait d’en faire un bagage léger, dont on pourrait sortir l’artillerie lourde qu’il contient dans nos luttes communes. Ce sont des armes pour penser l’ennemi loin de ses termes à lui. Mais ces tendances deviennent aussi nos ennemis intérieurs quand elles fonctionnent comme des bibles ou des programmes. Il nous revient de les articuler pour qu’au sein du commun elles laissent de la place à ce qui pourrait advenir et n’est encore écrit par personne.

Il ne faudrait pas qu’en dernier recours tout ce que nous ayons en commun ne soit plus qu’un burn-out généralisé et un amour perdu. Pour ça, les institutions capitalistes étaient largement suffisantes.




Se délester de l’institution, penser nos tendances institutionnelles




Que tout ceci ne nous empêche pas de prendre parti. Notre vitalité se déploie aussi dans l’être partisan. A la nuance près qu’un partisan à la logique binaire, qui cherche à appliquer un programme unique, une esthétique monochrome, une morale exclusive, tient davantage du parfait automate que ce monde attend de nous, que de l’agencement fulgurant qui ferait enfin tomber le rideau de l’impossible et du réalisme. Notre partisanerie est celle de l’enchevêtrement des contestations et des désertions contre la rationalité douteuse et la discipline morbide de notre temps. Toutefois nous ne tenons qu’à un fil, à épaissir par la manifestation de la multitude qui nous habite. Car les institutions du capitalisme (et ses habitus) ont pour elles la force des choses, l’allant de soi, la rationalité, l’évidence et la sécularité. Si nous les croyons absentes de nos tentatives, c’est que leur retour fracassant est proche.

« Les vraies difficultés ne survinrent que plus tard, avec l’apparition d’abord d’une surdemande sur certaines femmes et certains garçons qui occasionnaient tirage au sort et donc jalousies. Puis les « surdemandés » exigèrent des contreparties à leur « surtravail » et l’économie grignota petit à petit sur l’échange : les dominants se mirent à payer les soumis et les soumis à faire monter les enchères. L’argent s’infiltra entre les corps et gaina les verges. Un véritable marché de l’offre et de la demande se mit en place. Le déséquilibre s’amplifia. C’est sur cette errance prostitutive que la mafia allait bientôt faire une entrée fracassante ». A propos de la chute de la cité de Gomorrhe, lieu de pratiques et de plaisirs autrement inconcevables, situé dans la Zone du Dehors d’Alain Damasio.

La surdemande et le surtravail sont un avant-goût de la loi banale qui guette les milliards de pauvres de Varvelia Lodenko. Une loi instituée qui colonise les tentatives de communismes immédiats. Nos habitus marchands plus ou moins ensevelis sous des couches de convictions contestataires se trouvent en permanence aimantés vers la surface par le marché du monde. Nous sommes des jouets en ferraille mus par des champs sociaux dont le magnétisme nous devance. Nous n’avons pas de mal à identifier cet envoûtement, néanmoins nous rechignons à dire l’équivalent se jouant à notre mesure. Nos propres institutions ont comme les autres leur allant de soi et leur évidence, que le temps de l’insurrection n’aura que temporairement sublimé.

Dès que nous voulons opposer une présence au monde, là où son rythme impossible fait de nous des absents de nous-mêmes, nous fabriquons des institutions. Mettez deux révolutionnaires ensemble, ils édifierons des institutions. C’est-à-dire de l’impersonnel, du permanent, du stabilisé, qui finissent par fonder un ordre supérieur, qui lui même tend à se reproduire. Et ce n’est pas grave. L’impersonnel s’avère tout à fait vivant, voire exaltant. Oui, la singularité de nos êtres nous fait vibrer. Mais pas moins que nos singularités d’agencement, c’est-à-dire celles de nos groupes, qui avec le temps se ritualisent et sculptent nos silhouettes. L’institué chez nous prend notamment la forme de ce que nous donnons à voir à l’extérieur : nos livres et nos actions, nos mots d’ordres et nos fêtes, nos banderoles et nos fumigènes. Et comme le veulent toutes les composantes de l’institué, à la fin c’est elles qui nous écrivent.

« Varvalia Lodenko n’a pas agi toujours dans une solitude écrasante. Quand nous étions prévenus de son arrivée quelque part, nous nous arrangions pour l’accueillir avec une fanfare, une banderole et du pemmican, et aussi de l’alcool de lait, quand nous avions pu nous en procurer. »

Dire que nos groupes sont des institutions est une pilule bien amère à avaler pour ceux qui n’ont que la destitution à la bouche. Évidemment, il faut destituer le monde, en se détournant de lui pour de bon, en désertant son ossuaire, comme le suggérait ce fameux tag du printemps 2016. Mais ce printemps fut instituant pour notre camp, il a permis d’organiser nos propres forces contre celles de l’ordre établi, ce modèle total et envahissant de l’institué. Il nous a permis de nous penser dans notre transversalité, contre un régime écrasant, plutôt que par notre atomisation ordinaire. Depuis, ces « forces organisées » se sont solidifiées, et dans plein d’endroits elles l’étaient déjà depuis longtemps. Elles sont devenues présentes, plutôt qu’absentes. Mais le présent, si adulé dans nos milieux, recouvre bien d’autres dimensions que le simple fait d’exister enfin, à un endroit et à une époque. Le présent est aussi ce qui s’installe, s’implante, se constitue et rassemble, donc s’institue. « Organiser nos forces, maintenant » est une pirouette chevaleresque du langage pour ne pas parler des institutions dont nous posons sans cesse les jalons, sous couvert de destitution et de présentisme.

L’institué n’est pas le seul apanage du capital. Dans nos groupes-institutions, nous établissons nos règles, elles sont le fruit réifié de nos tendances, et elles sont d’autant plus pernicieuses qu’elles sont dissimulées par la grande morale anti-autoritaire dont on se réclame. Notre méfiance de la domination est d’une telle évidence que l’on accepte, en faisant mine de regarder ailleurs, que se ritualise la douce valse tyrannique des charismes, des savants, des éloquents et des premiers arrivés. Constater l’efficacité de l’institué dans nos groupes a un goût très amer. Déjà pour ceux qui débarquent en croyant participer à une expérience révolutionnaire hors normes, et qui réalisent que leur intégration au mouvement exige de se taire, d’apprendre, de suivre le tempo commun et d’entrer dans le rang. Comme à l’école. Se socialiser en suivant les normes en vigueur, aussi informelles et implicites soient-elles. Contre tout écart malvenu des sanctions se font sentir. Les mots et comportements sauvages hors de la ligne seront recadrés par les tenants de la ligne, officiellement par le verbe, ou implicitement par un regard noir, un manque d’écoute, l’ignorance, une mesure discrète d’isolement… Comme dans la cour. Le constat est aussi violent pour ceux du groupe qui établissent malgré eux les normes et les sanctions, et qui se détestent dans ce rôle-là – car nos communismes ressemblaient à autre chose sur le papier. Toutefois les législateurs-malgré-eux ont de fortes raisons de tenir la ligne, prendre soin du feu et choyer l’âme. Ils savent que ce qu’ils ont édifié leur a demandé du temps, de la sueur, du tâtonnement, d’engager une complexité sensible et politique qui n’est pas donnée au premier venu. Ils perçoivent la nécessité de transmettre et d’accueillir, et tentent de préserver le cœur de la cause dans le même élan. La transmission est rarement une action explicite de passation de savoirs, avec une date, des horaires et un powerpoint. C’est souvent un imbroglio de signes exemplaires montrant le chemin, mêlés de signes désapprobateurs qui sanctionnent. Les dispositifs de récompenses et de sanctions s’aguerrissent avec le temps, dans nos milieux comme ailleurs. Les dominants dans nos groupes comprennent intuitivement qu’en lâchant la bride et en reconnaissant l’autre dans sa légitimité à désapprouver les règles du jeu, ils n’en ressortent que plus respectés, écoutés et suivis. Leurs stratégies d’absence, pour que puisse se dire la cause sans leur regard en surplomb, rendent leur présence minimale d’autant plus puissante et déterminante. Dans nos groupes, le pouvoir de ceux qui sont partis est immense.

« De toute façon, je vais vous envoyer une cassette où Varvalia Lodenko explique ce qu’il faut faire quand il n’y a plus rien à faire. »

Nous nous croyions poussière d’étoiles mais nous nous révélons débris institutionnels. Nous nous croyions ontologiquement singuliers, nous nous découvrons socialement imprégnés. Nous avons grandi dans un bain de sens que nos insurrections auront du mal à destituer. Et le jour d’après l’insurrection ne sera qu’un florilège d’institutions.

L’institution est considérée comme ce qu’il y a de plus rebutant pour nous. Elle représente tout le contraire du mouvement. Elle s’oppose systématiquement aux flux que nous voulons libérer, et symbolise trop bien ceux que nous voulons bloquer. Mais peut-être que nous nous en faisons une fausse idée. L’institution est un phénomène bien plus vaste que l’Etat, l’Assemblée Nationale, l’école ou l’hôpital. Elle déborde largement l’organisation agonisante enfermée entre quatre murs physiques. Elle est nos murs intérieurs, nos groupes, nos organismes, nos croyances, nos errances et nos régimes. Nous sommes contre la loi, alors nous en écrivons des tas sans jamais le dire.

Nos rencontres sont des arènes dans lesquelles se déroule une baston euphémisée pour la gouvernance de nos groupes sans gouvernance. Ce sont des shows, dans lesquels ceux qui savent présenter leurs lectures du drame avec humour récoltent des points d’audience. Ceux qui réussissent une démonstration intelligible d’intelligence convainquent. Ceux qui font preuve d’une éloquence aussi simple que brillante conduisent. Ceux qui sont aptes à penser l’esthétique, sans jamais abandonner la cause, séduisent. Autrement dit, ceux qui inspirent la vie, gagnent. Et il gagnent en retour le droit de la définir légitimement.

Dans nos groupes nous opposons systématiquement nos singularités et nos transversalités à l’universel. Mais il faut bien admettre qu’en faisant cela par principe, ou par habitude, nous réintroduisons de l’universalité. Maintenant, la tâche qui nous incombe, c’est de faire tomber le masque de l’universalité sous-jacente. C’est de se doter des analyseurs qui révèlent les pouvoirs implicites. Il faut que nous soyons dérangés par nos propres pratiques destitutives de nos groupes-institutions. Tant que l’on se sent à l’aise, c’est que l’on n’a encore rien touché de nos ordres établis.

Spinoza proposait contre le pouvoir absolu de l’Etat, « le droit de guerre de la multitude comme droit de résistance à la domination ». Cette guerre nous paraît évidente contre les institutions du capital. Mais cette évidence ne doit pas nous empêcher de penser la bataille de nos multitudes dans nos propres institutions communistes et immédiates. La bataille à mener est un conflit de recherches, un choc des études. Un croisement contradictoire d’observations et de récits de vies. C’est une bataille de parcours humains qui partagent un terrain d’expériences mais qui en ont déduit des acceptions différentes et en éprouvent des périmètres distincts. Ce terrain d’expérience mouvant doit devenir explicitement notre terrain de recherche. Pour cela, il nous faut ouvrir l’espace pour provoquer les rencontres entre les expériences, loin du tempo agité du moment. Et cette entrée en recherche doit nous lancer dans une confrontation dialectique des représentations que l’on se fait du monde, d’ici, du commun, du groupe, pour mieux les maîtriser et les mettre en mouvement. Il n’y a que dans le mouvement que l’on peut saisir l’état des choses, car tant qu’elles ne bougent pas on ne voit rien.

La radicalité c’est ce travail de composition et d’agencements de nos tendances, de nos recherches, de nos pratiques, qui nous emmène ailleurs. Agencer c’est rompre avec les compromis mollassons, l’addition fade, et la dilution de la viralité de la cause dans un pâle résumé ou dans la parole des chefs éloquents. La radicalité c’est de ne plus être sujet à la capture, depuis l’autour ou depuis l’intérieur. La radicalité revient à déranger l’âme, la cause, le feu – peu importe les termes – pour faire émerger une compréhension commune de leur composition. Notre commun est autant la récolte vivrière du jour posée sur une table, que l’effort partagé de retrousser les intériorités de nos actions et de nos histoires pour qu’elles s’agencent enfin. Et ne nous fatiguons pas trop dans les dimensions psychologiques et affectives. Le soi, le sujet et l’égo sont des arnaques de l’époque pour nous empêcher d’ériger du commun et des institutions instituantes. La révolution ne sera jamais faite par un tutoriel de développement personnel.

La vitalité intentionnelle de nos agencements nous évitera de perdre du temps à produire et reproduire inconsciemment l’ordre établi et les ordres stabilisés de nos groupes. Notre époque insensée est celle du jour de l’effondrement toujours repoussé, du profit maximisé jusqu’à la dernière goutte de sève et de sang, de la vénalité universelle qui se répand jusque dans le dernier geste. A cette époque, le monde exulte de nous voir lambiner dans ce que nous croyons être des déchirements affectifs, alors qu’ils ne sont que la conséquence de nos tendances non-dites et de nos institutions refoulées. Ainsi est retardée l’émergence des bascules multiples auxquelles nous appelons, et ce monde jubile de nous voir patauger dans nos habitus bien ancrés en sécurité sous la couche de nos croyances dissonantes.

Il va falloir sérieusement se pencher de près sur le feu.

« Varvalia Lodenko se pencha au-dessus du feu. Elle y rajouta une brindille. 

Elle avait l’air ratatinée et minuscule, et pourtant, si tout se déroulait comme prévu, c’était d’elle qu’allait jaillir l’étincelle qui remettrait le feu à la plaine. »













Texte à paraître dans le numéro 2 de la revue Agencements, aux Editions du Commun







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Production de savoirs issue de l’expérimentation populaire comme levier de transformation sociale

« Recherche-action et écriture réflexive : la pratique innovante des espaces comme levier de transformation sociale » Revue Cahiers de l’action, 2018/2 N° 51-52 en libre accès sur la plate-forme cairn.info Fruit d’un an et demi d’écriture collaborative entre une vingtaine d’acteurs-chercheurs, ce dossier relate l’expérience d’une production originale de savoirs à partir d’une écriture […]

Production de savoirs issue de l’expérimentation populaire comme levier de transformation sociale

« Recherche-action et écriture réflexive : la pratique innovante des espaces comme levier de transformation sociale » Revue Cahiers de l’action, 2018/2 N° 51-52 en libre accès sur la plate-forme cairn.info Fruit d’un an et demi d’écriture collaborative entre une vingtaine d’acteurs-chercheurs, ce dossier relate l’expérience d’une production originale de savoirs à partir d’une écriture [...]

Production de savoirs issue de l’expérimentation populaire comme levier de transformation sociale

« Recherche-action et écriture réflexive : la pratique innovante des espaces comme levier de transformation sociale »

Revue Cahiers de l’action, 2018/2 N° 51-52 en libre accès sur la plate-forme cairn.info

Fruit d’un an et demi d’écriture collaborative entre une vingtaine d’acteurs-chercheurs, ce dossier relate l’expérience d’une production originale de savoirs à partir d’une écriture réflexive sur une pratique de « tiers espaces », lieux de réalisation collective, en retrait ou délaissés auprès de minorités actives et des groupes marginalisés. Les relations ainsi tissées entre acteur-chercheurs représentent une expérience inédite d’intelligence collective que ce dossier souhaite partager comme levier possible d’une transformation sociale. Cette valorisation des savoirs issus de l’expérimentation sociale s’organise autour de trois problématiques : rapport au travail, rapport au territoire et rapport à l’organisation de l’espace.

L’équipe du laboratoire social est à votre disposition si vous êtes intéressé par des rencontres-débats et autres échanges / interventions autour de cette expérience collective et la démarche de recherche-action en laboratoire social.

SOMMAIRE DU DOSSIER

Avant-propos, Emmanuel Porte
Introduction, Récit d’une recherche-action en situation, Hugues Bazin

I. Un autre rapport au travail qui nous travaille

  • Éducation populaire et action syndicale : un espace expérimental pour se reconnaître, apprendre les uns des autres en faisant un pas de côté, Anne Meyer
  • L’Atelier : beaucoup avec pas grand-chose, Anton Quenet-Renaud
  • Dénouer le travail. L’expérience du Cycle travail comme recherche et autoformation collective, Nicolas Guerrier
  • Recherche-action avec les récupérateurs-vendeurs de rue, Jeanne Guien, Maëlle Cappello, Hugues Bazin
  • Pédagogie sociale et appropriation du territoire, Laurent Ott

II. Un autre rapport au territoire qui transforme

  • De l’imaginaire au réel, lien entre tiers-espaces, collectifs et territoire, Christine Balaï
  • Les squats, une alter-urbanité riche et menacée, Arthur Bel
  • Lieux numériques : entre pratiques populaires et réappropriation des technologies ?, Julien Bellanger
  • Du bidonville au « lieu de vie » : la redéfinition de l’espace du bidonville à travers les arts politiques et la pédagogie sociale, Victoria Zorraquin
  • Un centre socioculturel embarqué sur une péniche « pour la paix » ou les singularités de l’espace fluvial, Éric Sapin

III. Un autre rapport à l’organisation de l’espace qui émancipe

  • Debout éducation populaire : la circulation de la parole et le partage des savoirs dans l’espace public, Camille Arnodin
  • La Chimère citoyenne, espace ouvert à tous, qui ne propose rien et où tout est possible, Élisabeth Sénégas, Marie-Françoise Gondol
  • Des tiers-espaces d’émancipation par l’action, Le collectif des utopien·ne·s du quartier de l’Ariane à Nice, Christophe Giroguy
  • « La nuit nous appartient » : médiation nomade dans les quartiers populaires, Lakdar Kherfi, Propos recueillis par Hugues Bazin
  • La méthode Système Bulle, Simon Cobigo

Conclusion

  • Les enjeux d’une science citoyenne au cœur de la société, Hugues Bazin
  • Retours sur l’expérience d’écriture collective

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Ecriture reflexive et espaces de transformation sociale
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Illégalité et recherche-action

Intervention du LISRA au colloque sur les recherches participatives avec des groupes déviants, stigmatisés, marginalisés. quelles approches théoriques, pratiques et déontologiques ? (1)

Jeudi 13 septembre 2018 de 11h à 13h
Centre de Formation Saint-Honoré
42-44 Rue de Romainville – 75019 Paris

Notre laboratoire social travaille avec des récupérateurs vendeurs de rue, des vendeurs ambulants, des Roms, des habitants en squat d’urgence dont les pratiques sont soumises à la répression sociale et policière. Nous rencontrons des difficultés lorsqu’il s’agit de problématiser leur pratique d’économie populaire aussi bien dans le domaine de la recherche que de l’action publique.

On parlera alors de pratiques « grises », « informelles », « sauvages » qui sous un caractère technique confortent et confirment une ethnicisation de l’illégalité. Nous entendons par là que la rhétorique des « territoires de non-droit » ne désigne pas seulement une pratique illégale selon un droit positif, mais participe d’une construction sociale de la frontière au-delà de laquelle peuvent intervenir en toute impunité les dépositaires légaux de l’ordre social et de la violence légitime. La criminalisation de la pauvreté, le délit de solidarité au migrant ou l’évacuation des bidonvilles roms participe de ce processus.

Que veut dire dans ces conditions la « participation » de populations assignées à un non-lieu d’où elles ne peuvent d’aucune manière se constituer en hors-lieux, c’est-à-dire en minorité active. Les acteurs sociaux ne peuvent avoir une place comme co-auteurs d’une recherche-action s’ils sont déjà construits socialement par la recherche en tant que corps dociles et étrangers.

Pour que les chercheurs puissent problématiser la non-parole d’une non-existence, ils doivent eux-mêmes se constituer un hors-lieux transfrontalier. Ce qui induit un renversement axiologique, une épistémologie de l’absence pour identifier ce vide ou se manque qui réduit et étouffe la réalité sociale. Sinon la participation n’est qu’une idéologie qui construit l’autre dans sa différence irréductible de non-chercheur, objet d’étude, simples pourvoyeurs de matériaux.

Nous rejoignions ici la proposition d’une « épistémologie du Sud » : il ne peut avoir de justice sociale globale sans justice cognitive globale, c’est-à-dire sans reconnaissance de la pluralité des savoirs, notamment ceux issus de la pratique et de l’expérience.

(1) Colloque international organisé par le Réseau Thématique 3 « Normes, déviances et réactions sociales » de l’Association française de sociologie (AFS), le Centre d’Etude et de Recherche Appliquées (CERA) et l’Association des Chercheurs des Organismes de la Formation et de l’Intervention Sociales (ACOFIS)

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Programme  complet :

Pauvreté entre mesure et vécu : Retour d’expériences

Appel à communication Colloque international
« Pauvreté entre mesure et vécu : Retour d’expériences »

Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales, Souissi, Rabat, 29-30 Novembre 2018

Le colloque se veut une occasion d’oser discuter le phénomène de la pauvreté et son corollaire le développement humain différemment, étudier ses causes, évaluer les différentes politiques et stratégies de lutte contre la pauvreté, comparer les expériences et les vécus aux niveaux international et national et proposer de nouvelles actions pouvant aider les pouvoirs publics et la société civile à œuvrer dans l’objectif d’éradiquer ce fléau.

Sans être exhaustif, les axes porteront sur :
1. Pauvreté : état des lieux au niveau national et international (Bilan, causes de la pauvreté)
2. Pauvreté et action des pouvoirs publics (accès à l’éducation, la santé, le travail …..)
3. Actions des organisations internationales contre la pauvreté
4. Guerres civiles, conflits et pauvreté
5. Pauvreté, exclusion et justice sociale.
6. Pauvreté, répartition et égalité des chances.
7. Pauvreté et disparités spatiales et sociales (pauvreté en milieu rural & urbain, bidonville, criminalité, corruption…….)
8. Femme, enfance et pauvreté
9. Econométrie, indices de mesure de la pauvreté et réalités vécues
10. Modélisation des déterminants de la pauvreté
11. Pauvreté, entrepreneuriat social et économie sociale et solidaire,
12. Pauvreté et actions de la société civile (activités génératrices de revenu, Initiative nationale de développement humain…)
13. Microfinance et lutte contre la pauvreté
14. Migration et pauvreté
15. Pauvreté et qualité de l’environnement
16. Pauvreté des travailleurs
17. Droit, Droits de l’homme et pauvreté
18. L’innovation comme outil de lutte contre la pauvreté

Argumentaire et soumission des communications :

Économies informelles en ville et reconfigurations de l’action publique

Journée de restitution publique et d’échanges de l’Atelier Campus Condorcet* 22 juin, de 09h15 à 17h00 Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord, salle 414 20 av. George Sand 93210 Saint-Denis, M°12 Front Populaire. 9h30 Ouverture et introduction Agnès DEBOULET (UMR Lavue, Université Paris 8) — Sébastien JACQUOT (Université Paris 1, EIREST) SESSION 1. 10H – [...]

Pour la constitution d’un tiers espace de la recherche et de l’action

Invitation à la réunion pour la constitution d’un tiers espace de la recherche et de l’action 22 juin 17h30-19h30 – salle 412 Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord 20 av George Sand, 93210 Saint-Denis – M°12 Front populaire – RER B : La Plaine – Stade de France L’objectif de cette réunion est de constituer […]

Pour la constitution d’un tiers espace de la recherche et de l’action

Invitation à la réunion pour la constitution d’un tiers espace de la recherche et de l’action

22 juin 17h30-19h30 – salle 412 Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord
20 av George Sand, 93210 Saint-Denis – M°12 Front populaire – RER B : La Plaine – Stade de France

L’objectif de cette réunion est de constituer un groupe pluriel identifié dans une démarche de recherche-action en rapport avec les territoires populaires qui subissent les inégalités territoriales et où s’inventent aussi de nouvelles approches du social et de l’économique. Nous appelons cet espace de travail « tiers espace », car il amène à une forme d’hybridation qui est plus que l’addition de la recherche et de l’action, mais la création d’une troisième composante originale.

Pourquoi ouvrir un espace spécifique ?

Bien que les équipes de chercheurs et d’acteurs soient de plus en plus nombreuses à se prévaloir d’une démarche de recherche-action ou d’une recherche en situation à visée transformatrice, il n’existe pas un espace référentiel permettant à ces personnes de collaborer de manière plus permanente au-delà du caractère événementiel de tel colloque ou action. Elles restent donc sectorisées dans leurs champs d’appartenance. Cet isolement nuit au changement des cadres de pensée et d’action. Il s’agit alors de favoriser une démarche transversale coopérative dans la production des savoirs en lien avec des stratégies collectives invitant les décideurs et les opérateurs à pérenniser l’expérimentation sociale. Cet espace incarne d’une certaine manière la ligne « recherche-action » présente comme axe sur la plate-forme de la MSH PN en essayant de répondre aux critères présentés ci-dessous.

Conditions pour l’ouverture d’un tiers espace de la recherche

  • Auto-saisissement : s’il existe déjà des consortiums entre chercheurs et acteurs pour répondre à des appels à projets, il est aussi important en dehors des formes institutionnelles que de « simples » citoyens comme des professionnels puissent se saisir des outils de la recherche, convoquer les compétences au service d’une proposition pour laquelle ils s’auto-missionnent alors que c’est actuellement impossible. En revanche l’espace instituant, d’un laboratoire social, par son accessibilité et son accueil inconditionnel permet à chacun de s’autoriser et de légitimer une pratique d’expertise et de production de savoirs.
  •  Croisement des savoirs : il existe peu d’espaces où le savoir pragmatique de l’acteur, technicien du professionnel, scientifique du chercheur se croisent et quand c’est le cas c’est rarement de manière égalitaire, car pris dans les logiques non autonomes. Ce qui explique que la « participation » soit comprise par les principaux intéressés comme une injonction paradoxale. La production d’un savoir conjugué permettrait l’émergence d’une intelligence sociale et d‘un chercheur collectif qui seraient pourtant les plus à même de répondre à la complexité contemporaine.
  • Droit à l’expérimentation : si l’expérimentation est mise en avant dans les programmes comme méthodologie de recherche, celle-ci est difficilement généralisée comme outil de développement approprié par les acteurs. Faire entrer l’expérimentation populaire dans une logique de droit permettrait à celle-ci d’être insérée ensuite dans les politiques publiques en reconnaissant le tiers espace comme maîtrise d’œuvre validée à partir d’une maîtrise d’usage.

Mise en œuvre d’un groupe de travail

Pour mettre en œuvre concrètement ce tiers espace de la recherche de l’action, nous proposons de nous donner quelques objectifs concrets :h

  • Animation d’un atelier trans-sectoriel et transdisciplinaire
  • Rédaction d’un écrit manifeste invitant à un débat public
  • Recherche d’un espace physique pour l’accueil de ces démarches et la mise en place d’un pôle ressource

Invitent à cette réunion…

Bien que cette proposition s’inscrive dans le cadre partenarial de la MSH PN, le tiers espace que nous voulons promouvoir est susceptible d’accueillir toutes démarches en partage sur cette base coopérative posant un référentiel au-delà de son implantation territoriale. Nous appelons dans ce sens toutes les personnes et structures intéressées à participer à cette première réunion de fondation.

  • Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action (LISRA),
  • Association pour la Recherche Coopérative,
  • Alternative Pour des Projets Urbains Ici et à l’International (APPUII),
  • Le LAVUE (UMR 7218 Cnrs)
  • Association Médiation Nomade
  • Unité Mixte de Recherche Innovation
  • …. liste non exhaustive

Inscription

 

 

 

 

Économies informelles en ville et reconfigurations de l’action publique

Journée de restitution publique et d’échanges de l’Atelier Campus Condorcet*

22 juin, de 09h15 à 17h00
Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord, salle 414
20 av. George Sand 93210 Saint-Denis, M°12 Front Populaire.

@crédits photos : A. Deboulet, 2017

9h30 Ouverture et introduction

Agnès DEBOULET (UMR Lavue, Université Paris 8) — Sébastien JACQUOT (Université Paris 1, EIREST)

SESSION 1. 10H – 11H : L’action publique au prisme des activités populaires et informelle

  • Flaminia PADDEU (Université Paris XIII, PLEIADE) : Cultiver les friches à Detroit. Le rôle des pratiques informelles d’agriculture urbaine en contexte de décroissance
  • Hélène BALAN (UMR ESO, sous réserve), Virginie MILLIOT (U. Paris X Nanterre, LESC) : La peur du capitaliste aux pieds nus

SESSION 2. 11h — 12h30 : Réguler la mécanique de rue ?

  • La mécanique populaire et de rue : enjeux transversaux en Ile de France, A. DEBOULET, S. JACQUOT, M. MORELLE (Paris 1, UMR PRODIG), A. NDIAYE (ARESS/FMSH-Paris).
  • Vers d’autres formes d’organisation et d’économie: l’association des mécanos de Plaine Commune et de mécaniciens en formation à l’Ecole des Projets

Modératrice : Pascale FROMENT (Université Paris 8, LADYSS)

12h30-14h : Buffet-repas

SESSION 3. 14h — 17h : Reconnaissance des savoirs locaux et formalisation des activités :retour d’expériences

(Présentations suivies d’une table ronde)

Recherche-action : deux expériences croisées

  • Hugues BAZIN (Laboratoire d’Innovation sociale), La recherche-action entre production de savoirs et transformation sociale avec les personnes en situation de précarité
  • Anne LESCIEUX-MACOU (Université Populaire et Citoyenne de Roubaix), Transition et quartier populaire : l’expérience de coopérative d’entraide

Initiatives de formalisation mises en regard

  • Dolores SCIORANS (UBA/EHESS, Boursier post-doctoral du CONICET- ICA-FFYL-UBA), L’organisation syndical des travailleurs de l’économie populaire en Argentine : le cas des travailleurs du textile Buenos Aires
  • Anne Claire GARCIA (ville de Saint-Denis), expériences de formalisation à Saint-Denis et Paris
  • Elise HAVARD DIT DUCLOS (collectif Rues Marchandes), une recherche-action avec les récupérateurs vendeurs de rue sur la question de l’économie populaire

Modérateur : Thomas AGUILERA (Sciences Po Rennes)

17.00 Conclusions — perspectives

Contact et inscription : deboulet@gmail.com – sebastien.jacquot@univ-paris1.fr

* Cet atelier vise à interroger les reconfigurations de l’action publique dans les quartiers populaires, induites par des formes d’informalisation et de dérégulation de l’économie, en considérant ensemble activités informelles précaires et activités issues de l’économie dite collaborative (Uber, AirBNB), dans plusieurs communes en banlieue parisienne (Saint-Denis, Aubervilliers, Stains). L’atelier constitue une étape dans la préfiguration d’un projet de recherches comparatiste et international

Économies informelles en ville et reconfigurations de l’action publique

Journée de restitution publique et d’échanges de l’Atelier Campus Condorcet*

22 juin, de 09h15 à 17h00
Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord, salle 414
20 av. George Sand  93210 Saint-Denis, M°12 Front Populaire.

@crédits photos : A. Deboulet, 2017

9h30 Ouverture et introduction

Agnès DEBOULET (UMR Lavue, Université Paris 8) — Sébastien JACQUOT (Université Paris 1, EIREST)

SESSION 1. 10H – 11H : L’action publique au prisme des activités populaires et informelle

  • Flaminia PADDEU (Université Paris XIII, PLEIADE) : Cultiver les friches à Detroit. Le rôle des pratiques informelles d’agriculture urbaine en contexte de décroissance
  • Hélène BALAN (UMR ESO, sous réserve), Virginie MILLIOT (U. Paris X Nanterre, LESC) : La peur du capitaliste aux pieds nus

SESSION 2. 11h — 12h30 : Réguler la mécanique de rue ?

  • La mécanique populaire et de rue : enjeux transversaux en Ile de France, A. DEBOULET, S. JACQUOT, M. MORELLE (Paris 1, UMR PRODIG), A. NDIAYE (ARESS/FMSH-Paris).
  • Vers d’autres formes d’organisation et d’économie: l’association des mécanos de Plaine Commune et de mécaniciens en formation à l’Ecole des Projets

Modératrice : Pascale FROMENT (Université Paris 8, LADYSS)

12h30-14h : Buffet-repas

SESSION 3. 14h — 17h : Reconnaissance des savoirs locaux et formalisation des activités :retour d’expériences

(Présentations suivies d’une table ronde)

Recherche-action : deux expériences croisées

  • Hugues BAZIN (Laboratoire d’Innovation sociale), La recherche-action entre production de savoirs et transformation sociale avec les personnes en situation de précarité
  • Anne LESCIEUX-MACOU (Université Populaire et Citoyenne de Roubaix), Transition et quartier populaire : l’expérience de coopérative d’entraide

Initiatives de formalisation mises en regard

  • Dolores SCIORANS (UBA/EHESS, Boursier post-doctoral du CONICET- ICA-FFYL-UBA), L’organisation syndical des travailleurs de l’économie populaire en Argentine : le cas des travailleurs du textile Buenos Aires
  • Anne Claire GARCIA (ville de Saint-Denis), expériences de formalisation à Saint-Denis et Paris
  • Elise HAVARD DIT DUCLOS (collectif Rues Marchandes), une recherche-action avec les récupérateurs vendeurs de rue sur la question de l’économie populaire

Modérateur : Thomas AGUILERA (Sciences Po Rennes)

17.00 Conclusions — perspectives

Contact et inscription : deboulet@gmail.com – sebastien.jacquot@univ-paris1.fr

* Cet atelier vise à interroger les reconfigurations de l’action publique dans les quartiers populaires, induites par des formes d’informalisation et de dérégulation de l’économie, en considérant ensemble activités informelles précaires et activités issues de l’économie dite collaborative (Uber, AirBNB), dans plusieurs communes en banlieue parisienne (Saint-Denis, Aubervilliers, Stains). L’atelier constitue une étape dans la préfiguration d’un projet de recherches comparatiste et international

Cabanes périphériques

De vie, de fortune, de résistance… Les centralités périphériques
Plateau radio dans le cadre de la journée « cabanes périphériques »
le 10 juin de 16h30-18h environ retransmis sur radio station station
La Station – Gare des Mines – 29 avenue de la Porte d’Aubervilliers, 75018 Paris

Animatrice :

Jeanne Guien, doctorante en philosophie, travaillant notamment sur les modes de consommation alternatifs.

Invité.e.s :

  • Hugues Bazin, sociologue, travaillant notamment sur les tiers-espaces et lieux éphémères.
  • Tanguy Perron, réalisateur, travaillant notamment sur les bidonvilles de St Denis (à confirmer).
  • Clara Bombled, architecte travaillant notamment sur une exposition pédagogique sur les cabanes au parc de la Villette.
  • Benoît Sicat, artiste présentant l’exposition Camping Interdit à la Station.

Programme :

Alors même que de plus en plus de personnes remettent en question l’urbanisation à outrance, l’Etat français envoie des bulldozers et des tanks détruire les cabanes, fermes et champs autogérés des opposant.e.s aux grands projets inutiles et imposés, ou encore impose aux camions aménagés des conditions d’existence légale irréalistes et peu conformes avec l’idéal d’autonomie que ce mode de vie permet d’atteindre. Zadistes ou squatteurs ? Bidonville ou espace autogéré ? SDF ou nomade ? Face à ces contradictions qui révèlent, bien au-delà des querelles de mots, l’affrontement entre des modes de consommation et de gouvernance radicalement opposés, nous souhaitons nous intéresser à la forme, au pouvoir et à la beauté des cabanes et autres habitats éphémères. Quelle est leur valeur technique, politique, esthétique ? Pourquoi se battre pour un droit à habiter l’espace par soi-même, indépendamment des normes sociales d’hygiène, de sécurité et surtout de contrôle ?

Programme complet de la journée 

La centralité populaire des tiers espaces

Les tiers espaces relèvent de plusieurs dimensions (centralité, altérité, levier, bordure, milieu, diversité, écosystème, communs) qui constituent autant d’analyseurs pertinents des mutations actuelles. Nous préférons parler de tiers espaces[1] plutôt que de tiers lieux, afin de mieux cerner ces processus à la fois symboliques et physiques, intellectuels et stratégiques, notamment quand des acteurs mobilisent des ressources pour répondre à leurs besoins. L’espace comme le lieu peuvent être localisés, mais l’espace n’est pas prédéfini par une activité ou une fonction. En revanche une pratique des espaces peut s’immiscer dans n’importe quels lieux, voire changer la hiérarchie symbolique des lieux.

 

C’est le cas lorsque nous explorons les formes d’économie populaire[2] et d’innovation sociale dans les territoires délaissés ou sans emprise (friches industrielles, quartiers paupérisés urbains ou ruraux à l’écart des grands pôles d’activités régionaux.) En quoi ces formes d’auto-organisation, d’autoformation et d’autofabrication contribuent-elles à répondre aux besoins des populations concernées ? Pouvons-nous concevoir ces tiers espaces comme l’émergence d’une nouvelle « centralité populaire »[3] qui amènerait à renverser le rapport centre / périphérie mais aussi à légitimer une autre expérience sociale et économique dans la construction d’un système d’échanges ?

Une telle conception suggère d’accepter l’éruption de luttes se structurant autour d’une occupation populaire des espaces disputés aux classes dominantes et dont les mouvements sociaux actuels sont assez représentatifs. C’est s’opposer à une vision misérabiliste où le populaire est assimilé à la périphérie (péri-urbaine ou péri-rurale) pour prendre la connotation d’une relégation sociale et économique, alors que le terme populaire renvoie historiquement à la manière dont les acteurs se positionnent et agissent dans un rapport social, notamment dans un rapport de production (biens matériels, savoirs, etc.). Que devient-il lorsque le rapport au travail disparaît et que les populations des anciens bassins d’emplois sont considérées comme surnuméraires d’une activité économique mondialisée ? Le populaire se confond au populisme, une forme sociale chosifiée sous l’énoncé de la « France d’en bas ». Cette vision d’une « France périphérique » connaît un grand succès sous la plume d’éditorialistes, nourrissant parfois, sous des justifications scientifiques, des idéologies réactionnaires comme « l’insécurité culturelle ».

Zacharie Gaudrillot-Roy – http://www.zachariegaudrillot-roy.com

La société post-industrielle, de l’interconnexion et de l’hyper vitesse laisserait des pans entiers de la société en friche en dehors des grands pôles régionaux « créatifs, fluides et flexibles ». Cette sociologie de l’écroulement n’est pas, pour autant, contradictoire avec une sociologie de l’émergence. Les tiers espaces sont directement l’émanation des zones laissées vacantes et seraient symptomatiques non pas d’une transition, mais d’une métamorphose : il ne s’agit pas d’une adaptation du modèle d’un « capitalisme durable », nous sommes dans un changement de nature dans notre manière de faire société où se réinventent les modèles sociaux, économiques et de gouvernance.

Les tiers-espaces peuvent-ils prétendre dans ce cas à représenter ce tiers de la population « invisible », ce « Tiers État » s’extirpant de la réification identitaire pour entrer dans un processus de transformation sociale, pour ne pas dire révolutionnaire ? Les mots de l’abbé Siéyès (1748 – 1836) résonnent alors étrangement dans le climat actuel : « Qu’est-ce que le Tiers État ? – Tout – Quel rôle a-t-il joué jusqu’à présent ? – Aucun – Qu’aspire-t-il à devenir ? – Quelque chose ».

Les tiers espaces favorisent un horizon d’attente pour des dynamiques de résistance ou de créativité populaires. On pensera notamment aux contre-espaces des ZAD[4], du communalisme[5] ou de la politique des communs[6] cherchant à poser une alternative à la logique concurrentielle et productiviste.

On comprendra que cette révolution populaire n’est pas la révolution ultralibérale de la « start-up nation » dont parfois les tiers lieux sont devenus – à leur corps défendant – le symbole archétypal. Car, sur un autre plan, ces mêmes zones deviennent un objet de convoitise dans la forme néolibérale des « clusters » ou des « makers ». À la faveur de réhabilitations urbaines, sous le couvert d’une « reconquête des territoires » ou de « l’attractivité des territoires », des bataillons de techniciens concepteurs-designers sont convoqués pour justifier cette conception de l’aménagement. Ici, la notion de créativité sert plutôt les intérêts de catégories socioprofessionnelles intermédiaires, une « classe créative » qui maîtrise les clés de langage et apparaît comme légitime en matière de développement.

Nous pensons, de notre côté que ce sont les classes les plus démunies et ceux qui sont hors système qui sont le plus porteurs d’une créativité amenant à des solutions profitables pour tous en termes de recherche et développement. Les classes populaires ne font pas que subir, mais peuvent également choisir d’être dans un mouvement de retrait.

Il pourrait exister, pour reprendre notre exemple, des « clusters populaires » occupant les interstices urbains ou ruraux sans emprise fonctionnelle ou projet d’aménagement, tout en expérimentant d’autres formes d’organisation où se croisent des fonctionnements d’autosuffisance dictés par la survie et des explorations dans la recherche d’une autonomie : proposer un service pour le territoire, valider et reconnaître des formes économiques non instituées, réfléchir à un modèle de gouvernance du commun, aménager une diversité écosystémique d’interdépendance non contraignante, partir de la maîtrise d’usage du territoire et d’un rapport à l’espace public, créer des tiers-lieux non soumis à la logique productiviste concurrentielle, mais d’accueil inconditionnel, de croisements et de veille, miser sur la créativité, le « bricolage » et autres pratiques populaires, articuler ressources humaines du territoire, levier économique, partenariat.

Les tiers-espaces génèrent ainsi des « effets de bordures », c’est-à-dire des écosystèmes entre deux milieux (le travail formel et informel, l’espace public et l’espace privé, etc.), créant de cette manière des espaces de vie plus riches, plus divers, voire plus conflictuels que ceux qu’ils bordent. Nous retrouvons dans la défense de cette biodiversité, le manifeste de Gilles Clément pour le Tiers-Paysage[7].

Nous voyons que la prise en compte d’un développement endogène des territoires soucieux des personnes et de leur environnement se heurte à la difficulté de forger de nouveaux cadres de pensée et d’action susceptibles de prendre en compte ces processus. De nouveaux référentiels ne peuvent naître de cadres déjà construits conceptuels ou opérationnels. Il est nécessaire de provoquer des labos citoyens, un « tiers-espace scientifique »[8] au croisement des savoirs où les acteurs populaires s’autorisent à mobiliser les outils de la recherche comme support d’émancipation.

Bien que les notions de recherche participative, d’empowerment et de community organizing soient reprises aujourd’hui dans le lexique de l’action, parfois comme synonymes de la recherche-action, il existe toujours un fossé abyssal dans la prise en compte des pratiques sociales, notamment dans les territoires délaissés ou « sans emprise ». La mobilisation des ressources de ces acteurs comme production de savoirs si elle n’est pas reconnue, réduit la possibilité de se constituer comme minorités actives, contre-pouvoirs et contre-expertises.

Trois points d’appui sont nécessaires au levier comme force de transformation sociale. Ce chiffre « trois » est une façon de nommer l’accueil de l’Autre sans condition dans son altérité et la sortie de l’opposition binaire pour atteindre une complexité, celle des processus vivants. Il ne s’agit donc pas seulement de donner la parole, mais aussi d’engager des coopérations entre les acteurs qui conduisent à une transformation des pratiques et des fonctionnements. Ce sont ces transformations qui sont au cœur de la recherche-action[9]. Acteur-chercheur n’étant ni une profession ni un statut, il s’agit de négocier en permanence des espaces qui peuvent jouer le rôle d’interface et valider ces processus et les compétences mobilisées en situation dans des milieux socioprofessionnels qui n’obéissent pas aux mêmes spatialités et temporalités.

La démarche de laboratoire social[10] se loge dans des « rencontres interstices »[11] pour rendre visible cette cartographie sociale des espaces en invitant les acteurs d’un territoire à se « décentrer » et se « recentrer » selon une autre géographie existentielle. Ce « milieu » est à la fois le lieu du centre d’une activité et le milieu de l’environnement dans lequel nous vivons, d’où nous tirons nos propres enseignements comme le propose la pédagogie sociale[12].

C’est une manière de dire que nous ne sommes plus définis par nos « extrémités » dans une histoire linéaire entre un « début » et une « fin », mais par des « espaces qui poussent du milieu », des espaces intermédiaires de l’existence dont l’expérience mentale, sociale et spatiale n’entre pas dans les formes classiques de validation et de légitimation des acquis professionnels[13].

 

[1] Hugues Bazin, « Les figures du tiers-espace : contre-espace, tiers-paysage, tiers-lieu », in Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. Édifier le Commun, n°19, décembre 2015.

[2] Hugues Bazin, « L’économie populaire des récupérateurs vendeurs », Une Seule Planète / CRID, 2017 https://uneseuleplanete.org/L-economie-populaire-des-recuperateurs-vendeurs

[3] Collectif-Rosa-Bonheur, « Centralité populaire : un concept pour comprendre pratiques et territorialités des classes populaires d’une ville périphérique », in SociologieS, Penser l’espace en sociologie, 2016.

[4] Frédéric Barbe, « La « zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes ou l’habiter comme politique », Norois, vol. 238-239, no. 1, 2016, pp. 109-130.

[5] Paula Cossart. « Le communalisme comme « utopie réelle » », in Participations, vol. 19, no. 3, 2017, pp. 245-268.

[6] Pierre Sauvêtre, « Quelle politique du commun ? », in SociologieS, Dossier « Des communs au commun : un nouvel horizon sociologique ? », 2016.

[7] Gilles Clément, Manifeste pour le Tiers paysage, Paris, Éditions Sujet/Objet, 2004.

[8] Hugues Bazin, « Enjeux d’un tiers espace scientifique. Éléments méthodologiques et épistémologiques en recherche-action », document électronique, www.recherche-action.fr, 2014.

[9] Pour une idée des « espaces d’émancipation collectives et de transformation sociale », voir les blogs de la plate-forme recherche-action.fr, notamment le site http://recherche-action.fr/emancipation-transformation

[10] LISRA, « Laboratoire social au croisement des savoirs », www.recherche-action.fr/labo-social, 2018.

[11] Hugues Bazin  , « La marchabilité du citoyen arpenteur acteur chercheur. Écologie des mobilités et architecture fluide, Revue Aprpentages2, Lyon : Éd Scènes Obliques-La Fosse aux Ours, 2015, pp.139-151.

[12] Laurent Ott, Nicolas Murcier, Mélody Dababi , Des lieux pour habiter le monde : Pratiques en pédagogie sociale, Chronique Sociale, 2012.

[13] LISRA, De la formation du sujet aux démarches interdisciplinaires, journée d’étude INJEP-ACSE, 2008.

La Centralité Populaire Des Tiers Espaces
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Modèles économiques dans la production de savoirs et transformations sociales

Atelier du Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action en partenariat avec la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord

Jeudi 31 mai 2018 – MSH Paris Nord- 20 Avenue George Sand, 93210 Saint-Denis
Métro 12 : Front populaire (sortie n°3 Maison des Sciences de l’Homme)
RER B : La Plaine – Stade de France puis bus 139 ou 239 (arrêt Métallurgie) ou 15-20 minutes à pieds depuis le RER B

En recherche-action, il n’existe pas d’un côté des chercheurs-acteurs précaires et de l’autre des recherches avec les populations en situation de précarité. L’analyse critique des chercheurs et la capacité d’agir des acteurs sont liées. Il s’agit d’un même continuum renvoyant à la question de l’autonomie économique dans les formes de production de savoir et de transformation sociale. Durant la matinée, nous aborderons les modèles économiques des associations de recherche. L’après-midi, nous aborderons les pratiques d’économie populaire.

Le but de cette rencontre est de :

  • Dresser des transversalités dans la production des savoirs au-delà de l’analyse sectorielle des pratiques et de valoriser la dimension écosystémique de l’économie de recherche d’un « tiers espace scientifique » et écosystème d’une économie populaire comme autres aménagements et développements des territoires
  • Élaborer des stratégies collectives permettant d’inclure la recherche citoyenne et le droit à l’expérimentation sociale comme modalité de la production de savoirs et d’action publique
  • Mettre en place une plate-forme ressource permettant d’assurer une collecte et un partage sur les travaux de recherche et sur les initiatives, projets et mobilisations touchant les populations et les problématiques concernées.

Nombre de places limitées, inscription obligatoire sur :
http://recherche-action.fr/emancipation-transformation/inscription/
Expérience en recherche-action conseillée, l’atelier sera basé sur l’expérience de chacun et une implication dans le processus collectif

Matinée 9h30-12h30 (salle 414) :les modèles économiques des associations de recherche

Animation / intervention Élodie Ros et Paul-Emile Geoffroy : Financer et organiser la recherche autrement : actualité de la recherche coopérative

Présentation : Nous proposerons successivement d’étudier les solutions de financement et d’organisation déployées par divers acteurs associatifs ou coopératifs en France afin d’étudier la possibilité pour les praticiens de la recherche-action de se diriger vers de tels modèles ou d’élaborer un modèle alternatif, ou hybride. Il sera notamment question des coopératives éphémères, du crédit impôt recherche et des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC). La présentation se basera sur une enquête menée auprès d’une dizaine de structures de recherche relevant de l’économie sociale et solidaire.

Repas « Auberge espagnole » (salle 413)

Chacun apporte quelque chose en partage pour le repas

Après-midi 14h-17h (salle 413) : Pratiques de l’économie populaire

Animation : Jeann Guien, Élise Havard dit Duclos

Présentation :Cet atelier propose de croiser, grâce à la rencontre de chercheur.e.s-acteur.e.s et des principaux intéressés, différentes pratiques d’économie populaire dans l’espace public. Invisibilisés et trop souvent individualisés par une gestion publique spatiale et superficielle, les vendeur.e.s ambulants, biffin.e.s ou mécanicien.ne.s de rue développent des systèmes socioéconomiques d’échanges inscrits dans la réalité des ressources et des besoins d’un territoire. Loin d’une simple économie de la survie, ces formes d’économie populaire s’inscrivent dans des réseaux structurés, dans une maîtrise d’usage individuelle et collective et dans des formes d’organisation innovantes qui dépassent les cadres institutionnels. Cette rencontre s’inscrit donc dans la volonté de partager ces différents savoirs pratiques et théoriques afin d’explorer les différentes pistes d’expérimentation en termes de reconnaissance de ces formes alternatives de travail et d’une possible formalisation.

Interventions

  • Étude avec les biffins récupérateurs-vendeurs, le marché de Montreuil (Élise Havard dit Duclos)
  • Les vendeurs ambulants du parvis de la Gare à Saint-Denis, l’informalité comme illégalisme ou comme écosystème ? (Emmanuelle Zelez accompagnée de Gabrièle, Mariam, Momo)
  • Les ateliers mécaniques de rues (Sébastien Jacquot)
  • Quand des initiatives citoyennes font économie populaire pour transformer l’Ariane, quartier Nord de Nice : récupération, friperie, échanges de savoirs, jardin partagé … » (Christophe Giroguy)
Les Modèles économiques Et Les Transformations Sociales
Les Modèles économiques Et Les Transformations Sociales
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